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Simon Leys (Pierre Ryckmans)
(Uccle, Nelgique, 29/09/1935 - Sydney, Australie, 11/08/2014)

simon leys

"Simon Leys, nom de plume de Pierre Ryckmans, est un écrivain, essayiste, critique littéraire, traducteur, historien de l'art, sinologue et professeur d'université de nationalité belge, de langue française et anglaise et de confession catholique, né le 28 septembre 1935 à Uccle et mort le 11 août 2014 à Sydney en Australie.

"Son œuvre porte notamment sur la politique et la culture traditionnelle en Chine, la calligraphie, la littérature française et anglaise (notamment des auteurs catholiques), la mercantilisation de l’université, et la mer dans les œuvres littéraires.

Il fut l'un des premiers intellectuels à dénoncer la révolution culturelle en Chine et la maolâtrie en Occident en publiant sa trilogie Les Habits neufs du président Mao (1971), Ombres chinoises (1974) et Images brisées (1976)." (lire la totalité de l'article sur Wikipedia) .


le studio de l'inutilité

Le Sudio de l'Inutilité (2012). Essais. Flammarion. 299 pages.

Le recueil s'ouvre par une introduction intitulée "en guise de liminaire", et qui comporte une citation de Zhuang Zi (Tchouang-Tseu): "
Les gens comprennent tous l'utilité de ce qui est utile, mais ils ignorent l'utilité de l'inutile." Simon Leys y évoque des souvenirs : une cahute, au coeur d'un bidonville de réfugiés à Hong Kong, dans laquelle il a bénéficié pendant deux ans de l'hospitalité d'un ami artiste, philologue et historien.

Puis, suivent des essais regroupés en trois catégories : Littérature, Chine, La Mer.
Commençons par la Littérature.

michaux
Henri Michaux (1899-1984) : Mouvement (1950-51)

- Belgitude de Michaux.
"
L'Europe compte bon nombre de petits pays : mais celui-ci est bien le seul, semble-t-il, à s'enorgueillir de son exiguïté." (page 19).
Michaux a beaucoup voyagé, expérience pourtant pénible pour lui. "
Michaux n'est pas à l'aise en voyage, mais le voyage lui apporte un soulagement - car il est encore plus mal à l'aise chez lui. Le mal-être, anormal pour le sédentaire, est au moins naturel pour le voyageur : à l'étranger, le malaise existentiel trouve une rassurante excuse." (page 24).
De 1963 à 1972, Michaux a réédité ses livres, et c'est cette révision "généralement désastreuse" (page 32) qui a été publiée dans La Pléiade. Or, "le premier devoir d'un critique est parfois (comme le disait D.H. Lawrence) de sauver l'oeuvre des mains de son créateur.
Le phénomène des écrivains de génie qui, sur le tard, cessent de comprendre ce qu'ils ont fait de mieux, le désavouent et le gauchissent, ou s'appliquent à le refaire et à le mutiler, est consternant, mais nullement exceptionnel.
" (page 33). Et de citer Gogol dont seule la mort l'a empêché de saboter Les Âmes mortes ; Tolstoï qui a estimé que plutôt que d'écrire Anna Karénine, il aurait mieux fait de consacrer son énergie à rédiger de la propagande pieuse. Et Henry James : "une certaine verbosité tortueuse que l'on croit souvent caractéristique de son style, n'est en fait que le résultat de cette révision tardive et malencontreuse qui, à l'époque, suscita une réaction horrifiée de la critique new-yorkaise : « On souhaiterait que M. James ait plus de respect pour les classiques, à commencer par ceux qui sont sortis de sa plume. »" (page 33-34).
La liste ne s'arrête pas là : il y a encore Conrad, Hergé...
Michaux enlève tout ce qui, a posteriori, le dérange (dans une démarche généralement politiquement correcte). Exemple de phrase coupée :
"
la religion hindoue a double face, l'une pour initiés, l'autre pour crétins. L'humilité est certes une qualité de tout premier ordre, mais pas l'abrutissement". (page 35). Tout ce qui gratte un peu disparaît, ça devient gentil, mou...


chesterton
G.K.Chesterton (1874-1936)

- G.K Chesterton.
Lorsque Chesterton était encore jeune, il a été "
secoué par une crise soudaine[...]. Ce fut alors qu'il eut l'intuition du paradoxe central qu'il ne cessera d'explorer toute sa vie durant, et qu'il finira par résumer vers la fin de sa carrière, dans son livre magistral sur saint Thomas d'Aquin : le christianisme a inversé l'ancienne croyance platonicienne selon laquelle c'est l'univers matériel qui serait mauvais, et l'univers spirituel qui serait bon. En réalité, c'est le contraire qui est vrai [...] « Il n'y a pas de choses mauvaises, seulement un mauvais usage des choses. Ou, si vous voulez, il n'y a pas de mauvaises choses, mais seulement des pensées mauvaises, et surtout des intentions mauvaises. [...] L'oeuvre du Ciel seule est matérielle - la création du monde matériel. L'oeuvre de l'enfer est entièrement spirituelle." (pages 51-52).
Chesterton, et Simon Leys, font l'apologie de l'amateurisme, par opposition au professionnalisme (ce sera développé dans la partie consacrée à la Chine) : "
La supériorité de l'amateur sur le professionnel est une notion importante et paradoxale, mais elle est largement ignorée dans la culture occidentale, laquelle considère de façon générale que seul le professionnel est vraiment « sérieux », tandis que l'activité de l'amateur paraît nécessairement entachée de frivolité [...]" (page 55).
Cette vision "
coïncide en fait avec un principe fondamental de l'esthétique picturale chinoise [...]. Il s'agit du reste d'un principe qui devrait présenter une pertinence profonde et universelle. [...]
Aucune activité humaine vraiment importante ne saurait être poursuivie d'une manière simplement professionnelle. C'est ainsi, par exemple, que l'apparition du politicien professionnel marque un déclin de la démocratie - puisque dans une démocratie authentique, l'exercice des responsabilités politiques est le privilège et le devoir de chaque citoyen.
" (page 56). Il faut avoir les compétences requises pour être postier, informaticien, etc., mais nul ne les vérifiera pour devenir mari, épouse, père ou mère, tâches pourtant complexes (paraît-il).

Ah, les aphorismes de Chesterton ! "
« Quand une chose vaut la peine d'être faite, ça vaut même la peine de la faire mal. » Ou encore : « Tout comme un méchant homme est quand même un homme, un méchant poète est quand même poète. »" (page 57)
Pour Simon Leys, les analyses de Chesterton sont troublantes de justesse, et ses écrits ont une actualité et une pertinence que nous ne trouvons pas chez ses contemporains Bernard Shaw et H.G. Wells.

Chesterton a beaucoup écrit.
"Sa secrétaire rapporte qu'il lui est parfois arrivé de rédiger deux articles à la fois : il en écrivait un, tout en dictant l'autre, simultanément." (page 65). On croirait un gag !
"Et il était un superbe journaliste, il en avait toutes les qualités - vivacité, concision, rapidité, esprit, clarté. Mais ce sont aussi les qualités qui vous damnent aux yeux des critiques prétentieux et des médiocrités solennelles, dont le préjugé le plus constant est que ce qui est clair ne saurait être profond, et ce qui est comique ne saurait être important - car, pour impressionner les imbéciles, il faut être obscur et ennuyeux. Chesterton a constamment bataillé contre ce préjugé : « Mes critiques pensent que je ne suis pas sérieux, mais seulement amusant. Ils croient que amusant est le contraire de sérieux ; mais amusant est seulement le contraire de pas amusant et de rien d'autre. [...] Les gens ne peuvent croire qu'une réflexion agrémentée d'une petite plaisanterie puisse encore avoir du sens.»" (pages 65-66).
La clarté comme une marque d'intelligence, et l'humour qui n'est pas un obstacle à la profondeur, ce que les imbéciles ne comprennent pas : deux thèmes récurrents dans ce livre.

 

orwell
George Orwell (1903-1950)

- Orwell intime.
Dans un de ses journaux, Orwell note : "« [...] dans un pays où il existe une hiérarchie des classes, les membres de la classe supérieure tendent toujours à prendre la tête dans les moments de crise, sans être nécessairement plus doués que les autres. Pareille situation est acceptée un peu partout, presque toujours. Dans l'Histoire de la Commune de 1871, par Lissagaray, il y a un passage décrivant les exécutions qui suivirent la répression de la Commune : on fusillait les meneurs sans procès, et comme on ne savait pas exactement qui étaient les meneurs, on les identifiait en partant du principe que ceux qui appartenaient à une classe supérieure devaient être les chefs du mouvement. Ainsi, un homme fut fusillé parce qu'il portait une montre, un autre parce qu' “il avait une physionomie intelligente”. » " (page 75).

Un ami avait remarqué : "« Orwell est un animal politique [...]. Il ne pouvait pas se moucher sans faire un discours sur l'industrie du mouchoir. » " (page 79).

" [...] il considéra que le premier devoir d'un socialiste était de combattre le totalitarisme - ce qui signifie en pratique « dénoncer le mythe soviétique, car il n'y a guère de différence entre le fascisme et le stalinisme." (page 81). On notera qu'en France, cela ne fait pas si longtemps que l'on peut comparer publiquement ces deux systèmes... Pourtant, il suffit de repenser aux première pages de Vie et Destin de Vassili Grossman... Mais revenons au recueil et à Orwell.
"« Les intellectuels me dépriment horriblement » est un autre thème qui revient souvent dans les lettres : « Les intellectuels sont plus enclins au totalitarisme [...] et le danger est qu'ils développent ici une variété indigène de totalitarisme. »" (page 83). Il écrivait ceci à Londres ; la situation était bien sûr pire à Paris (Sartre, Aragon...). La Ferme des Animaux avait trouvé un éditeur qui s'est ensuite dédit arguant : "ce projet est impossible pour raisons politiques. En France, j'ai l'impression qu'il n'y a à peu près personne qui se soucie encore de la liberté de la presse, etc." (page 83).

 

le prince de ligne
Charles-Joseph de Ligne (1735-1814)

- Le prince de Ligne ou le XVIII° siècle incarné. Préface au livre Le Prince de Ligne de Sophie Deroisin.
"Ligne partage bien des traits avec Mozart ; au sujet de ce dernier, Bernard Shaw a fait une remarque qu'il pourrait être pertinent de citer ici : la grandeur de Mozart n'est pas celle d'un innovateur, mais au contraire c'est d'avoir réussi à porter une tradition à son insurpassable point de perfection - « beaucoup de mozartiens enthousiastes ne peuvent souffrir que l'on dise de leur héros qu'il ne fut pas un fondateur de dynastie. Mais en art, le plus haut accomplissement consiste à être l'ultime rejeton d'une lignée plutôt que son initiateur. N'importe qui, ou presque, peut commencer - toute la difficulté est de finir, en produisant une oeuvre que nul ne pourrait exceller »." (page 111).
"Wagner reprochait à Mozart de « manquer de sérieux [note de Simon Leys : Soit dit entre parenthèses, ce jugement révèle plutôt ce qui cloche chez Wagner]» ; un même malentendu a pesé sur Ligne : dès qu'il n'a plus eu affaire à de hautes intelligences comme Marie-Thérèse et Joseph II à Vienne, ou à la grande Catherine en Russie, son « manque de sérieux » a caché son génie aux yeux de souverains médiocres qui n'ont plus osé l'employer, le réduisant ainsi à une semi-retraite prématurée." (page 112).

 

simone weil
Simone Weil (1909-1943)

- Dans la lumière de Simone Weil.
"A la fin de son essai sur Simone Weil, Milosz relève un trait touchant et révélateur : le jour où Camus apprit que le prix Nobel lui avait été attribué, traqué par une meute de journalistes et de photographes, c'est chez Mme Weil [la mère de Simone] qu'il vint se réfugier. Or on sait que, pour Camus, tourmenté de doutes sur lui-même, cette écrasante distinction fut à beaucoup d'égards une épreuve - loin de le réconforter, elle le désarçonna. Tout comme, dans un moment de soudain désarroi, le réflexe naturel d'un croyant est d'entrer dans une église, l'athée Camus éprouva, lui, l'irrépressible besoin d'aller se recueillir dans l'ancienne chambre où la jeune Simone avait médité et écrit." (page 147)

On trouve d'autres petits essais : Joseph Conrad et l'Agent Secret (il s'agit d'un texte écrit en réponse à la question "le roman du XX° siècle") ; Victor Segalen revu à travers sa correspondance ; Nabokov et la publication posthume de son roman inachevé.

 

Puis vient la partie sur la Chine.

liu xiaobo
Liu Xiaobo (1955-). Il est le seul prix Nobel de la Paix actuellement en prison.

Simon Leys parle des essais de Liu Xiaobo (prix Nobel de la Paix en 2010) sur la Chine d'aujourd'hui.
"Anatomie d'une « Dictature post-totalitaire »" commence par une citation de Sima Quian (145-90 av. J.-C.), extraite de Mémoires du Grand Historien : "Mieux que l'approbation de la foule : l'indignation d'un seul honnête homme !"

"[...] en ce moment même [Liu Xiaobo] est en prison - pour onze ans cette fois, soumis à un régime particulièrement sévère, malgré sa très mauvaise santé. Comme Pascal le disait : « Je crois des témoins qui se font égorger. ». En l'occurrence, il s'agit d'un témoin par ailleurs exceptionnellement qualifié par son expérience, par son intelligence, par son information, par son éloquence et par son intégrité." (page 165).

"[...] Liu peint aussi une image sombre du consternant désert spirituel de la culture urbaine de la Chine post-totalitaire. Les autorités imposent une rigoureuse amnésie du passé récent. Le massacre de Tian-anmen a été entièrement effacé de la mémoire de la nouvelle génération, cependant qu'un nationalisme grossier se trouve périodiquement excité, afin de détourner le mécontentement de la population dans une direction qu'il est plus aisé de contrôler". (page 180).
Il dénonce l'enlèvement d'enfants qui servent d'esclaves dans des briqueteries, avec la complicité des autorités locales ; la collusion des autorités de l'Etat avec les promoteurs immobiliers...

Liu estimait, en 2008 que la transformation économique de la Chine, qui paraît vaste et profonde vue de l'extérieur, est en fait fragile et superficielle."La combinaison de facteurs spirituels et matériels qui avait stimulé la réforme politique des années 1980 - avec des intellectuels qui pensaient librement, une jeunesse passionnée, des entreprises privées qui avaient le sens de l'éthique, des contestataires dans la société et un courant libéral au sein du Parti communiste - tout cela a disparu. À leur place, nous avons maintenant un programme économique dont l'unique moteur est la poursuite frénétique du profit." (pages 183-184).
Quel est le niveau de stabilité de la Chine ? Simon Leys conclut :
"Sur ce sujet, on peut penser que ce sont encore les dirigeants chinois qui ont la vue la plus claire. Pourquoi donc ont-ils aussi peur d'un frêle écrivain qui n'était armé que de sa seule plume, et qui se trouve en prison, coupé de tous contacts humains ? Et pourquoi la seule vue de son fauteuil vide dans une cérémonie académique à l'autre extrémité du continent eurasiatique suffit-elle pour les plonger dans une telle panique ?" (page 185)

- Ethique et esthétique : la leçon chinoise.
Ce que certaines civilisations considèrent comme un axiome de base n'est qu'appréhendé par quelques individus exceptionnels dans d'autres civilisations.
"Ainsi cette idée que la qualité esthétique de l'oeuvre d'art reflète la qualité éthique de son auteur, est tellement essentielle dans la pensée chinoise, qu'elle risque parfois de devenir un cliché ressassé [...]. En Occident, en revanche, sans être entièrement inconnue, cette même notion fait rarement l'objet d'un développement aussi méthodique. Ainsi Vasari par exemple peut relever tout naturellement une correspondance entre la beauté spirituelle de la peinture de Fra Angelico et la sainteté dont était empreinte son existence monastique, mais par ailleurs il ne lui viendrait guère à l'esprit d'attribuer les carences artistiques d'autres oeuvres aux manquements moraux de leurs auteurs..." (page 191)

fra angelico
Fra Angelico (vers 1400-1455) : L'Annonciation dans La Vie du Christ (1451-1452). Musée national San Marco

" Les quatre arts majeurs de la Chine (la poésie, la calligraphie, la peinture [...] et la musique de qin (cithare à sept cordes) - sont pratiqués non par des professionnels, mais par des amateurs lettrés. Traditionnellement, ces diverses disciplines ne sauraient être exercées comme un métier : un artiste qui accepterait paiement pour son art se disqualifierait et se verrait aussitôt réduit à une condition inférieure d'artisan. [...] l'objet premier de leur activité demeure la culture et le développement de leur vie intérieure. On écrit, on peint, on joue de la cithare, pour perfectionner sa personnalité, pour s'accomplir moralement en accordant son humanité individuelle aux rythmes de la création universelle." (page 191-192)


Viennent ensuite d'autres textes : sur Madame Chiang Kai-Shek, Roland Barthes en Chine (son voyage de 1974), le génocide cambodgien...


Puis vient la partie sur La Mer, moins intéressante, mais Les Naufragés des Auckland vaut vraiment le coup.

Et on finit, pour prendre congé, par Une idée de l'université, qui dénonce la tentation utilitariste et mercantile de l'Université.


Un recueil parfois un peu disparate (mais on pense à ce que G.K. Chesterton écrivait : "Un esprit léger et irréfléchi est caractérisé par l'harmonie des matières qu'il traite ; un esprit pénétrant et réfléchi, par leur apparente diversité.", page 60) mais extrêmement intéressant. Immense culture, clarté, humour, profondeur, honnêteté intellectuelle... Sans compter que Simon Leys donne envie de lire les auteurs dont il parle.

 

 

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