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Federico Zeri
(Rome, 12/08/1921 - Mentana, 05/10/1998)

Federico Zeri

Son père était médecin. "Après des études de botanique et de chimie, Federico Zeri s'oriente différemment, en 1943, pour se consacrer à l'étude de l'art sous la direction de l'historien de l'art et professeur Pietro Toesca.
En 1944, il est arrêté par la police fasciste car on le soupçonne d'entretenir des relations avec la Résistance italienne, et il est sauvé par un officier, ancien patient de son père qui le fait discrètement évader."

Zeri le raconte dans "Conversations avec Federico Zeri" (chez Rivages, pages 121-122) :
"On nous a conduits dans une grande salle du commissariat de police de Rome, via San Vitale. Je m'en souviens comme d'une des fosses de l'enfer : tous se démenaient, terrorisés. [...] Les deux premiers jours, il est venu des gens avec des listes de noms : ceux que l'on appelait étaient emmenés. [...] Vingt-quatre heures après mon arrestation [...] je me suis entendu appeler par un monsieur ; j'ai pensé que mon tour était venu. Cet homme, dont je n'ai jamais su l'identité, s'approcha de moi et me demande : « Vous êtes le fils d'un médecin ? » « Oui », répondis-je. « Votre père enseignait à l'Institut de pathologie médicale du Policlinico ? » « Oui », répondis-je. « Eh bien, votre père m'a sauvé la vie ; il ne m'a pas pris une lire, et, à mon tour, je vais vous sauver. Suivez-moi. »"

"Après la guerre, servant de guide pour les armées de libération, il fait découvrir les antiquités de Rome aux officiers alliés. Sa carrière se déroule ensuite en marge des milieux universitaires.

En 1946, il est nommé inspecteur des Biens culturels auprès de l’administration des Beaux-Arts. Deux ans plus tard, il devient conservateur de la Galerie Spada, à Rome, dont il dirige la restauration.

En 1952, il devient le conseiller du comte Vittorio Cini dans l’organisation des collections du château de Monselice, près de Venise.

En 1963, le milliardaire américain Jean Paul Getty fait appel à lui pour créer le musée Jean Paul Getty à Malibu. Federico Zeri dirige le musée et après avoir quitté ses fonctions il fait partie du conseil d'administration jusqu'en 1983. Il abandonne alors ce poste pour s'être opposé à l'acquisition d'un kouros, acheté très cher par le musée et dont son expertise avait conclu à la falsification (le musée n'a émis un doute qu'en 1995).

Spécialiste reconnu de la peinture italienne du XIIIe au XVe siècle, il est chargé dans les années 1960 par le Metropolitan Museum de New York et le Walters Art Museum de Baltimore de composer les catalogues des collections italiennes.

Critique d'art du quotidien la Stampa, il démontre en 1984 que des sculptures de Modigliani trouvées à Livourne, et authentifiées par plusieurs experts du peintre, sont en réalité des faux grossiers, fabriqués par des étudiants. [...]

Tout comme Mario Praz une génération avant lui, Federico Zeri a rassemblé une collection personnelle de tableaux et de sculptures dans sa « maison-musée » de Mentana.
Plusieurs de ses ouvrages font figure de référence, en particulier Le Mythe visuel de l'Italie. Federico Zeri est considéré comme le successeur et l'égal de Bernard Berenson.

Il a légué à l'Université de Bologne, qui a créé depuis la fondation qui porte son nom, sa villa avec le jardin de 10 hectares, sa collection d'épigraphes romaines, ses livres d'art et sa photothèque.
" (merci Wikipedia).


   qu'est-ce qu'un faux ?     Cos'è un falso e altre conversazioni sull'art
A droite, la couverture italienne : "Cos'è un falso e altre conversazioni sull'arte"

Qu'est-ce qu'un faux ? Traduit de l'italien par Maël Renouard. Manuels Payot. 211 pages.
Il s'agit de cinq conversations qui ont eu lieu entre 1989 et 1993, les trois premières dans des écoles (de type université) italiennes (Milan et Pavie), et les deux dernières sont des interviews pour la radio-télévision suisse italienne.

Il s'agit donc du même principe que pour le fameux livre Derrière l'Image - conversations sur l'art de lire l'art (épuisé chez Rivages), mais le livre est beaucoup moins épais... et comporte hélas beaucoup moins de reproductions. Il y a un petit cahier central, mais plusieurs fois Zeri "montre" une oeuvre sans que nous puissions la voir. Ceci dit, ça n'est pas très grave.

Ce qui caractérise ici la "conversation", par rapport à un exposé ou un cours, c'est que la pensée peut vagabonder d'idée en idée, sans suivre un plan très structuré.
Ainsi, Zeri aborde des thèmes variés, et peut revenir sur des points dont il a déjà parlé, mais sous un angle différent.

 


Première conversation
: Entre Orient et Occident.
Nous commençons par une sorte d'axiome que Zeri répète souvent, car il est pour lui fondamental (et explique effectivement bien des choses) :
"Ne l'oubliez pas : le passé est mort - je ne me lasserai jamais de le répéter, le passé est fini, mort, et ne peut ressusciter. De la statue de Praxitèle, de la piétà de Michel-Ange ou de Giacometti, nous pouvons avoir une compréhension d'autant plus riche qu'est grande notre connaissance de la période considérée. Mais il reste une énorme quantité d'aspects, de significations, qui sont perdus. [...]
Mais il arrive autre chose : toute oeuvre d'art est soumise à une interprétation continuelle, à une révision continuelle. Les valeurs que nous voyons aujourd'hui dans les sculptures du Parthénon ne sont certainement pas celles qu'on lisait à l'époque de Canova ou de Lord Elgin. Au moment où ces sculptures furent enlevées de l'Acropole et emmenées à Londres, les commentaires des gens montraient bien qu'elles étaient lues, interprétées, d'une manière qui n'est pas du tout la même qu'à la fin du XIX° siècle ou à notre époque. Très souvent nous ne lisons plus dans une oeuvre les significations qui étaient saisies par les contemporains, mais nous pouvons y lire des choses qui leur échappaient.
" (pages 38-39).

Il passe d'un sujet à l'autre, aborde des considérations au croisement de l'art, de l'histoire, de la religion et de la politique :
"L'une des raisons pour lesquelles l'islam prohibe la figure vivante, c'est qu'elle était le symbole de l'empire, le symbole du pouvoir impérial. Les villes comme Antioche avaient des milliers de statues représentant des empereurs, des impératrices, des consuls. Et donc l'art figuratif a été prohibé précisément dans la mesure où il représentait ce pouvoir impérial dont l'islam se détachait." (page 43).

Puis, à propos de l'importance donnée à une oeuvre :
"Mais vous remarquerez que la culture gothique, la culture médiévale avait un immense mépris pour la préservation de ces produits luxueux. Réaliser une tapisserie était une entreprise incroyablement coûteuse. Il fallait des dizaines et des dizaines de personnes qui consacraient tout leur temps à tisser ces tapisseries qui étaient comme de gigantesques broderies. Souvent elles contenaient des fils d'or et d'argent. Or, quand le potentat qui les possédait avait besoin d'argent pour battre monnaie, il les brûlait pour récupérer cet argent. [...] de même aussi pour les plats d'ornement et les orfèvreries des églises. Peu importe que cela ait coûté beaucoup d'argent et de travail. Le travail était bon marché, l'artiste était considéré comme un artisan. Quand on en avait besoin, on fondait ces objets ou on les détruisait.
On avait le plus grand mépris pour le travailleur rémunéré - qui l'était peu - aussi bien que pour ses produits. Et pourtant l'artisan pouvait aussi être un grand artiste. N'oubliez jamais que l'idée de l'artiste avec un A majuscule, l'artiste qui se tient au-dessus de l'humanité normale, est plutôt récente : elle naît avec Michel-Ange. Michel-Ange est le premier artiste qui peut se permettre de travailler pour le pape, Jules II, de lui claquer la porte au nez en disant : « je ne veux plus travailler », et de s'en aller loin de Rome.
" (pages 44-45)

À un moment, Zeri parle d'un vase très grand, très impressionnant (retrouvé près de Vergina), mais "si vous l'observez en ayant en tête les productions grecques de la même époque, vous vous rendez compte qu'il y a dans ce vase quelque chose de surchargé. C'est un de ces objets que les Grecs faisaient pour des peuples qui selon eux n'étaient pas très cultivés." (page 48).

"Quand on juge, quand on lit une oeuvre d'art, il faut toujours avoir à l'esprit le milieu qui l'a produite et le milieu qui en a bénéficié." (page 49).
Ce point, tout comme le fait que le passé est mort, sera très important pour son analyse des faux, plus loin : il permettra d'expliquer pourquoi ce qui nous semble évidemment un faux peut avoir trompé les plus grands spécialistes de certaines époques.
Zeri compare le vase très chargé avec un autre objet non reproduit dans l'ouvrage, mais disponible sur le net :

larnax
Larnax dit « de Philippe II ». " Il convient de signaler que l'identification du défunt comme étant Philippe II a été contestée par certains chercheurs, qui préféraient y voir Philippe Arrhidée, le demi-frère d'Alexandre le Grand, qui lui succéda en -323 av. J.-C." (voir Wikipedia).

"Voici l'urne en or massif qui contenait les cendres du père d'Alexandre, un grand coffre que l'on a retrouvé intact. Comme il s'agit d'un objet royal, celui qui l'a réalisé est en quelque sorte allé à l'essentiel. Voyez comme tout est simple, il n'y a pas cette surabondance, cette extraordinaire richesse de détails que nous avons vue dans le vase. [...] Mais ce que je voudrais vous faire comprendre, c'est que sur ce coffre l'on voit déjà les caractéristiques de certains types d'orfèvrerie qui vont se perpétuer en Europe occidentale à travers tout le Moyen Age et toute la Renaissance.
Le matériau peut devenir moins noble. C'est seulement au Moyen Âge, quand l'or ne valait plus rien comme monnaie, que l'on a vu dans les églises des objets si importants, en métal précieux. Ensuite, à la Renaissance, l'or a recommencé à être une monnaie d'échange, et donc l'on utilisait du bronze, du bois.
" (page 49)

Un autre point sur lequel Zeri insiste est la différence entre l'Orient et l'Occident :
"Toute la culture occidentale se caractérise par une évolution permanente. Elle n'est jamais immobile. Cette mutation incessante est pour ainsi dire le grand mérite de l'Occident." (page 35).

"Tout ce qui sort de la culture byzantine est privé d'évolution. La grande différence entre l'Occident, c'est-à-dire le catholicisme, et l'Orient, c'est-à-dire l'Eglise orthodoxe, c'est qu'il y a en Occident un renouvellement perpétuel, tandis que l'Eglise reste immobile. On est toujours face à des types fixes, des typologies, des registres. [...] Dans la peinture orientale les types sont schématiques. Et l'image n'est pas une simple image, elle est la divinité même. C'est comme un écran de télévision. L'écran de télévision est en réalité ce qu'il représente : il y a quelqu'un, derrière, à distance, qui se déplace simultanément à ce que nous voyons sur l'écran, c'est une réalité, et telle est l'image sacrée pour l'Eglise orthodoxe. Elle n'est pas une représentation, elle est la divinité elle-même. Et dans tous les pays de culture orthodoxe il y a un très grand respect de l'image peinte, et aussi bien de l'image profane." (page 60)

Zeri donne pour exemple la révolution russe : les appartements de Saint-Petersbourg sont saccagés, les bibliothèques détruites, ... "mais on ne touchait jamais à un tableau, même si c'était un tableau profane. Il y a des photos impressionnantes où l'on voit des appartements dévastés, dans lesquels tout a été détruit, sauf un tableau. Le tableau était sacré." (page 61)
Pour lui : "Cela explique l'immense quantité de portraits d'hommes politiques que l'on voit dans les villes soviétiques." (page 62).
Plus loin : "L'Union soviétique est vraiment fille de l'empire romain d'Orient dans toutes ses manifestations, même dans le communisme." (pages 62-63). C'est une autre caractéristique de la pensée de Zeri : il trouve des point communs, des parentés, entre des civilisations d'époques très différentes.

Zeri exprime sa fascination horrifiée des icônes. "Il y a des livres qu'on lit uniquement parce qu'ils sont affreux. Il y a une espèce de beauté de l'horrible. Et c'est l'effet que me font ces icônes. Ce n'est pas une production de masse. C'est une production toujours identique à elle-même." (page 63).

roublev
Une oeuvre très célèbre : Andreï Roublev : Icône de la Trinité (1422-1427).

Deuxième conversation : De Byzance à la Russie.
Zeri approfondit le sujet qu'il avait abordé précédemment, notamment la répétition des oeuvres. "Mais peut-on parler de copies ? Peut-on parler de répliques ? C'est une civilisation picturale qui chemine toujours sur la même voie." (page 71).
On en arrive donc au thème de la copie, du faux.
"C'est une mentalité, une forme d'art complètement différente de la nôtre. Il faut d'ailleurs dire que cette civilisation qui produit les icônes n'a jamais produit de tableaux profanes, n'a jamais produit de tableaux décoratifs. Alors que chez nous, à partir du XV° siècle, il existe des tableaux que l'on ne réalise pas seulement à des fins de dévotion, mais aussi à des fins décoratives. [...] En Russie, jusqu'à la fin du XVIII° siècle, il n'existait que des icônes. Il n'y avait pas d'autre peinture." (page 75).
"Si vous lisez la vie d'une princesse de Constantinople, l'Alexiade d'Anne Comnène, une oeuvre écrite, si je ne me trompe, vers 1150, vous vous apercevrez que cette femme ressent face aux Occidentaux, aux Normands, qui venaient d'Italie, une sorte d'infériorité embarrassée, parce que la civilisation de Constantinople, cette civilisation que nous appelons byzantine, n'a rien créé mais a seulement conservé." (pages 75-76).
Dans un autre livre, Conversations avec Federico Zeri (chez Rivages), il précise que les seules inventions étaient d'ordre militaire : le feu grégeois, par exemple.

Zeri parle du faux volontaire (qui est un vrai faux, destiné à tromper), qu'il distingue de la mauvaise attribution.
"Je crois qu'on ne fait plus de faux du Quattrocento italien aujourd'hui : on préfère faire de faux Modigliani, de faux Van Gogh, de faux Cézanne." (page 94).
Bien sûr, une mauvaise attribution ne change pas le fait que le tableau peut être un chef-d'oeuvre. Ce n'est pas parce qu'une oeuvre n'est pas de Raphaël mais de Giulio Romano qu'elle devient mauvaise (contrairement à ce qu'a dit un conservateur de musée que j'avais entendu sur France Info - suite à la révélation qu'une certaine toile n'était pas de la main d'un grand artiste reconnu, mais d'un peintre moins connu - et qui disait quelque chose comme : "on croyait qu'il s'agissait d'un chef-d'oeuvre de Untel alors qu'il ne s'agissait que d'une oeuvre de tel autre artiste". Un conservateur qui juge ouvertement la valeur d'une oeuvre sur l'attribution, ça fait frémir).

zeri

Le thème du faux amène au thème de la copie... Zeri explique comment se pratiquait la production de masse dans l'Antiquité.
"C'est assez étonnant. On faisait des moulages en plâtre de grandes sculptures très célèbres et on les installait dans des ateliers où des régiments d'ouvriers en faisaient des copies en marbre." (page 96).

Quasiment à la fin de cette deuxième conversation, Zeri dit : "Ce que je souhaite, c'est que vous reteniez quelques-uns de mes propos. Pas beaucoup. Ce qui importe, ce n'est pas ce qu'on lit ou ce qu'on entend, mais c'est la manière dont on absorbe ce qu'on lit ou ce qu'on entend. De même que la quantité de livres lus n'est pas importante, ce qui compte c'est l'attention qu'on y engage. Saint Ignace de Loyola le disait déjà. L'important est la manière dont on absorbe, pas la quantité." (page 100).

 

Troisième conversation : Qu'est-ce qu'un faux ?
"Ce qui est curieux, c'est que ces faux, qui nous semblent la plupart du temps ridicules, grotesques, aient été pris au sérieux par les contemporains, par de grands connaisseurs et même par des savants émérites, non pas par malhonnêteté, mais parce que l'on est toujours touché, dans les oeuvres d'art, par ce qui est le plus proche de nous, de notre goût. Nous verrons qu'aucun faussaire ne réussit jamais à s'immiscer dans la sensibilité ancienne. Car le passé est mort pour toujours. C'est un grand principe." (pages 105-106)
J'imagine que c'est pour cela qu'il paraît maintenant incroyable que les faux Vermeer de Meegeren, aient trompé tout le monde...

meegeren   emmaus
Le repas d'Emmaus, de Van Meegeren (un faux Vermeer), regardé en 1938 par Dirk Hannema, alors directeur du musée Musée Boijmans Van Beuningen (Rotterdam) et Hendrik Luitwieler, restaurateur. Ils ne savent pas qu'ils contemplent un faux... Parmi les oeuvres de fiction consacrées aux faux, on pourra lire - même si c'est très loin d'être son meilleur livre - Le Condottiere, de Georges Perec.

"Quelquefois les faux sont incroyablement comiques - indépendamment du fait qu'ils peuvent induire en erreur d'illustres individus. Voici à présent un tableau qui a eu l'honneur de finir à la National Gallery de Londres, qui en a fait l'acquisition comme si c'était un chef-d'oeuvre.

national gallery

C'était évidemment à un moment où le roman historique était à la mode, car tout le charme du tableau repose sur son aspect terriblement romanesque. C'est l'image de la Renaissance italienne telle que la voyaient les romantiques anglais." (pages 126-127).

J'aime bien aussi l'histoire du tableau du XV° siècle dont la radiographie a montré que dessous se trouvait un portrait vénitien du XVI° siècle. "Un portrait de Giuseppe Garibaldi sous un Filippo Lippi. C'est à ce niveau-là." (page 129).

Puis, Zeri parle d'oeuvres que l'on pourrait prendre pour des faux mais qui n'en sont pas : par exemple, des oeuvres retouchées de sorte de les rendre plus conformes au goût d'une époque donnée.
Il explique aussi comment il a pu être sûr que telle ou telle oeuvre était un faux, grâce à un petit détail technique, historique (tel style d'architecture que l'on voit à travers une fenêtre est incohérent à quelques années près...), ou bien d'une attitude invraisemblable, ici dans une oeuvre supposée être du Quattrocento :
"Il y a un maître, un professeur qui enseigne, la science qui descend du haut de la chaire ; mais à gauche, un élève écoute en taquinant ses lèvres avec un crayon. C'est totalement impossible dans un tableau de genre. C'est un geste naturaliste. [...] C'est un détail qui n'est possible qu'après les grands romans naturalistes du XIX° siècle, après Balzac, après Dostoïevski, après Tchekhov. Il y a un rapport entre littérature et peinture. Tout est toujours lié." (pages 135-136)

Un faux effectué à un moment donné ne peut donc pas échapper à l'époque à laquelle elle a été faite et nous éclaire donc sur la perception qu'on avait à ce moment-là de ce lointain passé.

 

Quatrième conversation : De quelques faussaires talentueux.
Le dialogue porte d'abord sur les natures mortes (et leur place dans la hiérarchie des genres), leur signification.

caravaggio
Caravage : Corbeille de fruits (1594 et 1602 ; Pinacoteca Ambrosiana, Milan)

On en revient aux faux, et à leurs créateurs : les faussaires.
"D'ailleurs on ne repère bien un faux que lorsque l'époque où il a été produit appartient au passé. Car le faussaire, pour captiver l'oeil du visiteur ou du client, place toujours des éléments contemporains qui ont prise sur le public." (page 151).

Zeri parle avec admiration de faussaires de très grand talent.
"Oui, il est fort. Je connais une série de faux incroyables, des Canaletto, des faux Guardi, qui ont certainement été réalisés dans les vingt dernières années. J'en avais deux, très beaux, que je ne retrouve plus. [...] Ils étaient magnifiques. Extraordinaires. Deux vues de Rome par Canaletto. Cet artiste a aussi fait de grands albums, avec deux ou trois cents dessins. Très forts. Je crois que c'est un prêtre, j'ai ce soupçon. Il a réalisé des faux de Gezzi, Canaletto, Bellotto, et récemment quelqu'un m'a dit qu'il s'exerçait à faire de faux Tiepolo.

Des dessins ?

Oui, mais sur du papier ancien, avec le filigrane. Il va dans des archives où se touvent des feuilles sur lesquelles rien n'a été écrit, et il les prend.
" (pages 155-156)

Il parle d'un autre faussaire qu'il a connu et a vu travailler "parce qu'il avait confiance en moi" (page 158).
"Il faisait aussi des faux du Moyen Age : des peignes liturgiques, des échiquiers, des pions pour jouer aux échecs ou aux dames. Il avait deux manières de les patiner. Ou bien il les enfouissait sous de la terre, dans des pots où il plantait du romarin ; et les racines du romarin faisaient la patine. Ou bien il les plaçait dans le soutien-gorge d'une de ses gouvernantes qui était très grosse, et c'est avec la sueur qu'ils se patinaient... C'était extraordinaire. Il y a certains de ses faux en ivoire dans des musées américains." (pages 158-159).

Ah, le vieillissement des oeuvres... Cela me rappelle avoir vu, dans un documentaire, un moyen de vieillir rapidement les faux ouchebtis : on les fait manger par des cochons, et quand ils ressortent, ils ont la bonne patine...
Puis il parle de l'éducation, de la culture humaniste, de l'histoire de l'art...

Parfois, on se croirait chez Perec, ou chez Borges, bref dans un monde qui défie l'imagination : "J'ai un livre extraordinaire où treize mille fausses armoiries ont été dessinées à la plume, avec treize mille noms totalement inventés, des noms de famille qui n'ont jamais existé." (page 161).
Incroyable, non ?

 


Cinquième conversation : Faux et iconographie.
Zeri aborde un nouveau sujet : la restauration.
Au XIV° et au XV° siècle, dans l'immense majorité des cas, "le voile de la Vierge était à l'origine peint dans un bleu éclatant, comme s'il était en lapis-lazuli ; mais en réalité il était fait dans des substances qui étaient bien meilleur marché et qui sont devenues noires avec le temps." (pages 190-191). Même si l'on restaure le tableau, les couleurs de l'oeuvre vont redevenir éclatantes... mais pas le voile.

En tout cas, ici, le voile est encore bleu, mais peut-être a-t-il perdu son éclat ?

antonello
Antonello de Messine : Vierge de l'Annonciation (1475). Galleria Regionale della Sicilia, Palermo.


Puis il parle des restaurations qui abîment les oeuvres, il dit beaucoup de bien de la fameuse restauration de la Chapelle Sixtine.
"J'ai le sentiment que la polémique a un peu diminué à présent. J'ai commencé à avoir de sérieux doutes quand j'ai vu qu'une grande partie des critiques venaient de peintres. Il y a un phénomène très curieux. Personne ne comprend moins les oeuvres du passé que les peintres contemporains, y compris les plus grands. Même Picasso ne les comprenait pas. [...] De même ai-je vu un très grand sculpteur contemporain qui prenait pour des chef-d'oeuvre des horreurs inouïes. Cela reste un mystère pour moi." (pages 200-201).

la chapelle sixtine
Chapelle Sixtine - La Création d'Adam, après restauration.

Il parle de la Joconde qu'il a pu voir sous la lumière d'un projecteur puissant, qui annihilait les effets de la patine : "[...] il y avait un tableau d'une beauté indicible. Un tableau très clair avec un ciel absolument limpide, d'un bleu presque transparent, et au fond les montagnes couvertes de neige. C'est une oeuvre d'une beauté prodigieuse. [...] Mais que se passerait-il si l'on restaurait - même d'une manière imparfaite - La Joconde ? On ferait disparaître l'aura de mystère qui l'a rendue célèbre." (pages 198-199)

Il parle également de la perception des couleurs, qui change selon les époques et les civilisations...

La Cene
Pendant la restauration de La Cène (de Leonard de Vinci).

 

Zeri avait une culture incroyable et savait être clair. Il détestait le charabia.
Un livre extrêmement intéressant, qui ouvre des perspectives.

 

leonard - la dame à l'hermine
Leonard de Vinci : La Dame à l'hermine (entre 1488 et 1490). Château du Wawel, Cracovie.
"À mes yeux, mais c'est un jugement tout à fait personnel, il s'agit du plus beau tableau italien qui soit." (page 199).

 

Federico Zeri invité à Bouillon de Culture en juin 1993 (son intervention commence à 2'44) :

 


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