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Bernard QUIRINY

(Bastogne, Belgique, 1978 - )

quiriny

Né à Bastogne en 1978, Bernard Quiriny a travaillé notamment à Chronic'Art.
Il est l'auteur de deux recueils de nouvelles remarqués, L'Angoisse de la première phrase (2005), et Contes carnivores (2008).
Il habite à Dijon.


On trouvera une interview ici : http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article1527


contes carnivores

- Contes carnivores. Nouvelles. Seuil. 245 pages.Préface de Enrique Vila-Matas
Ce recueil comporte 14 nouvelles.

Dans la première, Sanguine, le narrateur a pris pension dans un hôtel. Calme et repos... Il s'ennuie un peu. Au restaurant, chaque soir, il remarque un autre homme, seul.
"Un soir, il eut le geste qui me permit enfin de l'aborder. [...] L'homme demanda qu'on lui prépare un verre de jus d'oranges pressées. [...]".
Le serveur le lui apporte. "Je crus qu'il s'apprêtait à boire son jus, mais, au lieu de cela, il plongea la main dans son veston et en tira une ampoule dont il brisa l'extrémité avant d'en répandre le contenu dans le verre ; puis après avoir battu le mélange avec une cuiller, il l'avala d'un trait. Le geste me parut tellement inattendu que je ne pus m'empêcher de l'interroger.
- Médicament ?
Il leva la tête vers moi, surpris. Je craignis d'avoir paru inconvenant, mais il me fit un large sourire et répondit d'un ton avenant.
- Ce n'est pas un médicament, non. Pas tout à fait.
[...]
- Cette ampoule, reprit-il, contenait un liquide dont la nature vous surprendrait si je vous la révélais.
- Etait-ce une drogue ?
- Non.
- Quoi, alors ?
- Du sang.
" (pages 20-21).
Notons qu'il ne s'agit pas d'une histoire de vampire, et que ce brave homme prend "un peu de sang dans un jus d'oranges pressées, oui, chaque dimanche depuis quinze ans. Vous aimeriez savoir pourquoi, je suppose ?" (page 21).
Et s'ensuit une histoire assez stupéfiante.


Dans Qui habet aures... un homme se met à entendre tous les gens qui parlent de lui, même s'ils se trouvent à l'autre bout du pays ou de la planète. Il en tirera partie... jusqu'à la fin.

Quiriny sait très bien exploiter une idée. Lorsqu'il voit qu'il ne peut pas en faire une nouvelle entière, il écrit des textes comme Quelques écrivains, tous morts, qui est un catalogue de petites biographies d'écrivains. Par exemple :
"Pierre Laroche de Méricourt (1918-1956) : parfait dandy, ce fils de bonne famille publia à trente ans un recueil d'aphorismes sardoniques et un roman intitulé Marées noires. Poseur et cynique, il prétendait avoir été las de la vie avant même que d'avoir vécu. « Mon premier cri ? Il n'y en a pas eu. J'ai bâillé, c'est tout. »" (page 67). Au passage, il cite le titre d'une des nouvelles du recueil.

Quiproquipolis parle des Yapous, et commence ainsi : "C'est lors de mon troisième séjour en Amazonie que j'ai résolu l'énigme de la langue des Yapous." Etrange langue que la leur... On notera au passage que Quiriny sait happer le lecteur dès la première phrase.

On pourrait parler ainsi de toutes les nouvelles, qui débordent d'inventions, et d'inventeurs (comme le compositeur qui veut se servir de la Tour Eiffel comme d'un instrument de musique).

Toutes ses nouvelles ne relèvent pas du quasi-fantastique. Le carnet, par exemple, paraît presque classique, mais la fin, très bonne, porte bien la marque de son auteur.
Il a aussi un humour particulier que l'on ne voit pas tout de suite... voire jamais. Ainsi, un des protagonistes du Carnet s'appelle Bastian Picker. Son nom de famille n'est cité que deux fois, dans les deux premières pages. Or, ce personnage, nous l'apprenons juste après - mais sans forcément faire le rapprochement - cherche à voler quelque chose... D'où son nom, j'imagine !

A propos de relecture, la première page de Une beuverie pour toujours s'éclaire lorsque l'on a fini cette nouvelle, qui parle du zveck. On ne gâchera pas la surprise. Disons seulement que ce fameux zveck est mentionné dans un livre, à la fin du XIXè siècle, par "un lettré tchèque passionné par les coutumes de son pays, un certain Korda. Il y évoque brièvement un breuvage de la région de Lubin, en Silésie, que les autorités auraient condamné en raison de ses terribles effets sur la santé : le swek" (page 204).
Terribles, oui...

Signalons également un personnage récurrent, Pierre Gould, à propos de qui nous sont livrées de nombreuses anecdotes dans Extraordinaire Pierre Gould :
"Durant quatre ans, Pierre Gould a fait un rêve feuilleton dont l'intrigue reprenait chaque nuit là où elle s'était arrêtée la veille. Souvent, vers onze heure du soir, il nous saluait et partait en disant : « Je vais me coucher, j'ai hâte de savoir la suite. »" (page 177).

On pourra également lire les missions les plus étranges de la carrière d'un tueur à gages, et plein d'autres choses.

On peut comparer Quiriny à nombre d'auteurs de nouvelles.
Mais, plus qu'à Edgar Poe (dont il n'a absolument pas le style un peu pompeux), plus qu'à Borges (qui est beaucoup plus "cérébralo-référentiel"), plus encore qu'à Kosztolanyi (car Quiriny, lui, sait développer les idées de base de ses nouvelles), ou bien qu'à Tsutsui (qui est plus provocateur), on pourrait le comparer à Augusto Monterroso... dont le nom apparaît d'ailleurs page 131 ("le pianiste chilien Arturo Monterroso").


Vraiment excellent. Enfin de l'imagination dans de la littérature francophone contemporaine !

une collection particulière

- Une Collection très particulière. 2012. Nouvelles. Seuil. 185 pages.
Le livre est constitué de petits textes, que l'on peut appeler nouvelles, qui traitent d'une collection de livres (la Collection très particulière), de dix villes singulières, et de particularités étranges survenues à "Notre époque". Pour éviter un effet de lassitude possible, ces trois thèmes bien distincts sont présentés en alternance :

A chaque fois, Quiriny cite des noms, des dates, des chiffres, des biographies. Tout fait vrai, comme dans le Perec d'Un Cabinet d'amateur, par exemple.

Gould, l'ami du narrateur et personnage récurrent de Quiriny, présente certains aspects de sa bibliothèque. La revue des différentes sections de la bibliothèque de Gould fait l'essentiel du livre.
"Gould termine toujours ses conférences sur l'oubli avec le cas d'Enrique Folzan, un écrivain espagnol de second ordre qui, à la fin des années 1930, se suicida quand il découvrit que ses lecteurs oubliaient systématiquement ses livres après les avoir lus.
Ses premiers romans, dans le genre policier, n'étaient pas trop mal fichus ; on les oubliait quelques heures après la fin, mais tout de même pas en cours de lecture. Mais les suivants, qui tenaient davantage du drame social, s'oubliaient au fur et à mesure qu'on les lisait - « de l'oubli en flux tendu », comme dit Gould. À la page 3, on était incapable de dire ce qu'on avait lu à la page 2 ; à la page 4, on avait oublié la page 3 ; et ainsi de suite.
" (page 16)
En poursuivant la revue des différentes sections de la bibliothèque de notre ami Gould, on touche à d'autres thèmes fort intéressants, tel l'ennui, avec notamment des livres suprêmement ennuyeux. On ne trouve pas dans cette section des livres simplement mauvais, mais bien des livres qui "dégageaient un ennui sans nom, un ennui prodigieux" (page 37) ; on encore les livres gigognes... ; la section des reniés n'est pas inintéressante non plus. Comme souvent, Quiriny, en allant au bout de sa logique, parvient à revenir à son point de départ grâce à un paradoxe.

Les villes ne sont pas banales. À Goran, en Silésie, on parle trois langues différentes (métaphore de la Belgique ?), mais qui sont si proches que très peu de mots diffèrent. Et pourtant... "Tout se dit et s'écrit presque de la même manière dans leurs trois langues, mais un blocage mental fait que chacun n'en parle qu'une, et refuse d'entendre les autres." (page 19). Cela prend des proportions extrêmes...
Dans une autre ville, on voue un culte au silence... dans une autre, un no man's land gagne du terrain... Ce n'est pas mauvais, mais globalement moins intéressant que la collection de Gould (l'influence de Borges est trop présente, et Morno, au Chili est un peu banal).

Quant à "notre époque", Quiriny y retrace les grands bouleversements qui ont affecté la société : résurrections massives, avec les problèmes qu'elles posent (et cela va plus loin que dans le film Les Revenants, de Robin Campillo, 2004, auquel on pense un peu parfois, mais les ressuscités de Quiriny sont en pleine forme, même meilleure qu'avant leur trépas) ; changement de nom à volonté, avec la confusion que cela génère... ; échangisme amoureux qui donne des passages amusants...
"Les premiers à faire cette expérience déconcertante furent les amoureux du jour de l'an, qui s'accouplèrent au retour du réveillon. Fatigués et un peu saouls, la plupart s'endormirent aussitôt après la volupté, sans remarquer rien d'anormal. Le lendemain, horrifiés, ils découvrirent qu'ils habitaient le corps de leur partenaire, comme dans un film d'épouvante. Une panique s'empara du pays ; l'année commençait mal." (page 101). Bien sûr, c'est un thème classique, mais la logique est menée jusqu'au bout.

Vers le milieu du livre, et n'appartenant à aucun des cycles (livres, villes, "notre époque"), se trouve l'histoire de Schnell, un peintre.
"Au Salon de 1880, donc, Schnell présenta La Robe, une petite huile de 50 x 50 centimètres. On y voyait une femme au chapeau fleuri, engoncée dans une robe blanc et rouge. Ce mauvais tableau aurait pu passer pour une croûte, sans le détail fabuleux qui en faisait un chef-d'oeuvre. À côté de La Robe, Schnell avait planté une chaînette au bout de laquelle pendait un éventail ; si on agitait celui-ci devant la peinture, le courant d'air soulevait la robe et dévoilait les genoux du modèle. [...]
Subjuguée par ce phénomène qu'elle trouva très esthétique, la critique cria au génie.
" (pages 107-108).
Le peintre fait d'autres toiles sur ce principe, notamment :
"- Le Chat (1882, huile sur toile, 50 x 50). Un chat de gouttière gris, très commun ; quand un chien passe dans la salle d'exposition, les poils de son dos se hérissent." (page 109).
"Pour chaque toile, Schnell rédigeait une notice indiquant la marche à suivre - quels accessoires utiliser, à quelles manipulations procéder. Mais à partir de 1890, il ne se donna plus cette peine : il livrait désormais les toiles « brutes », aux spectateurs de découvrir comment les animer." (page 109).
Et ça n'est pas toujours évident, ce qui donne lieu à nombre d'expériences plus ou moins insolites... et à un certain nombre de conséquences.

Les histoires sont moins construites que dans les recueils de nouvelles précédents de l'auteur, ce sont plus des énumérations d'originalités essentiellement littéraires, des anecdotes, des idées... bref, une "collection très particulière", comme l'indique le titre.
Et cela fonctionne très bien : même quand il aborde des thèmes usés (les résurrections), Quiriny parvient à en tirer des idées intéressantes, originales.
Quiriny pourra-t-il poursuivre dans cette voie sans épuiser son imagination ? Empruntera-t-il d'autres sentiers qui bifurquent ?


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