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HIGASHINO Keigo
(Osaka, 04/02/1958 - )


higashino keigo

Ingénieur, il commence à écrire tout en travaillant comme ingénieur dans l'entreprise qui s'appelle actuellement Denso Corporation "(équipements industriels et systèmes pour le marché automobile", nous dit wikipedia).
En 1985, il remporte le prix Edogawa Rampo du meilleur roman de mystère (cette récompense permet aux écrivains pas ou très peu publiés de se faire connaître) pour Hokago.
Du coup, il quitte son travail et démarre une carrière d'écrivain à Tokyo.
En 1999, il remporte le Mystery Writers of Japan Award (récompense des meilleurs romans policiers) pour Himitsu, adapté au cinéma dans la foulée.
En 2006, après cinq nominations, il remporte enfin le prix Naoki pour Le Dévouement du Suspect X (Yôgisha X no Kenshin).

En plus de ses romans policiers ou de mystère, il écrit également des essais et des livres pour enfants.

Sa série consacrée au Physicien Yukawa ("Detective Galileo series" en anglais) comporte plusieurs livres : Tantei Garireo (non traduit ; Yukawa et le policier Kusanagi font connaissance), Yochimu (recueil de nouvelles non traduit, dans lequel Kusanagi continue à avoir recours à Yukawa pour résoudre ses enquêtes) ; Le Dévouement du suspect X (2005) ; Un café maison (2009) et L’Équation de plein été (2011).

Merci wikipedia.

 

 

 

la maison  où je suis mort autrefois

- La Maison où je suis mort autrefois. (Mukashi bokuga shinda ie, むかし僕が死んだ家, 1994 ; 254 pages, Actes noir - Actes Sud, traduit par Yutaka Makino). Prix Polar International de Cognac en 2010.

Le titre, déjà, est intrigant. Que veut-il dire ?

Le prologue commence ainsi : "Celui qui était autrefois mon père m'a annoncé il y a environ un mois que la vieille maison dans laquelle j'ai vécu enfant allait être détruite." (page 7).
Intrigant, oui...

A la page suivante : "A propos de maison, il y en a une autre que je ne pourrai jamais oublier.
Contrairement à l'habitation traditionnelle de mon enfance, il s'agit d'une petite maison blanche de style occidental. Elle se dresse, solitaire, dans un coin perdu de la montagne où personne ne va jamais.
Songer à cette maison me fait encore frissonner. Ma poitrine se serre sous l'emprise d'une horreur indicible. [...]
J'ai visité cette maison blanche avec une femme. Dans le but d'y trouver quelque chose. Mais ni elle ni moi ne savions ce que nous cherchions. [...]
Aujourd'hui encore, je suis incapable de dire si nous avons eu raison de nous y rendre.
Cela s'est passé il y a deux ans.
" (pages 8-9).
Tadaaam !

Et c'est le chapitre 1. "Le téléphone a sonné chez moi. C'est ainsi que tout a commencé". (page 11).
Longtemps avant, Sayaka, la copine du narrateur avait brusquement rompu avec lui et s'était mariée.
Ils étaient ensemble depuis l'école.
Sept ans se sont passés, ils se sont revus à une réunion d'anciens élèves de terminale. Et, donc, peu de temps après, Sayaka lui téléphone : elle a un service à lui demander.
Ils se revoient, elle lui demande de l'accompagner. Où ça ?
Elle lui tend un papier.
"Je dépliai la feuille : un plan sommaire était griffonné à l'encre noire sur du papier à lettres.
Je relevai la tête.
- Qu'est-ce que c'est ?
Les lèvres de Sayaka s'entrouvrirent lentement.
- L'héritage de mon père.
- Il est mort ?
- Il y a tout juste un an. D'un infarctus.
" (pages 20-21).

C'est un itinéraire, à partir d'une petite gare dans la région de Nagano. Il y a aussi une clef.
C'est bien mystérieux, tout ça !
"- Il y a des choses qui me préoccupent dans les agissements de mon père de son vivant [apparemment, les agissements de son père, depuis qu'il est mort, ça ne la préoccupe plus tellement], continua-t-elle posément. Il aimait la pêche, et de temps en temps, les jours fériés, il partait seul, mais parfois c'était bizarre. La veille il ne préparait rien. Il n'achetait pas d'appâts, ne vérifiait pas son matériel. Et il revenait bredouille, sans le moindre poisson. Et ce n'est pas tout : en rentrant, il ne nettoyait pas sa canne à pêche. Alors qu'il n'y manquait pas d'habitude." (pages 21-22).
Hum... étrange !

Et puis, Sayaka demande à notre héros-narrateur s'il a des souvenirs d'enfance. Parce que elle, non ! Tadam ! (va-t-on avoir un truc un poil fumeux, du genre La Maison du Docteur Edwardes, le film d'Hitchcock ? Heureusement non). Elle ne se souvient de rien ! Tout cela est encore plus mystérieux...
Et si la raison de son amnésie se trouvait dans cette non moins mystérieuse maison, tiens !
Et si on y allait ?

 

Là, je fais une parenthèse, un gros plan sur notre héros, qui semble être hors du commun :
"Je n'avais pas fermé l'oeil de la nuit. Mon esprit était resté actif en réfléchissant au lendemain.
Je m'étais réveillé à sept heures du matin
" (page 33). Hum... le narrateur n'a pas fermé l'oeil de la nuit, et pourtant il s'est réveillé à sept heures... Alors : est-ce qu'il s'est endormi au petit matin ? ou bien dort-il les yeux ouverts, tout en réfléchissant, histoire de ne pas perdre de temps ?
Il est sept heures, donc. Or, notre trépidant héros doit partir à huit heures (pour la fameuse maison). Eh bien, en une heure, il :
- fait des mouvements de gymnastique ;
- prend tout son temps pour se raser et se brosser les dents ;
- lit "le journal d'un bout à l'autre"
;

- regarde les nouvelles à la télévision.
Eh oui, tout ça en une heure ! Il est vraiment très, très fort. J'ai essayé ce matin, je suis arrivé en retard au boulot.

Précisons que tout le livre n'est évidemment pas comme ça, je cite l'un des très rares passages curieux ; je suis un peu moqueur, parfois.

Mais revenons au livre, ma vie n'intéresse personne.
Le style du livre est fonctionnel, disons, mais jamais moche, il ne heurte pas. C'est écrit à la première personne, il n'y a pas de fioritures, c'est efficace.

Et puis, parfois le traducteur fait de l'humour : "Un samedi, par ce temps magnifique [...] il y avait partout des voitures de tourisme conduites par des chauffeurs du dimanche" (page 34). Hé hé ! On aura aussi un "bricoleur du dimanche" (page 157), mais là l'humour est différent, parce que je crois que c'était vraiment un dimanche.

Parlons un peu de l'histoire.
Notre narrateur et son ex-copine vont arriver à la maison.
Et, à partir de là, on va avoir une mécanique vraiment bien faite, avec découverte d'indices, supputations, révélations, remise en perspective de ce que l'on croyait avoir compris, et le lecteur pris dans l'histoire n'aura pas forcément le temps de tirer toutes les conséquences de ces renversements, il aura considéré comme vrais des éléments qu'il aurait dû remettre en perspective, et tout cela est vraiment bien fait. ("W
ouah, c'est pas vrai, il pousse, Higashino... ah... en y réfléchissant bien... je me suis fait avoir !")


Alors, bien sûr, on se dit que si certains indices avaient été découverts dans un autre ordre (ou bien si parfois nos héros étaient un peu plus rapides - car ce ne sont pas toujours des flèches : par exemple, en voyant un réfrigérateur dans une maison abandonnée à la page 52, ils ne l'ouvrent que soixante-dix pages plus loin... non, il n'y avait pas de cadavres dedans), on n'aurait pas eu ces deux cent cinquantes pages que l'on tourne pour savoir ce qu'il en était vraiment : en cinquante pages, ça aurait été fini.
Mais, alors, où aurait été le plaisir de la manipulation ?

Et si le lecteur est vraiment très pressé, il ira directement à la page 158 où se trouve un résumé. Higashino ne veut pas perdre le lecteur, alors il résume un peu par-ci par là.

A un moment, Higashino se trouve tellement bien dans ses manipulations et renversements de perspective que, à un moment, il triche un peu : je veux bien lire un texte écrit à la première personne, mais quand on m'en coupe un bout sans me le dire, et que du coup le narrateur a fait dans mon dos des trucs dont je ne suis pas au courant, ce n'est pas très fair-play. Rappelons que, contrairement à 24 heures chrono, il n'y a pas de coupure pub (on sait bien - des études sérieuses l'ont prouvé - que Jack Bauer en profitait pour boire un coup, manger un morceau, aller au petit coin et recharger son portable). Mais on découvre rapidement ce qu'il a fait, alors ça peut passer.


C'est donc un roman très habile, qui ressemble souvent à un huis clos, à une pièce de théâtre avec deux acteurs seulement. Ce n'est vraiment pas banal.

Et, bien que parfois un poil tirée par les cheveux (comme toutes les histoires d'amnésie, peut-être ?) ou légèrement artificielle, l'histoire est une mécanique de précision qui fonctionne très bien, de sorte que le lecteur se laisse délicieusement manipuler tout en essayant de percer le mystère (que nous cache-t-on ? qu'a-t-on mal compris ? où nous a-t-on induit en erreur ?).
Deux cent cinquante pages qui se lisent toutes seules : on veut vraiment connaître la suite.

devouement du suspect X    devotion - couverture japonaise

 

- Le Dévouement du suspect X (Yogisha X no Kenshin, 容疑者Xの献身, 2005). Traduit en 2011 par Sophie Refle. Actes noirs, Actes Sud. 316 pages. Prix Naoki 2005.

"Comme à son habitude, Hishigami sortit de chez lui à sept heure trente-cinq. Le vent était plutôt froid pour un mois de mars. Il se mit en route, le menton enfoncé dans son cache-nez, et jeta un coup d'oeil sur l'abri à vélos avant de quitter son immeuble. La bicyclette verte qui l'intéressait n'y était pas garée." (page 9).
Hishigami est prof de maths. Il est génial, mais doit enseigner à des morveux, ou quasiment. Son coup d'oeil à sa bicyclette verte lui fait comprendre que sa voisine, Hanaoka Yasuko, est partie travailler : elle est vendeuse chez un traiteur.
Hishigami va donc y acheter son bentô, rien que pour la voir.
C'est un grand timide, Hishigami ! Sous des apparences un peu frustes - il ne fait pas grand chose pour s'arranger, pris qu'il est par des problèmes de mathématiques très complexes - , il y a un petit coeur qui bat pour sa voisine... et elle ne s'en doute pas !
De son côté, elle est divorcée, et vit avec sa fille. Son ex-mari est un moins que rien, un nul, mais violent. Il va la retrouver. Il arrive ce qu'il arrive, l'ex-mari meurt, et ce n'est pas un accident. Après quoi :
"Une main frappa à la porte. Puis une voix masculine appela :
- Madame Hanaoka !
Yasuko ne parvint pas immédiatement à mettre un nom sur la voix. Pourtant, elle la connaissait. Elle était aussi incapable de bouger que si elle avait été ligotée.
" (page 30).

C'est son gentil voisin, Hishigami. Il a entendu du bruit, il se demande si tout va bien. Yasuko entrouvre la porte. Elle se justifie comme elle le peut, et c'est un passage réussi, car on peut bien sûr le prendre au deuxième degré :
"J'ai vu un cafard...
- Un cafard ?
- Oui. Il y en a un qui est apparu et ma fille et moi avons essayé de l'attraper et... je crains que nous ayons fait beaucoup de bruit.
- Et vous l'avez tué ?
- Hein ?... fit Yasuko en sentant son visage se crisper.
- Ce cafard, vous avez réussi à vous en débarrasser ?
" (page 31).

Dans cette situation délicate, notre génial prof va aider sa gentille et jolie voisine et sa fille (comme quoi, pour avoir de l'aide dans la vie, mieux vaut disposer d'un physique agréable). Il est génial, il met donc au point un scénario très tordu pour égarer la police...
On suivra l'enquête de la police, les manipulations de notre mathématicien placide, et on finira bien sûr par comprendre en quoi a consisté sa méthode. L'auteur ne nous donnera des informations qu'au compte-goutte, de sorte qu'on ne puisse pas tout comprendre trop tôt.

Alors, on pourra trouver qu'il y avait plus simple pour se sortir de cette situation, mais nous ne sommes pas géniaux, nous !

Côté personnages, ils sont encore un petit peu archétypaux, mais par rapport à La Maison où je suis mort autrefois, Higashino Keigo s'est nettement amélioré. De même, l'écriture : ça n'est pas génial, bien sûr, cela reste généralement plus fonctionnel qu'autre chose, mais ça passe bien, nettement mieux que dans La Maison.

C'est donc un roman très lisible, avec une intrigue intéressante, assez tordue. On pourra penser qu'il est moins original que La Maison, mais ici la mécanique n'est plus à nue, elle est habillée. Le roman se lit très vite, d'autant plus que, comme souvent dans les romans contemporains japonais "populaires", l'auteur nous reprécise bien tout ce qu'il faut pour ne pas être perdu, même quelque chose qu'on a appris dix pages auparavant.

Concernant le texte français, il est tout à fait bien même si à une ou deux reprises il manque un mot ("Qu'est-ce qui plus difficile", page 241). Et puis il y a un passage absurde, à propos d'un téléphone : "Je le laissais sonner, c'est tout. Si j'avais quelque chose d'urgent à lui dire, je lui parlais. Sinon, je le laissais simplement sonner. Je raccrochais toujours après la cinquième sonnerie". (page 259).
Il s'agit bien sûr de la personne qui est appelée qui décroche si elle a quelque chose d'urgent à dire, sinon ça n'a aucun sens : ce n'est pas la personne qui appelle qui va parler alors que le téléphone continue à sonner dans le vide, c'est idiot...
On se demande toujours comment les relecteurs peuvent laisser passer des trucs pareils (à moins que ce ne soit dans le texte original, qui sait ?)...

Ce roman a été adapté au cinéma (voir plus bas).

Un café maison

- Un Café Maison (Seijo no Kyûsai, 2008). Traduit du japonais en 2012 par Sophie Refle. Actes Sud. 335 pages.
Ayané, une artiste qui fait du patchwork, est mariée avec Yoshitaka Mashiba depuis presque un an. Elle et son mari n'arrivent apparemment pas à avoir d'enfants, ce qui, pour lui, n'est pas tolérable. Mashiba s'apprête donc à quitter sa femme. Mais avoir un enfant est-il si important pour lui ?
"Oui, c'est important. Je ne peux imaginer ma vie sans. Un mariage sans enfants n'a aucun sens pour moi. L'amour dans un couple s'amenuise nécessairement avec le temps. Si deux personnes continuent à vivre ensemble, c'est pour fonder une famille. Le mariage transforme ceux qu'il unit en époux. Les époux deviennent des parents en ayant des enfants ensemble. Ce n'est qu'à partir de ce moment-là qu'ils sont unis pour la vie. Tu n'es pas d'accord ?
- Pourquoi, ce n'est pas le seul but.
- Mais ça l'est, pour moi.
" (page 6).

Ayané part quelques jours dans sa famille. Pendant ce temps, tadam !... Le mari est retrouvé mort. Il était seul, chez lui. Il semble qu'il s'est fait un café... et est mort empoisonné !
Mais qui donc a réussi à l'empoisonner, sachant que le poison s'est retrouvé dans la tasse de café, mais qu'il n'était pas présent dans le paquet de café ? Comment Mashiba s'est-il fait son café au juste ? Et il semblerait que ce soit sa femme, Ayané, qui l'aurait tué... comment donc aurait-elle pu l'empoisonner à distance ?

Pour mener l'enquête, on retrouve Kusanagi, déjà vu dans Le Dévouement du Suspect X, ainsi que le physicien qui lui avait prêté main forte (ou plutôt cerveau fort).

C'est sympathoche, pas complexe pour deux sous et idéal quand on a le cerveau fatigué. La solution de l'énigme sera bien sûr un peu exagérée, un poil tirée par les cheveux, mais le lecteur ne sera jamais perdu, des rappels venant régulièrement pour ne surtout pas égarer même le type du mange du pop-corn en tournant les pages.

Du côté du style, il est purement fonctionnel. C'est bien pratique : on n'est jamais tenté de relire une phrase. Quel gain de temps !
Mais, tout de même, en plus des nombreux paragraphes de rappels, en plus des dialogues un peu creux, il y a des phrases bêtement inutiles.
Un bel exemple, page 274 : une enquêtrice va voir la mère du défunt, Mme Tsukui. Elle est donc à la porte de sa maison, elle appuie sur l'interphone, et à ce moment-là on lit : "Sans doute parce qu'elle l'avait prévenue de l'heure à laquelle elle arriverait, Mme Tsukui ne sembla pas surprise." (page 274). C'est vraiment une phrase stupide, d'un type de bêtise que l'on peut décliner à l'infini : " Sans doute parce que j'ai demandé une baguette chez le boulanger, je ne suis pas surpris qu'il me tende la tende" ; "Sans doute parce j'ai pris rendez-vous chez le coiffeur, ce dernier ne sembla pas surpris de me voir", etc.

A part ça, on a un très moche "Cela fait sens" (page 299). Beurk. C'est dans une discussion, certes, mais enfin, ce que cette expression tendance est laide !

Un Café maison est un roman nettement moins original que La Maison où je suis mort autrefois, et nettement moins tordu que Le Dévouement du Suspect X.
C'est une lecture facile, un peu trop, qui se base presque uniquement sur l'idée du mode opératoire de l'assassinat.
A lire donc en cas de fatigue cérébrale avancée.

la prophétie de l'abeille

- La Prophétie de l'abeille (Tenkuu no hachi, 天空の蜂). Roman traduit du japonais en 2013 par Sophie Refle. Actes noirs-Actes Sud. 439 pages.
Le roman date de 1995 ou 1996, donc avant Fukushima, bien sûr.

Un super hélicoptère, tout nouveau tout beau, est volé (le comble pour un hélico, bien sûr) le jour de sa présentation, grâce à un système de télécommande, et il est positionné à la verticale au-dessus d'un surgénérateur... Le maître chanteur fait régulièrement des communiqués : si le gouvernement japonais n'arrête pas rapidement toutes les centrales nucléaires du Japon, l'hélicoptère tombera sur le surgénérateur. Il précise qu'il y a des explosifs...
Le gouvernement cédera-t-il ? Les enquêteurs trouveront-ils un moyen d'empêcher la catastrophe ? Mais même si l'hélicoptère chute, y a-t-il un risque, puisque les centrales sont normalement conçues pour résister à ces situations ?
Qui pourrait faire quelque chose d'aussi horrible ? se demande-t-on. Serait-ce quelqu'un qui aurait subi les conséquences de l'industrie nucléaire ? Les enquêteurs discutent ferme. Ils ont la pression, il s'agit d'une course contre la montre.
"- [...] Mais si on veut parler de ceux qui souffrent du nucléaire, il y en a, et pas qu'un peu.
-Tu fais allusion aux travailleurs du nucléaire ?
[...]
- Oui, ceux qui sont employés par les sous-traitants, ou les sous-traitants des sous-traitants. Ce sont eux qui travaillent dans les zones où l'irradiation est forte. Leur boulot est très dangereux.
- C'est vrai qu'on entend souvent parler de travailleurs du nucléaire qui sont tombés malades à cause des radiations.
- Tout le monde a l'air de croire que les gens qui font ce boulot connaissent les risques qu'ils prennent, mais à mon avis, beaucoup d'entre eux n'en ont pas la moindre idée. Ils le font pour les bons salaires, et on leur impose des tâches dangereuses.
" (page 84-85).

On voit aussi que certains salariés trichent avec les dosimètres pour travailler plus (et la limite légale, dans le secteur du nucléaire, dispose d'un régime spécial...) : la hiérarchie le sait, mais ferme les yeux : ils ont besoin de gens comme eux pour parvenir au bout de tout le travail.

L'auteur s'est apparemment bien documenté :
"L'accident le plus typique dans un réacteur à eau légère serait une perte de refroidissement en eau, un incident grave, dans lequel l'approvisionnement en eau est interrompu pour une raison ou une autre et le réacteur n'est plus refroidi, ce qui peut conduire à une fusion du coeur. C'est dans cette catégorie qu'entre l'accident de Three Miles Island, aux Etats-Unis.
- Je vois. Et pourquoi le risque d'emballement est-il plus élevé dans le cas d'un réacteur surgénérateur à neutrons rapides ?
- À la différence d'un réacteur à eau légère, la priorité dans la relation entre le liquide de refroidissement et le combustible n'est pas l'efficacité de la réaction fissile.
" (page 120).
Je coupe là, mais ça continue... Le lecteur aura des détails, des comparatifs avec Tchernobyl, etc.

Quel est le but recherché par le maître chanteur ?
"Yuhara se dit que le criminel avait peut-être pour objectif de rendre la population consciente de la part du nucléaire dans l'électricité qu'elle consommait." (page 146).
Veut-il prouver que le Japon continuerait à vivre sans nucléaire ? ou bien que les centrales ne sont pas résistantes à un choc aérien ? En effet, s'il n'y avait pas de risque, le gouvernement ne devrait pas céder au chantage... Donc, s'il cède, c'est qu'il ment sur le niveau de sécurité des centrales.

Pendant ce temps, tout le monde est scotché aux informations. On entend les réactions du grand public.
"- [...] Les centrales nucléaires, moi, je m'en fiche.
- Parce que pour toi, la personne qui fait ça n'aime pas les centrales nucléaires ?
- Probablement, non ? On a le droit de ne pas aimer le nucléaire, mais pas d'embêter les autres.
- Je suis bien d'accord. Moi, je n'en pense rien, de tous ces trucs.
" (pages 317-318).

On a aussi (c'est un enquêteur qui parle) :
"- [...] Ici au Japon, on n'a pas l'habitude de réfléchir au nucléaire, et c'est peut-être aussi bien de ne pas essayer de mieux informer la population." (page 395)

La conséquence immédiate, car il faut faire des économies d'électricité, est l'arrêt de la climatisation, ce qui ennuie considérablement les gens. Mais comment faisait-on avant ? Le Japon consomme apparemment plus d'électricité en été qu'en hiver.
Hisashino illustre que le risque nucléaire est pris en grande partie pour permettre aux gens de vivre confortablement. Pendant que les citadins ne réfléchissent pas à l'origine de l'électricité qu'ils utilisent sans compter, d'autres en subissent les conséquences.

Mais revenons à notre histoire. Il faut attendre 286 pages avant que quelqu'un émette l'idée qui vient tout de suite à l'esprit du lecteur même le plus distrait : pourquoi ne pas dézinguer l'hélico en balançant un bon petit missile des familles ?
"Si vous pensez à une frappe des Force aériennes d'autodéfense, je pense que ce serait un pari dangereux. Rien ne garantit que l'appareil se désagrégera. Cela risquerait de servir à hâter sa chute". (page 287).
Et hop, le sujet est évacué. C'est un peu facile.
L'option des missiles résoudrait les deux problèmes majeurs. Personne ne veut que l'hélico tombe pile sur la centrale : même si le missile ne désagrège pas totalement l'appareil (deux ou trois missiles envoyés contre un hélicoptère stationnaire permettraient quand même de réduire considérablement l'impact au sol, non ?), le choc permettrait au moins que l'hélico ne tombe pas d'un bloc à la verticale. De plus, ce qui est craint, ce sont les charges explosives, et là, ce serait un autre problème de résolu.
Nos amis militaires ne préparent donc même pas de missile pour réduire l'hélicoptère en petits morceaux à partir du moment où il commencerait à tomber. C'est vraiment idiot...
Mais le livre serait déjà fini, alors on fait comme si.

Et on voit plein de personnages, beaucoup, beaucoup trop de personnages qui n'apportent pas grand-chose (le but est de montrer qu'il s'agit d'une enquête minutieuse).


Higashino nous met sans cesse les points sur les "i", on nous rappelle ce qu'il faut savoir... bref, pas de risque d'être perdu. Ce que c'est long, parfois !
L'enquête elle-même comporte son lot de hasards qui lui permettent de progresser. Elle n'est pas sensationnelle, très loin de là. On sent que le livre est surtout l'occasion de parler du nucléaire, de faire prendre conscience aux gens du poids des grandes entreprises... et que chacun se positionne.

On voit aussi la pression des grands groupes qui oeuvrent dans le nucléaire (mais pas seulement) pour que leurs salariés ne signent pas de pétitions anti-nucléaire... Mais cela va plus loin :
"Kosaka se souvint d'un autre incident, quelques années auparavant : un groupe de rock qui avait exprimé son opposition au nucléaire dans une chanson avait vu l'album qui la contenait retiré de la vente. Leur maison de disques était une filiale d'un consortium présent dans le nucléaire." (pages 89-90).

Un roman qui a de bonnes intentions (faire réfléchir au nucléaire en essayant de présenter les arguments des deux côtés, expliquer les manipulations des grands groupes industriels, dénoncer l'indifférence des gens), mais vraiment trop, trop long...

A noter un peu d'humour dans la traduction : "Si cette opération échoue et que l'hélico s'écrase sur Shinyo, ce ne sera pas simple, ajouta Kitani en utilisant la télécommande pour éteindre la télévision. Le maître chanteur ne manque pas d'air." (page 205). Ne pas manquer d'air, c'est effectivement ce qui vaut le mieux pour l'hélico !

l'équation de plein été

- L'Equation de plein été (Manatsu no Hōteishiki, 真夏の方程式, 2011) roman traduit du japonais en 2014 par Sophie Refle. 365 pages. Actes noirs, Actes Sud.

Au début du roman, on suit un petit garçon qui prend le train à destination de Hari-Plage, une petite station balnéaire sur le déclin. Pendant le trajet, il va faire la connaissance du professeur Yukawa, un physicien excentrique (déjà rencontré dans deux précédents opus de l'auteur : Le Dévouement du suspect X et Un Café maison) toujours prêt à faire des expériences scientifiques et à parler boutique (et le lecteur se dit que son comparse habituel, le policier Kusanagi, ne doit pas être bien loin).

"Un scientifique recherche la vérité, et rien d'autre. Tu comprends ce que « vérité » veut dire ?
- Je crois.
" (page 58).
Notre physicien enchaîne sur les neutrinos et les supernovas. Il ne demande pas à l'enfant s'il sait ce qu'est une supernova, par contre. « Vérité » est un concept plus compliqué, sans doute.

Le petit garçon se rend chez son oncle, qui tient une auberge. Ça tombe bien ! L'adresse familiale a l'air sympathique, et notre physicien va y résider lui aussi. L'ennui avec les héros de romans policiers, c'est qu'ils semblent toujours attirer les problèmes. Et le problème, ici, c'est ce qui va arriver à un autre pensionnaire de l'établissement (que l'on découvrira par exemple dans la bande-annonce un peu plus loin).

Mais qu'est venu faire notre physicien dans ce joli coin ensoleillé ?
"Le ministère de l'Economie et de l'Industrie avait publié quelques semaines auparavant un rapport sur les ressources énergétiques sous-marines, qui avait causé un certain émoi dans les villes et les villages voisins de Hari-Plage. Selon ce document, les fonds sous-marins situés à quelques dizaines de kilomètres au large étaient particulièrement propices à une exploration expérimentale des gisements hydrothermaux sous-marins.
Ces gisements qui résultent des dépôts de minerais produits par les colonnes d'eau chaude qui montent depuis le fond de la mer contiennent notamment du cuivre, du plomb, du zinc, de l'or ou de l'argent, mais aussi des métaux rares comme le germanium ou le gallium. Etant donné la pénurie de ces derniers au niveau mondial, le Japon pourrait, à condition de trouver le moyen de les exploiter profitablement, devenir un des premiers pays producteurs. [...]
L'annonce du projet avait fait du bruit à Hari-Plage et aux alentours. Ce n'était pas parce que l'on craignait des conséquences néfastes pour l'environnement marin. La plupart des habitants se réjouissaient au contraire de cette nouvelle perspective économique.
" (pages 22-23).

Certains habitants craignent toutefois les conséquences de l'exploitation : impacts sur la pêche, mais aussi sur la nature. Où positionner le curseur entre la protection absolue de la nature et le développement qui permettrait aux habitants de vivre ? On a un sujet socio-écolo-économique un peu comme le nucléaire servait dans La Prophétie de l'Abeille (mais l'Equation de plein été est un roman bien meilleur).
Le contexte est bien mis en place, la petite station balnéaire vieillotte pas mal brossée, les personnages sont vivants, l'intrigue est intriguante, donc tout va bien : on tourne les pages, on veut comprendre... Et on comprendra.

Pas mal, donc.

Le roman a été adapté au cinéma en 2013 (apparemment, c'est un épisode de la série Galileo - la série qui met en scène les aventures du physicien Yukawa, interprété par Fukuyama Masaharu - "gonflé" pour le cinéma), avec un bon succès au box office nippon :


Mai 2015 : parution chez Actes Sud de La Lumière de la Nuit (白夜行 ; Byakuyako ; 1999). Best-seller au Japon avec plus de 2 millions d'exemplaires vendus. Deux films (un coréen et un japonais) ont été tirés du livre (voir http://en.wikipedia.org/wiki/Byakuyako ).
Ce roman ne fait pas partie du cycle consacré au physicien Yukawa.


 



Quelques autres films (il y a de plus une grande quantité de téléfilms) adaptés de son oeuvre :
- Himitsu (1999), réalisé par Takita Yôjirô.
- G@me (2003), réalisé par Isaka Satoshi
- Lakeside Murdercase (Reikusaido mâdâ kêsu, 2004), réalisé par Aoyama Shinji (l'auteur de Eurêka, Desert Moon...)
- Henshin (2005), réalisé par Sano Tomoki
- Tegami (2006), réalisé par Shôno Jirô
- Si j'étais toi (2007), réalisé par Vincent Perez, avec David Duchovny et Lili Taylor.
- Yôgisha X no Kenshin (2008), réalisé par Nishitani Hiroshi :



- Samayou Yaiba (2009), réalisé par Mashiko Shoichi
- Baekyahaeng (2009)
, réalisé par Shin-woo Park. Il s'agit de l'adaptation de La Lumière de la Nuit. Voir : http://en.wikipedia.org/wiki/White_Night_(film)
- Byakuyakô (2010), réalisé par Fukagawa Yoshihiro. Il s'agit également de l'adaptation de La Lumière de la Nuit. Voir http://en.wikipedia.org/wiki/Into_the_White_Night
- Yoake no machi de (2011), réalisé par Wakamatsu Setsurô
- Kirin no tsubasa: Gekijouban Shinzanmono (2012), de Doi Nobuhiro.
- Platinum Data (2013), réalisé par Ohtomo Keishi

 

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