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KAWAKAMI Hiromi
(01/04/1958-)

 

Kawakami Hiromi est née le 01/04/1958 à Tôkyô. Prix Akutagawa en 1996 pour Marcher sur un Serpent ; Prix Tanizaki en 2000 pour Les Années douces.

Elle est diplômée de biologie de la faculté des sciences de l'Université féminine de Ochanomizu.


Les années douces

- Les Années Douces (roman traduit par Elisabeth Suetsugu ; 284 pages, 2001).
La narratrice, Tsukiko, trente-sept ans, rencontre un jour (ou plutôt un soir) son ancien professeur de japonais qui a, lui, dépassé les soixante-dix ans. Ils se découvrent les mêmes goûts culinaires, et aiment être ensemble à boire du saké, manger, et discuter de choses insignifiantes. Ils ne se donnent pratiquement jamais rendez-vous dans un endroit déterminé à un moment donné, mais finissent tôt ou tard par tomber l'un sur l'autre dans un troquet. Parfois, ils organisent une petite sortie, une cueillette aux champignons dans les bois, une fête des fleurs dans leur ancien lycée, etc.

Tsukiko est une femme qui subit les événements plus qu'elle ne les provoque.
"Comment en sommes-nous arrivés là ?" ne cesse-t-elle de se demander. Il faut bien dire que c'est le professeur qui a quasiment toujours l'initiative, qui propose. Le professeur est un peu le personnage du père, jamais mentionné (sauf erreur de ma part), contrairement à la mère.
Tsukiko a parfois des pensées qui frisent le nunuche ; ainsi page 70 : "(…) De même qu'il y avait les nombreux visages familiers des clients. Pourtant, je n'avais jamais pris conscience qu'ils étaient chacun une personne, avec sa vie à elle".
Mouais… Heureusement, toutes ses pensées ne sont pas aussi cruches. Et elle sait bien regarder la nature et apprécier la nourriture… et la boisson.
Alors, que se passe-t-il dans ce roman ?
Rien ou presque, comme dans la vie, mais des riens qui ont leur importance pour ceux qui les vivent. Dispute à propos de base-ball, saké, séance de pachinko, saké, fête des fleurs, et saké, bouillon de poulpe, langoustines frites, haricots en branches , lamelles de baleine fumée, algues au vinaigre… et encore saké.
De fil en aiguille, et sans surprise pour le lecteur (mais tel n'était pas le but), ces deux êtres se rapprochent l'un de l'autre, apprécient d'être là, simplement ensemble, sans avoir nécessairement besoin de parler, de donner le change. N'est-ce pas également cela, une des (nombreuses) définitions de l'amour ?
Bizarrement, lorsque pour le nouvel an elle rend visite à sa mère avec qui elle est théoriquement proche, le résultat n'est pas le même : Tsukiko est rapidement dans l'impossibilité de parler, mais ce silence les gêne toutes les deux. Page 90 : "Brusquement, nous ne savions plus quoi dire. Alors que nous étions proches, précisément parce que nous étions proches, nous ne pouvions nous rejoindre (…) Il n'en reste pas moins vrai que nous avons été toutes les deux incapables de poursuivre normalement notre conversation. Jusqu'au retour de mon frère et de sa famille, nous sommes restées dans notre impuissance, évitant de nous regarder."

C'est un livre agréable à lire, reposant si je puis faire de ce qualificatif une qualité pour un roman, une histoire d'amour peut-être un peu légère pour qui aime les suspenses à couper au couteau, les rebondissements inattendus, les personnages en marge, les trames élaborées. Le livre tente de s'emparer des oripeaux de la vraie vie, en exhibant sa simplicité, mais les personnages ont une psychologie, une épaisseur de contes ; entre deux rencontres, rien ne semble s'être passé, la vie extérieure n'existe quasiment pas, ces deux personnes sont irréelles, et elles flottent dans un monde qui ne l'est pas moins. D'où une impression de fausseté, peut-être même de tricherie.
A ce compte-là, la résolution, à la fin, du petit mystère de la serviette que le professeur emmène toujours avec lui fait penser au lecteur qu'il s'agit peut-être d'un symbole qui pourrait s'appliquer au roman…

A recommander, donc, à tous ceux qui en ont assez des romans emplis de criminels psychotiques, des plongées vertigineuses dans l'esprit de pervers traumatisés dans leur enfance et qui répètent des actes monstrueux.
De même, pour le style, pas d'envolées lyriques pompeuses, ici, juste des mots simples, ce qui ne veut pas dire pour autant que le style n'est pas travaillé. Un livre reposant.

cette lumière qui vient de la mer

- Cette lumière qui vient de la mer (Hikatte mieru mono, are wa, roman traduit par Elisabeth Suetsugu ; 312 pages, 2003. Paru en 2005).
C'est principalement l'histoire d'un trio de jeunes et de leurs relations avec le monde (les parents, etc.) : Midori, un ado de dix-sept ans se pose des questions du genre "quel est le sens de la vie", comme s'il pensait trouver une réponse (il n'est quand même pas vraiment le premier à avoir réfléchi au sujet).
Il y a aussi Hanada, un copain, qui est un peu plus déglingué dans sa manière de réfléchir, donc a priori plus intéressant, mais on sent une déglingue calculée, du genre "il fallait un original dans mon bouquin, le voici !". Il met des "fringues de nanas" pour chercher à s'"éloigner de l'état de fusion avec le monde" (page 82). La réaction des gens est amusante : il y a ceux qui font de gros efforts pour faire semblant de ne pas le voir, ceux que ça énerve passablement, etc.
Et puis, évidemment, LA fille, Hirayama Mizue, jolie, sympa, bref, une héroïne typique de bouquin.

Midori vit avec sa mère et sa grand-mère. Son père lui manque.
"S'il existe quelqu'un à qui je pourrais m'ouvrir de ce genre de questions, ce serait à n'en pas douter mon père." (page 25). Manque de bol, son père est une sorte d'ado attardé légèrement irresponsable, qui passe les voir de temps à autre. Les philosophes grecs n'ont pas réussi à déterminer le sens de la vie (ou alors personne ne me l'a dit), ce n'est donc pas ce père qui pourrait lui répondre.
"A ce moment de la journée, je ne peux m'empêcher de m'abîmer dans mes pensées. Par exemple, je me mets à réfléchir à mes origines. A mon devenir. Et aussi à la question qui me hante : « Les gens vivent sans penser à rien, à quoi ça rime ? » " (page 41). Comme tout jeune qui se respecte, Midori a tendance à traiter de haut le reste de l'humanité : lui est le seul à réfléchir, à se poser des questions, les autres ne sont que des larves décérébrées, tout ça. S'il avait un tout petit peu poussé la question, il aurait vu que la petite myopie de l'homme quant à sa destinée, sa mort inéluctable, est une nécessité, sinon on s'assiérait tous dans l'herbe, au pied d'un arbre, paralysés, à attendre la visite de la Camarde (dans le meilleur des cas, pour jouer aux échecs avec elle).
"Ce qui me met en colère, c'est la superficialité de cet être humain qu'est ma mère." (page 45). Ben voyons. Sympathique, comme garçon. Evidemment, il va se rendre compte que le monde n'est pas aussi simple, blablabla.
D'ailleurs, Midori manque totalement d'imagination. Sa copine Hirayama, qui a meilleur goût que lui (sauf qu'elle apprécie mystérieusement cet ectoplasme prétentieux... décidément l'amour est un mystère !), lit souvent des poèmes et lui demande son avis. Ce qu'il en pense est proprement affligeant, ultra terre-à-terre, et donne lieu à des passages bien amusants (notamment, pages 45-47, sa réaction à la lecture d'un poème de Raymond Carver, Quand vient le soir les saumons sortent de la rivière et arrivent dans la ville).

A noter que, contrairement à son roman précédent, les passages "gustatifs" (description de plats, repas...) sont malheureusement beaucoup plus rares. Dommage, c'est ce que Kawakami réussissait de mieux.

A part ça, on a droit à une foule de pensées très profondes :
- "Quand on trouve les choses barbantes, c'est qu'on possède encore une certaine jeunesse." (page 23 ; c'est décidé, je continuerai à regarder des films de Théo Angelopoulos à la télé : ils ont un très fort pouvoir rajeunissant).
- "Au fait, Schweitzer, il est drôlement admirable. Comparé aux Curie, qui est le plus admirable ? C'est le mari qui a obtenu le prix Nobel, pourtant c'est la femme qui est célèbre, il y en a que pour elle. C'est parce que le mari est mort jeune qu'il n'a pas eu un second prix Nobel. Décidément, ce sont ceux qui vivent longtemps qui sont les gagnants dans le monde actuel." (pages 77-78). Forcément ! Il est plus facile de gagner quand on est en vie que mort.
- "Quand on est longtemps à écouter les pépiements des moineaux, on finit par avoir une sensation de voyage" (page 157 ; j'ai fait l'expérience, je garantis que cela ne fonctionne pas).
- " Les choses qui durent éternellement, figure-toi qu'elles ont le pouvoir de transporter les gens dans des lieux inconnus !" (page 157).
- " « De temps en temps, il y a comme ça des gens qui ont un sens peu prononcé de l'existence des choses, remarquait un jour ma mère. »" (page 166).
- " C'est la première fois de ma vie que je vois ça, le clair de lune !" (page 272 ; pas possible ! Midori a-t-il déjà, le soir, regardé par la fenêtre ?).

Parfois, la bêtise abyssale du narrateur éclate. Par exemple, ce passage dans lequel Hanada et Midori sont dans l'obscurité depuis un moment. "Hanada a mis une cigarette entre ses lèvres. Il l'allume. Je croyais m'être habitué à l'obscurité, pourtant l'étincelle m'a brûlé les yeux." (page 274). Eh oui, coco ! Si tu ne t'étais pas habitué à l'obscurité, là oui, l'étincelle ne t'aurait pas brûlé les yeux. Réfléchis deux secondes, fais fonctionner ta matière très très molle ! Ou bien faut-il s'adresser à l'écrivaine ? J'ai un gros doute.

Heureusement, pour finir, une pensée vraiment profonde surnage du livre :
"Pourquoi faut-il toujours qu'on ait toujours le nez qui coule quand on mange une soupe chinoise ?" (page 81).

Ah ! Dès qu'il s'agit de bouffe, ça va mieux.

En conclusion : un roman très moyen, qui se lit très vite (histoire bateau écrite à la première personne avec un style passe-partout).
Les Années Douces était loin d'être un chef-d'oeuvre, mais possédait tout de même un certain charme sympathique et gustatif. Cette lumière qui vient de la mer est beaucoup plus cliché, un énième roman où les ados se posent des questions et se rendent compte que la vie, c'est plus compliqué que ce qu'ils peuvent croire. Alors, d'accord, il y a des citations de Robert Browning, Prévert, Raymond Carver, Cocteau, mais ce n'est pas ça qui sauve le livre.

la brocante Nakano

- La Brocante Nakano (Furudôgu Nakano shôten, roman traduit par Elisabeth Suetsugu ; 282 pages, 2005. Paru en 2007).
L'histoire tourne autour de la narratrice, Mlle Suganuma, une petite jeune qui a abandonné ses études et gagne sa vie en travaillant dans un magasin de brocante, La Brocante Nakano, du nom de son propriétaire. La soeur du propriétaire vient de temps à autre. De plus, à toute Papagena il faut un Papageno, et celui de la narratrice s'appelle Takeo. C'est un petit jeune, mystérieux bien sûr, mais le mystère c'est surtout qu'on ne comprend pas en quoi il est mystérieux, à part sa capacité incroyable à s'exprimer comme Patrick Modiano.
Exemple : "Ouais, enfin, c'est-à-dire, c'est dans mon genre de... enfin... répond Takeo" (page 226).
Drôlement doué !
Ah, qu'il est donc mystérieux, que tout ceci est intriguant, quelle profondeur psychologique incroyable doit se cacher sous ces hésitations, c'est fou...

Que se passe-t-il dans ce roman ?

Il y a tout d'abord les récupérations. "Ce travail consiste à aller récupérer des choses chez les clients. Le plus souvent, il s'agit de débarrasser une maison de ses meubles à la mort de son propriétaire. M. Nakano récupère en vrac tous les objets qui ne sont pas susceptibles d'être légués en souvenir, ou encore les vêtements. Pour quelques milliers de yens, dix mille au maximum, il achète de quoi remplir un petit camion." (page 8).
Cela coûte moins cher que de payer la voierie pour débarrasser les rebuts les plus encombrants, le client accepte la somme modeste.
C'est surtout Takeo qui s'en occupe.

Ensuite, il y a quelques ventes, et les allées et venues des clients, certains assez particuliers...

Et ça papote un peu, de tout et de rien, de bouffe (c'est toujours ce qu'il y a de mieux chez Kawakami ; si on était vraiment méchants on pourrait lui conseiller de laisser tomber les romans et de se consacrer à des livres de cuisine, mais bon, comme on n'est pas méchants...).

Quelques critiques de forme :

* Page 51, M. Nakano sort une enveloppe, qu'il a "littéralement déchiquetée". Là, j'ai du mal à comprendre ce que cela veut dire. "déchiquetée", je vois bien, mais "littéralement déchiquetée", ça me laisse pensif...
Plus loin, page 103, on nous remet le couvert : "[...] il lui est donné de contempler le jardin qui fait la fierté du propriétaire et baigne littéralement le bâtiment dans la verdure [...]"
Ah non, pitié ! Ce tic de langage, à la rigueur à la radio (ce ne sont que des journaleux, ils ne savent pas ce qu'ils disent), mais pas dans les livres ! Pourquoi prendre une image, une comparaison, et ajouter "littéralement" ? Le but de la comparaison... c'est de comparer, pas de prendre littéralement, justement. Du coup, que faut-il pour traverser le jardin ? Un maillot de bain, un tuba et des palmes ?

* "M. Nakano m'a raconté que Takeo avait très bien réparé la climatisation du camion quand elle ne marchait plus très bien l'année d'avant." (page 124). Ce n'est pas... très bien...

* ... mais toujours mieux que "A part cela, rien de notoire." (page 227). On notera qu'il ne faut pas confondre "notoire" et "notable"...

* "un foulard teint à la main qu'elle laissait prendre négligemment" (page 239). Un "r" en trop, je suppose. Ou alors les couleurs ont du mal à prendre ?

* page 258, il est fait mention d'"Excell". S'il s'agit bien du tableur, c'est "Excel" avec un seul "l". L'erreur est excusable, ce logiciel étant peu répandu...


Concernant le style de narration, je ne sais pas sous quelle forme le livre est paru au Japon. Je suppose que les chapitres ont été publiés dans un magazine les uns après les autres, car il y a un curieux effet : Kawakami fait sans cesse des petits résumés de ce qu'on a lu précédemment, ou bien explicite un peu lourdement pour être sûre que l'on comprend bien la référence à l'anecdote racontée un chapitre ou deux avant. Idéal pour le métro, par exemple.
Parfois même (page 216, par exemple), on assiste à une discussion, et la narratrice nous résume ce que l'on vient d'entendre (enfin, de lire), sans rien apporter de plus. Pratique si l'on veut lire en diagonale, mais quand même...
Ces deux effets conjugués donnent une impression de redondance continuelle un peu gênante.

Sinon, quoi d'autre ? Ah oui, un passage humoristique.
"Fait rare pour la brocante Nakano, cette chaise est une véritable antiquité. Elle est de fabrication américaine et date de la fin du XIXe siècle." (page 128). Je ne suis pas très au fait de tout ça, mais quand même, une véritable antiquité américaine de la fin du XIXe, ça paraît plutôt comique.

On a également droit à quelques clichés de style totalement éculés, l'air qui "a vibré jusqu'à se tendre comme la corde d'un arc" (page 205) ; déjà, précédemment (page 163), le rire de quelqu'un, à l'extérieur, "a fait vibrer l'intérieur du magasin".
J'espère que les antiquités américaines de la fin du XIXe siècle n'ont pas été endommagées, la perte serait tragique !

Les petites choses de la vie ne suffisant pas à faire un roman intriguant, Kawakami ajoute du bizarre inoffensif. "C'est curieux, je n'aime pas particulièrement les tartes aux myrtilles, ai-je songé. Pourtant, je ne peux pas m'empêcher de choisir cette couleur violette, comme mouillée par la rosée, sans réfléchir." (page 222-223). J'espère que David Lynch pensera à ajouter de la tarte à la myrtille dans son prochain film, c'est tellement intriguant...
Pour continuer dans la psychologie à deux sous :
"En réalité, je savais parfaitement que Takeo se préoccupait des gens à l'extrême.
Non, décidément, je n'arriverai jamais à la détester.
" (page 233).

Ah la la... C'est un peu désolant, mais on trouve encore pire : à un moment du roman, c'est l'hiver, "le climatiseur du magasin déjà peu performant était loin de suffire, si bien que j'avais les pieds et les mains atrocement gelés." (page 236). Cette interprétation bien personnelle et un peu nunuche de "atrocement gelé" ferait bien rire Roald Amundsen ou Alfred Wegener, par exemple...


En conclusion : même si elle y met un peu plus de sexe explicite que dans ses deux romans précédents, La Brocante Nakano reste très adolescent par sa psychologie sommaire, ses réflexions souvent cruches. Kawakami continue à descendre la pente.
Pourquoi, alors, ne pas tenter de la remonter en lisant Marcher sur un serpent, prix Akutagawa 1996... Mais pourquoi n'a-t-il toujours pas été traduit ?



- Abandons (Oberoru,1999 nouvelles traduites par Sophie Refle ; 153 pages. Paru en 2003).
Ce recueil est donc antérieur aux différents romans critiqués ci-dessus. Logiquement, étant donné la pente descendante en terme de qualité constatée chez l'auteur, il aurait dû être meilleur. La suite me prouva que non.

Le recueil comporte huit nouvelles. Leur point commun, c'est le caractère de la femme, la narratrice, qui se laisse faire, sans volonté propre. "Abandons", ce n'est pas un abandon lascif. C'est un abandon de la vie, du sens de la vie, de la volonté. Le début du vide.

Par exemple, voici le début de la deuxième nouvelle, qui porte le titre du recueil, Abandons :
"Depuis quelque temps, je fuis.
Pas seule, nous sommes deux.
Je n'en ai jamais vraiment eu l'intention, si bien que maintenant je n'arrive toujours pas à me rappeler immédiatement pourquoi je fuis, mais puisque j'ai commencé, je continue.
- Mori, que fuyez-vous, lui ai-je demandé peu de temps après notre départ.
En tournant peu la tête, il a répondu :
- C'est assez complexe. Et a ajouté : Avant tout, je cherche probablement à échapper à l'insensé. [...] Et vous Komaki, que fuyez-vous ?
J'étais incapable de répondre. Mori m'avait proposé de fuir et je l'avais suivi. Au début j'avais eu l'impression de savoir exactement ce que je faisais, mais, au fur et à mesure de notre fuite, tout était devenu de moins en moins net.
"pages 27-28).

A part ça, pas grand-chose.

Une autre nouvelle, Le Dindon, se finit ainsi (je ne gâche pas de suspense, je crois) : "Je disais oui à tout ce qu'il disait. Mes jambes étaient lourdes comme du plomb, nous marchions mais nous avancions à peine. Nous marchions inlassablement pour aller quelque part. Je pensais que j'avais peur, que tout me faisait peur et je marchais sans savoir où nous allions." (page 98). Les femmes suivent les hommes, comme ça. L'homme veut mourir ? Elles meurent avec. Il les plaque ? Elles se laissent plaquer.

La dernière nouvelle, un peu différente, fait penser à du théâtre absurde, du genre En attendant Godot.

Le bon côté de ces nouvelles, en comparaison des romans de l'auteur, c'est l'absence de niaiseries. Mais, en échange, on a du sérieux, du mou, des femmes dont on ne comprend pas les motivations, sans doute parce qu'elles n'en ont pas, et qui suivent des ratés - uniquement parce qu'ils s'intéressent à elles - pour aller dans un endroit qui ne les intéresse même pas ("Blottie contre Mori, je réalisai avec surprise que je ne savais rien de l'endroit où nous étions", page 42).
Leur vie n'est rien ("Mes amants disaient tous qu'être avec moi ne présentait aucun intérêt. Sakaki avait été le premier à ne pas me le dire.", page 104), leur compagnon n'est pas intéressant, elles n'ont pas d'avenir, leur passé est globalement terne. Dans ce néant de volonté et de but, elles ressentent toutefois une angoisse diffuse, et elles suivent le premier nul venu.

Huit nouvelles, donc, cent cinquante pages... et une certaine idée de la vacuité.

 

- Manazuru (Manazuru, 2006 roman traduit en 2009 par Elisabeth Suetsugu ; 230 pages. Editions Philippe Picquier).
Pourquoi commencer à lire la nouvelle production de Kawakami Hiromi ? Pour vérifier si la pente descendante se poursuit ? Simplement parce qu'une histoire de disparition mystérieuse, de fantômes, ça peut donner quelque chose.

"Tandis que je marchais, j'ai senti que je n'étais pas seule." (page 5).
C'est ainsi que commence le roman. La narratrice est à la péninsule de Manazuru, donc au bord de la mer.
"Je n'avais pas prévu que je passerais la nuit ici. [...] Je voulais prendre la ligne Chûô, mais sans que je m'explique pourquoi, c'est ver la ligne Tôkaidô que je me suis dirigée et je me suis retrouvée dans le train." (page 9).
Elle finit par descendre à un arrêt, Manazuru. Bref, si elle y est allée, et si elle y retournera, ce sera avant d'avoir remarqué ce nom dans le journal de son mari disparu (ce qu'elle ne fait qu'à la page 63, contrairement à ce qui est écrit en quatrième de couverture). A moins que ce ne fût inconscient, puisqu'elle l'avait déjà lu, ce journal.

Rei, le mari de la narratrice a donc disparu, comme ça, un jour, douze ans auparavant. A-t-il fui quelque chose ? Est-il mort ? Tout ceci est presque mystérieux.
Rei laisse derrrière elle notre trépidante héroïne, ainsi que sa fille de trois ans.
La mère de notre héroïne va vivre avec elle ainsi que sa fille, et on va nous répéter, souvent, très souvent, qu'il y a trois femmes dans la maison, et pas d'homme. Pour s'occuper un peu, notre héroïne va se lier avec un homme marié, Seiji, qu'elle a rencontré dans le cadre de son travail (elle écrit).

"Chaque fois que je vais faire des courses, des formes me suivent. [...] Les formes n'ont pas de densité. Inconsistantes, elles me suivent si je m'éloigne, s'éloignent si je m'approche. Il m'est impossible de distinguer si ce sont des hommes ou des femmes." (page 31).
Même pas peur. Voilà, les formes sont là, et puis elles ne sont plus là. Elles vont bientôt se faire plus précises, enfin une forme, celle d'une femme, va se détacher.
Notre héroïne, incitée par cette femme qui lui apparaît à aller une nouvelle fois à Manazuru, va se remémorer deux trois choses à propos de son mari, que bizarrement elle avait tenté d'oublier, et puis voilà. Ce qui donnera lieu à des scènes fantasmagoriques vraiment très longues et passablement ennuyeuses.
A part ça, elle ne va pas arrêter de se dire qu'elle aime Rei (son mari, donc), mais qu'elle aime Seiji, aussi. Mais que Seiji a l'air de penser qu'elle pense toujours à Rei (ce qui n'est pas faux). Mais quand même, elle aime bien coucher avec Seiji, etc.

Comme d'habitude chez l'auteur, il y a des discussions café du commerce (Kawakami n'est vraiment pas douée pour les dialogues), et du remplissage fascinant : "J'ai posé la marmite dans l'évier, j'ai tourné le robinet et fait couler l'eau. Je vais la laisser tremper, me suis-je dit. En même temps, j'ai fermé le robinet. Lorsque je fais quelque chose, il m'arrive d'évoquer les mots qui se rapportent à l'action en train de se faire, comme je peux tout aussi bien me représenter la scène, ou encore ne rien penser du tout." (page 22).
Parfois, c'est carrément stupide : "Qu'une voiture s'approche ou s'éloigne, elle finit toujours par passer en augmentant sa vitesse, c'est impossible de juger, non ?" page 50).

Sinon, un petit jeu de mots du texte français (volontaire ?) : "Seiji m'avait demandé d'écrire un roman. J'étais toujours sans nouvelles de lui [...]" (page 171).

Mais le mot de la fin est dit à la page 199 : "C'est sans intérêt, me dis-je encore une fois."
Exact.

Un roman avec beaucoup de longueurs (presque tout le livre, en fait), au style vraiment quelconque, qui débouche sur rien. Le mieux, c'est la couverture.
Il faudra vraiment des arguments forts pour me faire lire sa prochaine production.
Espérons que, dans la littérature japonaise contemporaine, il y a mieux à traduire.

 

Autre livre traduit en français : Le Temps qui va, le temps qui vient (sorti en 2011).


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