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Le Journal de Sarashina (Sarashina Nikki, 更科日記), par la "fille de Takasue, Sugawara no Takasue" (菅原孝標女 ; c.1008-c.1059)

 


L'auteure du Journal de Sarashina est connue seulement comme « la fille de Sugawara no Takasué ».
Elle est "la descendante à la sixième génération de l'illustre ministre et lettré Sugawara no Michizané (845-903), qui avait été le dernier rival sérieux des Fujiwara. Exilé loin de la Cour avec le titre de Gouverneur Général de Dazaï (du Kyûshû), on avait reconnu en lui après sa mort le « dieu céleste », tenjin, patron des lettres, de la poésie et de la calligraphie, aujourd'hui encore invoqué par les candidats aux examens, en son temple de Kitano à Kyôto." (Le Journal de Sarashina, introduction, page 11).
De plus, sa tante est l'auteur d'un des autres journaux japonais conservés, le Journal de l'éphémère...
La fille de Sugawara no Takasué est donc issue d'un milieu intéressé par les Lettres.

Outre le Journal de Sarashina, elle aurait écrit plusieurs Dits, dont Yoru no Nezame.

le journal de sarashina

Le Journal de Sarashina (Sarashina Nikki, 更科日記). Traduction par René Sieffert. Publications Orientalistes de France. 102 pages.

"Les spécialistes de la littérature japonaise classique ont regroupé sous la rubrique nikki, « notes journalières, journaux » ou uta-nikki, « journaux poétiques », sept textes de l'époque de Héian (IX° au XII siècle), qui ont tous, à l'exception du premier en date [Le Journal de Tosa], des femmes pour auteurs. De longueur et de contenu fort divers, ces oeuvres ont en commun d'être écrites en langue japonaise, d'être illustrées de nombreux tanka, « poèmes courts », et de rapporter des événements vécus par l'auteur. Il s'agit donc, indépendamment de leur valeur littéraire qui est grande, de témoignages irremplaçables de la vie quotidienne du temps, et singulièrement de la condition des femmes de la haute et moyenne aristocratie." (introduction, page 7).

L'introduction de René Sieffert résume dans les grandes lignes la vie de l'auteure, Sugawara no Takasue no Musume, née en 1008.
En 1017, son père étant nommé Lieutenant Gouverneur dans une province lointaine, "il laisse son épouse à la capitale, mais enmmène sa seconde épouse, son fils et ses deux filles. Ce séjour de trois ans loin de la Ville aura laissé une trace profonde dans l'esprit de la fillette qui note que pour la première fois elle y a en tendu parler de monogatari, des « dits », dont sa belle-mère et sa soeur aînée lui citent des bribes. Malheureusement, les manuscrits sont rares..." (page 13)

En 1020, c'est le retour à la Ville, après un trajet de 600 kilomètres qui prendra 90 jours. Elle y retrouve sa mère, et pourra enfin lire le Dit du Genji, six ou sept ans après la mort de Murasaki-shikibu.
Elle dévore les dits qu'elle peut se procurer, jusqu'à la mort de sa soeur aînée, en 1024. Puis, de 1024 à 1032, ses notes contiennent surtout des poèmes (il y en a soixante-quatre en tout dans l'oeuvre).
En 1032, son père devient Lieutenant Gouverneur d'une province peu convoitée. Mais ce coup-ci, elle ne peut pas accompagner son père et doit rester avec sa mère, avec qui elle s'entend mal. Cette situation dure jusqu'en 1036, date à laquelle le père revient, vieilli et aigri.
En 1039, elle réussit à entrer au service de la petite Princesse Yûshi, née l'année précédente, mais ses parents la forcent à un mariage avec un personnage assez médiocre. Ce qui est très étonnant c'est que, si l'introduction n'en parlait pas, le lecteur n'en saurait rien. En effet, le Journal l'ignore, jusqu'en 1057, date à laquelle le mari devient gouverneur de Shinano, "puis 1058 quand elle se lamente sur sa mort, ou plutôt, sur la solitude dans laquelle la laisse cette mort." (page 17). Entre-temps, elle a eu un enfant.
L'introduction apporte d'autres précisions intéressantes, qui permettent de mieux comprendre le texte. Pour une fois, résumer le livre dans l'introduction apporte quelque chose.

Plutôt qu'un journal à proprement parler, le Journal de Sarashina est "une suite de souvenirs, les plus anciens datant de la douzième année de l'auteur, sans doute choisis et mis en forme par elle vers la cinquantaine." (Jean-Jacques Origas, Dictionnaire de la littérature japonaise, puf, page 268)

Voici le début du Journal, avec en regard la version extraite des Journaux des dames de cour du Japon ancien (Picquier, traduit depuis l'anglais en 1925, semble-t-il, par Marc Logé) :

Traduction de René Sieffert
Version de Marc Logé
"Moi qui fus élevée en des régions au-delà du bout de la route d'Azuma, au fin fond du pays, combien devais-je être empruntée, et pourtant, comment pouvais-je m'en être avisée ? je sus qu'il existait en ce monde ce que l'on appelle les dits et je brûlais de l'envie d'en lire, cependant qu'aux jours de désoeuvrement, ou le soir à la veillée, j'écoutais ma soeur aînée ou ma belle-mère qui citaient des passages de tel ou tel dit, ou commentaient les faits et gestes de Genji le Radieux, ce qui ne faisait qu'exciter ma curiosité, mais comment eussent-elles pu de mémoire m'en dire autant que je l'eusse souhaité ?" (page 27). "J'ai été élevée dans une lointaine province, située au-delà de l'extrémité la plus éloignée de la Route de l'Est... j'ai honte de songer que les habitants de la Cité Impériale me considéreront une fille sans éducation.
Je me rendis compte, je ne sais trop comment, qu'il existait des romans dans le monde, et je voulus les lire. Lorqu'il n'y avait plus rien à faire, le jour ou le soir, ma soeur aînée ou ma belle-mère me contait une histoire ou l'autre, et j'écoutais ainsi plusieurs chapitres de l'éblouissant prince Genji.
" (page 23).


L'auteure parle de son voyage de retour vers Kyoto, qu'elle fait avec son père. "À une certaine distance, au lieu dit Hahasô, se trouvent des pierres de fondation, vestiges d'un manoir. Je m'enquiers de l'histoire de ces lieux, et voici ce que l'on me conte :
« Ceci est l'endroit jadis nommé la Montée de Takéshiba. Un homme de ce pays que le Gouverneur avait envoyé au Palais en qualité de garde chargé de l'entretien des feux, alors qu'il balayait le jardin impérial, parlait pour lui-même : «Ah, qu'est-ce donc qui me vaut ce triste sort ?
" (page 31). Il s'agit de l'épisode qui sera repris par Dan Kazuo dans sa nouvelle Un chemin de lumière (que l'on trouve en français dans l'Anthologie de nouvelles japonaises contemporaines, tome 3 - Amours).

Elle décrit aussi quelques payages traversés.
"Le Mont Fuji est dans cette province. C'est une montagne que l'on apercevait, à l'ouest, depuis la province où j'ai grandi. La forme de cette montagne ne se voit nulle part ailleurs au monde. Et comme sur cette montagne à l'aspect étrange, que l'on dirait peinte en vert-bleu, s'entasse une neige qui jamais ne fond, elle paraît vêtue d'un surtout blanc sur une robe de couleur foncée, cependant que du sommet un peu aplati s'élève une colonne de fumée. Au crépuscule, l'on y voit parfois des lueurs de flammes." (pages 35-36).

fujiwara
Sarashina Nikki. Calligraphie de Fujiwara no Sadaie (1162-1241).

"Quand nous franchissons le Mont Miyaji, et encore que ce soit le dernier jour de la dixième lune, le feuillage rutilant est encore dans toute sa splendeur.
Pour sûr la tourmente
de son souffle ne balaie
le Mont Miyaji
le feuillage rutilant
sur les branches est resté.


Le gué de Shikasu, entre Mikawa et Owari, a de quoi vous rendre perplexe en effet, comme le dit le poème, chose plaisante !
" (page 38)

La voici enfin de retour à la Ville (nous sommes en 1020) :
"L'endroit est vaste et abandonné, au point que l'on se croirait non dans la Ville, mais en pleine montagne, tant les arbres immenses lui donnent un air sinistre, qui ne le cède aux monts que nous venons de traverser. À peine arrivée, et malgré toute l'agitation qui régnait, car je ne pensais qu'à cela, j'ai tourmenté ma mère : « Cherchez-moi des dits ! cherchez-moi des dits ! », si bien qu'elle a adressé une lettre à l'une de ses parentes [...] et celle-ci, charmée et heureuse de lui plaire, lui a envoyé, rangés sur le couvercle d'une boîte à écritoire, des cahiers superbes [...]. Au comble de la joie, jour et nuit je ne fais que lire ceux-ci, et mise en appétit, j'en voudrais d'autres et d'autre encore, mais dans ce coin de la Ville où nous venons tout juste d'arriver, qui dont se soucierait de me procurer des dits." (page 40).

Plus tard, elle peut enfin lire le Dit du Genji, livre après livre, "sans personne pour m'en distraire, étendue à l'intérieur de mes rideaux, plus heureuse qu'une impératrice !" (page 43). Ah, le bonheur de la lecture ! Mais, peut-être à cause de tant de lectures ou plutôt de son imagination, elle fait parfois des rêves étranges...


Les années continuent à passer...
Plus loin, nous sommes en 1040. Les choses ont changé.
"
Par la suite, absorbée par de multiples tâches, je finis même par oublier complètement les dits, et dans cette vie austère, mon esprit enfin trouve son aplomb : comment ai-je pu, de toutes ces années, vivre dans l'insouciance, sans pratique pieuse ni dévotion ? Les espérances que j'avais nourries, pouvaient-elles seulement se réaliser en ce monde ? D'hommes pareils à Genji le Radieux, en existait-il en ce monde ?" (page 74).

"L'intérêt principal de l'oeuvre est de nous introduire dans l'intimité d'une femme de moyenne noblesse, qui, à la différence des autres femmes de lettres de son temps, n'a jamais vécu à la cour." (Dictionnaire de littérature japonaise, page 268).
C'est un texte très intéressant et, après avoir lu l'introduction, on lit avec attention, en essayant de deviner les événements cachés entre les lignes.

Annexe :
"Le compositeur Péter Eötvös a utilisé deux des poèmes du journal et leurs réponses dans son morceau pour violoncelliste-récitant Two poems for Polly et s'est inspiré de sa vie pour son opéra Lady Sarashina, créé à Lyon le 4 mars 2008." (Wikipedia).

 

 

 

 



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