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TSUTSUI Yasutaka

(Osaka, 24/09/1934 - )

Yasutaka Tsutsui

Auteur de romans et de pièces de théâtre, Tsutsui Yasutaka est également acteur. Après avoir commencé comme auteur de Science-Fiction dans les années 1960, il a reçu de nombreux prix, dont le prix Tanizaki en 1987 (pour Yumenokizaka-Bunkiten, 夢の木坂分岐点), le prix Kawabata en 1989 (pour Yoppatani e no kōka, ヨッパ谷への降下) , le prix Izumi Kyoka en 1981 (pour Kyojin-Tachi, 虚人たち), et le Japan SF award en 1992 (pour Asa no Gasupāru, 朝のガスパール).
.
On trouvera des éléments biographiques très intéressants (en anglais) sur le site http://www.jali.or.jp/tti/en/prof-en.htm. Tsutstui avait arrêté de publier en 1993, à la suite d'une polémique causée par une nouvelle pourtant écrite en 1964, Mujin keisatsu (Police sans policier") : l'association japonaise des épileptiques avait protesté contre des expressions discriminatoires....

En 1996, "
Tsutsui, après trois années de renoncement à l'écriture, sous la condition d'obtenir des éditeurs un engagement écrit qu'ils ne lui imposeront aucune restriction de vocabulaire ou autre, reprends son travail avec les maisons d'édition" (Ozaki Mariko, Ecrire au Japon, Editions Philippe Picquier, page 126).

Jean Cholley, à la fin de son introduction au Je suis un chat, le livre de Sôseki Natsume, écrit que ce roman "
suffit amplement à démentir l'opinion si répandue selon laquelle les Japonais manquent d'humour."

Force est de constater que la plupart des romans ou nouvelles japonaises ne sont pas ce qu'il y a de plus drôle... Heureusement, Tsutsui Yasutaka est là !

Le censeur des rêves

Le Censeur de rêves (260 pages, Stock, nouvelles traduites par Jean-Christian Bouvier, Jean-François Laffont et Tadahiro Oku). Ce recueil contient onze nouvelles :

- Le Censeur des rêves : c'est la nouvelle qui donne son titre au livre, sans doute parce qu'elle fait pas mal sur la couverture, même si ce n'est pas la meilleure. Le tribunal du rêve doit gérer les éléments du rêve de la dame dont ils occupent l'esprit, si l'on peut dire, en tâchant de ne pas la réveiller . Or, comme cette dame a connu un drame récemment, du coup ses rêves ne sont pas du genre comique. Le tribunal doit donc censurer, transformer, changer les acteurs des rêves, les décors, pour les rendre méconnaissables et que, ainsi, elle ne se réveille pas en larmes...

- Le Cercle des Gentes Dames du Quartier : excellente nouvelle, drôle et effroyable, dont il vaut mieux ne rien dire pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur.

- Soldat à la journée : pour faire face à la baisse des conscrits volontaires dans l'armée, le gouvernement gallibien (les nouvelles de Tsutsui ont souvent pour cadre des petits pays imaginaires) lance un nouveau type de contrat de travail : soldat à la journée. Avantage parmi d'autres : le soldat peut repartir chez lui le soir (la Gallibie étant un petit pays, les transports en commun amènent vite sur le front). La nouvelle, qui nous fait suivre les mésaventures d'un Japonais représentant d'une société qui vend des fusils, va jusqu'au bout du raisonnement. Très bien.

- Bombe africaine : une des nouvelles les plus drôles du recueil. L'action se situe en Afrique. Apprenant que le Mekta s'est doté de la bombe atomique, le petit état voisin (moins de cent familles), veut en faire autant et achète donc, pour une bouchée de pain, un missile nucléaire qui menace à tout moment d'exploser, anéantissant la Terre par la même occasion... Trajet cahoteux dans la jungle, cabines téléphoniques planquées pour que les touristes ne les voient pas parce que ça ne fait pas traditionnel, etc. Burlesque, non-sens... excellent !

- Les poissons : Un couple et leur fils vont pêcher dans une rivière. Les parents se trouvent coincés sur un banc de sable alors que l'eau monte et que les poissons pullulent autour d'eux... pas vraiment drôle (sauf si l'on trouve Kafka comique, comme il considérait lui-même ses textes). Bien, mais curieux.

- Le Vent : il s'agit d'une discussion bizarre, sans aucune description. On reste un peu perplexe (en tout cas, moi).

- Plantée là... : voici une excellente nouvelle ! Pas vraiment drôle, elle se situe dans un monde légèrement alternatif, une dictature sans camps d'extermination mais qui se débarrasse des opposants (des gens qui ont eu le tort d'émettre des idées subversives) d'une manière proprement ahurissante : elle les plante. Eh oui. Il faut lire cette nouvelle. Effrayant.

- Le lit, mode d'emploi : petit essai humoristico-burlesque en forme de mode d'emploi, ou comment se coucher sur un lit sans risquer de rebondir et de s'écraser sur le plafond, et comment s'endormir en échappant à tous les dangers. Marrant mais un peu long (14 pages, quand même...).

- L'étrange homme-tatami : un homme s'endort, ivre, sur son tatami. Le lendemain, il constate que le maillage du tatami s'est incrusté sur son visage... Peut-il aller travailler dans ces conditions ? Est-ce une punition pour avoir négligé d'entretenir son tatami ? Nouvelle légèrement absurde, pas mal du tout. Tsutsui va jusqu'au bout des situations bizarres.

- Une rumeur me concernant : un peu comme dans la nouvelle de Dino Buzzati, Le défunt par erreur, un homme s'aperçoit qu'on parle de lui dans les médias. Sauf qu'ici, contrairement à la nouvelle de Buzzati, cet homme assiste à un compte rendu exhaustif, à la télévision et dans la presse, de ses moindres faits et gestes, par exemple le râteau qu'il se prend auprès d'une charmante secrétaire... Que se passe-t-il ? Sa photo s'étale à la une des journaux, des experts sont interviewés à son propos, les envoyés spéciaux sont sur les dents... Très marrant, surtout en ces temps de téléréalité débilitante.

- Genèse bavarde : effectivement. La nouvelle commence ainsi : "
Don'don' était père de Don'doko. Don'doko, fils de Don'don', engendra Don'dokodon, lequel engendra Dokodon'don et Don'takata qui put engendrer Dokatan'tan. Don'takata, après avoir engendré..." Puis vient Zoubizouba, Zoubazou, Oum'dabada, Bazoumbazoum, Scoubidouwah, Grocaillou, Ripou, Roudoudou, Madoudoou, Yoplaboum, etc. etc. Rigolo, mais sans beaucoup plus (sauf si j'ai raté quelque chose !). Et puis ça dure douze pages...

Donc, un très, très bon livre, différent de ce qu'on peut lire ailleurs. L'auteur ne cherche pas à faire de la littérature tape-à-l'oeil, il raconte des histoires politiquement incorrectes remplies d'absurde, de provocation, de n'importe quoi, de critiques des médias et de la société... Au final, ses textes ont sans doute plus de profondeur que bien des livres qui roulent des mécaniques trop ostensiblement...

Les cours particuliers

Les Cours particuliers du professeur Tadano (Bungakubu Tadano Kyōju, 文学部唯野教授, 353 pages, Stock, roman traduit par Jeanne Cotinet et Tadahiro Oku).
Ce roman est, principalement, une satire du milieu universitaire japonais au sens large : Tsutsui tire sur tout ce qui bouge, des élèves crétins au corps enseignant opportuniste, en passant par les critiques qui emploient des termes compliqués et fumeux pour que les écrivains critiqués ne puissent pas les comprendre et ainsi être en mesure de répliquer (pages 264-265), ou bien encore les journalistes (cible facile s'il en est ; un journaliste demande au professeur Tadano de rédiger un article en ces termes : "
Ce devra être écrit simplement. Nos lecteurs sont plutôt jeunes et des femmes", page 322).

Les enseignants, eux, sont présentés comme pleutres - avec toutefois des éclats sporadiques ridicules ("
Je veux une mort digne d'un professeur ! Je veux mourir de sénilité !" page 332) - globalement assez ignorants ( "Il faut savoir que les professeurs sont tenus de publier une fois par an les résultats de leurs recherches, mais dans la plupart des cas, les résultats étant inexistants, ils se contentent de présenter quelque fumisterie de leur cru", page 74), mais également sans morale, avides de pouvoir, pourris par la jalousie et l'auto-satisfaction ; ainsi, les enseignants se réunissent toutes les semaines pour écouter pérorer les "gros bonnets", s'auto-congratuler, se mettre en valeur lors de monologues lamentables : "Vingt minutes après le début du discours de Saiki, Shishinari et deux autres enseignants s'éclipsèrent. Dans ces cas-là, on allait au café. Ce fut ensuite Iinuma qui se leva. Tadano devina aisément où il se rendait : au sauna, c'était sûr. On avait le temps, pendant que les professeurs parlaient, d'aller se faire masser tranquillement et de revenir ensuite. Il était même arrivé, disait-on, que l'on retrouvât au retour le même orateur en action. Mais pour un bleu comme Tadano, sans aucun pouvoir, il était absolument exclu de songer à quitter la salle" (page 75).
Les réunions se prolongent jusqu'à pas d'heure, après quoi la soirée se termine dans un bar, avec séance karaoké, etc. Et Tadano, notre héros, est bien obligé de suivre le mouvement, car en cas d'absence, on lui casserait du sucre sur le dos, ce qui serait évidemment nuisible à sa carrière.

Les attaques en règle contre les professeurs se portent également sur les élèves : "
En se servant habilement de ses pouvoirs, [Narita] est parvenu à se voir confier des fonctions d'enseignant. De tels exemples d'un directeur administratif devenant professeur existent dans d'autres universités aussi, mais le plus souvent ceux-ci n'ont pas fait suffisamment de recherche pour obtenir de vrais séminaires et se contentent d'exposer leur vision triviale de la vie humaine dans des cours opportunément intitulés "La vie et l'art", "Logique et société", etc. Certes, c'est regrettable pour les étudiants qui s'y sont inscrits, mais tout compte fait, il faut être bien peu sérieux et sans intention réelle de travailler pour choisir des cours aux titres aussi énigmatiques ; nous ne nous apitoierons donc pas sur leur sort" (page 67-68). Au passage, ces intitulés de cours peuvent en rappeler d'autres, dans certaines écoles en France...

Tadano est un professeur très bavard, qui ne peut s'empêcher de sortir des inepties pour meubler la conversation ou tenter de la détourner ("
Chut. Tadano regarda autour de lui. Les étudiants sont tous des espions. Ceux du département de littérature anglo-américaine reçoivent des subsides de la CIA", page 132 ; ou encore "J'ai horreur d'écouter les excuses des autres mais j'adore leur faire entendre les miennes ; parfaitement.", page 134). Malheureusement, lorsqu'il commence à ouvrir la bouche, il ne sait pas où le fil de son raisonnement va le mener, et c'est rarement dans la bonne direction. Parfois, le style même du roman est contaminé par la propension qu'a le professeur à tenir des propos étranges : "Pour qui était-il fait : la demoiselle de bonne famille, ou l'hôtesse de bar ? Il éprouvait le tourment de la langouste un soir de pleine lune, et cette nuit-là, il ne put trouver le sommeil" (page 172).
A part ce petit problème, il est un excellent professeur (un professeur idéal, comme il est dit, dans un passage très amusant de méta-récit, pages 220-221). Et cela tombe bien, car une partie considérable du roman reprend le contenu de ses cours de critique littéraire. Le lecteur est ainsi gratifié d'exposés (souvent... critiques) sur La critique impressionniste, le formalisme russe, la phénoménologie, l'herméneutique, le structuralisme, etc., le tout agrémenté de nombreuses notes biographiques (de Derrida, Husserl, Heidegger, Barthes, etc., et même de Tsutsui !) ainsi que de commentaires sur le fonctionnement des universités (par exemple, page 141 : "
Lorsqu'un cours ou séminaire apprécié des étudiants voit son public augmenter, on effectue un changement de salle, ce qui suscite parfois des jalousies et des commentaires déplaisants de la part des autres professeurs") dont on peut supposer qu'elles sont de l'auteur (le texte n'est pas accompagné de "NdT").

Ses cours sont remplis d'exemples concrets, souvent ironiques, qui ramènent les concepts souvent fumeux ou très abstraits à un niveau très terre à terre. Et l'atterrissage peut faire mal. Ainsi, dans son cours sur l'herméneutique, le professeur Tadano définit l'authenticité tel que l'entend Heidegger : "
L'authenticité au contraire, c'est quand l'homme fait face à sa souffrance et à sa peine, qu'il l'assume, sans chercher à lui échapper en faisant du tourisme de masse ou en se réfugiant dans la bouffe, bref, qu'il existe réellement en tant que lui-même. Des hommes comme ça, vous ne risquez pas d'en rencontrer dans le Japon d'aujourd'hui." (page 192).
Ou encore, à propos de la sollicitude tel que la définit Heidegger : "
Tenez, par exemple, quand on aide les autres, quand on couche avec eux, quand on les trahit, quand on se fait transmettre le virus du sida, tout ça, c'est de la sollicitude dans la terminologie de Heidegger". Le mauvais goût n'est donc pas bien loin...

Finalement, un roman très drôle, pas mal provocateur, pédagogique (on ne lit pas idiot, si je puis dire) grâce aux cours du professeur, dont les personnages sont caricaturaux mais (ou à cause de cela) immédiatement évocateurs. On pourrait peut-être lui reprocher, sur le fond, un petit flottement dans certains développements de l'histoire, notamment en ce qui concerne l'étudiante Namiko Enomoto.

La traversée du temps

La traversée du temps (Toki e kakeru shojo, 時をかける少女, 1976, 147 pages, L'école des loisirs, roman traduit en 1990 par Jean-Christian Bouvier).
Ce roman, petit de taille - 147 pages, interlignage propice aux courants d'air - comme d'ambition, est destiné à la jeunesse.
Comme son titre le laisse augurer, l'intrigue - très classique, surtout si on a lu Pierre Boulle, Philip K. Dick, etc. - relève de la Science-Fiction.

Un jour, après l'école, Kazuko (l'héroïne) se trouve à nettoyer l'étage de sciences en compagnie de deux camarades."Après avoir déposé le sac poubelle derrière l'école, Kazuko remonta ranger les ustensiles de ménage. Tout le matériel était entreposé dans la salle de travaux pratiques dont une porte donnait sur le couloir et l'autre sur la classe de sciences naturelles. Kazuko passa par la salle de classe et posa la main sur le bouton de la porte.
Elle s'immobilisa, la main crispée sur la poignée : elle avait entendu un bruit derrière la mince cloison
" (pages 11-12)
Plus loin : "Quelqu'un était en train de faire une expérience... mais qui ? Où était-il ?" (page 13).
Comme on le voit, l'auteur sait ménager le suspens au cours d'une histoire un peu naïve, écrite de manière simple et sans fioritures.
Un petit livre sympathique (qui, un temps, fait un peu penser à L'Ecole emportée, le manga de Umezu Kasuo - mais l'histoire n'a finalement rien à voir), qui n'est pas franchement marquant dans l'oeuvre de Tsutsui : il manque de personnalité, on n'y retrouve pas le sarcasme et le politiquement incorrect de l'auteur des Cours particuliers du Professeur Tadano.
Normal, c'est un texte destiné à la jeunesse. Il ne faut pas pervertir trop tôt ces chers petits...

Si l'on cherche à toute force une originalité, peut-être pourrait-on trouver celle-ci : le héros est une héroïne, ce qui n'est sans doute pas si courant que cela dans les histoires de Science-Fiction destinées aux jeunes... encore qu'au Japon, je n'en sais rien !

A noter que ce livre a déjà été adapté trois fois, dont la dernière sous forme d'animé sorti au Japon le 15 juillet 2006. Comme quoi une histoire simple se prête souvent mieux à des adaptations qu'un grand chef-d'oeuvre compliqué. Ceci dit, l'animé est la meileure des trois versions, et de très loin.

La traversée du temps

 

hell
Hell, à droite, discute avec Wittgenstein, à gauche, qui visitait en même temps que lui la fameuse cathédrale de Moulins, le 28 septembre 2013.

Hell (Heru, ヘル, 2003). Traduit du japonais par Jean-Christian Bouvier. 156 pages. Editions Wombat.
C'est un curieux livre, disons-le tout de suite.
On commence avec plusieurs personnages, des enfants : Nobuteru et ses deux camarades Yuzô et Takeshi jouent. Yûzo est plutôt du genre costaud. Le voici en pleine action :
"S'essuyant le nez, il étala sur la paume de sa main une longue coulée de morve dont il tenta de barbouiller le visage de Nobuteru. Celui-ci poussa un cri dégoûté et fit un bond en arrière, heurtant Takeshi qui tomba à la renverse, atterrit brutalement sur le sol et, la jambe gauche étrangement tordue, se mit à hurler de douleur." (pages 5-6).
Takeshi va devoir utiliser des béquilles pendant toute sa vie.
Les trois enfants sont séparés pendant la Seconde Guerre Mondiale. Chacun vit sa vie. Takeshi sera cadre de haut niveau, Yûzo sera yakuza...
Passons à la page 12. "Or, entre le cinquantième-septième anniversaire de Nobuteru et l'épisode de la boulette de riz gluant qui avait failli étouffer ce dernier à l'âge de soixante-dix ans, Takeshi se rerouva dans une sorte de bar sombre et enfumé. Il était mort. Ce qu'ignorait Nobuteru, c'est que Takeshi s'était fait écraser par une voiture à l'âge de cinquante-sept ans. Il ne boitait plus ; en passant dans le monde de l'éternité, son corps déchiqueté et ses organes éclatés avaient repris leur forme d'origine. Les autres personnes qu'il avait croisées ici appelaient cet endroit l'Enfer. Mais il n'était pas inquiet. Un homme d'apparence familière (l'avait-il connu autrefois ?) lui avait donné l'explication suivante à son arrivée :
- L'Enfer, c'est juste un endroit sans dieu ni bouddha. Au fond, les Japonais ne sont pas religieux, alors il n'y a pas beaucoup de différences entre ce monde et celui des vivants.
" (pages 12-13).

"L'Enfer était-il simplement un monde sans dieu ni bouddha ? Tout ce pour quoi Takeshi avait travaillé si dur dans la vie n'avait-il vraiment aucun sens ? Pourquoi les douleurs et les tourments de sa jeunesse lui paraissaient-ils à présent si ridicules ? Tous les nouveaux arrivants de l'Enfer éprouvaient le même sentiment, et pas seulement à l'égard de leur propre vie. Ce qui se produisait dans le monde des vivants - et qui aurait dû se produire en Enfer - semblait totalement futile. Etait-ce la véritable raison d'être de l'Enfer ? Faire oublier aux gens leurs attaches avec leurs vies antérieures ?" (page 31).

La frontière entre le monde réel et l'Enfer est assez poreuse, et la notion de temps est bien fluctuante. En Enfer, il y a des restaurants comme dans le monde réel, on paye avec l'argent qui apparaît dans son portefeuille : pas besoin de trop regarder l'addition, le compte sera bon. Il y a aussi des moyens de transports, des cinémas... Mais le film peut être une fenêtre ouverte sur le réel.
Un avion peut mener en Enfer :
"Le terminal était un bâtiment morne et quelconque, surmonté d'un grand néon violet, allumé même en plein jour, qui annonçait « L'ENFER »." (page 123).

Aussitôt après la mort, les gens sont sereins. Etre mort n'empêche pas de rire (parfois) ni d'être soulagé d'avoir laissé tous les sentiments d'envie, de colère et de rancune derrière soi. Chacun peut voir la vie de l'autre. Est-ce la description d'un monde idéal ?

Par contre, juste avant, ils regrettent tous de ne pas avoir assez eu de sexe, de ne pas avoir fini des maquettes, de laisser leurs chiens favoris... Ils s'agitent beaucoup.
Parfois, quand même, ils désirent la mort :
"- Qu'est-ce qui m'attend chez moi, de toute manière, s'écria le photographe. Une femme qui ressemble à Godzilla et trois morveux ! J'en ai marre d'être esclave ! Le capitalisme, les médias - qu'ils aillent tous en Enfer ! Qu'on en finisse, allez ! Je n'ai aucune raison de vivre. Mais avant de mourir, juste une fois, me taper un joli petit lot comme toi !
Il se jeta sur Mayumi, qui le griffa au visage.
- Mais c'est un cauchemar ! s'écria de nouveau Mazumi. Je viens de m'acheter un grand lit et j'ai commencé un petit ensemble Chanel ! Je ne peux pas mourir !
" (page 128-129).
Certaines scènes d'avion font un peu penser au dernier film en date d'Almodovar, les Amants Passagers (Los amantes pasajeros, 2013).

C'est amusant, mais ça relève quand même souvent de la critique classique de la société, et de la provoc un peu facile (comme ma photo : il faut que la forme et le fond aillent ensemble, comme aurait dit Victor Hugo, mais en mieux que moi). C'est grinçant, grotesque, sympathique en somme.
C'est parfois bien fait (bonnes scènes absurdo-cauchemardesques d'errance dans les coulisses d'un théâtre, par exemple...), mais ça n'est pas le meilleur de ce qui a déjà été publié de Tsutsui, loin de là. Il n'y a pas vraiment d'histoire ; Tsutsui brouille un peu la chronologie des événements pour que le lecteur découvre progressivement quelques détails sur la vie de chacun... mais la trame est un peu lâche, ça manque de matière.

Donc, pourquoi avoir traduit ce livre-ci et pas un autre de l'auteur ?
Il n'est pas désagréable, certes, souvent amusant, on voit clairement bien la critique de la société, il est vite lu, et la couverture n'est pas commerciale du tout (ça change, j'aime bien : enfin une couverture fouillis, pas propre sur elle)...

Mais quand même, il faut le dire : il y a tant d'inédits de l'auteur ! J'aimerais lire le livre qui a reçu le Prix Kawabata, et encore celui qui a reçu le Prix Tanizaki, et tant que j'y suis à faire ma liste au Père Noël, celui qui a reçu le Prix Izumi Kyoka, et puis - soyons fous ! - celui qui a reçu le Japan SF Award... Ah, et Paprika, aussi.
Alors oui, bien sûr, si ça tarde trop, je vais le lire en anglais, celui-là. Mais tant d'autres ne sont pas disponibles en anglais non plus, hélas !

Presque quinze ans séparent la précédente parution de ce roman, Hell... Et ce livre n'a apparemment été publié que grâce au JLPP, le Programme de Publication de Littérature Japonaise qui, aux dernières nouvelles, devait disparaître pour une raison absurde. Ça ne me rend pas optimiste pour la suite.
J'espère être déçu en bien, comme disent nos amis Suisses.


Toute petite note pour finir : il y a un "avec" au lieu d'un "avait", en bas de la page 23. Ça n'est pas bien grave.

Films tirés de son oeuvre :
-
Oreno chi wa tanin no chi (1974), réalisé par Masuda Toshio
- Weekend Shuffle (1982), réalisé par Genji Nakamura
- Toki o kakeru shôjo (d'après La Traversée du temps,1983), réalisé par Obayashi Nobuhiko
- Jazz Daimyo (1986), réalisé par Okamoto Kihachi
- Bungakusho satsujin jiken: Oinaru jyoso (1989), réalisé par Suzuki Norifumi
- Kowagaru hitobito (1994), réalisé par Wada Makoto.
- Otokotachi no kaita e (1996), réalisé par Ito Hidehiro
- Toki o kakeru shôjo (d'après La Traversée du temps, 1997), réalisé par Kadokawa Haruki
- Watashi no guranpa (2003), réalisé par Higashi Yoichi. Golden Zenith du meilleur film asiatique au Montréal World Film Festival
- Toki o kakeru shôjo (d'après La Traversée du temps, 2006), animé réalisé par Hosoda Mamoru (qui avait commis les Digimon...)
- Everyone But Japan Sinks (2006), réalisé par Kawasaki Minoru.
- Paprika (Papurika, 2006), réalisé par Satoshi Kon...
Satoshi Kon
... beaucoup trop tôt disparu (1963-2010), une grosse perte pour le cinéma et pour nous. Paprika est un chef-d'oeuvre de l'animé, et du cinéma tout court, un sommet de sur-réalisme et d'inventions visuelles.
Le roman et le film :
Paprika
  Paprika

Quelques images du film, avec la musique de Susumu Hirasawa.


On peut entendre la voix de Tsutsui dans :
- Senya ichiya monogatari (1969), en compagnie notamment de Yoshiyuki Junnosuke, Endô Shusaku... Un film d'animation de Yamamoto Eiichi.
- Kinpatsu no souge (2000), réalisé par Inudou Isshin.

Tsutsui est également acteur :
- Bungakusho satsujin jiken : Oinaru jyoso (1989), réalisé par Suzuki Norifumi
- Kowagaru hitobito (1994), réalisé par Wada Makoto
- Namida tataete bishô seyo : Meiji no musuko, Shimada Seijiro (1975). Film pour la télévision réalisé par Kuze Teruhiko.
- Ki no ue no sogyo (1997), réalisé par Ishikawa Atsushi
- Meguriai (1998), série télé.
- Sôseiji (1999) : autrement dit Gemini, le film de Tsukamoto Shinya, d'après l'oeuvre de Ranpo Edogawa. Bof bof...
- Hakuchi (1999), film réalisé par Tezuka Makoto (le fils du grand mangaka Tezuka Osamu). Adaptation ratée du chef d'oeuvre de Sakaguchi Ango.
- Shisha no gakuensai (2000), film réalisé par Shinohara Tetsuo (l'auteur de Inochi, 2002, d'après Yu Miri).
- Hojo Tokimune (2001) série télé réalisé par Yoshimura Yoshiyuki. On notera la présence de Watanabe Ken.
- Stacy (2001), réalisé par Tomomatsu Naoyuki. La traduction du titre américain donne : L'Attaque des écoliers Zombies. Ça a l'air nul, et il paraît que ça l'est. Mais la frontière entre le film nul et un film marrant parce que nul est parfois mince...
- Jam Films (2002). Présenté au festival de Cannes. Courts métrages de huit réalisateurs différents. Tsutsui Yasutaka apparaît dans celui réalisé par Ida Jôji (Georges iida), le réalisateur d'un Ring 2 (Rasen, 1998, donc réalisé un an avant celui, beaucoup plus connu, de Nakata Nideo), de Tokyo-Babylon 1999 (1993, d'après le manga de Clamp) et de Dragon Head (2003, d'après le manga de Minetaro Mochizuki).
- Eli, Eli, lema sabachtani ? (2005), réalisé par Aoyama Shiji (le réalisateur du très bon Eureka en 2000, et du beaucoup moins bon Desert Moon).
- Yokubo (2005), réalisé par Shinohara Tetsuo, qui avait déjà porté à l'écran des oeuvres de Yu Miri et Murakami Ryû.


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