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Frans Janssen van der Heiden
(1638 ? - 1681 ?)
 

le naufrage du terschelling
Couverture : lithographie de Gudin (détail)


- Le Naufrage du Terschelling sur les côtes du Bengale (1661). Où l'on voit des effets extraordinaires de la faim, & plusieurs autres choses remarquables arrivées à ceux qui montaient ce vaisseau. Par Frans Janssen van der Heiden. Traduit et annoté par Henja Vlaardingerbroeck et Xavier de Castro. Editions Chandeigne. 220 pages. Illustrations de l'édition originale signées D. Bsoboom

"La littérature de naufrage s'est essentiellement constituée à partir des désastres qui ont jalonné par dizaines, pendant tout le XVI° siècle, la ligne maritime de l'Inde que Vasco de Gama avait ouverte en 1498. [...]
Quand, à partir de 1585, le port de Lisbonne se ferma brutalement aux navires des hérétiques hollandais, les marchands des Provinces-Unies décidèrent d'armer eux-mêmes leurs flottes pour aller quérir les épices et autres biens de l'Orient.
" (introduction, page 7).

L'éditeur de 1681, à la fin d'une préface un petit peu sensationnaliste, écrit :
"Quoi qu'il en soit, je ne pense pas que le lecteur puisse me savoir mauvais gré de la relation que je lui donne. Si elle n'est pas gaie, les sujets les plus enjoués ne sont pas toujours les plus utiles ; et il n'est pas mal à propos de faire quelquefois des lectures qui nous font connaître ce que nous sommes et ce que nous pouvons." (page 40).

frontispice
Frontispice de l'édition de 1681.


Dans son avertissement au lecteur, l'auteur, Frans Janssen van der Heiden, écrit :
"Ces aventures nous incitent à craindre, à honorer et à exalter avec une humble soumission la volonté de Dieu tout-puissant.
Nous y voyons d'innombrables dangers et les terribles misères des mariniers ; la redoutable violence des vents et des flots ; les difficultés ravageuses et souvent inévitables des bancs de sable ; des îles désertes et sauvages ; d'incroyables famines ; des hommes affaiblis et maigres à l'extrême ; des herbes inconnues et vénéneuses, des fruits, d'étranges feuilles d'arbres, des bêtes putréfiées, marines ou terrestres, des serpents, crapauds et limaces, des charognes puantes et pourrissantes et comment elles furent mangées ; quelles décisions atroces et désespérées furent prises ; et de quelles manières, souventes fois, le salut advint par miracle. [...]
En outre, on pourra lire ici quelques pages sur les moeurs des nations étrangères, principalement sur l'immense empire du grand Moghol et les puissantes armées avec lesquelles ses peuples partent souvent à la guerre.
" (pas 41-42).

Mais voici que commence le récit.

"Le 3 septembre de l'an 1661, nous partîmes de Batavia avec les quatre vaisseaux nommés Terschelling, Wezop, Brouwershaven et Nieuwenhove, et fîmes voile vers le pays de Bengale, où nos devions faire escale à Hugli." (page 43)
Batavia, c'est bien sûr le nom qu'a porté Jakarta pendant une parenthèse de quelques siècles (1619 à 1945).
Voici le trajet de Jakarta à Hugli, d'après googlemap, que l'on pourrait faire actuellement en utilisant principalement la route : 6 405 km et 150 heures en voiture et ferry.

carte

C'était un peu plus compliqué au XVII° siècle...
"Je fus assigné au Terschelling, qui était monté de quelque vingt-huit pièces de canon l'équipage était de 85 hommes en tout, et sa charge d'argent monnayé, de poteries d'étain et de planches." (page 43).
Alors qu'il est près de la côte du Bengale, le vaisseau heurte le fond et s'échoue. Nos héros sont coincés, ils ne parviennent pas à trouver de chenal par où s'échapper.
"Dès lors nous fûmes tous affligés, hormis les deux pilotes qui se soucièrent davantage de courir à leur baril d'eau-de-vie, qu'ils serraient en lieu sûr, que de sauver leur propre vie." (page 46).
Le temps devient exécrable, la houle se met de la partie et secoue le vaisseau qui manque sans cesse de se briser. Certains prient Dieu ; les pilotes, eux "levaient leur verre d'arak en lançant à la cantonade qu'ils aimaient mieux finir le gosier rempli de gnôle que d'eau salée." (page 47).
Par miracle, le vaisseau est soulevé et se retrouve libre, mais il prend l'eau : il est urgent d'arriver quelque part... mais dans quelle direction faut-il se diriger ?
Heureusement, quelqu'un aperçoit le rivage. À cause des éléments déchaînés, y parvenir est toutefois très difficile, et nombreux sont ceux qui se préparent à la mort.
Toutefois, nos héros parviennent à terre, pour se rendre compte que ce n'est pas le continent, ni quelque grande terre, mais une île sans source d'eau. Cela va les contraindre à boire de l'eau de mer... et à avoir très faim.
Les voici qui explorent la rive :
"Poursuivant notre route, nous tombâmes peu après sur un buffle, gisant sur la plage, dont le crâne était rongé par les vers. Nous vîmes des iguanes qui se nourrissaient de sa graisse fondue, car le cadavre cuisait au soleil, et de ses entrailles en grande partie pourries. L'extrême puanteur de la bête nous fit fuir. Nous ignorions alors qu'ils nous restait encore vingt jours à tenir en ces lieux et que pour sauver nos vies, nous n'aurions plus la même aversion ni la même délicatesse, et que nous allions manger jusqu'au cuir, partie qui nous semblerait presque la meilleure." (pages 65-66)
Le désespoir, la fatigue et la faim conduisent certains à la folie. D'autres commencent à être prêts à tout pour survivre :
"L'envie de manger quelque chose de plus solide que des feuilles d'arbres s'affirmant davantage, il fut proposé de tuer un des mousses de l'équipage, mais grâce à Dieu on n'insista pas, et ce fut un bonheur pour tous les autres, car si l'on avait commencé il est certain qu'on eût continué, et qu'on se fût entretué par surprise ou par violence." (page 74). On ne dort que d'un oeil...
Lorsque des disputes éclatent, personne n'intervient, chacun souhaitant presque un combat à mort "afin d'en récolter quelque bon repas." (page 81).

dispute

On voit ce que les hommes sont prêts à manger quand ils ont de plus en plus faim (pour bien comprendre le peu qu'ils ingurgitent : nos héros n'auront pas déféqué pendant vingt-cinq ou vingt-six jours, précision de la page 121). Ce qui paraissait immangeable devient désirable... On n'est pas dans la fiction, le romanesque, ici c'est du vrai.
"Un jour, mon ami sortit seul et trouva à nouveau un gros crapaud, dont la vue nous réjouit. C'est une chose étrange que la faim : elle rend plaisants et agréables les objets les plus affreux, et ce qui fait peur hors de là devient, quand on en est saisi, précieux, utile et charmant." (page 89). Nos héros devront rapidement se mettre sous la dent des choses bien pires que ce malheureux crapaud...

Il faudra construire un radeau pour tenter de gagner le continent ou quelque grande île (Sandwip n'est pas très loin), ce qui est loin d'être simple pour des hommes dans un état d'extrême fatigue. De plus, tout le monde ne peut pas tenir sur le radeau, et le voyage sera forcément très hasardeux...

Une fois sauvés - cela ne se fera pas simplement - en bien piteux état, nos héros ne sont pas au bout de leurs peines, et c'est une des originalités de cette relation : ils se trouvent enrôlés par le grand Moghol Aurangzeb (1618-1707). Ils sont incorporés dans l'immense armée menée par un général, le nabab khankhanan Mir Jumla (1591-1663) pour combattre le roi d'Assam.
L'auteur décrit ce qu'il voit, les moeurs des gens, le fonctionnement de l'armée. On découvre notamment que les chrétiens sont très bien considérés et traités, mieux même que les musulmans :
"Mais un nom de chrétien suffit pour jouir là-bas d'une grande renommée. Ils sont réputés pour leur bravoure de soldat, et honorés comme des gentilshommes sur les terres du prince de Bollua." (page 143).
"Si un nègre [c'est ainsi que le narrateur appelle les bengalais hindous, précise une note] avait appris ne serait-ce qu'un peu de portugais, et s'il se disait chrétien, il recevait du nabab quelque belle charge avec une meilleure solde et était servi comme un prince." (page 151).

La carte ci-dessous, extraite de Wikipedia, permet de se rendre compte de l'étendue de l'empire moghol à la mort d'Aurangzeb (en rouge) :

En compagnie de l'auteur, on voit défiler cavalerie, infanterie, une foule de soldats armés de mousquets, de piques...
"Ils étaient suivis par d'énormes chameaux, portant chacun un canon et son canonnier. Les éléphants et les chameaux étaient dressés pour faire la guerre. [...]
Après se bousculaient des milliers de chameaux, chargés des bagages de la cavalerie ; puis toutes sortes de marchands et d'artisans, et, après eux, des milliers de courtisanes montées à cheval ou à dos de chameau. Les gros négociants fermaient le ban, pourvus de nombreuses marchandises, à dos de cheval ou de chameau. [...]
Quand l'armée avançait, chaque jour de nombreuses personnes trouvaient la mort, écrasées par la foule, et quantité d'autres se perdaient à jamais tant l'armée était grande. [...]
Lorsque l'armée était en campagne, il n'y avait aucune activité possible ni rien à faire dans le pays, si bien que chacun était plus ou moins obligé de la suivre. Il n'y avait rien, dont les hommes avaient besoin, que l'on ne pouvait acheter à l'exception de l'arak, car la loi de Mahomet leur interdit d'en vendre ou d'en boire.
" (pages 155-156)

Et on participe à des combats !

combat

Le Naufrage du Terschelling sur les côtes du Bengal est un texte très intéressant.


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