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Carsten Jensen

(Marstal, Danemark, 24/07/1952 - )

Carsten Jensen

"Titulaire d'une maîtrise ès-lettres de l'université de Copenhague, il écrit tout d'abord dans le quotidien Politiken et collabore ensuite à divers autres titres de la presse danoise: Dagbladet Information, Aktuelt, Ekstra Bladet et Jyllands-Posten. De 1985 à 1990, il est rédacteur en chef de la revue Fredag.

En 1997, il reçoit le Laurier d'or des libraires danois pour son récit de voyage Jeg har set verden begynde, paru en 1996. Il enseigne à partir de 2001 à la faculté des lettres de l'université d'Odense ("Université du sud du Danemark") et participe à des émissions de télévision.

En 2007, la station de radio P2 lui décerne le Prix du roman pour Nous, les noyés (Vi, de druknede), son premier roman. Cet ouvrage sera également couronné par le Prix littéraire de la Banque du Danemark, doté de 300 000 couronnes danoises (soit 40 000 euros). En 2010, Carsten Jensen est lauréat du Prix Olof Palme, décerné par la Fondation suédoise Olof-Palme. La même année, en France, il reçoit le Prix Gens de mer, doté de 3 000 euros, qui lui est remis lors du festival Étonnants Voyageurs de Saint-Malo.
" (Wikipedia).

Le Dernier Voyage     Humpback whale and sailing ship in the Davis Strait, 1870
Couverture : Rasmussen : Humpback whale and sailing ship in the Davis Strait, 1870.

- Le Dernier Voyage (Sidste rejse, 2007). Traduit du danois par Alain Gnaedig. Libella - Maren Sell. 300 pages.

Dans ses remerciements, l'auteur écrit : "Le Dernier Voyage est un roman, même si dans l'ensemble sa galerie de personnages s'inspire de personnes réelles. La famille de  Carl Rasmussen m'a donné la permission d'utiliser son nom et ce roman suit les principaux événements de sa vie. Je suis responsable de ses pensées, de ses conflits intérieurs et de ses dilemmes [...] J'ai grandi à Marstal entouré des tableaux de Carl Rasmussen. Ils étaient accrochés aux murs de la maison de mon meilleur ami." (page 299)

Au début du livre, on est quasiment à la fin de la vie du peintre (puisque, quand on a lu la notice du peintre, on sait - ou plutôt, on ne sait pas - dans quelles conditions il a disparu, peut-être est-ce un des rares peintres à être mort dans l'exercice de ses fonctions). On est en 1893, Jens Erik Carl Rasmussen (1841-1893) a donc la cinquantaine, il est en route sur un brick, en direction du Groenland, où il avait déjà été vingt ans auparavant (en 1870-1871). Il est en plein questionnement artistique.
"Et n'était-ce pas précisément cette jolie peinture, son enchantement facile pour les mirages de la nature, son inclination pour tout ce qui était idyllique dont il devait se débarrasser ? Il avait déjà suffisamment passé de temps à produire des choses décoratives et des tableaux d'autel. Là, il lui fallait retrouver le chemin de l'art, tout ce qu'il avait subodoré lorsque, dans sa jeunesse, il avait pris cette décision inouïe pour un artiste de partir pour le Groenland." (page 23).
Bien lui en avait pris, puisque ce sont ses oeuvres groenlandaises qui ont assuré sa notoriété.

L'hiver au Groenland    père et fils en kayak le long de la côte du Groenland   Pleine lune au-dessus d'une colonie au Groenland
    Carl Rasmussen : Hiver au Groenland, 1875. Nivaagaards Malerisamling ; au centre : Père et fils en kayak le long de la côte du Groenland, 1874 ; à droite : Pleine lune au-dessus d'une colonie au Groenland.

Contrairement à ses confères qui allaient en Italie, lui a donc commencé par le Nord. Il ira quand même en Italie, mais plus tard.

Rasmussen - Au large des côtes de Sorrente, vers 1874
Carl Rasmussen : Au large des côtes de Sorrente, Italie, vers 1874. Huile sur toile. Collection particulière.

Lorsque, au moment du départ de ce nouveau voyage vers le Groenland, le second du navire s'étonne, en désignant le quai animé, qu'il ne s'y trouve jamais d'artistes pour peindre tout cela, Rasmussen lui dit : "Le peintre devrait-il aggraver les choses en choisissant la fange comme motif ? Non, il y a assurément des motifs plus convenables." (page 18).
On verra dans le livre que Rasmussen sera toujours pris entre "ce qui se fait", le bon goût de l'époque, son éducation, et l'envie de faire autre chose, quelque chose dont la beauté ne serait pas ce qui est important, ou ne serait pas classique, mais qui exprimerait quelque chose de plus. Et ce, à la fois pour les thèmes et le style, le fond et la forme.
Plus tard (pages 124-125), il sera question, dans une discussion avec le peintre Carl Frederik Aagaard, de Frederik Vermehren et de la façon que ce dernier avait d'améliorer la réalité : il a fait refaire une maison de paysan - jugée trop sale et dégoûtante - de fond en comble (y compris les fenêtres, pour ajouter de la lumière) avant de la peindre : "Qui a envie de voir cette saleté bestiale dans laquelle se complaît parfois le peuple ? Qui a envie de voir des gens qui sont pourris et déformés par la pauvreté et le labeur ? Pas moi. Et ni le public cultivé. Peins ce que voit ton oeil, à condition que cela ne choque pas l'oeil [...] L'art est réconciliation, paix et idylle. Dans l'art, nous trouvons cet équilibre intellectuel dont la vie est si souvent tristement dépourvue."

Faut-il faire artificiellement beau, et donc ignorer la vie ?
"Il voulait peindre ce qui était beau et ce qui était bon. Il voulait élever et édifier l'esprit. mais ne rien voir, était-ce la méthode ? Et ne rien entendre ?" (page 268).

svendborgsund
Carl Rasmussen, Paysage du Svendborg Sund un jour tranquille d'été.

Par flashback, on va suivre la vie du peintre, en commençant par son enfance (il est le fils d'un tailleur). On est sur l'île d'Ærø (où se trouve Marstal, sa ville de naissance - et celle de l'écrivain).

Le roman permet d'apercevoir la vie d'une une petite ville de province au Danemark au milieu du XIX° siècle ; il y a quelques anecdotes amusantes, par exemple :
"Dans Kogegade, ils lui montrèrent un panneau à la fenêtre du salon de Kromann, le riche armateur, qui indiquait chaque jour quel était le dîner de la famille. L'armateur en avait eu assez de tous les curieux qui ne cessaient de coller le nez contre ses vitres pour voir ce qui était servi sur la grande table en acajou au centre de la salle de séjour. Il avait donc décidé d'annoncer officiellement le menu. Ce jour-là, il y avait une soupe aux baies de sureau et du gratin de poisson." (page 61).

Il y a aussi des anecdotes groenlandaises. Ainsi, lors de son premier voyage au Groenland, alors que Rasmussen traverse un fjord avec son guide local, Jonas :
"On approchait de midi. Le soleil était cuisant et Carl commença à avoir soif. Ils avaient apporté des provisions, mais il ne voyait nulle part de bouteille d'eau. Jonas se pencha par-dessus le bord du bateau et but directement dans la mer. Carl le regarda avec surprise. Cet homme était-il fou ? Jonas se mit à rire et l'encouragea à l'imiter.
Carl se dit que c'était une farce qu'il cherchait à jouer au Danois ignorant mais, après un peu d'hésitation, il se pencha à son tour. Il fit une coupe avec ses mains et but. L'eau n'avait absolument pas le goût du sel, elle était douce et rafraîchissante. Sur le coup, il ne comprit pas. Ils étaient bien en pleine mer et non pas sur un lac. Puis il saisit, et il éclata de rire. Sa découverte lui causait une joie enfantine. L'eau de fonte des grands glaciers se déposait sur l'eau salée, plus lourde. Voilà, ils devaient naviguer sur une mer d'eau douce, qui ne faisait peut-être pas plus de cinquante centimètres de profondeur.
" (page 30).
C'est toujours bon à savoir. Enfin, tant qu'il reste des glaciers.

Solbeskinnet grønlandsk fjordlandskab ved Nuuk med fanger i kajak  vue du Groenland
Rasmussen : à gauche : Solbeskinnet grønlandsk fjordlandskab ved Nuuk med fanger i kajak, i baggrunden bygd ; à droite : Vue du Groenland.

Pour revenir aux problèmes artistiques que se pose notre peintre :
"Il entendit parler d'un art qui devait aller vers le peuple et découvrir le pays, ses spécificités nationales, là où le paysage  était une clef de la mentalité danoise. Il comprit que les chemins des artistes et le sien s'étaient croisés. Ils allaient vers la province d'où il venait, vers les îles lointaines et vers les paysages inexplorés.[...] C'était comme cette île où il avait passé son enfance." (page 86). Ce recentrage vers les paysages danois était  expliqué en 2020 dans l'exposition L’Âge d’or de la peinture danoise (1801-1864) au Petit Palais (dû notamment à la perte par le Danemark de vastes territoires : la Norvège en 1814 ;  le Schleswig, le Holstein et le Lauenbourg en 1864).
Plus tard, Rasmussen rencontre un architecte, Holm.
"- Il faut que vous voyagiez, déclara Holm. Comme ça, vous trouverez un endroit qui sera le vôtre. Il n'est pas sûr ce que soit l'île de votre enfance." (page 95).

Comme quoi, l'important n'est pas forcément de connaître la province, mais l'endroit qui correspond à chacun. Rasmussen se pose des questions. Ce qu'il aimerait peindre ne se trouve pas sur son île. Holm avait sans doute raison.
"En tout cas, Marstal n'était pas Skagen. [...] Ici, il n'y avait pas de rivage aux brisants colossaux qui laissaient tout juste en vie ceux qui osaient les défier. [...] Il songea à l'ensemble des motifs de Michael Ancher. Aucun de ces tableaux monumentaux n'aurait pu être créé à Marstal. [...] Nul drame n'avait lieu sur la mer qui s'étendait à l'extérieur du môle protecteur en granit. De temps en temps, un bateau s'échouait dans les eaux peu profondes, mais on le tirait de là bien vite." (page 170). Ah, rien de tel qu'un bon drame pour faire une toile prenante, pleine d'urgence et de mouvement !


Le bateau de sauvetage rouge sortant en mer     Une mère et sa fille dans un canot
A gauche : Michael Peter Ancher : Le Bateau de sauvetage rouge à sa sortie en mer (Den røde redningsbåd sejler ud, 1920), collection particulière. 126 x 162 cm ; à droite : Carl Rasmussen : Une mère et sa fille dans un canot, 1889.

Pour parler maintenant du style de sa peinture :
"Pendant son premier séjour au Groenland, il avait éprouvé la tentation de rompre avec la palette et avec tout ce qu'il avait appris sur la construction d'un tableau. Mais il avait su se retenir. Il s'en était tenu à ce qu'il avait appris. Il fallait bien avoir des bases." (page 215). Dans le roman, Rasmussen rencontre Gauguin (son nom n'est bizarrement pas cité, mais on comprend bien que c'est de lui dont il s'agit), et il voit une de ses toiles. "Carl recula. Même ici, dans la pénombre du grenier, il voyait la lumière qui provenait des couleurs vives. Les ombres du visage étaient bleu cobalt. Ici, il n'y avait ni tons ni nuances. Les couleurs étaient en guerre entre elles, et avec le spectateur pris au dépourvu. [...]
Il avait attendu cela pendant des années. Mais il ne l'avait jamais vu avec une telle force, avec une telle pureté, avec autant de haine, cette rupture avec tout ce qu'il avait appris comme peintre, et avec ce qu'il appréciait dans l'art. [...] Ce n'était pas un tableau, c'était une agression
" (page 208).

C'est donc un roman intéressant, assez triste (il y a un fort sentiment d'échec), qui parle certes de sujets classiques en peinture (le résultat n'est jamais à la hauteur des aspirations ; et quand, parfois, le succès vient, faut-il s'en contenter ?), mais avec des peintres et certains questionnements (la nécessité de forger une peinture nationale) que l'on connaît peu en France (un petit peu plus ces dernières années). Il m'a semblé manquer toutefois d'un peu de liant (peut-être du fait de la construction qui fait des sauts temporels ?) ou de densité (il aurait fallu parfois ramasser un peu ?).

 



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