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Rencontre avec Gonçalo M.TAVARES
(né à Luanda, Angola, 02/08/1970 - )

 

 

Voir la biographie et les critiques de livres de Gonçalo M.TAVARES, ici.

La rencontre se déroule à la librairie L'Écume des Pages (174, boulevard Saint Germain, 75006 Paris, le 15 octobre 2010 à 19 heures), à l'occasion de la sortie de Monsieur Brecht et le succès, et de Apprendre à prier à l'ère de la technique. En plus de la présence de Tavares, Claude Aufaure, un comédien, doit lire des textes.

J'arrive un peu en retard… problème de transports. J'aurais dû partir plus tôt.
Ah, voilà, c'est ici.

Quand j'arrive, Claude Aufaure est en train de lire des extraits de différents livres du cycle "O Bairro". (Le Quartier) : Monsieur Kraus, Monsieur Brecht (Le Malappris, le Bagne).
Puis, Tavares parle, en Portugais, même s'il comprend généralement les questions sans avoir besoin qu'on les lui traduise (quelques rares fois, il répondra de quelques mots en français).
Celui qui se colle à la traduction simultanée, c'est Dominique Nédellec (le traducteur de quasiment tous ses livres parus en français, mais pas habitué, a-t-il dit, de la traduction quasi-simultanée ; il a également traduit Wenceslau de Moraes, Joao Tordo, Adriana Lisboa...).
De gauche à droite : Aufaure, Tavares et Nédellec.

Souvent, l'assistance rit ou réagit avant que Dominique Nédellec n'ait même commencé à traduire. Manifestement, il y a quelques lusophones...

A propos d'un court texte qui parle de la peine de mort ("En raison d'un inexplicable court-circuit, c'est le fonctionnaire qui abaissa le levier qui fut électrocuté, et non le criminel qui se trouvait assis sur la chaise. Comme l'on n'était pas parvenu à réparer la panne, c'était désormais le fonctionnaire du gouvernement qui prenait place sur la chaise électrique, tandis que le criminel était chargé d'abaisser le levier mortel" - extrait de Monsieur Brecht et le Succès), Tavares dit que l'intérêt de son texte n'est pas de dire qu'il est contre la peine de mort, mais qu'il réside dans la caricature : pour lutter contre un adversaire plus fort que soi, il ne faut pas faire de la boxe, mais du judo. Avec le judo, on utilise la force de l'adversaire pour le mettre à terre. Et plus l'adversaire est fort, plus il tombera avec violence.

En réponse à une question, il dit que le lieu et l'époque ne sont jamais précisés dans ses livres. S'il situait l'un de ses livres en Argentine au XIX° siècle, le lecteur se mettrait dans ce cadre, alors que la violence n'est caractéristique d'aucune époque, d'aucun siècle.
En ce qui concerne plus précisément son roman Apprendre à prier à l'ère de la technique, le point de départ, c'est l'image absurde d'un homme en train de prier à côté d'une machine industrielle du XIX° siècle.
Le titre même renvoie à cette obsession, la relation entre la religion et la technique. Tavares dit que la religion est née dans un contexte "naturel". Puis, le paysage a changé radicalement.
Bizarrement, on prononce les mêmes paroles : comment les mots religieux ont-ils résisté aussi longtemps ? Les mots seuls, en eux-mêmes, littérairement parlant, n'en auraient pas eu la force. Cette résistance des mots religieux est un phénomène mystérieux ; elle n'a rien à voir avec la littérature, mais plutôt avec l'énergie.


L'œuvre de Tavares (du moins une partie, puisqu'il a écrit des pièces de théâtre, de la poésie), est composée de deux mondes différents :
- Le Quartier (le cycle des "Monsieur") : c'est le monde de l'enchantement.
- Le Royaume (Jérusalem, Apprendre à Prier…) : c'est le monde du désenchantement.

"Enchanter", c'est continuer à chanter, alors que "désenchanter", c'est l'interruption brutale du chant, la joie brutalement interrompue.
Parmi les moments les plus tragiques de l'existence, c'est quand on est jeune : on danse et soudain la musique s'arrête en plein milieu.
On n'est pas maître du bouton "stop", juste un peu du bouton "play".

Le Bairro, c'est comme un univers parallèle : on part fuir le monde réel pendant vingt minutes, et on y revient. Tavares fait beaucoup de mouvements de balancier enchantement/désenchantement. Il ajoute que "Une des choses les plus dangereuses qu'on a autour de soi, c'est la joie".
"J'admire les croyants. Un croyant a quelque chose de plus que moi".

La littérature doit poursuivre les gens, être une sorte de gêne, qui les perturbe. Tavares déteste l'expression "ça se lit comme un roman", qui dit que c'est facile à lire. Or, on doit s'arrêter. Dans la vie, les gens vont à 100 km/heure. Lorsque l'on lit un livre, on doit ralentir : 10 km/heure.

Tavares aime la lenteur. C'est une qualité, la lenteur, prendre son temps, regarder. Il y a des dieux grecs pour toutes les qualités, mais pas pour la lenteur ! La lenteur, c'est considéré comme quelque chose de pas positif, de peu intéressant. Alors que, en fait, la lenteur oblige les gens à s'arrêter, à prêter attention aux objets.
Au XV° siècle, des gens pouvaient voyager des mois, traverser l'Europe, pour voir un tableau. Une fois devant le tableau, ils pouvaient y rester une semaine, pour bien le connaître.
Maintenant, au Louvre par exemple, on voit de la marche olympique. La vitesse moyenne ralentit un peu devant certains tableaux, mais les gens ne font que ça, ralentir, ils ne s'arrêtent pas.

Dans le cycle O Bairro, chaque "Monsieur" mène une vie autonome dans sa tête, ils vivent tous côte à côte, mais font attention à des choses très différentes. Par exemple, Monsieur Valéry est obsédé par la logique...
Dans d'autres "Monsieur", pas encore publiés en français, il y aura beaucoup de croisements. C'est un cycle qui n'aura pas de fin.
Le quartier, c'est un espace utopique : les voisins ne sont pas envahissants.

Il parle de Monsieur Walser, qui s'est établi dans la forêt - on le voit effectivement excentré sur la carte du Bairro :

Il y a un conflit très ancien entre la ville et la forêt, la ville ayant pris sa place, l'espace des loups. On croit les loups disparus. Mais la nature a les griffes acérées, et elle attend (on retrouve cette idée dans Apprendre à Prier...). Il suffit de laisser une maison abandonnée pendant trois ans à peine, et la mousse revient, la végétation s'apprête à faire disparaître la maison.

A propos de Apprendre à Prier à l'ère de la technique, en réponse à une question de Viviane Hamy, qui était présente (et qui a posé des questions en donnant énormément d'informations sur le livre, informations que je n'aurais pas aimé avoir si je n'avais pas encore lu le roman) , Tavares a répondu que la question du nom du père, c'est très important pour lui aussi, personnellement (ah ?).
Et que, dans le roman, les deux moments les plus violents ne le sont pas physiquement : c'est quand le frère de la secrétaire entre dans la bibliothèque (une sorte de viol), et le fameux passage où ce même frère change le papier sur lequel est inscrit le nom du père… (ouf, si on n'a pas le livre, on n'y comprend rien !)

Actuellement, on a tendance à assimiler la culture technique avec la culture morale, les deux se confondent. Par exemple, pour le chirurgien (toujours le roman Apprendre à Prier), sa main ne tremble pas, tout le monde loue sa compétence, on va jusqu'à le remercier pour sa bonté (il a sauvé des gens).
Alors que sa compétence n'est que technique, pas morale. C'est justement parce qu'il est détaché des gens, qu'il se fiche d'eux, qu'il ne tremble pas et donc qu'il sauve des gens. La compassion le rendrait moins bon en tant que chirurgien.

Ne pas dominer la technique, dire qu'on ne maîtrise pas Windows 2010 (exemple choisi par Tavares) c'est considéré comme une faute morale plus grave que d'avouer qu'on a menti.

La référence morale, c'est la machine. On montre aux ouvriers comme la machine est bien, comme elle travaille bien, sans rechigner, qu'il faut prendre modèle sur elle.
"Que la main ne tremble plus, et c'est l'humanité qui est terminée", dit-il.

Tavares dit qu'il a lu récemment la lettre d'un chimiste allemand, dans les années 40, qui s'excusait de ce que son produit chimique n'était pas assez létal. Cette obsession de la compétence, qui conduit à des horreurs, nous menace.
Il finit en évoquant Aristote, pour qui le bonheur le plus grand est celui qui arrive après la douleur. On cherche à supprimer toute douleur (ce qui est bien dans un hôpital), on vit maintenant dans une sorte d'hôpital généralisé, et on se prive du plaisir "antique".

Il n'y avait pas d'exemplaires de ses ouvrages en portugais à faire dédicacer (une personne prévoyante était arrivée avec des livres à elle), tout était en français.
Je fais dédicacer mon exemplaire de Jérusalem, en portugais. Le portugais, c'est une jolie langue qui n'écorche pas mon prénom :

Et je m'en vais.

Il pleut sur la ville.


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