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Fiodor Dostoievski

(Moscou, 11/11/1821 - Saint-Petersbourg, 09/02/1881)

dostoievski

Photographie de 1863.

"Considéré comme l'un des plus grands romanciers russes, il a influencé de nombreux écrivains et philosophes.

Après une enfance difficile, il fréquente une école d'officiers et se lie avec les mouvements progressistes russes. Arrêté pour cette raison en 1849, il est déporté dans un bagne de Sibérie pendant quatre ans. Redevenu sous-lieutenant, il démissionne de l'armée en 1860 et s'engage vraiment dans l'écriture. Épileptique, joueur couvert de dettes et d'un caractère sombre, Dostoïevski mène d'abord une vie d'errance en Europe, au cours de laquelle il devient un fervent libéral pour son pays et surtout un patriote convaincu, avant d'être reconnu à son retour en Russie en 1871 après la publication de Crime et Châtiment (1866) et de L'Idiot (1868) qui ouvrent la période de la maturité où l'auteur écrit ses œuvres les plus abouties : L'Éternel Mari (1870), Les Démons (1871) et Les Frères Karamazov (1880).

Les romans de Dostoïevski sont parfois qualifiés de « métaphysiques », tant la question angoissée du libre arbitre et de l'existence de Dieu est au cœur de sa réflexion, tout comme la figure du Christ. Cependant ses œuvres ne sont pas des « romans à thèse », mais des romans où s'opposent de façon dialectique des points de vue différents avec des personnages qui se construisent eux-mêmes, au travers de leurs actes et de leurs interactions sociales." (suite à lire sur Wikipedia).

 

 

le double     retour d'exil
En couverture : Ilya Repin : Ils ne l'attendaient pas, 1884. Musée Tretiakov. Il s'agit du "retour dans son foyer d'un révolutionnaire exilé" (site du Musée d'Orsay). Pas grand-chose à voir avec le livre, donc.

- Le Double (1846 ; version définitive de 1865). Traduction et notes de Gustave Aucouturier. Préface d'André Green. Folio. 275 pages.
Il s'agit ici de la version remaniée par Dostoïevski en 1861.
"
Cette première version, sur laquelle Dostoïevski, comme en témoignent plusieurs lettres à son frère, peina tout l'été et l'automne 1845 et qu'il n'acheva qu'en janvier 1846, était sensiblement plus longue : ce sont principalement ces longueurs (en même temps que les osbcurités de son « coloris fantastique ») que Biélinski (l'oracle littéraire d'alors) condamna en 1846 après avoir d'abord, en 1845, accueilli très élogieusement la nouvelle aux première lectures que lui en avait faites l'auteur." (Gustave Aucouturier, note page 265).
Les Pauvres Gens (1846), son roman précédent - c'était aussi son premier roman -, avait été un succès public. Le Double est un échec.
Dostoieveski a projeté de le corriger : "
Le Double, corrigé et muni d'un avant-propos, aura la valeur d'un nouveau roman, et ils verront alors ce que c'est que Le Double !" écrit-il à son frère en 1859.
Il ne trouvera pas le temps de le faire et, lors de l'édition de ses Oeuvres en 1865-1866, il effectue des coupures "
parfois nuisibles à la clarté" (Gustave Aucouturier, note page 266).
"
Malgré ses imperfections, Le Double resta cher à son auteur : Pourquoi laisser perdre une magnifique idée, un type grandiose par son importance sociale, que j'ai découvert le premier et dont j'ai été l'annonciateur ? écrit-il à son frère en 1859 ; et en 1877 il écrira encore dans le Journal d'un écrivain : J'ai positivement raté cette nouvelle, mais l'idée en était assez lumineuse, et je n'ai jamais rien lancé dans la littérature de plus sérieux que cette idée." (Gustave Aucouturier, note page 266).

Le thème du double, de personnages victime et bourreau à la fois ou successivement, vont abonder dans son oeuvre (Crime et Châtiment, les Frères Karamazov...). Ici, le double a quitté l'intériorité : il s'est matérialisé.

"Le Double de Dostoïevski est lui-même double. D'une part il décrit, avec une précision et une intuition qui vont beaucoup plus loin que celles des psychiatres de son époque, le déroulement d'un délire de persécution. [...] Mais d'autre part ce récit fantastique [...] est dans la réalité « littéraire ». Si aucun phénomène surnaturel n'habite ici le récit, ce qu'il y a de tragique dans ce qui arrive à « M. Goliadkine », c'est que personne parmi ses collègues, même son laquais, ne paraît s'étonner de l'existence du Double. Certes il leur arrivera de penser qu'il n'est pas convenable d'être ainsi deux." (André Green, Préface, page 10)

Voici le début du roman : "Il était tout près de huit heures quand Jacob Piètrovitch Goliadkine, conseiller titulaire, sortit d'un long sommeil, bâilla, s'étira, se décida enfin à ouvrir tout à fait les yeux. Une ou deux minutes il fut sans bouger, comme un homme qui doute encore s'il est éveillé ou s'il dort, si ce qui se passe autour de lui est bien la réalité ou seulement la continuation des visions désordonnées de ses rêves." (page 27).
Notre héros, Jacob Piètrovitch Goliadkine est donc conseiller titulaire, c'est-à-dire un fonctionnaire moyen. Il ne sait pas bien s'il dort ou non (ce qui annonce le cauchemar à venir), sort de son lit et se regarde dans un miroir (oh... le symbole !).
"L'image qui s'y refléta - un visage sommeilleux, des yeux clignotants et une calvitie assez avancée - était à vrai dire si insignifiante en elle-même qu'elle n'avait de quoi arrêter au premier regard l'attention de personne ; il fut néanmoins visible que son possesseur restait parfaitement satisfait de tout ce qu'il avait vu dans le miroir.
« Ce qui serait un sale coup, murmura M. Goliadkine, ce qui serait un sale coup, ce serait si juste aujourd'hui j'allais rater quelque chose, si tout d'un coup par exemple je ne sais quoi clochait, un vilain bouton mal placé ou quelque autre désagrément ; mais pour le moment ça ne va pas mal, pour le moment tout va bien. »
" (page 28)

Il se rend chez son médecin, pour une raison pas très claire (avoir la confirmation qu'il est sain d'esprit ?). Le médecin lui conseille de fréquenter les spectacles, de ne pas rester chez lui, et "en tout cas ne pas bouder la bouteille." (page 39). Ah, il y avait de bons médecins à l'époque ! Ou bien cette recommandation ne s'applique-t-elle qu'à un organisme russe, je ne sais pas.

Le médecin, comme le lecteur, ne comprend pas bien les propos incohérents de notre héros. Il aurait peut-être pu poser un vrai diagnostic... mais la psychiatrie n'était pas ce qu'elle est maintenant, sans doute.
On apprend que notre héros a des ennemis sournois qui oeuvrent dans son dos, alors que lui, notre héros, ne mange pas de ce pain-là ! Il est droit, honnête, il n'intrigue pas. Ce qui ne l'empêche pourtant pas de toujours se sentir prêt à oeuvrer pour contrer les plans machiavéliques de ses ennemis... "Ce qu'il faut, c'est agir." (page 145). Soit. Mais prendre une décision, c'est difficile.

Après une scène de bal où notre héros se couvre de ridicule, c'est la nuit. Le temps est très mauvais. M. Goliadkine aperçoit alors un étrange inconnu. Il le suit... Et se rend compte que cet inconnu se dirige chez lui, chez M. Goliadkine, qu'est-ce à dire ? Et là...
"Il sentait ses cheveux se dresser sur sa tête, et il se laissa tomber sur une chaise, presque évanoui d'épouvante. Et à vrai dire il y avait de quoi. M. Goliadkine avait tout à fait reconnu son nocturne compagnon. Son nocturne compagnon n'était autre que lui-même... M. Goliadkine lui-même, un autre M. Goliadkine, mais tout à fait identique à lui-même... en un mot ce qui s'appelle son double sous tous rapports... " (page 91).
On notera, côté style, les répétitions, destinées à créer des effets de miroir ou de double.

le double
Extrait du film The Double, de Richard Ayoade, avec Jesse Eisenberg dans les deux rôles de Simon James.

Le pire est à venir pour notre héros : ce double, qui porte les mêmes nom et prénoms que lui, travaille dans le même bureau ! Incroyable ! Comment donc vont réagir les collègues de Goliadkine à la vue de son double ? Vont-ils chuchoter, plaisanter, se moquer ?
"Mais, à l'immense étonnement de M. Goliadkine, nul ne manifestait rien de semblable. L'attitude de messieurs ses collègues et camarades renversa M. Goliadkine. Elle lui parut hors de tout bon sens." (page 97).
Le monde se détraque.

Ce double est un fourbe, un flatteur, qui ne doute de rien, ose tout, et réussit là où notre héros, timoré, velléitaire, échoue.
Notre héros se dit à chaque instant que ça n'est pas grave et que tout va s'arranger. Bien sûr, il a tort.

Goliadkine est atteint de mégalomanie, de délire de persécution. Il est banal, insignifiant (ce qui avait été noté lorsqu'il s'est regardé dans le miroir, au début du roman), mais il est persuadé d'être au centre des conversations et de l'attention générale. Son délire ainsi que le côté maléfique du double sont très bien rendus et très "dostoievskiens".
La description, en avance sur son temps, de la pathologie dont est atteint M. Goliadkine est réussie. Il y a beaucoup à dire du roman qui doit comporter de très nombreuses clés de lecture... Pourquoi, alors, cette impression que livre ne fonctionne pas complètement ?
Parce qu'il est encore un peu trop long malgré les coupes effectuées par l'auteur ? Parce que certaines coupes ont été faites de façon trop hâtive ? (les notes permettent heureusement d'expliquer des éléments devenus incompréhensibles). Ou bien encore parce qu'il manque quelque chose à l'histoire, que Goliadkine peine un peu à exister vraiment en tant que personnage, qu'il est un peu utilitaire ?

Il y a quelque chose qui m'a paru un peu bancal. Mais je n'ai pas forcément tout compris (Nabokov, qui n'aimait pas Dostoievski, considérait Le Double comme ce qu'il avait écrit de meilleur - cf Littératures, II).

"Cette nouvelle fantastique est la métaphore réalisée du couple persécuteur-persécuté, le délire dramatisé d'un processus paranoïaque soudain incarné par un sosie qui est vu, reconnu et certifié par le regard des autres. Là résidait l'audace du jeune auteur, elle ne fut pas comprise. La prolixité et l'abus des redondances, l'imitation des tics stylistiques de Gogol expliquent aussi cette incompréhension." (Histoire de la Littérature Russe, Le Temps du Roman, volume 2, pages 971-972, Fayard).

 

The Double (2013), film de Richard Ayoade - brillant exercice de style - a été tiré du roman. Il a de nombreux éléments en commun avec le livre, mais dans un cadre très différent : une entreprise kafkaïenne avec machines déglinguées, ascenseurs qui fonctionnent quand ils veulent, etc.
Dostoïevski mettait en scène un homme qui devient fou dans un cadre banalement quotidien, alors que le film, lui, met en scène une folie qui survient dans un monde déjà fou à travers sa rationnalisation absurde, déshumanisé (la déshumanisation entraînant un paradoxal dédoublement humain). Ce n'est pas du tout la même chose.
Il est très intéressant de voir les déformations apportées aux éléments du livre (par exemple, le bal de "la haute" transformé en bal d'entreprise un peu miteux, avec un groupe digne des films d'Aki Kaurismäki).

 

 

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