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Daniel Defoe
(Londres, 1659 ou 1660 - Londres, 24/04/1731)


daniel deofe
Peintre inconnu dans le style de Sir Godfrey Kneller (1646-1723)

 

"Daniel Defoe, de son vrai nom Daniel Foe, est un aventurier, commerçant, agent politique et écrivain anglais, né en 1660 à Stoke Newington (près de Londres), mort en avril 1731 à Ropemaker’s Alley, Moorfields (près de Londres). [...]
Sa famille était originaire des Flandres. Son père, James, qui tenait une boutique de chandelles [...], était un protestant qui était à l’écart des puritains. [...]

Entraîné par son goût pour la politique et la littérature, il ne s’occupa guère que d’écrire. Appartenant au parti des Whigs et des Non-conformistes, il combattit dans plusieurs pamphlets virulents le gouvernement impopulaire de Jacques II d'Angleterre, et prépara de tout son pouvoir la Glorieuse Révolution de 1688. Il jouit de quelque faveur auprès de Guillaume III d’Orange, et obtient alors des emplois lucratifs. Il propose à Robert Harley, comte d’Oxford et speaker des Communes, un projet de services secrets, l’ébauche d’une police politique qui donnerait au gouvernement un état de l’opinion publique.

Mais sous le règne moins libéral de la reine Anne, il fut condamné en 1704 au pilori ["un châtiment beaucoup moins anodin qu'on pourrait le croire, car les condamnés mouraient souvent étouffés par la boue et les ordures qu'on leur jetait, ou lapidés par des projectiles divers. Mais Defoe est ovationné par une foule de sympathisants et couronné de fleurs", postface de Françoise du Sorbier à son édition de Robinson Crusoé, Editions Albin Michel, page 397] et à la prison pour avoir écrit contre l’intolérance de l’Église anglicane. Il publia de sa prison la Weekly Review, une revue d'actualité qui eut un grand débit, entre 1704 et 1713 et finit par être éditée trois fois par semaine dès 1705.

Une fois que Defoe eut retrouvé sa liberté, Harley l'envoie dans tout le pays durant l’été 1704 sous le pseudonyme d’Alexander Goldsmith. Deux ans plus tard, le même Harley lui confie la tâche capitale de travailler à l’union de l’Écosse et de l’Angleterre. Il s’agissait de se rendre à Édimbourg pour préparer les négociations pour l’union des parlementaires anglais et écossais. Defoe, presbytérien comme beaucoup d’Écossais, devient rapidement un « ami de l’Écosse » et réussit dans cette mission. D’autres missions lui seront confiées par la suite en tant qu’agent secret.[...] Mais des pamphlets lui ayant attiré de nouveau la disgrâce, il fut alors dégoûté de la politique et ne s’occupa plus que de littérature.

Son roman le plus célèbre, que certains disent être le premier en anglais, Robinson Crusoé (1719), raconte la survie d’un naufragé sur une île déserte. Il se serait inspiré de l’aventure d’Alexandre Selkirk, un marin écossais qui aurait débarqué sur l’île inhabitée de Más a Tierra (archipel Juan Fernández) où il survécut de 1704 à 1709.

Il publia dans les quinze dernières années de sa vie plusieurs ouvrages fort originaux qui obtinrent pour la plupart beaucoup de succès : l’Instituteur de famille, 1715, qui eut une vingtaine d’éditions ; la Vie et les Aventures de Robinson Crusoé, 1719 ; la Vie du capitaine Singleton ; Histoire de Duncan Campbell, — de Moll Flanders, — du colonel Jack, — de Roxane ; Mémoires d’un cavalier, 1720-1724 ; Histoire politique du Diable, 1726 ; Système de magie, 1729.

Defoe écrivit un récit sur la grande peste de 1665 à Londres, Journal de l’année de la peste (1720), Mémoire d’un cavalier, et une histoire picaresque, Moll Flanders (1722) sur la chute et la rédemption finale d’une femme seule dans l’Angleterre du XVIIe siècle. Elle apparaît comme une prostituée, bigame et voleuse, commettant l’inceste, mais parvient à garder la sympathie du lecteur. Un personnage comparable est dépeint dans Roxana, la maîtresse bienheureuse.

Ses nombreux livres sont des témoignages précieux sur le développement économique, social, démographique et culturel de l'Angleterre et l'Écosse du tournant des années 1700.

Robinson Crusoé a été traduit dans un grand nombre de langues. La première traduction française, par Thémiseul de Saint-Hyacinthe et Justus van Effen, parut dès 1720 mais une des plus fidèles traductions françaises est celle de Mme Amable Tastu en 1833. C'est cependant celle de Petrus Borel qui connaît, jusqu'à aujourd'hui, le plus grand nombre de rééditions.

On ne connait pas la cause de son décès en avril 1731. (merci Wikipedia)


robinson crusoé     defoe version sorbier

À gauche, la version folio (édition de Michel Baridon avec la traduction "historique" de Pétrus Borel). En couverture : Nigel Hughes (1940-), Scarlet macaw at a Maya monument (détail ; voir l'oeuvre d'origine ici).
À droite : version Albin Michel dans la nouvelle traduction de Françoise du Sorbier (2012), préface de Michel Déon. La couverture reprend une gravure de la première édition (1719)
.

- Robinson Crusoé (1719). Traduction de Pétrus Borel (1836). Folio. 504 pages.
Traduction de Françoise du Sorbier (2012) . Editions Albin Michel. 419 pages.

Tout d'abord, concernant les traductions existantes, lisons ce qu'en dit Françoise du Sorbier. Elle parle de la version classique de Pétrus Borel (1809-1859): "Sa traduction est celle que connaissent les lecteurs français à ce jour, et on peut lui rendre hommage pour sa longévité. Elle se lit assez bien mais, contrairement à ce que dit Francis Ledoux dans la préface à l'édition de la Pléiade, elle est loin d'être « fort exacte ». Certes, Borel ne saute ni phrase ni paragraphe, contrairement à ses prédécesseurs, mais la comparaison avec l'original révèle de nombreux contresens qui finissent par obscurcir le texte. De plus, le lecteur familier du texte anglais ne reconnaît ni le ton, ni le rythme de Defoe, dont le roman a été réécrit dans le style de Borel. Il y a un goût pour la préciosité, le mot rare, l'afféterie qui tranche avec la simplicité de l'original. À tel point que dans les éditions de poche contemporaines, une partie plus ou moins importante des notes est consacrée à élucider le vocabulaire employé par Borel alors que celui du texte original a une simplicité qui le rend intelligible pour un lecteur anglais contemporain. On ne retrouve pas chez Borel le style sec, nerveux de Defoe, ni surtout ce rythme haletant, cette urgence qui saisit le lecteur et l'emporte toujours plus loin dans une action et une réflexion fiévreuses. [...] Si les textes sont éternels, les traductions, étant des lectures, sont plus éphémères car elles correspondent à un certain état de la culture et de la langue à l'époque où elles sont entreprises." (pages 394-395)

Passons maintenant à l'introduction de Michel Baridon (dans la version folio), beaucoup plus intéressante que la préface de Michel Déon (Albin Michel) :
"Robinson est un livre comme il y en a peu. C'est un classique, traduit dans presque toutes les langues y compris le copte et l'esquimau, et tout classique qu'il est, il se lit par plaisir." (page 7).

C'est vrai : le roman est plein d'aventures, mais il n'y a pas que cela.
"Defoe nous conte l'histoire d'un homme modeste, besogneux, seul par nécessité, vertueux par inclination, volontiers prêcheur, et qui aurait toutes les chances d'être ennuyeux s'il n'avait eu des aventures, de bien curieuses aventures. Du moins, c'est ce que dit le titre : La Vie et les Aventures étranges et surprenantes de Robinson Crusoé, marin natif de York, qui vécut vingt-huit ans tout seul sur une île déserte de la côte de l'Amérique près de l'embouchure du fleuve Orénoque, après avoir été jeté à la côte au cours d'un naufrage dont il fut le seul survivant et ce qui lui advint quand il fut mystérieusement délivré par les pirates." (page 8).

Il y a plusieurs axes d'analyses de l'oeuvre : religieux, politiques...
"Le poids des mentalités puritaines pèse sur Robinson Crusoé. Starr et Hunter ont montré comment les journaux intimes, les « autobiographies spirituelles » tenaient une comptabilité des progrès que le chrétien accomplissait dans sa lutte contre le péché. Dans les milieux où Defoe a grandi, les vies morales se géraient comme la comptabilité de la boutique avec des bilans, des profits et des pertes dont on tenait le compte exact au fil des jours. On établissait en quelque sorte un contrat avec soi-même et l'on priait pour avoir la force de l'honorer. Dans ce combat solitaire, Dieu ne désertait pas les siens. En ouvrant la Bible au hasard, on pouvait parfois trouver l'indication de ce qu'Il attendait. Cromwell l'a fait avant de livrer bataille ; et de même Robinson. Le puritain guette la sanction divine, mais sans autre espoir que l'intercession du Christ. Son église lui dénie le réconfort de la confession. Il est seul comme Robinson dans son île, méditant sa Bible avec, autour de lui, le spectacle de la Création [...]" (pages 22-23)

Les thèmes de la politique des colonies et de l'esclavagisme sont bien sûr aussi présents, ce sont les plus évidents :
"L'esclave, lui, doit la vie à son vainqueur ; il ne peut donc rien négocier et reçoit de quoi subsister pour accomplir un travail qui est dû." (page 25).
"Il peut bien placer un couplet anti-espagnol et dénoncer les massacres perpétrés par les conquistadores, son héros n'hésite pas à faire comme eux." (page 35). La controverse de Valladolid (les sauvages ont-ils une âme ?) a eu lieu en 1550. "Un siècle plus tard, le protestant Robinson Crusoé n'en fait plus un débat théologique. Pour lui, oui, ils ont une âme mais il ne s'en occupe que quand il en tire profit." (page 35).

Robinson Crusoé survit et s'impose grâce à la technologie (les objets qu'il a pu sauver de l'épave de son navire). "Il est le prototype de tous les colonisateurs." (page 39)
"Le mérite de Defoe, c'est d'avoir tout montré [...] au stade primitif, celui où l'on apprend le plus quand on veut savoir comment l'Occident a organisé son expansion sur toutes la surface de la planète." (page 40).

première edition
Première édition, 1719.

Venons-en maintenant au texte.
Robinson Crusoé est né à York en 1632. Rapidement, il n'a qu'un désir : prendre la mer. Ses parents s'y opposent. Ecoutons son père (Pétrus Borel précise que "« malgré notre respect pour le texte original, nous avons cru devoir nous permettre ici de le faire récit direct »" (sic) ) :

Texte original
Version Borel
Version Françoise du Sorbier
He told me it was for men of desperate fortunes on one hand, or of aspiring superior fortunes on the other, who went abroad upon adventures, to rise by enterprise, and make themselves famous in undertakings of a nature out of the common road; that these things were all either too far above me, or too far below me; that mine was the middle state, or what might be called the upper station of low life, which he had found by long experience was the best state in the world, the most suited to human happiness, not exposed to the miseries and hardships, the labour and sufferings of the mechanic part of mankind, and not embarrassed with the pride, luxury, ambition, and envy of the upper part of mankind, he told me, I might judge of the happiness of this state by this one thing, viz. that this was the state of life which all other people envied; [...]

"Il n'y a que les hommes dans l'adversité ou les ambitieux qui s'en vont chercher aventure dans les pays étrangers, pour s'élever par entreprises et se rendre fameux par des actes en dehors de la voie commune. Ces choses sont de beaucoup trop au-dessus ou trop au-dessous de toi ; ton état est le médiocre, ou ce qui peut être appelé la première condition du bas étage ; une longue expérience me l'a fait reconnaître comme le meilleur dans le monde et le plus convenable au bonheur. Il n'est en proie ni aux misères, ni aux peines, ni aux travaux, ni aux souffrances des artisans : il n'est point troublé par l'orgueil, le luxe, l'ambition et l'envie des hautes classes." (pages 48-49).

"Il me dit que seuls les hommes réduits aux abois ou ceux d'un rang supérieur aspirant à la gloire quittaient leur pays et cherchaient l'aventure afin de s'élever par de grandes entreprises et s'illustrer hors des sentiers battus ; que ces partis étaient trop au-dessus ou au-dessous de moi et que la condition où je me trouvais était celle du milieu, ce qui, en d'autres termes, désigne le haut des gens du commun. Sa longue expérience lui avait appris que c'était l'état le plus satisfaisant qui fût, le mieux adapté au bonheur humain aussi, car on n'y était ni exposé aux misères et aux épreuves, au labeur et aux souffrances de ceux qui gagnent leur vie en travaillant de leurs mains, ni encombré par l'orgueil, le luxe, l'ambition et l'envie qui affligent les ordres supérieurs de l'humanité." (page 18)


Robinson finit par embarquer en cachette de sa famille.
"Jamais infortunes de jeune aventurier, je pense, ne commencèrent plus tôt et ne durèrent plus longtemps que les miennes." (version Borel, page 53).
Effectivement, la malchance le poursuit, le fameux naufrage qui le laissera sur son île n'étant pas le premier... Mais il n'y a pas que les naufrages : il sera aussi capturé par un corsaire barbaresque, et réduit en esclavage. Etre esclave, c'est terrible. Par contre, plus loin dans le livre, il sera bien content - et trouvera normal - de gagner de l'argent grâce à la traite des Nègres.

Sur son île, il fera preuve de persévérance, d'intelligence et de planification pour survivre le plus confortablement possible.
Il prendra conscience que même si sa situation n'est pas très bonne, celle de ses compagnons d'infortune a été bien pire. Il passe par des hauts et des bas.

Texte original
Version Borel
Version Françoise du Sorbier
I learnt to look more upon the bright side of my condition, and less upon the dark side; and to consider what I enjoyed, rather than what I wanted; and this gave me sometimes such secret comforts, that I cannot express them; and which I take notice of here, to put those discontented people in mind of it, who cannot enjoy comfortably what God hath given them, because they see and covet something that he has not given them: all our discontents about what we want, appeared to me to spring from the want of thankfulness for what we have.

"Je m'étudiais à regarder plutôt le côté brillant de ma condition que le côté sombre, et à considérer ce dont je jouissais plutôt que ce dont je manquais. Cela me donnait quelquefois de secrètes consolations ineffables. J'appuie ici sur ce fait pour le bien inculquer dans l'esprit de ces gens mécontents qui ne peuvent jouir confortablement des biens que Dieu leur a donnés, parce qu'ils tournent leurs regards et leur convoitise vers des choses qu'il ne leur a point départies. Tous nos tourments sur ce qui nous manque me semblent procéder du défaut de gratitude pour ce que nous avons." (page 236).

"J'avais appris à regarder les agréments de ma situation plus que son côté sombre, et à considérer ce dont je jouissais plutôt que ce qui me manquait. Cela était parfois source de satisfactions si secrètes que je ne saurais les exprimer, mais je les évoque ici pour les rappeler à ceux qui sont mécontents de leur sort et ne savent pas se satisfaire de ce que Dieu leur a donné, car ils voient et convoitent précisément ce qu'ils n'ont pas. Tous les tourments que nous souffrons à cause de ce qui nous manque me paraissent venir d'un manque de gratitude pour ce que nous avons." (page 176)


La situation peut toujours empirer, auquel cas voici ce que nous enseigne notre héros philosophe :
"Ainsi nous ne voyons jamais le véritable état de notre position avant qu'il n'ait été rendu évident par des fortunes contraires, et nous n'apprécions nos jouissances qu'après que nous les avons perdues." (version Borel, page 250).


On a beau connaître l'histoire dans ses grandes lignes (et encore... il faut un peu de temps et pas mal d'aventures avant d'arriver sur l'île), Robinson Crusoé n'en est pas moins vraiment très intéressant, et ce d'autant plus qu'il n'est pas qu'un simple roman d'aventures divertissant (ce qui serait déjà bien), c'est un livre très riche.

 

 

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