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JAMES Henry
(New York, 15/04/1843 - Chelsea, 28/02/1916)
Vers 1900. Photo de William M. Vander Weyde (1871-1929). George Eastman House Collection
Un des plus grands auteurs américains (ou anglais) du XX° siècle.
Sa découverte en France fut tardive du fait d'une erreur de jugement de Gide qui trouva les personnages de James trop "mondains" (à noter qu'il avait rencontré James en 1912). Et James alla rejoindre Proust dans la liste des refusés de Gallimard.
"" Télérama n&°3172, 30 octobre 2010.
A part ça, on pourra bien sûr lire une vraie biographie sur wikipedia.
- Les Papiers de Jeffrey Aspern (The Aspern Papers,traduit de l'anglais par M. Le Corbeiller). Bibliothèque cosmopolite, Stock. 147 pages.
Le roman commence ainsi :
"" (pages 7-9 ; la traduction paraît un peu bizarre... la volonté de "faire vieux", peut-être ?).
Le narrateur cherche à mettre la main sur un paquet de lettre de Jeffrey Aspern, un poète.
"" (pages 9-10).
Miss Bordereau, c'est la vieille femme (mais avant d'être vieille, longtemps, très longtemps auparavant, elle fut jeune, et aimée de Jeffrey Aspern) qui possède ces fameux papiers, et qui ne veut pas les montrer aux exégètes du grand poète.
Qui sait ce que contiennent ces papiers ! Et que c'est rageant de savoir que pas bien loin, quasiment à portée de main, se trouvent peut-être des oeuvres inédites, ou du moins des textes qui pourraient éclairer d'une lumière inédite les oeuvres du poète...
La vieille vit recluse avec sa nièce dans un vieux palais de Venise.
"" (pages 13-14).
C'est vraiment bien écrit...
Comment notre héros va-t-il réussir à s'introduire dans la maison de cette vieille dame revêche ? Réussira-t-il à mettre la main sur ces fameux papiers ? Jusqu'où osera-t-il aller pour parvenir à ses fins ?
Un court texte vraiment très bon. La vieille dame et la nièce sont très bien "dessinées", la nièce un peu naïve à la jeunesse sacrifiée, et la vieille à la logique parfois impénétrable, mais pleine d'avarice. En gros.
- L'Elève. 221 pages. 10/18.
Contient trois nouvelles majeures de James : L'Elève, L'Image dans le tapis et La Bête dans la jungle.
Il va y avoir, dans ce qui suit, de nombreuses comparaisons de versions, sans doute trop.
Mais cela peut permettre, à ceux intéressés par l'achat d'une intégrale des nouvelles, de se déterminer entre les deux concurrentes en présence : la version Jean Pavans et celle de La Pléiade.
1/ L'Elève (The Pupil, 1891). Traduction de Pierre Leyris. 69 pages.
Il y existe de nombreuses traductions de ce texte.
Nous allons en comparer trois : celle de Pierre Leyris chez 10/18, celle de Jean Pavans (Editions La Différence, Nouvelles, volume 3) et celle de François Piquet (La Pléiade, Nouvelles, volume 3).
De plus, on pourra trouver le texte en anglais sur : http://www.gutenberg.org/ebooks/1032
Le point de départ de la nouvelle est simple : un jeune homme va devenir le précepteur de Morgan, un petit garçon à l'esprit très éveillé (on n'aura toutefois jamais de vrais exemples, de première main pour ainsi dire, de cette intelligence), mais à la santé fragile.
La famille de l'enfant n'est pas bien fiable, comme notre héros va rapidement s'en rendre compte.
La notice de La Pléiade (notamment, car Pierre Leyris, dans la version 10/18, le fait également très bien) précise les sources du texte : en Italie, un ami avait parlé à James d'"" (La Pléiade, volume 3, page 1364).
Voici notre jeune homme lors de son entretien d'embauche :
Version originale |
Pierre Leyris (10/18) |
Jean Pavans (La Différence) |
François Piquet (Pléiade) |
"" (page 21). |
"Le pauvre jeune homme hésitait et tergiversait : cela lui coûtait un tel effort d'aborder le sujet des conditions, de parler d'argent à une personne qui ne parlait que de sentiments et, pour ainsi dire, d'aristocratie. Mais il ne voulait pas prendre congé, et faire comme si son engagement était décidé, sans avoir dans ce domaine un aperçu plus conventionnel que celui que lui offraient les façons de la femme affable et corpulente assise devant lui, en ajustant une paire de gants de suède* souillés sur des mains grasses et couvertes de bijoux, et qui, tout à la fois pressante et évasive, répétait encore et encore les choses, sans dire celle qu'il aurait aimé entendre. Il aurait aimé entendre le montant de son salaire ; mais juste au moment où il allait nerveusement évoquer cette question, le petit garçon revint : le petit garçon que Mrs Moreen avait envoyé chercher son éventail. Il revint sans cet objet, en déclarant simplement, d'un ton dégagé, qu'il n'avait pas pu le trouver." (page 309). |
"Le pauvre jeune homme hésitait, tergiversait tant il lui coûtait d'en venir à la question de ses appointements, de parler d'argent à une personne qui ne parlait que de sentiments et, apparemment, de l'aristocratie. Il était pourtant réticent à l'idée de prendre congé et de tenir son engagement pour une affaire entendue sans avoir reçu sur ce chapitre des assurances plus formelles qu'il n'en découvrait dans le flot d'amabilités de cette dame imposante qui, assise en face de lui, faisait glisser une paire de gants de suède* défraîchis dans sa main potelée, chargée de bagues, et qui, insistante et évasive à la fois, répétait à satiété toutes sortes de choses sauf celle qu'il eût voulu entendre. Il aurait voulu entendre le montant de ses émoluments ; mais au moment même où il allait timidement aborder le sujet réapparut le jeune garçon que Mrs. Moreen venait d'envoyer chercher son éventail dans une autre pièce. Il revint sans l'éventail, se contentant de déclarer d'un ton impertinent qu'il ne l'avait pas trouvé." (page 313) |
On notera que la version 10/18 ne précise malheureusement jamais quand les mots sont en français dans le texte... Dommage.
De plus, elle utilise des expressions bien vieillottes ("pincer la corde" ; "mordre" - pour "comprendre", page 31). Plus loin, "philistins" est traduit par "gens posés"...
On peut y trouver du charme ou non, cela va dépendre de chacun. Après tout, le texte anglais date de 1891, pourquoi alors ne pas utiliser ces expressions vieillottes ? Cela peut se justifier.
"" (Jean Pavans, présentation, page 12).
Version originale |
Pierre Leyris (10/18) |
Jean Pavans (La Différence) |
François Piquet (Pléiade) |
"" (page 33) |
"Quant à l'idée personnelle que Pemberton se fit de son élève, elle fut longue à se former, tant il y avait été peu préparé par les petits barbares prétentieux pour qui avait été conçue la tradition des précepteurs, telle qu'il l'avait découverte. Morgan était déficient et surprenant, dénué de plusieurs qualités supposées communes à l'espèce et doué d'autres qui étaient le lot des intelligences surnaturelles. Un jour Pemberton franchit un grand pas : il régla la question en décidant que Morgan était en effet surnaturellement intelligent, et que, même si cette formule étant [sic] encore insatisfaisante, c'était la seule base sur laquelle on pouvait correctement traiter avec lui. Il avait la nature d'un enfant pour qui la vie n'avait pas été simplifiée par l'école, avec une sorte de sensibilité qu'il s'était formée tout seul, et qui risquait d'être mauvaise pour lui, mais qui était charmante pour les autres, et toute une gamme de perceptions raffinées, de petites vibrations musicales captivantes comme un refrain envoûtant, et produites par des errances à travers l'Europe, dans le sillage de sa tribu migratoire." (page 315). |
"Quant au jugement qu'il portait sur son élève, Pemberton fut assez long à l'arrêter, fort mal préparé par les jeunes barbares imbus d'eux-mêmes pour qui semblaient faites tout exprès les règles traditionnelles du préceptorat, telles qu'elles s'étaient à ce jour révélées à lui. Morgan était déroutant, le résultat d'une surprenante combinaison : il présentait des lacunes et un grand nombre de qualités supposées communes à l'espèce lui faisaient défaut ; mais il avait bien d'autres dons qui étaient l'apanage d'une intelligence hors du commun. Son ami franchit un cap décisif le jour où il saisit une bonne fois pour toutes que Morgan était d'une intelligence hors du commun et que, sans l'ombre d'un doute, c'était le seul postulat (si schématique qu'il fût dans l'immédiat) sur lesquel s'appuyer pour communiquer avec lui. Il avait le tempérament d'un enfant pour qui la vie n'avait pas été simplifiée outre mesure par le collège, une sensibilité qui, parce qu'elle avait été modelée au foyer familial, aurait pu lui porter préjudice mais qui s'avérait charmante pour son interlocuteur, tout un clavier enfin de perceptions raffinées, petites vibrations musicales aussi prenantes que des ritournelles glanées çà et là qui lui venaient d'avoir erré à travers l'Europe à la suite de sa tribu migrante." (page 322). |
La Pléaide note que "" (notice, page 1364).
Les deux versions les plus littéraires sont celles de Jean Pavans et celle de François Piquet (La Pléiade).
Toutefois, la traduction de Jean Pavans est parfois à la limite de l'incompréhensible. Par exemple, à un moment, le précepteur et son tout jeune élève peuvent acheter des livres d'occasion :
Version originale |
Pierre Leyris (10/18) |
Jean Pavans (La Différence) |
François Piquet (Pléiade) |
"" (page 41). |
"C'étaient des occasions qui les aidaient à vivre, car leurs lectures s'achevaient très vite après qu'ils avaient ouvert leurs livres." (page 318). |
"Ces occasions les aidaient à vivre, car ils s'étaient trouvés à court de livres fort peu de temps après le début de leurs relations." (page 328). |
Mais un des défauts majeurs de la version Pavans (en plus du fait qu'il oublie parfois les points d'interrogation à la fin des phrases interrogatives... problème de relecture ? c'est probable, vu qu'il reste aussi quelques bouts de phrases comme "[...] [sic] [...]", page 330) est que le précepteur tutoie son élève ! Je veux bien que, en anglais, ça reste "you". Mais pas en français.
Imagine-t-on un précepteur dans une famille "bien", à la fin du XIX° siècle, qui tutoierait son élève ? Bien sûr que non : il le vouvoie.
Pourquoi avoir choisi le tutoiement ? Uniquement pour montrer la complicité entre le précepteur et son élève ? Quand même pas, je l'espère...
L'Elève est une bonne nouvelle, finalement assez claire, donc moins sujette à interprétations que d'autres textes, par exemple le suivant dans l'édition 10/18 (l'Image dans le Tapis).
Olivier Schatzky l'a adaptée en 1996, avec Vincent Cassel (impeccable), Jean-Pierre Marielle, et Caspar Salmon, qui n'a pas fait carrière. J'avais trouvé bien à l'époque... il faudrait que je le revoie.
Couverture version Points : G. Clausen : La Visite (détail), collection particulière ; version Babel : Félix Vallotton, Bouquet (détail), 1919. Musée d'Art et d'Histoire, Genève.
2/ L'Image dans le tapis (The Figure in the carpet, 1896) Traduction de Marie Canavaggia. 58 pages en version 10/18.
Il s'est trouvé que j'avais sous la main de nombreuses traductions différentes de ce texte, d'où un comparatif sans doute un peu excessif, mais qu'importe...
La nouvelle est parfois intitulée Le motif dans le tapis.
"" (La Pléiade, notice, page 1467)
James a écrit ce texte après l'échec de sa pièce Guy Domville, en 1895. C'est important.
Le narrateur est un jeune journaliste littéraire. Il apprécie beaucoup les oeuvres d'un grand écrivain, Vereker. Or, il est invité pour un week-end chez des gens, à la campagne, et il sait que cet écrivain va également s'y trouver.
A table, Vereker parle (car il a été interrogé à ce sujet) de l'article que notre journaliste a écrit sur son dernier roman.
"" (page 261).
Le problème, dit-il, c'est que l'auteur de l'article ""
Mais ne voit pas quoi ?
Le narrateur parvient à parler avec Verdeker en tête-à-tête. Le romancier lui parle des articles littéraires des journaux :
Texte original |
Marie Canavaggia, 1957 (10/18) |
Michel Gauthier et/ou John Lee et/ou Benoît Peeters (Points) |
Elodie Vialleton, 1997 (Babel) |
Pavans, 2004 (La Différence) |
Pierre Fontaney (Pléiade) |
"" (pages 104-105) |
"[...] " (pages 263-264). |
"Mais je les lisais de temps en temps autrefois... il y a dix ans. Je dois dire que, d'une manière générale, ils étaient relativement plus stupides à l'époque ; quoi qu'il en soit, j'ai toujours été frappé de constater qu'ils passaient à côté de mon petit propos avec une perfection tout aussi admirable lorsqu'ils me complimentaient que lorsqu'ils me critiquaient. Depuis, chaque fois que j'ai eu l'occasion de jeter un coup d'oeil à l'un d'eux, j'ai vu qu'ils n'avaient pas perdu leur ardeur - je veux dire qu'ils passaient toujours délicieusement à côté. Vous aussi, mon cher, vous passez à côté, avec une assurance inimitable ; que vous soyez terriblement intelligent et que votre article soit terriblement gentil ne changent rien à l'affaire. C'est exactement avec vous autres, jeunes gens en pleine ascension, dit Vereker en riant, que je me rends compte de l'étendue de mon échec." (pages 20-21) |
"" (page 822) |
"" (page 1127) |
Ce qui est frappant, lorsque l'on met à côté ces différentes versions, est la traduction du fameux "little point", qui est le pivot de la nouvelle.
On a cinq traducteurs, et cinq traductions différentes, pour un mot en apparence extrêmement banal : ma trouvaille, ma petite astuce, mon petit propos, ma petite intention, ma petite idée.
Incroyable, non ? Comme si chaque traducteur/traductrice avait jeté un oeil sur les copies de ses petits camarades pour être certain de ne pas traduire de la même façon... Cela montre en tout cas bien l'ambiguïté, la difficulté à saisir ce "little point".
Deux autres remarques anecdotiques, avant de continuer : dans la version Pavans, "bon" est ambigu : il peut très bien être compris comme "excellent", alors que James voulait dire "gentil". C'est un détail, bien sûr. De plus, c'est le seul chez qui on tapote l'épaule au lieu du dos...
Verdeker précise un peu son propos :
Texte original |
Marie Canavaggia, 1957 (10/18) |
Michel Gauthier et/ou John Lee et/ou Benoît Peeters (Points) |
Elodie Vialleton, 1997 (Babel) |
Pavans, 2004 (La Différence) |
Pierre Fontaney (Pléiade) |
[...]
|
"" (pages 105-106) |
"[...] " (page 265). |
[...] Il y a dans mon oeuvre une idée sans laquelle je n'aurais jamais éprouvé le moindre intérêt pour ce travail. C'est le dessein le plus subtil, le plus abouti de tous, et je crois que son exécution a demandé des trésors de patience, d'ingéniosité. Je devrais laisser quelqu'un d'autre le dire ; mais le fait que personne ne le dise est précisément ce dont nous parlons. Elle s'étend, ma petite ruse, de livre en livre, et tout le reste, en comparaison, n'est qu'en surface. L'ordre, la forme, la texture de mes livres en constitueront peut-être un jour pour les initiés une représentation parfaite. Aussi est-ce tout naturellement ce que les critiques doivent rechercher. Cela me semble même être, ajouta mon visiteur en souriant, ce que les critiques doivent trouver.
Cela paraissait en effet être une grande responsabilité.
-Vous appelez cela une petite ruse ?
- C'est seulement à cause de ma petite modestie. En fait, c'est un plan exquis.
-
Et vous maintenez que vous avez réalisé ce plan ?
- La façon dont je l'ai réalisé est ce qui me permet d'avoir un peu d'estime pour moi-même." (page 23)
|
"[...] " (page 823) |
"[...]" (page 1128). |
Et, un peu plus loin :
"" (page 267).
Notre journaliste s'obstine, demande même n'importe quoi : serait-ce par exemple une préférence pour la lettre "P" ? (ce qui donnera lieu, par les exégètes du texte, à des interprétations d'ordre sexuel) ; il tente d'obtenir des indices.
Texte original |
Marie Canavaggia, 1957 (10/18) |
Michel Gauthier et/ou John Lee et/ou Benoît Peeters (Points) |
Elodie Vialleton, 1997 (Babel) |
Pavans, 2004 (La Différence) |
Pierre Fontaney (Pléiade) |
|
"" (page 109). |
"" (pages 268-269) |
"Cette chose, seriez-vous capable, plume en main, de l'exprimer, de l'énoncer, de la formuler ?
- Oh, soupira-t-il, presque avec passion, si seulement, plume en main, je pouvais être l'un d'entre vous !
- Ce serait certes une grande chance pour vous. Mais pourquoi nous mépriseriez-vous parce que nous ne faisons pas ce que vous-même n'ête pas capable de faire ?
- Ce que je ne suis pas capable de faire ? Il écarquilla les yeux. Ne l'ai-je pas fait, en vingt volumes ? Je le fais à ma façon, poursuivit-il. Allez-y, et ne le faites pas à la vôtre.
- La nôtre est si diablement difficile, observai-je sans conviction.
- La mienne aussi ! Nous choisissons chacun la nôtre. Il n'y a aucune contrainte." (page 27)
|
"" (pages 824-825) |
"" (page 1131) |
Dans le Dictionnaire des Oeuvres (Bouquins), on peut lire que l'idée de cette nouvelle ""
Notre journaliste arrivera-t-il à percer le secret ? (indice : c'est une nouvelle de James...). Son obstination, à lui ainsi que celle d'un collègue, est très amusante (si l'on peut dire) à suivre : y a-t-il vraiment quelque chose de caché ? Tout cela n'est-il pas une mystification ?
C'est un texte dans lequel on peut y avoir une multitude d'intentions.
"" (Wikipedia)
"" (Lecture par Jacques Leenhardt, Babel, page 83)
Vraiment très bon.
On trouvera le texte original sur : http://www.gutenberg.org/ebooks/645
La traduction de Jean Pavans est également disponible en poche Garnier-Flammarion, ainsi qu'en poche Minos-La Différence.
On note un "[...] " (version Point, pages 282-283)... C'est quasiment le titre de la nouvelle suivante du recueil chez 10/18.
3/ La Bête dans la jungle. (The Beast in the Jungle, 1903). Traduction de Marc Chadourne. 69 pages en version 10/18.
Un homme, John Marcher, rencontre une femme, May Bartram. Il se rend compte qu'il l'avait déjà rencontrée dix ans auparavant, en Italie... Il l'avait totalement oubliée, mais voilà que, maintenant, en fouillant dans sa mémoire, il s'en souvient.
Texte original |
Marc Chadourne (10/18) |
Fabrice Hugot (Points) |
Evelyne Labbé (Pléiade) |
"" (page 158) |
"Aussi se regardaient-ils avec le sentiment d'une occasion manquée. La rencontre d'aujourd'hui aurait été tellement plus merveilleuse si la première dans ce lointain passé, là-bas, n'avait pas été si sottement banale. Il n'y avait pas eu entre eux, tout bien compté, plus d'une dizaine de petits événements, de ces petits riens de la jeunesse empreints de simple candeur et d'ignorante gaucherie, petits faits prometteurs peut-être, mais trop profondément ensevelis pour pouvoir jamais, semblait-il, revenir éclater à la surface, après toutes ces années. Marcher se disait qu'il aurait dû lui rendre alors quelque grand service comme de la sauver d'un naufrage dans la baie de Naples ou au moins récupérer son nécessaire de toilette arraché en plein Naples par un quelconque lazzarone armé d'un stylet." (page 21). |
"Ils se regardaient comme avec le sentiment d'une occasion manquée ; l'occasion présente eût été tellement meilleure si la précédente, déjà si lointaine et en terre étrangère, n'avait pas été aussi stupidement indigente. Tout bien compté, apparemment, c'est à peine si l'on pouvait dénombrer une douzaine de petites choses anciennes qui avaient réussi à se produire entre eux : vétilles de jeunesse, ingénuités candides, naïves inepties, menues graines en puissance, mais trop profondément enfouies (à ce qu'il semblait, n'est-ce pas ?) pour pouvoir germer après tant d'années. Marcher se disait qu'il aurait dû lui rendre quelque service - la sauver d'un bateau retourné dans la baie, ou tout au moins récupérer son nécessaire de toilette qu'un lazzarone armé d'un stylet avait arraché de son fiacre dans les rues de Naples." (page 849) |
"" (Présentation de Fabrice Hugot, page 1, Points)
De plus, ce qui est bien étrange, c'est que
May Bartram se souvient de leur première rencontre nettement mieux que John Marcher... D'ailleurs, elle lui dit qu'elle n'a pas oublié, depuis ces dix ans, ce qu'il lui avait confié sur un bateau...
Texte original |
Marc Chadourne (10/18) |
Fabrice Hugot (Points) |
Evelyne Labbé (Pléiade) |
"" (page 163) |
"« Je pense que je vois que ce vous voulez dire, finit-il par répondre, mais, chose curieuse, je ne me rappelais pas vous avoir fait une si grande confidence.
- Est-ce parce que vous l'avez faite à beaucoup d'autres personnes ?
- Pas du tout. A personne.
- Je suis donc la seule à savoir.
- La seule personne au monde.
- Eh bien ! enchaîna-t-elle aussitôt, je n'en ai jamais parlé. Je n'ai jamais répété ce que vous m'aviez confié." (page 26). |
"« A la réflexion, finit-il par dire, je pense que je sais de quoi vous parlez. Seulement j'avais perdu, de façon plutôt curieuse, toute conscience d'être allé aussi loin en me confiant à vous.
- Est-ce parce que vous vous êtes confié à beaucoup d'autres également ?
- Non, à personne. Pas à une seule âme depuis lors.
- De sorte que je suis la seule personne à savoir ?
- La seule au monde.
- Eh bien, répliqua-t-elle aussitôt, je n'ai, de mon côté, jamais parlé non plus." (page 852). |
Eh oui, il a totalement oublié cet épisode ! Il a pourtant révélé son secret !
Le lecteur peut croire un moment qu'il ne saura jamais pas en quoi consiste ce terrible secret, mais il n'en est heureusement rien.
C'est un secret qui le rend différent des autres hommes.
May Bartram va l'assister.
Texte original |
Marc Chadourne (10/18) |
Fabrice Hugot (Points) |
Evelyne Labbé (Pléiade) |
"" (page 177) |
"« Nos habitudes vous sauvent, vous, en tout cas. Qu'en dites-vous ? Elles vous rendent tout pareil aux autres hommes. Car enfin, quel est le propre des hommes en général ? Eh bien ! la capacité de passer des heures entières avec des femmes ennuyeuses et d'y arriver, je ne dirais pas sans s'ennuyer, mais sans faire attention qu'ils s'ennuient ou sans songer à prendre le large pour leur échapper, ce qui revient au même. Et moi, je suis votre femme ennuyeuse. Je suis un peu de ce pain quotidien pour lequel vous priez à l'église. Et c'est comme cela que vous trompez l'ennemi." (page 43). |
"« Au moins, notre habitude vous sauve, ne le voyez-vous pas ? parce qu'en fin de compte, aux yeux du vulgaire, elle vous permet de ne pas vous distinguer des autres hommes. Quelle est, chez les hommes en général, la caractéristique la plus invétérée ? Eh bien, la capacité de passer un temps infini en compagnie de femmes insipides - de le passer, je ne dirais pas sans s'ennuyer, mais sans se soucier de leur ennui, sans chercher à prendre la tangente en conséquence, ce qui revient au même. Je suis donc votre femme insipide, une partie du pain quotidien pour lequel vous priez à l'église. Voilà ce qui, mieux que tout, couvre vos traces." (page 863) |
Mystérieux, n'est-ce pas ? Mais on aura des explications.
Une histoire de vie gâchée, deux êtres qui auraient pu être heureux ensemble, qui sont quand même souvent ensemble tout en étant nettement moins heureux qu'ils n'auraient pu l'être, à cause de ce secret...
Une bonne nouvelle, mais il me semble moins riche de possibilités que l'Image dans le Tapis.
Il y a une certaine parenté thématique avec la nouvelle l'Autel des Morts (1895). D'ailleurs, François Truffaut est censé s'être inspiré de ces deux nouvelles (ainsi que de Les Amis des Amis, dit Wikipedia, mais cela semble surprenant) pour son film La Chambre Verte (on y reconnaît quasiment uniquement l'Autel des Morts).
En fait, Trauffaut n'a pas vraiment précisé :
On trouvera le texte en anglais sur : http://www.gutenberg.org/ebooks/1093
- L'autel des Morts Ce livre, chez Stock, comporte deux nouvelles : L'Autel des Morts et Dans la Cage.
1/ L'Autel des Morts (The Altar of the Dead, 1895). 75 pages.
Le personnage principal de cette nouvelle s'appelle George Stransom. Il a été marqué par le décès, dû à une fièvre maligne, de Mary Antrim, la jeune fille qu'il devait épouser.
Texte original |
Diane de Margerie (Stock) |
Jean Pavans (La Différence, tome III) |
François Piquet (Pléiade, tome III) |
"" (page 10) |
"Il n'avait pas été du genre à cultiver de nombreuses passions, et malgré le nombre des années aucun sentiment en lui n'avait surpassé le sentiment d'être abandonné. Il n'avait eu besoin ni de prêtre ni d'autel pour devenir veuf à jamais. Il avait fait plusieurs choses au monde ; il avait fait presque toutes les choses, sauf une : il n'avait jamais oublié. Il avait essayé d'introduire dans son existence tout ce qui pouvait y trouver une place, mais il n'en avait jamais rien fait d'autre qu'une maison dont la maîtresse était éternellement absente." (page 761) |
"Il n'avait pas été l'homme de nombreuses passions et il n'était pas de conviction qui se fût au fil de toutes ces années, plus profondément enracinée en lui que celle d'avoir été dépossédé. Il n'avait été besoin ni de prêtre ni d'autel pour faire de lui à tout jamais un veuf. Il avait accompli bien des choses en ce monde ; en fait, il n'avait pratiquement connu que des réussites, à une exception près : il n'était jamais parvenu à oublier. Il s'était évertué à meubler le vide de son existence, sans parvenir à en faire autre chose qu'une maison dont l'hôtesse était perpétuellement absente." (pages 1077-1078). |
Les morts vont occuper une place de plus en plus importante dans sa vie, du moins dans son temps libre.
Texte original |
Diane de Margerie (Stock) |
Jean Pavans (La Différence, tome III) |
François Piquet (Pléiade, tome III) |
"" (pages 11-12) |
"Il y avait dans sa vie d'autres fantômes que le fantôme de Mary Antrim. Il n'avait sans doute pas subi davantage de pertes que la plupart des hommes, mais il les avait davantage comptées ; il n'avait pas vu la mort de plus près, mais il l'avait d'une certaine manière, plus profondément sentie. Il avait peu à peu acquis l'habitude de dénombrer ses morts ; et il en était venu, assez tôt dans sa vie, à se dire qu'on devait faire quelque chose pour eux. Ils étaient là dans leur essence simplifiée et intensifiée, dans leur absence consciente et leur patience expressive, aussi attentifs que s'ils étaient brusquement devenus muets. Quand on n'avait plus de pensée pour eux, ils ne faisaient plus aucun bruit, et c'était comme si leur purgatoire était vraiment encore sur terre : ils demandaient si peu, et par là ils obtenaient, les pauvres êtres, encore moins : ils mouraient de nouveau, mouraient tous les jours, de la dure usure de la vie." (page 762) |
"Il était dans sa vie d'autres fantômes que celui de Mary Antrim. Il n'avait peut-être pas connu plus de deuils que la plupart des hommes, mais ils avaient pesé plus lourd. Il avait pris, petit à petit, l'habitude de dénombrer ses Morts. Raisonnablement tôt dans son existence, il lui était apparu qu'il fallait faire quelque chose pour eux. Ils se trouvaient là, voués à une essence plus simple et plus intense, avec leur absence délibérée et leur patience lourde de sens, leur personnalité aussi présente que s'ils n'avaient été frappés que de mutisme. Quand tout conscience de leur présence s'effaçait, quand leur voix n'était plus du tout perceptible, c'était en réalité comme si leur purgatoire se prolongeait en ce bas monde ; ils demandaient si peu, les malheureux, qu'ils obtenaient moins encore et mouraient de nouveau, mouraient chaque jour sous la dure loi de la vie." (page 1078) |
Il communique finalement mieux avec les morts qu'avec les vivants...
Texte original |
Diane de Margerie (Stock) |
Jean Pavans (La Différence, tome III) |
François Piquet (Pléiade, tome III) |
"" (pages 30-31) |
"Par moments, il en venait presque à souhaiter la mort de certains de ses amis, afin d'établir avec eux un lien plus délicieux que celui qu'il pouvait cultiver dans la vie. Avec ceux dont on était séparé par les longues courbes du globe, un lien pareil ne pouvait être qu'un progrès : il les mettait instantanément à portée de main. [...] La mort opérait une étrange sanctification, mais certains personnages étaient d'avantage sanctifiés en étant oubliés qu'en étant célébrés. Le plus grand vide dans cette page scintillante était le souvenir d'Acton Hague, dont il essayait obstinément de se débarrasser. Pour Acton Hague, aucune flamme ne pourrait jamais s'élever sur son autel personnel." (page 768) |
"À certains moments, il se surprenait à presque souhaiter la mort immédiate de quelques-uns de ses amis afin qu'il puisse de la sorte établir avec eux une relation plus charmante que celle qu'il lui était possible de goûter de leur vivant. Pour ceux dont le séparait la longue courbure du globe, une telle relation ne pouvait constituer qu'un progrès : elle les mettait instantanément à votre portée. [...] La mort opérait une étrange sanctification, mais certains étaient plus sanctifiés par l'oubli que par la mémoire. L'absence la plus manifeste dans cette page étincelante concernait le souvenir d'Acton Hague, dont il tentait avec obstination de se défaire. Jamais aucune flamme ne pourrait s'allumer sur son autel pour Acton Hague." (pages 1088-1089). |
Acton Hague est presque son ennemi personnel, en fait plutôt quelqu'un qui l'a beaucoup déçu, et à qui il ne peut pas pardonner.
De façon assez similaire à La Bête dans la Jungle, George Stransom va faire la connaissance d'une femme...
Une très bonne nouvelle, sombre - une réflexion sur la mort et la survie après la mort - , qui se déroule dans un monde qui ne paraît pas tout à fait réel, presque déserté, dans laquelle il ne se passe pas grand chose, mais qui laisse néanmoins une impression durable.
La notice de la Pléiade ouvre des pistes de réflexion très intéressantes, notamment en rapport avec la vie privée de James, qui avait commencé à écrire cette nouvelle quelques mois après la mort de son amie Constance Fenimore Woolson. La femme de la nouvelle et Constance Fenimore Woolson ont de nombreux points communs....
On pourra trouver le texte en anglais sur : http://www.gutenberg.org/ebooks/642
François Truffaut a adapté cette nouvelle et l'a située en France. C'est La Chambre Verte (1978).
Dès le début, le film est placé sous le signe de la mort.
Ici, avec la jeune femme, interprétée par Nathalie Baye.
2/ Dans la cage (In the Cage, 1898). 194 pages.
Voici le début de cette nouvelle :
Texte original |
François-Xavier Jaujard (Stock) |
Aurélie Guillain (La Pléiade, volume 3) |
"" (pages 87-88). |
"Il lui était vite apparu que dans sa position - celle d'une jeune personne menant, prisonnière de cloisons grillagées, la même vie qu'une pie ou un cochon d'Inde - elle allait rencontrer un grand nombre de personnes sans que celles-ci reconnaissent l'existence de cette relation. Son émotion était d'autant plus vive - quoique singulièrement rare, et, même alors, les possibilités restaient toujours à l'état d'ébauche - lorsqu'elle voyait entrer quelqu'un qu'elle connaissait « de l'extérieur », comme elle disait, et qui pouvait introduire quelque variété dans la pauvre monotonie de sa fonction. Ce travail consistait à rester assise en compagnie de deux jeunes gens, le deuxième télégraphiste et le guichetier, à s'occuper de l'« émetteur » qui fonctionnait sans relâche, à délivrer des timbres et des mandats, à peser des lettres, répondre à des questions ineptes, faire de la monnaie sur de gros billets et, avant toute chose, compter des mots aussi innombrables que les grains de sable de l'océan - les mots des télégrammes qu'on glissait du matin au soir à travers l'ouverture ménagée dans le haut grillage, sur l'étagère encombrée contre laquelle son avant-bras frottait si souvent qu'il en était endolori." (page 125). |
Une cloison sépare le petit bureau de poste de l'épicerie dans laquelle a officié Mr Mudge, que notre héroïne doit bientôt épouser. Grâce à sa promotion, il est maintenant ailleurs, mais dans un quartier plus populaire, et c'est mieux pour elle de ne plus le voir ainsi tous les jours : "[...] " (page 89).
Elle pourrait travailler près de son futur mari, mais cela ne l'enchante pas. De plus, même si le trajet est long depuis chez elle jusqu'à son lieu de travail, le petit bureau de poste se trouve dans un coin chic, et notre héroïne se plaît à observer les clients. D'une certaine façon, elle est extrêmement douée : elle se souvient parfaitement de télégrammes même anciens, établit des liens entre des messages opaques, fait des rapprochements, des supputations, sent des drames pointer...
Elle est à la fois fine et imaginative. De plus, elle aime les livres, et lit beaucoup de "romans à quatre sous". Elle va donc deviner des choses, en imaginer d'autres, la frontière entre le monde réel et le monde imaginaire n'étant pas toujours très nette.
Elle tente, depuis sa cage, de percer les mystères du beau monde. Elle aimerait échapper à sa cage (bien sûr physique autant que figurée) pour connaître la vraie vie.
Une bonne nouvelle, toutefois assez longue, parfois obscure, et aux phrases pas toujours simples.
On pourra lire le texte en anglais sur http://www.gutenberg.org/ebooks/1144 .
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