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Emily ST. JOHN MANDEL
(Comox, Colombie-Britannique, 1979 - )


mandel
 

"Emily St. John Mandel, née en 1979 à Comox en Colombie-Britannique, est une romancière canadienne anglophone, spécialisée dans le roman policier. En 2014, elle aborde la science-fiction avec son roman Station Eleven qui est finaliste du National Book Award.

Elle passe son enfance sur l'île Denman. Elle s'inscrit à une école de danse de Toronto, puis vit un temps à Montréal, avant de s'installer à New York. Elle est aujourd'hui mariée et vit à Brooklyn.

Son premier roman, Dernière nuit à Montréal (Last Night in Montreal), raconte l'enquête de Christopher, un détective privé chargé de retrouver Lilia, enlevée à sept ans par son père et en cavale depuis son adolescence. En parallèle se développe l’histoire de Michaela, la fille de Christopher, qui rêve d’être funambule et celle d’Eli, qui a hébergé Lilia à New York. Publié en 2009, ce roman est traduit en français en 2012 par les éditions Payot & Rivages dans la collection Rivages/Thriller. [...]

On ne joue pas avec la mort (The Singer's Gun, 2010), son deuxième titre traduit en France, remporte le prix Mystère de la critique en 2014.

Son troisième roman, le premier à être publié au Canada, intitulé The Lola Quartet (2012) est traduit en français sous le titre Les Variations Sebastian en 2015.

Elle publie en 2014 Station Eleven, un roman dystopique se déroulant dans un monde post-apocalyptique après qu'un virus a ravagé la Terre. Cela lui vaut des nominations aux PEN/Faulkner Award et Baileys Women's Prize for Fiction, ainsi que d'être finaliste du National Book Award 2014." (merci Wikipedia)

 

station eleven
En couverture : Michael Kenna : Upset Chair, Pompano, Florida, 1992.

- Station Eleven (Station Eleven, 2013). Traduit de l'anglais (Canada) par Gérard de Chergé. Rivages. 478 pages.

Le livre commence par une citation de Czeslaw Milosz :
"Le côté lumineux de la planète s'enfonce dans les ténèbres
Et les villes s'endorment, chacune à son heure
Et pour moi, aujourd'hui comme alors, c'en est trop.
Le monde est trop présent.
"

Au début du roman, nous assistons à une représentation du Roi Lear à l'Elgin Theatre de Toronto. C'est l'acte I. Le roi est joué par une star du cinéma un peu vieillissante, Arthur Leander. Il se sent mal, vacille et s'effondre.
Sa mort va coïncider (tout en n'ayant rien à voir) avec le début d'une apocalypse plus générale : une variante ultra-agressive de la grippe, appelée grippe de Géorgie, va tuer 99,99% de l'humanité en quelques jours.

Quelques années plus tard et progressivement, un petit groupe d'hommes et femmes, pour qui "survivre ne suffit pas", se sont réunis pour former une troupe : la Symphonie itinérante. Côté théâtre, ils jouent essentiellement du Shakespeare, et côté musique, pas mal de Beethoven. Shakespeare a bizarrement du succès auprès des survivants qui se sont regroupés en petites colonies. À un moment, une des actrices a tout de même envie de jouer autre chose.
"Elle voulait écrire quelque chose de moderne, un texte qui s'adresserait à cette nouvelle ère dans laquelle ils avaient atterri. Survivre ne suffit peut-être pas, avait-elle dit à Dieter lors d'une de leurs discussions nocturnes, mais d'un autre côté, Shakespeare non plus. Il avait alors ressorti ses éternels arguments, comme quoi Shakespeare avait vécu dans une société ravagée par la peste, sans électricité, et que la Symphonie itinérante se trouvait dans une situation analogue. La grande différence, avait-elle répliqué, c'était qu'eux ils avaient connu l'électricité, ils avaient tout connu, ils avaient assisté à l'effondrement d'une civilisation, ce qui n'était pas le cas de Shakespeare." (page 413).
Certes, mais dans un monde où les gens nés après l'apocalypse ont même du mal à appréhender la notion d'état ou de frontière (sans compter un grand nombre d'autres concepts), que vont ils comprendre aux pièces de Shakespeare ?

On va donc assister à la chute de la civilisation, au désarroi de ceux qui vont mourir, à celui des survivants, à quelques interrogations sur ce qui est vraiment important dans la vie.

L'intérêt du livre repose toutefois principalement sur sa construction, faite de savants flash-backs, qui permettent de comprendre d'où vient tel ou tel objet, de revoir une scène deux ou trois fois avec le point de vue de protagonistes différents. Mais c'est aussi sa limite : une belle construction, plus qu'un propos vraiment fort (pourtant, avec le sujet, il y avait de quoi faire...). Des détails s'éclairent, des éléments incompréhensibles deviennent compréhensibles (mais il y a aussi des hasards incroyables, la probabilité pour que certaines personnes survivent et se rencontrent était quasiment nulle dans un monde qui est redevenu local...).

On est très loin de la puissance de l'Aveuglement de Saramago, ou même de La Route de McCarthy, ce dernier livre essayant de faire du fort avec une économie de moyens extrême (c'était sa principale originalité). Dans Station Eleven, ce n'est pas le cas. La construction est complexe, l'auteur ne nous révélant des détails qu'après coup. Cela crée de l'intérêt, sans doute. Mais on se dit aussi que si le livre ne comportait pas tous ces flash-backs, il serait nettement moins intéressant. Ce qui est caché relève finalement du détail qui éclaire psychologiquement tel ou tel personnage, mais ce type de construction ne se justifie pas vraiment, contrairement à la Tâche, de Philip Roth, ou de Memento, le film de Christopher Nolan.
Avec un sujet aussi fort que la quasi-disparition de la civilisation et toutes ses conséquences, c'est dommage qu'il ne reste finalement, une fois fini le livre, pas beaucoup plus que quelques destins individuels, des "réflexions" sur la notoriété (que de temps passé sur le blues de l'acteur star de cinéma, le problème de la notoriété... bof... ces passages sont trop, trop longs), et une petite histoire de Prophète (un peu cliché) qui règne sur un petit territoire (il fallait quand même qu'il y ait quelques péripéties dans l'histoire qui se passe au "présent"...). Il y avait pourtant tellement de thèmes à développer : ce qui fait une civilisation, l'importance de la culture, la transmission du savoir... Dommage.
De plus, l'auteure répète fréquemment ce qu'il faut pour que le lecteur ne soit pas perdu, elle met les points sur les "i"... quand on se souvient de ce qu'on a lu cent pages auparavant, c'est un petit peu agaçant.

Il y a quand même des bonnes choses, de bons passages (l'aéroport, par exemple), qui font qu'on lit le livre rapidement : on est intéressé.
Pourquoi ce livre a-t-il un aussi grand succès ? Il m'en rappelle un autre (outre La Route de McCarthy) : celui des Fils de l'Homme, de P.D. James. Dans les deux cas, une auteure de romans policiers se met à écrire de la SF, ce qui amène des lecteurs n'ayant jamais ouvert un livre de SF à en lire (d'autant plus qu'il est publié dans une collection de littérature générale). Et là, c'est le choc.

Le livre est donc bien construit et malgré des longueurs, on tourne les pages pour découvrir la suite. Mais pour un livre ayant été nominé en 2015 au PEN/Faulkner Award, qui a été finaliste du National Book Award (et qui a remporté le Prix Arthur C. Clarke 2015), j'en attendais plus. Avec Station Eleven, j'ai souvent eu l'impression de lire un livre écrit de façon très professionnelle.

 

 

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