MELVILLE Herman
(Manhattan, 01/08/1819 - New York, 28/09/1891)
Rapidement orphelin de père, Hermann Melville fut couvé par sa mère, ce qui - disent certains psy - a eu une influence considérable sur son oeuvre.
A dix-neuf ans, il est matelot ; à vingt-trois ans, instituteur.
Puis il s'enrôle sur un baleinier. Il vécut parmi les indigènes dans des îles du Pacifique, notamment à Tahiti. Il a tiré de ces expériences des récits romancés d'aventures : c'est le succès.
Il se marie.
Son roman
Mardi (1849) contient moins d'aventures et plus d'allégorie, de symbolisme, de métaphysique... Il se vend très mal.
Redburn (1849) et la Blouse blanche (White jacket, 1850) furent ses derniers ouvrages à intéresser le public.
En 1850, dans une ferme achetée à proximité de la propriété de Nathaniel Hawthorne, qu'il avait rencontré et qui devint son mentor, il écrit Moby Dick, qui ne connaîtra le succès qu'après la Seconde Guerre Mondiale.
S'ensuivent des années de désillusion : pauvreté, maladie, problèmes conjugaux... Pierre ou les Ambiguïtés (Pierre: or, The Ambiguities, 1852) est un échec commercial. Le Grand Escroc (The Confidence-Man, 1857) également ("oeuvre qui, aujourd'hui encore, décourage l'analyse", Dictionnaire des Auteurs, Robert Laffont).
Il écrit notamment des contes (Bartleby, 1856).
Il voyage de nouveau. "Pour Melville, en effet, il y avait touours un voyage à accomplir, mais le cap qu'il doublait n'était jamais celui de ses rêves" (Dictionnaire des Auteurs). Puis, ce sont une trentaine d'années de silence littéraire, à part des poèmes, un long récit philosophique en vers, Clarel (1876), et Billy Budd, qu'il complète peu de temps avant sa mort.
- Moi et ma cheminée. Récits traduit en 1951 par Armel Guerne. 154 pages. Seuil.
Dans sa préface, Armel Guerne par de Melville "qui fait en approchant de la quarantaine l'apprentissage de la solitude au milieu des siens et qui subit douloureusement ce retrait surnaturel immanquablement réservé, semble-t-il, aux grandes âmes les plus combatives" (page 11).
Armel Guerne a écrit cette préface en 1951 ; il se retirera lui-même dans son moulin à vent de Tourtrès (Lot-et-Garonne) dix ans plus tard, lorsqu'il sera parvenu à la cinquantaine.
Le retrait, c'est un peu le thème général de ce recueil, qui comporte trois textes écrits à la fin de la période productive de l'auteur (si l'on excepte les poésies).
1/ Moi et ma cheminée (1856). 78 pages.
Le narrateur habite une grande maison à la campagne. Elle est visible de loin grâce à sa cheminée, si grande qu'elle structure pour ainsi dire la maison autour d'elle.
"Moi et ma cheminée, têtes grises et vieux fumeurs, nous habitons la campagne. J'ose même dire que nous y devenons d'authentique autochtones ; et particulièrement ma cheminée qui s'y enfonce un peu plus chaque jour." (page 21).
"Ma cheminée est le grand seigneur des lieux : le grandiose et unique édifice dominateur - non seulement dans le paysage, mais plus encore dans la maison. Tout le reste de la maison, ainsi qu'on le verra sous peu, est adapté à son architecture, non pas à mes propres besoins, mais à ceux de ma cheminée, qui occupe, entre autres, le centre même de la demeure, ne me laissant, à moi, que les coins et les recoins excentriques." (page 24).
"Pour dire la vérité, ma femme, ainsi que le reste du monde, se soucie comme d'une guigne de mon éloquence philosophique. Et à défaut d'autre entourage philosophique, nous nous contentons, moi et ma cheminée, de fumer et philosopher ensemble. A rester, assis comme nous le faisons, veillant tard, c'est une épaisse fumée que nous produisons, en vieux fumeux philosophe que nous sommes.
Mais mon épouse, qui apprécie la fumée de mon tabac à peu près autant qu'elle aime l'odeur de la suie, mène le combat de front contre nous deux.
" (page 95).
Des menaces pèsent donc sur cette cheminée, à commencer par la femme du narrateur, qui appelle son mari "vieil homme". Quant à elle, malgré son âge, elle déborde d'énergie. Avec ses filles, elles rêvent de supprimer cette cheminée immense, pour réaménager la maison et permettre, enfin, de recevoir les invités convenablement, au lieu de faire tours et détours entre la porte d'entrée pour parvenir à la salle à manger.
Notre narrateur, qui n'aspire qu'à fumer et à papoter tranquillement avec sa cheminée, aura-t-il les ressources morales pour luter contre sa femme, ses filles, son voisin ?
Très bonne nouvelle, au symbolisme transparent.
2/ Jimmy Rose (1855). 29 pages.
Le narrateur, un vieil homme, quitte la campagne pour s'installer en ville, ayant fait un héritage. Il connaît la maison qu'il va habiter, car elle est liée à un souvenir, celui de Jimmy Rose, un homme qui fut très riche, fêté, avant de se trouver ruiné.
C'est le type de nouvelle intéressante non pas tant pour son histoire, mais pour la psychologie originale du personnage principal, Jimmy Rose. Il se débrouille comme il le peut, tout en restant très digne.
"Car le mendiant qui marmonne au coin de la rue attend son pain moins avidement que le coeur vaniteux son compliment." (page 125).
Très bien.
3/ L'Heureuse faillite (1854). 24 pages.
Nous sommes à la campagne. Le narrateur doit rencontre son vieil oncle près du fleuve. Il doit participer à une expérience susceptible de changer l'humanité, fruit d'années de travail de l'oncle. Bien sûr, tout n'ira pas comme prévu. "Et si l'événement a fait de mon oncle, comme il l'avait dit, un bon vieillard, il a fait de moi un jeune sage. L'exemple a accompli en moi le travail de l'expérience." (page 153).
Petite nouvelle vraiment très sympathique.
Un très bon recueil, au ton un peu amer : le mieux que l'on puisse faire, face au monde tel qu'il est, semble de se retirer dans un coin tranquille et de profiter du temps qui reste.
PS. : Sauvons les pauvres cheminées, elles ne nous ont rien fait !
"Ecotricity, une entreprise britannique spécialisée dans les énergies renouvelables, a mis en ligne cette vidéo montrant des cheminées de refroidissement à visage humain en train de s'effondrer. L'entreprise veut promouvoir le développement des énergies renouvelables au Royaume Uni. Mais franchement, cette vidéo donne envie d'aimer les cheminées, non ?" (source : Les Inrocks)