Littérature Anglo-saxonne
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"Il accède à la reconnaissance internationale avec le recueil de nouvelles Goodbye, Columbus, qui remporte le National Book Award en 1960, et grâce à son bestseller Portnoy et son complexe (Portnoy's Complaint), paru en 1969. Son œuvre est notamment dédiée à son personnage et alter ego Nathan Zuckerman, dont le cycle débute avec L'Écrivain des ombres (Ghost Writer, 1979) et s'achève avec Exit le fantôme en 2007. Il n'aura pas le Prix Nobel, parce que le Comité Nobel, depuis quelques années, considère que les romanciers américains sont renfermés sur eux-mêmes, qu'il ne sont oas ouverts au monde - le caractère "universel" d'une oeuvre est chose très importante pour le Comité Nobel... Est-ce à dire que l'oeuvre de Philip Roth n'a pas de résonnance universelle ? Elle traite de la société américaine d'une époque, mais cela va plus loin. Ça n'a pas grande importance, Philip Roth est largement lu. En 2012, Philip Roth annonce, dans une interview aux Inrocks, qu'il a cessé d'écrire, du moins de la fiction. Non. D’ailleurs, je n’ai pas l’intention d’écrire dans les dix prochaines années. Pour tout vous avouer, j’en ai fini. Némésis sera mon dernier livre. Regardez E. M. Forster, il a arrêté d’écrire de la fiction vers l’âge de 40 ans. Et moi qui enchaînais livre sur livre, je n’ai rien écrit depuis trois ans. J’ai préféré travailler à mes archives pour les remettre à mon biographe. Je lui ai remis des milliers de pages qui sont comme des mémoires mais pas littéraires, pas publiables tels quelles. Je ne veux pas écrire mes mémoires, mais j’ai voulu que mon biographe ait de la matière pour son livre avant ma mort. Si je meurs sans rien lui laisser, par quoi commencera-t-il ? Mais vous venez de passer l’entretien à dire que la vie d’un écrivain n’influence pas forcément son travail, et vous trouvez important qu’on écrive votre biographie ? Je n’ai pas le choix. Si j’avais le choix, je préférerais qu’il n’y ait pas de bio sur moi, mais il y aura des biographies après ma mort, donc autant être sûr qu’il y en ait une qui soit exacte. Blake Bailey a écrit une excellente biographie de John Cheever, qui était un de mes amis difficile à biographier car, homosexuel et alcoolique, il a passé presque toute sa vie à se cacher. Bailey m’a contacté, nous avons passé deux jours entiers à parler, et il m’a convaincu. Mais je ne contrôlerai pas son travail. De toute façon, 20 % seront faux, mais c’est toujours mieux que 22 %. [...] À 78 ans, quel regard jetez-vous sur ce que vous avez écrit ? À 74 ans, j’ai réalisé que je n’avais plus beaucoup de temps, alors j’ai décidé de relire les romans que j’avais aimés à 20 ou 30 ans, parce que c’est ceux-là qu’on ne relit jamais. Dostoïevski, Tourgueniev, Conrad, Hemingway… et quand j’ai fini, j’ai décidé de relire tous mes livres en commençant par la fin : Némésis. Jusqu’au moment où j’en ai eu marre, juste avant Portnoy et son complexe, qui est imparfait. Je voulais voir si j’avais perdu mon temps à écrire. Et j’ai pensé que c’était plutôt une réussite. À la fin de sa vie, le boxeur Joe Louis a dit : “J’ai fait du mieux que je pouvais avec ce que j’avais.” C’est exactement ce que je dirais de mon travail : j’ai fait du mieux que j’ai pu avec ce que j’avais. Et après ça, j’ai décidé que j’en avais fini avec la fiction. Je ne veux plus en lire, plus en écrire, et je ne veux même plus en parler. J’ai consacré ma vie au roman : je l’ai étudié, je l’ai enseigné, je l’ai écrit et je l’ai lu. À l’exclusion de pratiquement tout le reste. C’est assez ! Je n’éprouve plus ce fanatisme à écrire que j’ai éprouvé toute ma vie. L’idée d’affronter encore une fois l’écriture m’est impossible ! [...] Pas envie d’écrire sur l’Amérique d’aujourd’hui ? J’ai 78 ans, je ne connais plus rien de l’Amérique aujourd’hui. Je la vois à la télé. Mais je n’y vis plus." (Source : http://www.lesinrocks.com/2012/10/07/livres/philip-roth-nemesis-sera-mon-dernier-livre-11310126/ )
- La Tache (The Human Stain, 2000). Traduit de l'américain par Josée Jamoun en 2002. Folio. 480 pages. Prix Médicis Etranger 2002. "A l'été 1998, mon voisin, Coleman Silk, retraité depuis deux ans, après une carrière à l'université d'Athena où il avait enseigné les lettres classiques pendant une vingtaine d'années puis occupé le poste de doyen les seize années suivantes, m'a confié qu'à l'âge de soixante et onze ans il vivait une liaison avec une femme de ménage de l'université qui n'en avait que trente-quatre." (page 11). Le narrateur est Jonathan Zuckerman, l'alter ego de Philip Roth. La Tache raconte principalement la vie de cet homme, Coleman Silk, qui est venu demander à Zuckerman (ils habitent non loin l'un de l'autre) d'écrire un livre sur lui... ce que Zuckerman fera, mais plus tard, à la suite d'événements inattendus. Il n'est donc pas besoin d'avoir lu les romans précédents du cycle. "Ce fut à peu près au milieu du second semestre où il avait recommencé d'enseigner à plein-temps que Coleman prononça le mot scélérat qui devait le pousser à rompre lui-même tout lien avec l'université - ce seul mot scélérat parmi des millions prononcés à voix haute pendant les années où il avait enseigné et administré, ce mot qui, selon lui, était la cause directe de la mort de sa femme. "Ces gens instruits, ces gens qui avaient écrit des thèses, et qu'il avait engagés lui-même parce qu'il les croyait capables d'une pensée rationnelle et indépendante, n'avaient finalement manifesté aucun désir de soupeser les charges obscures contre lui et d'en tirer les conclusions qui s'imposaient. Il était raciste, et tout à coup, à l'université d'Athena, c'était l'épithète la plus chargée d'affect qu'on pouvait vous appliquer. Et au sein de la faculté, chacun s'était laissé gagner par ce pathos, par peur de porter préjudice à son dossier et à sa promotion ultérieure. « Raciste », il avait suffi de prononcer le mot avec une autorité officielle pour que ses alliés prennent leurs jambes à leur cou jusqu'au dernier." (pages 120-121) Comment des gens intelligents peuvent-ils être pris d'une sorte de folie collective, d'une annihilation même temporaire du jugement (car il n'y a pas que des cyniques et des lâches parmi eux) ? Un parallèle est effectué entre le déchaînement médiatique contre Clinton, et celui - bien sûr plus local - qui a lieu contre Coleman. On trouve également les problèmes de la vieillesse, du sexe (c'est classique chez Roth, bien sûr). Mais un des thèmes principaux du livre semble être l'impossibilité de juger vraiment autrui, parce que l'on ne connaît jamais vraiment les gens, même si l'on croit les connaître. "Je suis la fille de mon père [...], la fille d'un père pointilleux sur le chapitre des mots ; or, au fil des jours, les mots que j'entends employer me paraissent de moins en moins décrire la réalité. [...] Faut-il vraiment avoir si peur des mots que l'on emploie ?" (page 438). Cette histoire est racontée à Nathan Zuckerman, qui nous la retranscrit... Et, nous, on la croit. Mais elle n'est apparemment pas vraie. Multiplicité des personnages, variés et approfondis, multiplicité des thèmes (racisme, hypocrisie, lâcheté, les sacrifices que l'on est prêt à faire pour vivre sa vie, etc.) : le tout donne un roman excellent, puissant.
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