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Philip ROTH
(Newark, New Jersey, 19/03/1933 - )


philip roth

 

"Il accède à la reconnaissance internationale avec le recueil de nouvelles Goodbye, Columbus, qui remporte le National Book Award en 1960, et grâce à son bestseller Portnoy et son complexe (Portnoy's Complaint), paru en 1969. Son œuvre est notamment dédiée à son personnage et alter ego Nathan Zuckerman, dont le cycle débute avec L'Écrivain des ombres (Ghost Writer, 1979) et s'achève avec Exit le fantôme en 2007.
Les romans de Zuckerman comptent neuf volumes, notamment les trois romans universellement célébrés de la « trilogie américaine » : Pastorale américaine (American Pastoral, 1997) qui remporte le prix Pulitzer ; J'ai épousé un communiste (I Married a Communist, 1998) ; et La Tache (The Human Stain, 2000), couronné du PEN/Faulkner Award.

Auteur de vingt-huit romans, Philip Roth a également été acclamé pour Opération Shylock (Operation Shylock, 1993) et Le Complot contre l'Amérique (The Plot Against America, 2004).

Cité par le célèbre critique Harold Bloom parmi les quatre principaux auteurs américains vivants, avec Cormac McCarthy, Don DeLillo et Thomas Pynchon, il est avec ces deux derniers l'un des principaux représentants du courant post-moderne, mais son œuvre variée ne s'y résume pas." (la suite de sa biographie est à lire sur Wikipedia).

Il n'aura pas le Prix Nobel, parce que le Comité Nobel, depuis quelques années, considère que les romanciers américains sont renfermés sur eux-mêmes, qu'il ne sont oas ouverts au monde - le caractère "universel" d'une oeuvre est chose très importante pour le Comité Nobel... Est-ce à dire que l'oeuvre de Philip Roth n'a pas de résonnance universelle ? Elle traite de la société américaine d'une époque, mais cela va plus loin. Ça n'a pas grande importance, Philip Roth est largement lu.

En 2012, Philip Roth annonce, dans une interview aux Inrocks, qu'il a cessé d'écrire, du moins de la fiction.
"Avez-vous toujours le désir d’écrire ?

Non. D’ailleurs, je n’ai pas l’intention d’écrire dans les dix prochaines années. Pour tout vous avouer, j’en ai fini. Némésis sera mon dernier livre. Regardez E. M. Forster, il a arrêté d’écrire de la fiction vers l’âge de 40 ans. Et moi qui enchaînais livre sur livre, je n’ai rien écrit depuis trois ans. J’ai préféré travailler à mes archives pour les remettre à mon biographe. Je lui ai remis des milliers de pages qui sont comme des mémoires mais pas littéraires, pas publiables tels quelles. Je ne veux pas écrire mes mémoires, mais j’ai voulu que mon biographe ait de la matière pour son livre avant ma mort. Si je meurs sans rien lui laisser, par quoi commencera-t-il ?

Mais vous venez de passer l’entretien à dire que la vie d’un écrivain n’influence pas forcément son travail, et vous trouvez important qu’on écrive votre biographie ?

Je n’ai pas le choix. Si j’avais le choix, je préférerais qu’il n’y ait pas de bio sur moi, mais il y aura des biographies après ma mort, donc autant être sûr qu’il y en ait une qui soit exacte. Blake Bailey a écrit une excellente biographie de John Cheever, qui était un de mes amis difficile à biographier car, homosexuel et alcoolique, il a passé presque toute sa vie à se cacher. Bailey m’a contacté, nous avons passé deux jours entiers à parler, et il m’a convaincu. Mais je ne contrôlerai pas son travail. De toute façon, 20 % seront faux, mais c’est toujours mieux que 22 %.

[...]

À 78 ans, quel regard jetez-vous sur ce que vous avez écrit ?

À 74 ans, j’ai réalisé que je n’avais plus beaucoup de temps, alors j’ai décidé de relire les romans que j’avais aimés à 20 ou 30 ans, parce que c’est ceux-là qu’on ne relit jamais. Dostoïevski, Tourgueniev, Conrad, Hemingway… et quand j’ai fini, j’ai décidé de relire tous mes livres en commençant par la fin : Némésis. Jusqu’au moment où j’en ai eu marre, juste avant Portnoy et son complexe, qui est imparfait. Je voulais voir si j’avais perdu mon temps à écrire. Et j’ai pensé que c’était plutôt une réussite. À la fin de sa vie, le boxeur Joe Louis a dit : “J’ai fait du mieux que je pouvais avec ce que j’avais.” C’est exactement ce que je dirais de mon travail : j’ai fait du mieux que j’ai pu avec ce que j’avais.

Et après ça, j’ai décidé que j’en avais fini avec la fiction. Je ne veux plus en lire, plus en écrire, et je ne veux même plus en parler. J’ai consacré ma vie au roman : je l’ai étudié, je l’ai enseigné, je l’ai écrit et je l’ai lu. À l’exclusion de pratiquement tout le reste. C’est assez ! Je n’éprouve plus ce fanatisme à écrire que j’ai éprouvé toute ma vie. L’idée d’affronter encore une fois l’écriture m’est impossible !

[...]

Pas envie d’écrire sur l’Amérique d’aujourd’hui ?

J’ai 78 ans, je ne connais plus rien de l’Amérique aujourd’hui. Je la vois à la télé. Mais je n’y vis plus." (Source : http://www.lesinrocks.com/2012/10/07/livres/philip-roth-nemesis-sera-mon-dernier-livre-11310126/ )

 

La tache
La Tache, en équilibre à la Piscine de Roubaix, le 25/11/2012.

- La Tache (The Human Stain, 2000). Traduit de l'américain par Josée Jamoun en 2002. Folio. 480 pages. Prix Médicis Etranger 2002.

"A l'été 1998, mon voisin, Coleman Silk, retraité depuis deux ans, après une carrière à l'université d'Athena où il avait enseigné les lettres classiques pendant une vingtaine d'années puis occupé le poste de doyen les seize années suivantes, m'a confié qu'à l'âge de soixante et onze ans il vivait une liaison avec une femme de ménage de l'université qui n'en avait que trente-quatre." (page 11).

Le narrateur est Jonathan Zuckerman, l'alter ego de Philip Roth. La Tache raconte principalement la vie de cet homme, Coleman Silk, qui est venu demander à Zuckerman (ils habitent non loin l'un de l'autre) d'écrire un livre sur lui... ce que Zuckerman fera, mais plus tard, à la suite d'événements inattendus. Il n'est donc pas besoin d'avoir lu les romans précédents du cycle.

"Ce fut à peu près au milieu du second semestre où il avait recommencé d'enseigner à plein-temps que Coleman prononça le mot scélérat qui devait le pousser à rompre lui-même tout lien avec l'université - ce seul mot scélérat parmi des millions prononcés à voix haute pendant les années où il avait enseigné et administré, ce mot qui, selon lui, était la cause directe de la mort de sa femme.
La classe comptait quatorze étudiants, il avait fait l'appel pour retenir leurs noms.
Comme au bout de cinq semaines il y avait encore deux noms qui demeuraient sans écho, Coleman avait ouvert le cours de la sixième en demandant : « Est-ce que quelqu'un connaît ces gens ? Ils existent vraiment, ou bien ce sont des zombies ? »" (page 18)
Une note de la traductrice précise : "L'équivoque n'est pas parfaitement traduisible, le mot « spook » signifiant « spectre » mais aussi, en argot d'il y a une cinquantaine d'années, l'équivalent de « bougnoule » ou « bamboula »"
Tous les étudiants présents étaient blancs... mais ce que Coleman ne pouvait pas savoir, c'est que les étudiants absents, qu'il n'avait jamais vus, étaient Noirs. Du coup, son mot est mal interprété, il va être accusé de racisme... Il lui devient impossible de se justifier, ses adversaires en profitent.

"Ces gens instruits, ces gens qui avaient écrit des thèses, et qu'il avait engagés lui-même parce qu'il les croyait capables d'une pensée rationnelle et indépendante, n'avaient finalement manifesté aucun désir de soupeser les charges obscures contre lui et d'en tirer les conclusions qui s'imposaient. Il était raciste, et tout à coup, à l'université d'Athena, c'était l'épithète la plus chargée d'affect qu'on pouvait vous appliquer. Et au sein de la faculté, chacun s'était laissé gagner par ce pathos, par peur de porter préjudice à son dossier et à sa promotion ultérieure. « Raciste », il avait suffi de prononcer le mot avec une autorité officielle pour que ses alliés prennent leurs jambes à leur cou jusqu'au dernier." (pages 120-121)

Comment des gens intelligents peuvent-ils être pris d'une sorte de folie collective, d'une annihilation même temporaire du jugement (car il n'y a pas que des cyniques et des lâches parmi eux) ?
"Assis là parmi eux, on s'étonnait tout de même que des gens si instruits, si policés, aient pu céder si volontiers à la tentation ancestrale de voir un homme incarner le mal à lui tout seul. Pourtant ce besoin existe, il est profond, il a la vie dure." (page 410).

Un parallèle est effectué entre le déchaînement médiatique contre Clinton, et celui - bien sûr plus local - qui a lieu contre Coleman.
Cela donne quelques passages très drôles. À un moment, des hommes - un "choeur universitaire" - discutent dans un parc. L'affaire Monica Lewinski bat son plein, tout le monde parle de Bill Clinton (alors qu'il y a tellement de sujets plus pressants).
"[...] Il allait pas voir les putes ni rien, lui.
- C'est Kennedy qui fréquentait des putes.
- Ah oui. Ça rigolait pas. Tandis que Clinton, c'est un enfant de choeur.
- Je crois pas que c'était un enfant de choeur, dans l'Arkansas.
- Non, il avait l'échelle juste, là-bas. Ici, il était largué. Et ça devait le rendre dingue. Président des Etats-Unis, il avait accès à tout et il fallait qu'il touche à rien. L'enfer, quoi. Surtout avec sa sainte-nitouche de femme.
- Tu crois que c'est une sainte-nitouche ?
- Et comment !
- Alors elle et Vincent Foster ?
- Elle tombait amoureuse, mais elle aurait jamais fait de folies parce qu'il était marié. Même l'adultère, elle le rendait ennuyeux. C'est un remède contre la transgression, cette femme-là.
" (pages 206-207)

On trouve également les problèmes de la vieillesse, du sexe (c'est classique chez Roth, bien sûr).
"Grâce au Viagra, je viens de comprendre les transformations amoureuses de Zeus. C'est comme ça qu'on aurait dû appeler le Viagra, du Zeus." (page 53).

Mais un des thèmes principaux du livre semble être l'impossibilité de juger vraiment autrui, parce que l'on ne connaît jamais vraiment les gens, même si l'on croit les connaître.
"Elle n'avait pas le goût de juger autrui, elle en avait trop vu dans sa vie pour tomber dans cette imposture." (page 454)
Le cas sans doute le plus extrême dans le roman est celui de Delphine Roux, une universitaire française pas très sympathique, qui ne se connaît pas bien elle-même : elle prend des décisions importantes sans vraiment s'en rendre compte, sur des impulsions, et il lui faudra du temps pour parvenir à comprendre ses propres motivations.
Alors, si l'on ne se comprend pas soi-même, comment comprendre les autres ?

Roth-Zuckerman règle aussi ses comptes avec la médiocrité de la société, la discrimination raciale (autre grand thème du roman), la dégradation de l'éducation (on me dira que, dans l'optique des gens, surtout à la fin de leur vie, l'éducation était toujours mieux avant... mais quand même) :
"Du temps de mes parents, et encore du mien et du vôtre, les ratages étaient mis sur le compte de l'individu. Maintenant, on remet la matière en cause. C'est trop difficile d'étudier les auteurs de l'Antiquité, donc c'est la faute de ces auteurs. Aujourd'hui, l'étudiant se prévaut de son incompétence comme d'un privilège. Je n'y arrive pas, donc c'est que la matière pèche. C'est surtout que pèche ce mauvais professeur qui s'obstine à l'enseigner. Il n'y a plus de critères, monsieur Zuckerman, il n'y a plus que des opinions." (page 441).

"Je suis la fille de mon père [...], la fille d'un père pointilleux sur le chapitre des mots ; or, au fil des jours, les mots que j'entends employer me paraissent de moins en moins décrire la réalité. [...] Faut-il vraiment avoir si peur des mots que l'on emploie ?" (page 438).
Les mots employés ont plus d'importance que l'intention évidente qu'on leur prête.


Le lecteur français (moi) apprendra qu'il existe, aux Etats-Unis, le mois de l'histoire des Noirs (page 439). On connaît (ou pas) l'explorateur Robert Peary ; on découvre l'existence de Matthew Henson ; et l'on apprend, ou bien on se remémore, l'histoire de Charles Drew.
"Le docteur Charles Drew, m'a-t-elle expliqué, a découvert comment empêcher le sang de coaguler, ce qui a permis de le stocker. Puis il a été blessé dans un accident de voiture, et comme l'hôpital le plus proche ne prenait pas les gens de couleur, il est mort en se vidant de son sang." (pages 444-445).
Sauf que... d'après Wikipedia, ce ne serait qu'une rumeur dénuée de tout fondement.

Cette histoire est racontée à Nathan Zuckerman, qui nous la retranscrit... Et, nous, on la croit. Mais elle n'est apparemment pas vraie.
Et, alors, on se dit que c'est très fort. Est-ce encore une façon de nous dire de ne pas croire tout ce qu'on lit ?

On en arrive à l'une des grandes forces du roman : sa construction.
Le livre donne une impression énorme de maîtrise ; on sent la présence très forte de l'écrivain... lui, ou plutôt son double Nathan Zuckerman, qui a écrit le roman "La Tache"... celui que l'on est en train de lire. Mais il sait et raconte des détails qu'il ne peut matériellement pas connaître. Donc : les invente-t-il, extrapole-t-il... ? Où est la vérité ?
De plus, il cache pendant quelque temps au lecteur un élément qui jette une ironie grave sur toute l'histoire, et qui est à l'origine du vrai drame du livre, une histoire incroyable, mais dont on nous dit qu'elle n'a pas été si rare que cela.
Et comme Zuckerman est un acteur de l'histoire, il lui arrive d'apprendre des choses que nous, lecteurs, savions avant lui... parce que Zuckerman l'écrivain l'avait écrit.

"Ecrire à la première personne, c'est révéler et cacher à la fois [...]" (page 459).

Multiplicité des personnages, variés et approfondis, multiplicité des thèmes (racisme, hypocrisie, lâcheté, les sacrifices que l'on est prêt à faire pour vivre sa vie, etc.) : le tout donne un roman excellent, puissant.


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