Littérature Anglo-saxonne
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Essayiste, romancière. A 26 ans, elle enseigne la philosophie des religions à l'Université de Columbia. Elle participe à plusieurs magazines (New Yorker…) Puis elle se consacre à l'écriture à plein temps. Elle écrit plusieurs essais. Sur la photographie est considéré comme un des plus importants ouvrages écrits sur ce sujet. En 2000, elle reçoit le National Book Award pour son roman En Amérique. Elle a été atteinte d'un cancer du sein dans les années 1970. Elle meurt d'une leucémie à New-York en 2004. Elle est enterrée au cimetière du Montparnasse. Son œuvre n'est pas très importante en volume, mais elle la place comme une intellectuelle très importante, et parfois controversée.
1/ Dans la caverne de Platon. Tout d'abord, Susan Sontag explicite les usages de l'appareil photo. "Les photographies provoquent un choc dans la mesure où elles montrent du jamais vu. Malheureusement, la barre ne cesse d'être relevée, en partie à cause de la prolifération même de ces images de l'horreur. La première rencontre que l'on fait de l'inventaire photographique de l'horreur absolue est comme une révélation, le prototype moderne de la révélation : une épiphanie négative. Ce furent, pour moi, les photographies de Bergen-Belsen et de Dachau que je découvris par hasard chez un libraire de Santa Monica en juillet 1945. […] Une photographie, en soi, n'explique rien : La photo n'explique rien, mais est partout, et la surenchère de l'horreur anesthésie ceux qui la regardent, c'est-à-dire… tout le monde. Et le monde entier devient photo :
Dans cet essai, Susan Sontag met en lumière l'importance de Walt Whitman sur toute une période de la photographie américaine, qui se finit à la Seconde Guerre Mondiale. "« Je suis convaincu que la majesté et la beauté du monde se trouvent, à l'état latent, dans la moindre de ses parcelles… Je suis convaincu qu'il y a dans les choses insignifiantes, les insectes, les gens vulgaires, les esclaves, les nains, les mauvaises herbes, le rebut, beaucoup plus que je ne croyais…» Ceci, jusqu'à la seconde guerre mondiale, qui changea la donne : "L'appareil photo d'Evans dégageait la même beauté formelle des façades de demeures victoriennes de Boston au début des années 1930 que des bâtiments commerciaux de la grand-rue des villes d'Alabama en 1936. Mais c'était un nivellement par le haut, pas par le bas." (page 52). Voici une photo présente à l'exposition :
(A noter que cette exposition, installée au Château de Clervaux -Luxembourg - accueille plus de 20.000 visiteurs par an : voir http://www.family-of-man.public.lu/ )
"Pour autant que regarder les photographies d'Arbus soit une épreuve, et c'en est indéniablement une, elles sont représentatives du genre d'art en vogue de nos jours auprès d'un public cultivé : un art qui lui permet de contrôler sa propre solidité. Ses photos offrent une occasion de démontrer que l'on peut affronter sans frémir les horreurs de la vie. La photographe a dû se dire un jour « D'accord, je suis capable d'accepter cela. » Le spectateur est invité à faire la même déclaration. Le photographe est un super-touriste qui rend visite aux gens sans intervenir dans leur vie. "Il ne cesse d'essayer de coloniser de nouvelles expériences ou de trouver des façons nouvelles de regarder des sujets familiers, afin de se battre contre l'ennui". (page 67). Les photos, visaient auparavant à être "savantes, définitives, transcendantes". "L'intention implicite de Frank et d'Arbus, et de bon nombre de leurs contemporains et de leurs cadets, est de montrer que l'Amérique est bien le tombeau de l'Occident." (page 75).
3/ Objets mélancoliques La photo et la mémoire, en quelque sorte. "La photographie comme moyen de recueillir des informations sur la société a été au service de l'attitude typiquement bourgeoise, à la fois zélée et tolérante, curieuse et indifférente, que l'on appelle l'humanisme, et qui trouvait dans les taudis le plus fascinant des décors. […] La justification reste la même : la photographie remplit une mission élevée : elle dévoile une vérité cachée, elle préserve un passé en voie de disparition." (page 86). A la fin du XIXème siècle, des associations sont fondées pour photographier ce qui est sur le point de disparaître : vestiges du vieux Londres, cérémonies traditionnelles anglaises… "Marx reprochait à la philosophie de se limiter à essayer de comprendre le monde, sans essayer de le changer. Les photographes, travaillant à l'intérieur du cadre de la sensibilité surréaliste, laissent entendre qu'essayer de comprendre le monde est déjà une entreprise vaine et nous proposent à la place de le collectionner." (page 120). Une fois de plus, un constat sombre.
4/ L'héroïsme de la vision. Susan Sontag aborde la question délicate du point de vue de la photographie : objectif ou subjectif ? "Une dizaine d'années après le remplacement du daguerréotype (premier procédé photographique utilisable) par le procédé négatif-positif de Talbot, au milieu des années 1840, un photographe allemand inventait la première technique de retouche des négatifs. Ses deux versions d'un même portrait, l'un retouché, l'autre non, stupéfièrent les foules à l'Exposition Universelle de 1855 à Paris (la seconde du genre, et la première à présenter une exposition de photos). La nouvelle que l'appareil photo pouvait mentir fit augmenter le nombre de candidats à se faire photographier." (pages 124-125). Le photographe était, à l'origine "un scribe, pas un poète" (page 128). Mais on se rendit compte rapidement que deux personnes font deux photos différentes… La photo témoigne donc de ce qui est là, mais aussi de ce que le photographe y voit. Il y a donc une notion de jugement. "Depuis l'invention de l'appareil photo, il existe une forme particulière d'héroïsme : l'héroïsme de la vision. […] Les photographes se lancèrent dans leurs safaris culturels, sociaux et scientifiques, à la recherche d'images frappantes. […] Alfred Stieglitz raconte avec fierté qu'il avait passé trois heures debout dans un blizzard, le 22 février 1893, « attendant le bon moment » pour prendre sa célèbre photo « Fifth Avenue, Winter». («La 5e Avenue en hiver »). Ce bon moment, c'est celui où l'on peut voir des choses (surtout celles que tout le monde a vues) sous un jour nouveau. L'affût devint le trait caractéristique du photographe dans l'imagination populaire." (pages 129-30). Sontag aborde aussi l'influence de la photographie sur la peinture, notamment en ce qui concerne les cadrages, et les rapports d'ombre et de lumière. Et de citer Weston. Sa photo de 1931, Cabbage Leaf "ressemble à un drapé : un titre est nécessaire pour l'identifier. Ainsi l'image atteint-elle son but de deux façons. La forme en est agréable et (surprise !) c'est celle d'une feuille de chou. Si c'était vraiment un drapé, cela ne serait pas aussi beau. […] "Pour les photographes, il n'y a en fin de compte pas de différence, pas de supériorité esthétique, entre l'effort d'embellir le monde et l'effort inverse de lui arracher son masque." (Page 147). Le sens d'une photo dépend évidemment du contexte. "Et, en tant qu'images, certaines photos nous renvoient d'emblée à d'autres images autant qu'à la vie. Celle que les autorités boliviennes transmirent à la presse internationale en octobre 1967, montrant le corps de Che Guevara dans une écurie, étendu sur une civière posée sur une auge de ciment, et entouré d'un colonel bolivien, d'un agent des services de renseignements américains, et de quelques journalistes et soldats, non seulement résumait les amères réalités de l'Amérique Latine contemporaine, mais présentait quelques ressemblances de hasard, comme l'a fait remarquer John Berger, avec "le Christ mort" de Mantegna et La Leçon d'Anatomie de Rembrandt. La puissance de cette photo tient en partie à ce qu'elle a en commun, du point de vue de la composition, avec ces tableaux." (pages 151-152).
5/ Evangiles photographiques. Cette partie aborde plusieurs problèmes. Tout d'abord, celui de la théorie photographique. Les photographes "produisent les analyses les plus contradictoires du type de connaissance qu'ils possèdent et du type d'art qu'ils pratiquent." (page 162). Mais le hasard occupe une place importante, et c'est un deuxième problème. Et puis, quelle est la part de la personnalité de l'artiste dans une photo ? Il peut y avoir un problème de cohérence dans l'œuvre d'un photographe, que l'on ne trouve pas dans celle d'un peintre. Quel rapport entre une photo de paysage, une photo de guerre et une vue aérienne, prises par un même photographe ? Quel est alors le critère de jugement d'une photo ? La seule technique ? Ce n'est plus le cas à notre époque. En 1930, Edward Weston écrivait "« La photographie a ou va aboutir à anéantir une grande partie de la peinture, ce dont le peintre devrait se montrer profondément reconnaissant. » Libérée par la photographie de l'esclavage de la représentation fidèle, la peinture pouvait se livrer à une tâche plus élevée : l'abstraction." (page 200) On en arrive ensuite à l'art dont le but est d'être photographié : Christo, Walter de Maria et Robert Smithson. "Bien qu'elle ne soit pas, par elle-même, une forme d'art, [la photographie] a ce pouvoir particulier de transformer en art tout ce qu'elle prend pour sujet." (page 204). 6/ Le monde de l'image "Plus nous remontons dans l'histoire comme l'a fait remarquer E.H.Gombrich, moins la distinction entre les images et les choses réelles a de netteté ; dans les société primitives, la chose et son image étaient simplement deux manifestations différentes, c'est-à-dire physiquement distinctes, de la même énergie ou du même esprit." (pages 211-212). "Avec tout ce que l'on sait sur ce que le monde renferme (art, catastrophes, beautés naturelles) par l'intermédiaire des photos, l'on est souvent déçu, surpris, insensible quand on voit la chose même." (page 228).
Deux portraits par Annie Leibowitz :
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