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Mahasweta Devi

(Dhaka, Bangladesh, 14/01/1926 - 28/07/2016)

mahasweta devi

"Mahasweta Devi est née à Dhaka en 1926 de parents littéraires : son père, Manish Ghatak (dont le frère était le réalisateur Ritwik Ghatak) était un poète et romancier connu du mouvement Kallol.
Sa mère, Dharitri Devi, était également une femme écrivain et travailleur social dont les frères étaient connus dans des domaines aussi différents que la sculpture (Sankha Chaudhury) ou l'édition de presse.

A la suite de la partition de l'Inde, Mahasweta a déménagé de Dhaka vers le Bengale-occidental. Après des études d'anglais à l'Université de Calcutta, elle a épousé le dramaturge Bijon Bhattacharya, l'un des fondateurs du mouvement IPTA.
En 1948, elle a e un fils, l'écrivain Nabarun Bhattacharya (1948-2014). Elle a divorcé en 1959.
En même temps qu'elle était professeur dans une institution pour étudiantes de la classe ouvrière, elle a travaillé comme journaliste et creative writer. Elle a aussi mené une carrière d'activiste consacrée aux luttes des peuples aborigènes du Bihar, au Madhya Pradesh et Chhattisgarh.

Dans ses fictions, elle dépeint souvent l'oppression brutale des peuples aborigènes et des intouchables par les puissants propriétaires terriens de hautes castes, les prêteurs et les fonctionnaire vénaux. Elle a écrit à propos de sa source d'inspiration : "J'ai toujours pensé que l'histoire réelle est faite par des gens ordinaires. [...] L'origine et l'inspiration de mes écrits sont ce peuple qui est exploité et épuisé, et qui pourtant n'accepte pas la défaite. Pour moi, la source inépuisable des ingrédients de mon écriture réside dans ces être humains qui souffrent tout en étant incroyablement nobles. Pourquoi devrais-je chercher du matériau brut ailleurs, depuis que j'ai commencé à les connaître ? Parfois il me semble que ce que j'écris est vraiment ce qu'ils ont fait.
" (traduction/adaptation d'après Wikipedia).
Elle a écrit de nombreux romans et plus de trois mille nouvelle, nous dit la notice d'Actes Sud.

rudali
Photographie de couverture : Femme à la fenêtre, Jaisalmer, l'Ouest du Rajasthan, Inde.

- Indiennes. Rudali et autres nouvelles. Traduites du bengali par Marielle Morin. Babel.. 282 pages.

Les sept nouvelles qui composent ce recueil sont extraites de trois livres, publiés en 1978 et 1979.
1/ La première nouvelle donne son titre au recueil : il s'agit de Rudali, les pleureuses (52 pages).
Nous sommes dans le village de Tahar. "Comme tous les habitants, Sanichari, de la caste des ganjus, a toujours vécu dans la plus extrême indigence. Selon sa belle-mère, elle devait sa malchance au fait d'être née un samedi ou sanichar, jour néfaste dans le calendrier." (page 7)
Un lexique permet de comprendre certains termes. Par exemple - et cela amène à se poser quelques questions : "Randi : mot hindoustani servant à désigner à la fois les veuves et les prostituées". (page 282)

On se rend rapidement compte que la description de la misère est contrebalancée par un certain humour acide ; le texte n'est donc pas misérabiliste.
Les malheurs s'abattent sur la pauvre Sanichari... Les décès se succèdent, mais elle ne pleure pas : elle n'en a pas le temps, elle ne doit pas s'effondrer, il lui faut lutter pour survivre.
"Il leur avait toujours fallu lutter pour tout, fût-ce un peu de gruau de maïs ou une poignée de sel." (page 35).
"Dans un village, tout se sait. Les gens parlèrent beaucoup de son incapacité à pleurer mais cette dernière choisit d'ignorer les critiques." (page 12).
Il lui faut rembourser un emprunt.... On voit comment les riches propriétaires tiennent les pauvres ; on voit les usuriers en action.
Un jour, Sanichari bouscule une femme.
"Une belle querelle se préparait. Sanichari s'en réjouissait d'avance. Rien de tel qu'une bonne dispute pour débarrasser l'esprit de ses scories et faire place nette." (page 22). Mais il s'agit d'une ancienne connaissance !
"Elles s'installèrent à l'ombre d'un pipal et se lancèrent des regards obliques, soulagées de constater qu'aucune n'était mieux lotie que l'autre." (page 23).
Ensemble, elles vont gagner leur vie comme pleureuses, avec succès.
"Car c'étaient des professionnelles or, de nos jours, l'avenir n'appartient plus aux amateurs mais aux pros. L'intendant le savait bien, lui qui était un expert pour falsifier les comptes des ouvriers agricoles et augmenter le taux d'intérêt des emprunts. Et qui se débrouillait même pour avoir des champs, du bétail, voire, si le coeur lui en disait, plusieurs femmes, le tout sur un salaire de dix roupies par mois. C'est dire jusqu'où allait son professionnalisme ! Pour la mort d'individus que personne ne pleurerait, l'intendant savait qu'il était tributaire des professionnelles du deuil. Dans les grandes villes, la concurrence était dure entre prostituées, mais Tohri n'étant qu'une petite bourgade il devait se plier aux exigences de Sanichari." (page 37).

Très bonne nouvelle. C'est dur et sarcastique.

2/ La suivante s'intitule : Dhauli (37 pages).
"Dhauli savait que son regard effarouché, la finesse de sa taille et sa poitrine pareille à un lotus en fleur feraient son malheur. Aussi quand elle venait balayer le verger, elle s'enveloppait le corps et se couvrait la tête d'un sari grossier, acheté sur le marché local. Jamais elle ne levait les yeux, pas même pour contempler les arbres pliant sous le poids des fruits." (pages 67-68).
Dhali est veuve. Elle a été mariée à la puberté. Pour son mariage, son père a dû contracter un emprunt ; pour le rembourser, il a été obligé de travailler énormément et en est mort. Par chance (parce qu'il était violent), le mari de Dhauli est mort rapidement. Dhauli est donc une veuve jeune est jolie... Certains sont intéressés, bien sûr !

Encore une bonne nouvelle.

3/ La chasse. (27 pages) . Notre héroïne s'appelle Mary Oraon. Elle est métis, son père étant un Blanc qui avait une plantation avant l'Indépendance. Du coup, les règles de la société ne s'appliquent pas à elle aussi strictement. C'est une battante : elle a une machette. Les hommes doivent faire attention.
C'est une bonne nouvelle, à la tonalité différente des précédentes. Il y a de la révolte, de la transgression.

4/ Draupadi (28 pages). Après La Chasse, qui tirait vers la révolte, on y est vraiment. On commence par un avis de recherche. Les voies du gouvernement sont "aussi impénétrables que le principe masculin dans la philosophie samkhya, ou que les premiers films d'Antonioni pour le spectateur lambda" (page 129).
"C'était une période très troublée." (page 139). Oui, troublée et complexe. Je n'ai pas tout compris.

5/ Celle qui donnait le sein (26 pages).
"Jashoda était mère de métier, une mère professionnelle, pas une dilettante comme les épouses et les filles de la maison du maître. Car le monde appartient aux professionnels. Cette ville, ce royaume n'ont que faire du mendiant amateur, du pickpocket ou de la prostituée dilettantes. Même le chien qui erre sur les routes et les trottoirs ou le corbeau qui cherche à manger parmi les ordures ne tolèrent pas les amateurs inexpérimentés. Jashoda, elle, a fait carrière dans la maternité." (pages 149-150).
On a ici un schéma qui rappelle celui de la première nouvelle, Rudali, mais en un peu moins bon (peut-être parce qu'on avait lu Rudali en premier ?)
La société évolue : "Mais, après avoir eu une douzaine d'enfants, les belles-filles avaient mis le holà aux grossesses. Ces traîtresses étaient même arrivées à convaincre leurs époux de les laisser aller faire le nécessaire à l'hôpital. C'était là le fruit pourri de ce vent nouveau. Jamais l'homme sage ne laisse le vent du changement s'infiltrer chez lui. " (pages 170-171).
Ah la la, tout se perd...

6/ La statue (84 pages)
Nous sommes dans le village de Chhatim. C'est un trou perdu. "c'est un voeu pieux d'espérer que dans un village comme Chhatim quelqu'un lise le journal. C'est aussi vain que d'espérer de l'action dans un film d'action bengali." (page 198).
Il faudrait une route pour désenclaver le village. Mais comment faire ? Il est question qu'une statue soit érigée dans ce village, en l'honneur d'un certain Dindayal Thakur, "combattant pour la libération, mort en martyr (1900-1924)" (page 270). Qui était-il ? Que s'est-il passé ? Le lecteur va avoir droit à de nombreuses histoires... un peu comme dans Rashômon (le film), où est la vérité ?
J'ai trouvé cette nouvelle vraiment très, très longue. En fait, je n'ai jamais réussi à m'y intéresser.


C'est un recueil de nouvelles qui mêlent misère et humour, très intéressantes, d'autant que l'on apprend beaucoup de choses sur la vie de tous les jours (il y a même un régime alimentaire pour les veuves !). C'est un monde avec lequel on se familiarise.
Les trois premières nouvelles, très bonnes, m'ont semblé, à moi Occidental qui ne suis certainement pas le destinataire premier de ces textes écrits en bengali, être les meilleures du recueil.


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