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SENDER Ramon J.
(Chalamera, Espagne, 03/02/1901- San Diego, Californie, 16/01/1982)

 
ramon j sender

Ramon J. Sender se lance dans le journalisme à dix-huit ans. Il appartient à la mouvance anarcho-syndicaliste. Il commence à publier dans les années 1930.
"Pendant la Seconde République, Sender se rapproche des communistes, les estimant plus aptes que les anarchistes à lutter efficacement contre la droite revenue au pouvoir en janvier 1933. A tort ou à raison, il se le reprochera toute sa vie. La guerre civile (1936) éclate trois mois après la sortie de Mister Witt en el Canton, qui consacre définitivement le romancier.
Le déclenchement des hostilités surprend Sender en villégiature dans la montagne près de San Rafael. Il rejoint Madrid à travers les lignes du front tandis que son épouse, Amparo Barayon, se réfugie avec leurs deux enfants à Zamora. Elle cherche à passer au Portugal ; arrêtée, elle est fusillée. Le même sort échoit au frère préféré de Ramon, Manuel, qui venait d'être élu maire de Huesca.
Vers la fin du conflit, Sender passe en France puis au Mexique, et de là aux Etats-Unis. Il se remet à écrire tout en entamant une carrière de professeur de littérature. Et il se fait naturaliser - précocement ? on le lui a reproché dès 1946.
C'en est fini pour lui de l'agitation journalistique et politique. "(biographie, page 107 de Requiem pour un paysan espagnol, édition Babel).
Il écrit énormément : romans, essais, poèmes. Exilé, il est oublié en Espagne.
Il revient en Espagne en 1974 (un an avant la mort de Franco), à condition que Requiem pour un paysan espagnol, notamment, soit édité. Puis, après 1975, ses oeuvres sont diffusées en Espagne.
Toutefois, il ne joue aucun rôle dans la vie politique, et ne s'installe finalement pas en Espagne.

requiem pour un paysan espagnol

Requiem pour un Paysan espagnol (Mosén Millán, 1953 ; republié sous le titre Réquiem por un campesino español en 1960. Traduit par Jean-Paul Cortada.110 pages chez Babel ; 161 pages chez Fédérop, en édition bilingue).
"Qui connaît l'ampleur, pour ne pas dire la prolixité de la plupart des oeuvres de Ramon Sender, ne peut qu'être étonné par la minceur de Requiem pour un paysan espagnol. Plutôt, en apparence, une nouvelle qu'un roman. Un roman, pourtant, au plein sens du terme. [...] En fait, dans son exil américain, Sender s'ingénie à recréer le monde de son enfance." (Bernard Lafargues, dans sa lecture à la fin de l'édition Babel)

Dans l'introduction à la version Babel, Hubert Nyssen écrit : "Ce qu'il donne à voir, à entendre, à comprendre là, c'est la dramaturgie de la guerre civile espagnole dans la société paysanne, alors même que cette guerre demeure pratiquement innommée - ce qui, déjà, en fait entrevoir le caractère innommable. La violence et l'importance du sujet s'imposent donc par la discrétion même avec laquelle celui-ci est porté à la connaissance du lecteur." (page 8).
Puis, il parle de la brièveté du texte et de l'utilisation des flash-backs. "Si bien qu'à la fin, mieux qu'un épisode, mieux qu'une tranche de vie, c'est la brève éternité de l'homme qui s'impose à la conscience du lecteur."

"Assis dans un fauteuil, le curé attendait, la tête penchée sur sa chasuble des services de requiem. La sacristie sentait l'encens. Dans un coin, il y avait un bouquet de petites branches d'olivier, celles qui étaient restées du dimanche des Rameaux. Les feuilles étaient toutes sèches, on aurait dit du métal. Lorsqu'il passait à côté, Mosén Millán évitait de les toucher parce qu'elles se détachaient et tombaient sur le sol." (page 7).
Mosén Millán est donc le curé.
"Accoudé sur les bras du fauteuil, les mains croisées sur la chasuble noire brodée d'or, il priait encore. Cinquante et un ans à répéter ces prières avaient créé un automatisme qui lui permettait de porter sa pensée ailleurs sans cesser de prier. Et son imagination vagabondait à travers le village. Il s'attendait à voir arriver la famille. Il était sûr qu'ils viendraient - ils ne pouvaient pas moins faire - puisqu'il s'agissait d'une messe de requiem ; il la disait pourtant sans qu'on la lui eût demandée." (page 8).
L'enfant de choeur entre ; Mosén Millán lui demande si la famille, les gens sont arrivés. Il le lui redemandera encore de nombreuses fois. "L'enfant retourna à la cure, il pensait à Paco, le Paco du Moulin. [...] Il l'avait vu mourir et, après sa mort, les gens avaient fait une chanson. L'enfant de choeur en savait quelques passages :

Et voilà le Paco du Moulin, Ahí va Paco el del Molino
Il vient d'être condamné, que ya ha sido sentenciado,
et il pleure sur sa vie, y que llora por su vida,
en route pour le cimetière. camino del camposanto

(page 9)

Et Mosén Millán se rappelle la vie de Paco, depuis son baptême jusqu'à sa mort, par allers et retours entre le présent et le passé, pendant l'attente avant la Messe de requiem. On pourrait dire que les souvenirs sont racontés en temps réel. Il y a en quelque sorte unité de temps.

"La marraine répétait que pendant la cérémonie l'enfant avait tiré la langue pour recevoir le sel, elle en déduisait qu'il aurait de l'esprit et du charme avec les femmes. Le père de l'enfant allait et venait, et il s'arrêtait parfois pour regarder le nouveau-né : «Ce que c'est que la vie ! Jusqu'à la naissance de ce petit, je n'étais que le fils de mon père. Et maintenant, en plus, je suis le père de mon fils. »
- La terre est ronde, et elle tourne, dit-il à voix haute.
Mosén Millán était certain qu'on servirait de la perdrix en sauce. On en faisait toujours dans cette maison.
" (page 13).
Ah, les perdrix en sauce ! Mosén Millán s'en souvient encore.

D'autres personnages se détachent, comme Jéronima, sorte de rebouteuse dont la langue bien pendue se déchaîne au lavoir, et le cordonnier, qui dit à un moment : "Les curés sont les gens qui se donnent le plus de peine au monde pour ne pas travailler. Mais Mosén Millán est un saint.
Cela, il le disait avec une vénération exagérée pour que personne ne pût penser qu'il parlait sérieusement.
" (page 19).

Le temps passe, Paco se marie.
"La noce fut bien comme tous l'attendaient. Un grand repas, de la musique et un bal. Avant même la cérémonie, de nombreuses chemises blanches étaient tachées de vin, car les paysans s'obstinaient à boire à la gourde. Leurs épouses protestaient, et ils disaient qu'il fallait saoûler les chemises pour les donner ensuite aux pauvres. Avec cette expression - les donner aux pauvres - ils se donnaient l'illusion de ne pas l'être, eux." (pages 42-43).

Et bien sûr, des événements vont survenir : le roi quitte l'Espagne. C'est sans doute le moment pour Paco de réparer les injustices qui lui pèsent depuis son enfance...

Tout n'est pas explicité et souligné. Les personnages sont profonds.
Un grand livre.

Une toile aurait pu être utilisée pour la couverture. Il ne s'agit évidemment pas de la même époque, les conditions sont différentes, mais l'esprit est là.

Francisco de Goya, Tres de Mayo. 1814. Museo del Prado.


Réquiem por un campesino español a été adapté au cinéma par Francesc Betriu en 1985, avec Antonio Banderas dans le rôle de Paco.

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