Né en 1947, Michel Pastoureau est un historien médiéviste français, spécialiste de la symbolique des couleurs, des emblèmes, et de l'héraldique.
Il est le petit-cousin de Claude Lévi-Strauss et le fils de l'écrivain Henri Pastoureau.
Archiviste paléographe, sa thèse de l'École des chartes, soutenue en 1972, porte sur le bestiaire héraldique du Moyen Âge. Le sujet est alors considéré comme peu porteur : l'héraldique passait alors pour une discipline archaïque, et les animaux pour un sujet puéril qui n'intéressait pas les historiens.
Il est
directeur d'études à École des hautes études en sciences sociales et à l'École pratique des hautes études, où il occupe depuis 1983 la chaire d'histoire de la symbolique occidentale.
En 2006, il a été élu correspondant français de l'Académie des inscriptions et belles-lettres.
Il a publié une quarantaine d'ouvrages consacrés à l'histoire des couleurs, des animaux et des symboles. Ses premiers travaux portaient sur l'histoire des emblèmes et les domaines qui s'y rattachent : héraldique, sigillographie (l'étude des sceaux) et numismatique.
Le 3 novembre 2010, il reçoit le prix Médicis essai pour "Les Couleurs de nos souvenirs" (le titre provient d'une lettre de Gérard de Nerval : "... avant que ne s'évanouissent dans l'éternité du silence les couleurs mêmes de nos souvenirs.")
Parmi ses livres consacrés aux couleurs, on peut citer "Bleu histoire d'une couleur" (2000), et "Noir : Histoire d'une couleur" (2008).
Couleurs. Le grand livre. Michel Pastoureau et Dominique Simonet. Editions du Panama, Paris, 2008. 130 pages.
Le texte provient a priori d'une longue interview publiée semaine après semaine dans l'Express. Le texte entier est encore accessible (pour combien de temps ?), et commence sur http://www.lexpress.fr/culture/livre/1-le-bleu-la-couleur-qui-ne-fait-pas-de-vagues_819768.html
Le livre est constitué de 7 chapitres : 6 "vraies" couleurs, et finalement les "demi-couleurs".
"Dans la Rome antique, les yeux bleus étaient une disgrâce, voire, pour une femme, un signe de débauche. Au Moyen Age, la mariée était en rouge, mais aussi les prostituées. On le devine déjà : les couleurs en disent long sur nos ambivalences. Elles sont de formidables révélateurs de l'évolution de nos mentalité." écrit Dominique Simmonet dans son avant-propos.
Commençons par le cheval de bataille de Michel Pastoureau, la couleur à laquelle il a consacré un ouvrage en 2000.
1/Le bleu .
C'est aujourd'hui une couleur consensuelle.
"Longtemps, il est resté au second plan, dédaigné, voire méprisé dans l'Antiquité." (page 6).
Mais les choses ont bien changé
: "depuis 1890 environ, le bleu est en effet placé au premier rang partout en Occident, en France comme en Sicile, aux Etats-Unis comme en Nouvelle-Zélantde, par les hommes comme par les femmes, quel que soit leur milieu social et professionnel." Mais cet amour n'st pas universel : "les Japonais, par exemple, plébiscitent le noir."
"Longtemps, le bleu a été mal aimé [sauf en Egypte]. Il n'est présent ni dans les grottes paléolithiques ni au néolithique, lorsque apparaissent les premières techniques de teinture. Dans l'Antiquité, il n'est pas vraiment considéré comme une couleur : seuls le blanc, le rouge et le noir ont ce statut.".
Une des raison de ce désintérêt est la difficulté à fabriquer le bleu.
Toutefois : "De nombreux témoignages l'affirment : avoir les yeux bleus, pour une femme, c'est un signe de mauvaise vie. Pour les hommes, une marque de ridicule." (page 8).
"L'absence du bleu dans les textes anciens a d'ailleurs tellement intrigué que certains philologues du XIX° siècle ont cru sérieusement que les yeux des Grecs ne pouvaient le voir !"
Les couleurs dans la Bible ont été ajoutés au cours des traductions, "les textes bibliques en hébreu, en araméen et en grec utilisent peu de mots pour ces couleurs : ce seront les traductions en latin puis en langues modernes qui les ajouteront . Là où l'hébreu dit « riche », le latin traduire « rouge ». Pour « sale », il dira « gris » ou « noir » ; « éclatant » deviendra « pourpre »..."
La situation du bleu change aux XII et XIII° siècle.
"Le dieu des chrétiens devient un dieu de lumière. Et la lumière devient... bleue ! Pour la première fois en Occident, on peint les ciels en bleu - auparavant, ils étaient noirs, rouges, blanc ou dorés. Plus encore, on est alors en plaine expansion du culte marial. Or la Vierge habite le ciel... Dans les images à partir du XII° siècle, on la revêt d'un manteau ou d'une robe bleus." (page 8).
Mais l'Eglise est divisée : "prélats « chromophiles », comme Suger, qui pense que la couleur est lumière, donc relevant du divin, et qui veut en mettre partout. Et des prélats « chromophobes », comme saint Bernard, abbé de Clairvaux, qui estime, lui, que la couleur est matière, donc vile et abominable, et qu'il faut en préserver l'église, car elle pollue le lien que les moines et les fidèles entretiennent avec Dieu." (page 10).
"A la fin du Moyen Âge, la vague moraliste, qui va provoquer la Réforme, se porte aussi sur les couleurs, en désignant des couleurs dignes et d'autres qui ne le sont pas. La palette protestante s'articule autour du blanc, du noir, du gris, du brun... et du bleu [...]
Comparez Rembrandt, peintre calviniste qui a une palette très retenue, faite de camaïeux, et Rubens, peintre catholique à la palette très colorée...
". (page 11).
D'autres aspects de la question sont abordés, notamment l'aspect économique, la guerre entre les couleurs.
"A Strasbourg, les marchands de garance, la plante qui donne le colorant rouge, étaient furieux. Ils ont même soudoyé un maître verrier chargé de représenter le diable sur les vitraux pour qu'il le colorie en bleu, afin de dévaloriser leur rival." (pages 10-11).
Suivent des reproductions diverses, sans commentaire. Aussi belles soient-elles, on ne voit pas toujours bien le lien avec ce qui précède. Bien sûr, il y a du bleu dans les oeuvres... mais pourquoi celles-ci et pas d'autres ?
Albrecht Dürer. Mains en prière. 1508. Dessin en gris et blanc, lavis gris sur papier préparé en bleu-vert. 29,1 x 19,7cm. Albertina, Vienne.
Antonello da Messina (1430-1479), Vierge de l'Annonciation, Palerme. (dans le livre, c'est la copie d'Antonello da Saliba - vers 1476-1477 - qui est reproduite).
Félix Valloton, femme fouillant dans un placard, 1900-1901. Collection particulière.
2/Le rouge.
C'est la couleur par excellence : coloratus ou colorado en espagnol "signifie à la fois « rouge », mais aussi « coloré ». [...] Dans le système chromatique de l'Antiquité,qui tournait autour de trois pôles, le blanc représentait l'incolore, le noir grosso modo le sale, et le rouge était la couleur, la seule digne de ce nom." (page 26).
C'est une couleur ambivalente : "Lisez de même l'Ancien Testament : le rouge y est associée tantôt à la faute et à l'interdit, tantôt à la puissance et à l'amour. [...]
A partir des XIII° et XIV° siècles, le pape, jusque-là voué au blanc, se met au rouge. Le cardinaux également. Cela signifie que ces considérables personnages sont prêts à verser leur sang pour le Christ".
Michel Pastoureau reparle de la perception des couleurs, ce qui est finalement plus fascinant que l'évolution de la symbolique, car il s'agit, pour nous d'une perception différente de la réalité : "pour l'oeil médiéval, l'éclat d'un objet (son aspect mat ou brillant) prime sur sa coloration : un rouge franc sera perçu comme plus proche 'un bleu lumineux que d'un rouge délavé." (page 27).
(parenthèse personnelle : on ne connaît bien sûr de la réalité que ce que nos sens nous en disent, et le fait que d'autres (en dehors des gens affectés d'une anomalie répertoriée), la majorité d'une autre époque, pouvait percevoir les choses différemment est assez troublante. Y aurait-il une part de l'éducation plus importante que ce que l'on pourrait croire, en ce qui concerne cette perception de notre environnement ? Cela semble aller plus loin que l'association des couleurs à un sentiment).
"Le rouge restera aussi la couleur de la robe de mariée jusqu'au XIX° siècle. [...] Pourquoi ? Parce que, le jour
du mariage, on revêt son plus beau vêtement et qu'une robe belle et riche est forcément rouge." (pages 28-29). Et on retrouve l'ambivalence de la couleur, car le rouge est également la couleur des prostituées.
"Chez nous, en outre, le rouge indique toujours la fête, Noël, le luxe, le spectacle : les théâtre et les opéras en sont ornés." (page 30).
Hans Holbein. Portrait du bourgmestre Jakob Meyere, 1516. Huile sur bois, 38,5 x 31 cm. Kunstmuseum, Bâle.
Otto Dix. Portrait d'Anita Berber, 1925.Huile et tempera sur boix, 120 x 65 cm. Otto Dix Stiftung, Vaduz.
3/ Le blanc.
Est-ce vraiment une couleur ? Oui, dit Pastoureau.
"C'est en faisant du papier le principal support des textes et des images que l'imprimerie a introduit une équivalence entre l'incolore et le blanc." (page 44).
Le linge qui touche le corps doit être blanc. "Jamais nos arrière-grands-parents ne se seraient couchés dans des draps qui n'auraient pas été blanc !" (page 45).
Pastoureau aborde le "plus blanc que blanc", "l'au-delà du blanc" : rôle tenu par au Moyen Age par le doré. "la lumière très intense prenait des reflets d'or, disait-on. Aujourd'hui, on utilise parfois le bleu pour suggérer l'au-delà du blanc : le freezer des réfrigérateurs (plus froid que le froid), les bonbons à la menthe superforts [...]" (page 46).
Le blanc est la couleur de Dieu.
"Les souverains, qui tenaient leur autorité du pouvoir divin, ont également adopté la couleur blanche, et l'ont choisie comme une manière de se distinguer dans les armées très colorées : ainsi sont blancs l'étendard et l'écharpe royaux la cocarde de Louis XVI, le panache et le cheval d'Henri IV" (page 46).
Hans Baldung Grien. Autoportrait, vers 1502. Plume et encre noire, lavis de noir et de bleu-vert sur papier préparé ; reauts de gouache blanche et rose, 22x 16 cm. Kunstmuseum, Kupferstichkabinett, Bâle.
Rockwell Kent : Moby Dick rises, 1930. Illustration pour Moby Dick d'Herman Melville. Dessin à la plume et à l'encre, 1718 cm x 12,7 cm. Plattsburgh State Art Musem, New York.
Henri Gervex. Rollla, 1878. Hiule sur toile. 178x 220 cm. Musées des Beaux-Arts, Bordeaux.
4/Le vert.
C'est une couleur médiane, non violente, paisible.
Goethe, dans son traité, "recommande le vert pour les papiers peints, l'intérieur de appartements et spécialement, dit-il, la chambre à coucher." (page 62).
Ici, cas unique parmi les couleurs, la technique et le symbolique vont de pair. En effet, le vert est une couleur chimiquement instable : elle est facile à produire, mais pas à stabiliser...
Elle est donc devenue la couleur de l'instabilité.
"La symbolique du vert s'est presque entièrement organisée autour de cette notion : il représente tout ce qui bouge, change, varie. Le vert est la couleur du hasard, du jeu, du destin, du sort, de la chance..." (page 63).
Jusqu'au dollar.
"dans nombre de langues anciennes, on confond le vert, le bleu et le gris en un même terme, la couleur de la mer en somme (c'est encore le cas en breton moderne, avec le mot glas)." (page 65).
Toujours cette perception différente.
L'association du vert avec la nature est assez récente.
Rogier ven der Weyden. Marie-Madeleine lisant, avant 1438. Huile sur bois, 62,2 x 54,4 cm. The National Gallery, Londres.
5/ Le jaune.
En occident, c'est la couleur la moins aimée, contrairement à la Chine, par exemple.
"Contrairement aux autres couleurs de base, qui ont toutes un double symbolisme, le jaune est la seule à n'avoir gardé que l'aspect négatif. [..] Dans les romans, les chevaliers félons, comme Ganelon, sont décrit habillés de jaune".
Et Judas ! Il a déjà les cheveux roux, et à partir du XII° siècle, "on le représente avec une robe jaune et, pour parachever le tout, on le fait gaucher ! Pourtant, aucun texte évangélique ne nous décrit la couleur de ses cheveux ni celle de sa robe." (page 80). Le jaune, c'est la couleur des traîtres.
"Au XIX siècle, les maris trompés étaient encore caricaturés en costume jaune ou affublés d'une cravate jaune."
Il n'y a aucune explication de cette association, apparue au Moyen Age. Le soufre, peut-être ?
"Plus tard, en instituant le port de l'étoile jaune pour les juifs, les nazis ne feront que puiser dans l'éventail des symboles médiévaux, une marque d'autant plus forte que cette couleur se distinguait particulièrement sur les vêtements des années 1930, majoritairement gris, noirs, bruns ou bleu foncé." (page 81).
Même les vitraux : "ceux du début du XII°siècle comportent du jaune, puis la dominante change et devient bleue et rouge. Le jaune n'est presque plus utilisé que pour indiquer les traîtres et le félons. cette dépréciation va perdurer jusqu'aux impressionnistes".
Jérôme Bosch : La Tentation de Saint Antoine, 1490. Huile sur toile, 70 x 51 cm. Museo Nacional del Prado, Madrid.
Balthus : La Montagne, 1936. Huile sur toile, 248,9 x 365,8 cm. The Metropolitan Museum of Art, New-York.
6/ Le noir.
Dans la Bible, le noir est associé aux défunts, au péché. “Mais il y a un noir plus respectable, celui de la tempérance, de l'humilité, de l'austérité, celui qui fut porté par les moines et imposé par la Réforme." (page 98). De là est venu le noir de l'autorité (arbitres, juges...). Jusqu'au noir "chic".
"Les grands réformateurs se font portraiturer vêtus de la couleur humble du pécheur. Le noir devient alors une couleur à la mode, non seulement chez les ecclésiastiques, mais également chez le princes : Luther s'habile en noir, Charles Quint aussi." (page 99).
En mélangeant toutes les couleurs, on n'obtient pas du noir, mais une sorte brun ou de gris. "Chimiquement, le vrai noir est difficile à atteindre." Il est très cher, et donc peu utilisé pendant longtemps.
Le noir n'est pas la couleur du deuil en Asie : c'est le blanc."Pourquoi ? Parce que le défunt se transforme en un corps de lumière, un corps glorieux ; il s'élève vers l'innocence et l'immaculé. En Occident, le défunt retourne à la terre, il redevient cendres, il part donc vers le noir."
Le "contraire" du noir n'est pas toujours (ou n'a pas toujours été) le blanc. "Les couple rouge-blanc et rouge-noir sont perçus comme des contrastes plus forts en Orient, et ils l'ont parfois été en Occident" (page 99).
Les pièces des échecs comportaient à l'origine (Inde, vers le VI° siècle) des pièces rouges et noires. Vers l'an mille, chez nous, cela a donné les rouges contre les blancs. Et à la Renaissance, finalement, les noirs contre blancs.
(Ceci dit, parenthèse personnelle, il y a des jeux d'échecs qui ont conservé la couleur rouge, j'en ai eu un, les pièces en plastique étaient rouges et blanches Peut-être, lorsque les pièces tombent, le rouge est-il plus facile à retrouver que le noir ?).
Le noir est-il une couleur ? Cela dépend si l'on considère la couleur comme une matière (la matière noire existe) ou bien comme une lumière.
Pastoureau aborde alors le thème de la photo, de la représentation du monde en noir et blanc. On aurait pu le représenter au noir et jaune, ce n'est qu'une question d'habitude.
"La photo et le cinéma ont renforcé ce clivage couleurs / noir et blanc qui aurait paru absurde aux yeux d'un homme de l'Antiquité ou du Moyen Age" (page 101).
Il dit alors quelque chose d'étrange. "Il est probable que nous rêvons en noir et blanc. Qui sait ?" Eh bien : les rêveurs ! Certains savent qu'ils rêvent en couleurs...
Lisons la note page 900 de l'édition d'Anna Karenine en folio : "Tolstoï faisait souvent des rêves fort imagés et colorés qui l'impressionnaient et parfois le poursuivaient pendant une journée entière". (note d'Henri Mongault).
Le noir et blanc, c'est le sérieux, tandis que la couleur, c'est le début de la transgression.
George de la Tour : La Madeleine pénitente, vers 1640-1645. Huile sur toile, 133,4 cm x 102,2 cm. The Metropolitan Museum of Art, New-York.
Parmigianino. Portrait d'homme, avant 1524. Huile sur toile, 89,5 x 63,8 cm. The National Gallery, Londres.
Max Beckmann. Autoportrait en smoking, 1927. Huile sur toile, 139,5 x 95,5 cm. Harvard University Art Museums, Cambridge, Etats-Unis.
7/ Les demi-couleurs.
"D'après les tests d'optique, l'oeil humain peut distinguer jusqu'à cent quatre-vingt, voire deux cent nuances, mais pas d'avantage." (page 119).
Nous sommes moins sensibles aux couleurs qu'autrefois
"La couleur est désormais accessible à tous, elle s'est banalisée. Les enfants des générations précédentes s'émerveillaient quand ils recevaient à Noël un crayon rouge et un crayon bleu. Ceux d'aujourd'hui, qui ont des boîtes de cinquante feutres à 1 euro, sont moins curieux et moins créatifs à l'égard des couleurs. Les jeunes peintres ont également tendance à prendre la couleur telle qu'elle sort du tube, sans la travailler. Et on fait dire n'importe quoi aux couleurs. [...] Pis encore : on les utilise dans des tests qui prétendent dresser notre profil psychologique - si vous choisissez le rouge, vous voilà catalogué excité ! C'est d'une naïveté affligeante." (page 119-120).
Eh oui, ces tests idiots sont encore utilisés par des DRH (ou des cabinets spécialisés) lors de recrutements, on m'en a parlé il n'y a pas longtemps. Du coup, comme le candidat sait ce que cherche à analyser les cabinets de
recrutements avec leurs gros sabots (on n'est pas totalement idiots... le danger, lorsque son travail consiste à juger les autres, à les évaluer, toute la journée, c'est de finir par se considérer comme supérieur à ces autres), on sait bien qu'il faut choisir une couleur non "extrême", sous peine d'être éliminé. Mais peut-être va-t-on arriver logiquement à l'étape suivante, où les cabinets de recrutements sauront que l'on sait qu'ils savent... De là à ce qu'ils éliminent quelqu'un qui choisira une couleur un peu molle, en se disant : "ce candidat ne répond pas honnêtement", il n'y a qu'un pas. Quand ça se saura, on réagira en conséquence, et ça sera reparti pour un tour.
Mais revenons au livre.
Les couleurs de base n'ont pas besoin de référenciel dans la nature (blanc, noir, rouge...). Par contre, les demi-couleurs ont besoin d'une référence : marron, rose, orange...
A propos de l'orange : au Moyen Age, il n'était pas produit par mélange du jaune et du rouge, "en raison sans doute du tabou biblique du Deutéronome et du Lévitique, repris par le christianisme, qui jugeait les mélanges impurs : un homme blanc et une femme noire ne pouvaient pas procréer, on ne mélangeait pas dans un même vêtement laine et lin, matière animale et matière végétale, ni deux couleurs pour en faire une troisième." (page 117).
Reste le gris, qui est à part. Il symbolise la tristesse, la mélancolie, l'ennui, mais aussi l'intelligence (la matière grise)."A la fin du Moyen Age, on le voyait comme le contraire du noir, donc symbole d'espérance et du bonheur. Charles d'Orléans a même écrit un poème intitulé Le Gris de l'espoir."
(page 118).
Un peu de poésie pour finir, donc, avec Le Gris de l'espoir, de Charles d'Orléans :
Il vit en bonne esperance,
Puisqu'il est vestu de gris,
Qu'il aura, à son advis,
Encore sa desirance;
Combien qu'il soit hors de France,
Par deca le mont Senis,
Il vit, etc.
Puisqu'il, etc.
Perdu a sa contenance,
Et tous ses jeux et ses ris,
Gaigner lui fault Paradis.
Par force de paciance.
Il vit, etc.
Vilhelm Hammershoi, Repos, 1905. Huile sur toile. 49,5 x 46,5 cm.
Kasimir Malevitch. Autoportrait, 1933. Huile sur toile, 73 x 66 cm. The Russian Museum, Saint Petersbourg.
C'est donc un texte très intéressant, qui ouvre des perspectives, il y a de belles reproductions, mais sans commentaires, qui paraissent parfois mises là un peu par hasard (dominante verte pour la partie verte, par exemple, même si on ne voit pas du tout le lien avec le propos qui précédait).
Par exemple, pour la partie sur le jaune, il aurait pu y avoir des représentations de Judas, avec son habit jaune :
Anonyme : Le baiser de Judas Iscariote, anonyme du XIIe siècle, galerie des Offices, Florence.
Giotto : Le baiser de Judas, 1304, chapelle Scrovegni, Padoue.
Mais cela aurait peut-être été trop facile ? Est-ce que les reproductions du livre sont là pour autre chose ?
Une interview :
Egalement disponibles en français :
- Traité d'héraldique. 1979
- Dictionnaire des couleurs de notre temps, Paris, 1992
- Figures de l'héraldique, Découvertes Gallimard, 1996
- Bleu. Histoire d'une couleur, éditions du Seuil, 2002
- Les Animaux célèbres, Bonneton, 2001
- L'Étoffe du diable, une histoire des rayures et des tissus rayés
- Les Emblèmes de la France, éditions Bonneton, Paris, 1998.
- Le Petit Livre des couleurs avec Dominique Simonnet, éditions Panama, 2005
- L'Hermine et le sinople, études d'héraldique médiévale,1982.
- Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental
- La Bible et les saints avec Gaston Duchet-Suchaux.
- L'Ours. Histoire d'un roi déchu.
- Noir : Histoire d’une couleur, 2008
- Le Cochon. Histoire d'un cousin mal aimé, 2009
- L'Art de l'héraldique au Moyen Âge, éditions du Seuil, Paris, 2009
- Les couleurs de nos souvenirs, éditions du Seuil, Paris, 2010 (Prix Médicis Essai 2010)