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"John Rewald est né Gustav Rewald à Berlin en 1912. Son père était allemand, sa mère russe... et tous deux d'origine juive. Après son Abitur (Bac) à Hambourg, il a étudié dans plusieurs universités allemandes avant d'aller à la Sorbonne en 1932 (ou 1933 - après l'arrivée au pouvoir d'Hitler, ses parents et son frère partirent pour Londres).
Histoire de l'Impressionnisme (première édition : traduction de l'anglais par Nancy Goldet-Bouwens ; nouvelle édition : suppléments traduits de l'anglais par Catherine Goldet). Nouvelle édition entièrement refondue, revue et augmentée. Hachettes Littératures. 478 pages. Il commence avec l'Exposition Universelle de 1855 à Paris. Même Ingres, qui boudait le Salon depuis vingt ans, a présenté plus de quarante toiles. "Pissarro dut certainement se rendre compte, avec une certaine surprise, que tous les prix et toutes les médailles distribuées à la suite de l'exposition revenaient à des hommes qui, de plus ou moins près, suivaient Ingres." (page 17) : Gérôme, Cabanel, Meissonier, Lehmann, Bouguereau. Daubigny doit se contenter d'une médaille de troisième classe. Jongkind, Millet et Courbet n'ont rien. "[...] plus surprenant encore étaient les coups de brosse vigoureux et la manière audacieuse dont le peintre avait rendu son sujet. En refusant ce tableau, les membres du jury avaient déclaré, selon Courbet, qu'il « fallait arrêter des tendances picturales qui étaient désastreuses pour l'art français ». Et le public avait tacitement approuvé la décision prise, en s'abstenant d'aller voir l'exposition de Courbet." (page 18). Les artistes qui ne se coulaient pas dans le moule n'avaient aucune chance d'être exposé au Salon annuel et donc aucune chance d'obtenir une médaille... Or, le peintres gagnaient leur vie grâce à des commandes, et celles-ci ne commençaient à affluer qu'à condition d'être primés au Salon. C'est dans ce contexte que des petits jeunes arrivent dans l'atelier de Charles Gleyre. Monet raconte la réaction de Thomas Couture devant une étude de nu : "« Pas mal, pas mal du tout cette affaire-là, mais c'est trop dans le caractère du modèle. Vous avez un bonhomme trapu : vous le peignez trapu. Il a des pieds énormes : vous les rendez tels quels. C'est très laid, tout ça. Rappelez-vous donc, jeune homme, que quand on exécute une figure, on doit toujours penser à l'antique. La nature, mon ami, c'est très bien comme élément d'étude, mais ça n'offre pas d'intérêt. Le style, voyez-vous, il n'y a que ça !»
Plus loin, on voit que Manet tire souvent son inspiration des oeuvres des grands maîtres. Par exemple, le groupe central de son Déjeuner sur l'herbe a été adapté d'une gravure de Raphaël.
Un des nombreux intérêts du livre est de lire les opinions (qui évoluent parfois avec le temps, bien sûr) des peintres les uns sur les autres. En 1863, la sévérité du jury est tellement grande que des protestations fusent. Napoléon III examine lui-même une partie des oeuvres refusées. Voulant que le public se fasse son opinion, il décide que les oeuvres d'art refusées pourraient être exposées dans une autre partie du Palais de l'Industrie... Libre aux peintres refusés d'accepter ou non. Quelle position prendre ? Exposer ou pas ? "Dès le premier jour, le Salon des refusés attira une foule immense ; les dimanches on atteignait le chiffre record de trois à quatre mille entrées. Les visiteurs étaient naturellement beaucoup plus attirés par l'exposition des oeuvres refusées, que la presse décrivait comme désopilantes, que par celles plus ou moins ennuyeuses du vrai Salon. [...] « Il faut être deux fois robuste, écrivit Astruc, pour se tenir droit sous l'orage des sots qui pleuvent ici par milliers et bafouent tout à outrance. »" (page 68). Le Déjeuner sur l'herbe de Manet est exposé au Salon des Refusés :
"C'est l'abandon de l'exécution léchée, l'indication sommaire des détails du fond, la façon dont les formes étaient obtenues sans l'aide de lignes, mais en opposant les tons ou en indiquant des contours à coups de brosse décidés (modelant les volumes au lieu de les limiter), c'est tout cela qui provoqua une désapprobation à peu près générale." (page 70).
Manet apparaît comme le chef de file des jeunes peintres de la nouvelle génération hostiles à l'Académie. En cette année 1863, la faveur du public est allée à La Naissance de Vénus de Cabanel : Pour se faire remarquer au Salon, la qualité de l'oeuvre ne suffit pas. Il y a une stratégie. Bazille, dans une lettre à ses parents, explique qu'il "faut peintre des tableaux assez grands qui demandent des études préparatoires très consciencieuses et entraînent ainsi des dépenses importantes ; sinon, il faut attendre dix ans avant de se faire remarquer, et c'est plutôt décourageant.»" (page 100). Toujours en 1863 - et on est loin de l'oeuvre de Cabanel et autres peintres académiques - Baudelaire écrit dans Le Figaro que "c'était le rôle de l'artiste, comme [Constantin] Guys le faisait de « dégager de la mode ce qu'elle peut contenir de poétique dans l'historique, de tirer l'éternel du transitoire.»" (page 92). De plus, il théorise la modernité : "« Il est beaucoup plus commode de déclarer que tout est absolument laid dans l'habit d'une époque, que de s'appliquer à en extraire la beauté mystérieuse qui y est peut-être contenue, si minime ou si légère qu'elle soit. La modernité, c'est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l'art, dont l'autre moitié est l'éternel et l'immuable. Il y a eu une modernité pour chaque peintre ancien : la plupart des beaux portraits qui nous restent des temps antérieurs sont revêtus des costumes de leur époque. Ils sont parfaitement harmonieux, parce que le costume, la coiffure et même le geste, le regard et le sourire (chaque époque a son port, son regard et son sourire) forment un tout d'une complète vitalité. Cet élément transitoire fugitif, dont les métamorphoses sont si fréquentes, vous n'avez pas le droit de le mépriser ou de vous en passer. En le supprimant vous tombez forcément dans le vide d'une beauté abstraite et indéfinissable... »" (page 93). On voit bien la grande différence existant entre les peintres académiques et les peintres de la nouvelle génération (enfin, certains peintres de la nouvelle génération). Mais il ne faut bien sûr pas généraliser : les méthodes et aspirations de ces peintres sont divers. Tous ne sont pas attirés par la nature ou la spontanéité, par exemple. Parmi les peintres du groupe, arrêtons-nous un instant sur Frédéric Bazille (1841-1870). Voici ce qu'en dit John Rewald : "Ne possédant ni l'esprit investigateur de Degas, ni le vigoureux tempérament artistique de Monet, ni la facilité naturelle de Renoir, il y substitua une application naïve et une humilité sincère. L'oeuvre qui en résulta est un peu sèche et guindée, mais ne manque pas d'un charme austère. Conscient de ses limites, Bazille savait qu'il lui restait à se libérer d'une certaine hésitation et gaucherie pour développer pleinement ses dons." (page 120). Il n'en aura malheureusement pas le temps, puisqu'il sera tué pendant la guerre de 1870.
Rewald explique aussi l'importance des cafés à l'époque. En 1873, Manet obtient un éloge quasi unanime avec Le Bon Bock.
Par contre, ses amis sont dubitatifs. - Par Michalon ! s'écria-t-il, qu'est-ce que c'est que ça ?
- Ah ! le voilà, le voilà ! s'écria-t-il devant le n°98. Je le reconnais, le favori de papa Vincent ! Que représente cette toile ? Voyez au livret. Le terme impressionniste était donc né. Mais quelle est la définition de l'impressionnisme ? Une exposition eut lieu chez Durand-Ruel en 1875. Voici la réaction du critique d'art Albert Wolff : Des dissensions naissent rapidement. Il est donc à l'opposé de Monet, par exemple, qui était un "vrai" impressionniste. Petite parenthèse. On sait que les impressionnistes ont été influencés par les estampes japonaises. Voici une conséquence de cette influence, pas forcément évidente. "[Manet] montre une « cocotte » parisienne s'habillant sous le regard sévère de son protecteur. Le visage de celui-ci est coupé en deux par un cadre, moyen emprunté aux estampes japonaises, et souvent utilisé par Degas." (page 255).
A priori, j'y voyais une influence de la photographie naissante. Manet continue à chercher les honneurs. Et voilà que Giuseppe De Nittis obtient la légion d'honneur en 1878 ! Pendant ce temps, Zola continuait à écrire que le mouvement n'avait pas encore produit de vrai génie... (page 265). La femme de Monet décède en 1879. La situation financière de Monet est toujours aussi désespérée.
Heureusement que Monet a vécu vieux... La même année, en 1879 donc, Renoir a obtenu un succès au Salon, les critiques sont unanimes. Renoir est quasiment "arrivé" !
Du coup, Monet se demande ce qu'il doit faire : continuer à participer aux expositions indépendantes, ou bien soumettre ses toiles au Salon ? Cela fait vingt ans qu'il trime, et il n'a toujours pas rencontré son public. Il décide donc de soumettre des toiles au Salon. La sixième exposition, en 1881, eut lieu sans Caillebotte. "Tout portait à penser que Zola n'avait pas tort de dire que le groupe des impressionnistes avait cessé d'exister." (page 288). En 1883, Manet tombe gravement malade. Sa jambe gauche est gangrenée... Il fallut amputer. "Le Dr Gachet, homéopathe convaincu, était opposé à l'intervention, disant que jamais Manet ne supporterait de vivre avec des béquilles." (page 304). Il est néanmoins opéré, mais l'amputation ne le sauva pas. Puis viennent les impressionnistes scientifiques (les pointillistes) : Seurat, Signac, Pissarro pendant un temps...
Pendant ce temps, sur le front des ventes et de la reconnaissance : Mais voici que Gauguin et Van Gogh sont arrivés. Nous basculons dans le post-impressionnisme, qui fait l'objet d'un second volume. C'est un livre extrêmement intéressant : les analyses de Rewald sont remarquables de clarté, de concision et d'intelligence.
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