"Jean-Luc Toula-Breysse, journaliste ayant notamment collaboré à France Culture et au journal Le Monde, est spécialiste des cultures asiatiques. Il a participé à l’écriture de plusieurs guides sur le Japon (Guide bleu, Guide vert), et il est le rédacteur en chef du guide en ligne www.guidejapon.fr. Il a également publié plusieurs ouvrages sur la religion comme Le Zen (PUF, coll. « que sais-je ? », 2008) ou encore Bouddha, bouddhisme (Philippe Picquier, 1999)." (site des Editions de la Martinière) .
Que sais-je : le Zen (2008). Puf. 128 pages.
Introduction :
"Le terme zen signifie méditation. Orginaire de l'Inde, l'école zen a, sous des noms différents, pris racine au Tibet, au Vietnam, en Chine et en Corée avant de s'implanter et de s'épanouir au Japon. L'archipel a donné au zen un élan sans pareil. [...] Cette pratique bouddhique mahayaniste prône la prise de conscience de soi en tant que Bouddha grâce à un enseignement, une transmission au-delà des mots, d'un maître à un disciple, « de mon coeur à ton coeur » comme le formulent les sages instructeurs. Regard authentique sur le monde ? Contemplation poussée à son paroxysme ? [...]
Comme l'enseigne la doctrine bouddhique, la vie est un fleuve agité dont les eaux troubles charrient des fatras d'émotions, d'illusions et d'ignorances. Mais attention, il ne suffit pas de renoncer à ce qui est faux pour atteindre le vrai." (pages 3-4)
Après l'introduction, c'est le Chapitre I : Aux sources du Bouddhisme Zen.
Après le védisme et les Upanisads (qui apparaissent - aux alentours de 800 avant J.-C. -"en réaction au formalisme védique", page 9), est venu Siddhārtha Gautama, le Bouddha, né au milieu du VI° siècle avant J.C, dans un "siècle philosophique, contemporain de Confucius, de Lao Tseu, d'Héraclite, et Pythagore et de Zarathoustra." (page 8). Dans la pensée pré-bouddhique, l'homme et les dieux (ces derniers sont très nombreux : 33 millions, sans compter les génies, serviteurs, etc.) doivent se plier aux lois cosmiques.
"Plus thérapeute que métaphysicien, le Bouddha propose une méthode de connaissance destinée à se libérer des illusions. Seule l'expérience individuelle permet d'appréhender la loi de l'existence désignée en sanskrit par le terme dharma." (page 9)
La quintessence du bouddhisme s'exprime à travers "quatre Noble Vérités" : explicitées par l'auteur. En très gros : tout le monde est sujet à la souffrance, les moments de bonheur ne durent pas, et de façon plus générale rien ne dure : la personnalité même de chacun étant un assemblage d'éléments qui évoluent, le Moi n'est donc pas immuable ; par conséquent, il ne faut pas s'attacher à un ego qu'on penserait immuable (il y a ici divergence "avec la conception brahmanique qui considère l'âme comme un soi permanent et de même essence que le Tout.", page 12).
"Supprimer le désir ne consiste pas à le réprimer ou à le refouler. Car pour les bouddhistes cela entraînerait une nouvelle source de douleur". (page 13). Non, il faut "se débarrasser des perceptions erronées, éliminer les emprises mentales, supprimer les sources d'obstructions (convoitise, haine, erreur) afin de s'affranchir du désir et échapper à la pesante inclination de la peur, du doute et de la souffrance." (page 13).
La voie de la délivrance vise à passer de notre monde de douleur au nirvâna. La cessation de la douleur passe concrètement par la pratique d'une règle de vie et un changement d'état d'esprit : il faut ne pas se laisser aller aux passions, ni tuer, ni mentir, ni s'enivrer...
"La question de Dieu ne se pose pas. Les considérations théologiques semblent volontairement écartées. Le bouddhisme n'est ni théiste ni athée. Chaque être dans son libre arbitre choisit son chemin. Comme tout se forme puis se défait, commence, se déroule et s'achève, la sagesse est d'accepter le changement. Les bouddhistes sont invités à ne pas se figer dans l'acquis de la pratique, sinon elle deviendrait néfaste à l'expérience." (page 15)
Gautama se rase la tête et devient un ascète, Borobudur, VIIIe siècle.
Puis l'auteur expose les variantes du bouddhismes :
-
Le Hinaya (ou « Petit Véhicule ») où "chacun travaille pour soi et jouit du fruit de ses actes" (page 16). On le trouve principalement dans le Sud-Est asiatique, où il s'est diffusé à partir de Ceylan.
- Le Mahayana (ou « Grand Véhicule »)
qui "met l'accent sur l'amour et la compassion. Le Mahayana considère que le salut de l'humanité prévaut sur le salut personnel arguant que le bonheur individuel n'est pas une fin en soi. [...] ce courant cultive une attitude de bienveillance envers autrui." (page 17). Il prédomine en Chine, Corée et Japon.
Le Zen appartient à ce courant.
- Le Vajrayana (ou « Véhicule de Diamant ») : c'est une branche ésotérique qui s"'appuie sur la récitation de mantra (incantations mystiques de formules), la gestuelle de mudra (postures correspondant à une attitude mentale) et sur la visualisation de mandala (diagrammes servant de support à la méditation", pages 17-18). C'est le tantrisme. Il est répandu en Mongolie, au Tibet, en Himalaya et au Japon avec la secte Shingon.
Après cette présentation des sources du zen, le Chapitre II s'attache à la naissance du zen et sa diffusion.
L'origine du Zen remonterait à Bouddha lui-même. "Lors d'un enseignement [...] le Bienheureux prit une fleur dans ses mains et la montra silencieusement avant de la présenter au ciel. L'auditoire désemparé par cet acte inattendu demeura interloqué." (page 19).
En Chine, le bouddhisme rencontre les principes de méditation du Tao et la philosophie du confucianisme, aboutissant à une forme originale : le chan, qui deviendra par la suite le Zen.
Deux écoles naissent : l'école du Nord (qui vise un éveil progressif) et celle du Sud (ou « école de la voie abrupte » qui vise un éveil soudain). C'est l'école du Sud qui l'emporta.
Au Vietnam, le chan devient thiên ; en Corée : le sôn.
On arrive ainsi au Zen japonais, qui s'implante véritablement au Japon au XII° siècle, dans un contexte troublé : bandes armées, révoltes paysannes ; relâchement moral, rivalité entre sectes.
"Certains religieux s'insurgent devant une telle décadence et partent en Chine en quête d'un enseignement authentique qu'ils trouvent dans le zen, synonyme d'austérité. [...]
Par sa simplicité, sa sobriété et sa discipline, le zen est débord pratiqué et cela jusqu'au XIV° siècle dans la société des samouraïs [...] avant de toucher les sphères aristocratiques." (page 35).
Le moine chinois de l'école ChanYunmen Wenyan (864-949).
Trois grandes écoles zen naissent, dont la différence réside dans la méthode préconisée par leurs fondateurs.
A/
"L'Ecole Rinzai met l'accent sur l'importance de vivre l'expérience d'ordre pratique en préconisant notamment le travail physique et l'usage du kôan." (page 36).
Qu'est-ce qu'un koân ? C'est "une formule paradoxale, illogique, cocasse, voire absurde qui sinscrit au-delà de la pensée ordinaire et de la notion du moi. Avec cet objet de méditation, qui met en échec un quelconque raisonnement, tout esr remis en question dans le champ de conscience." (page 36).
On est forcé de sortir de ses habitudes, de ses schémas de pensées habituels, du dualisme. Il n'y a plus de repères : le doute naît. "Seul un trait de lumière foudroyant comme l'éclair peut sortir le méditant de son aveuglement. Provocation percutante, le kôan est une technique de méditation. Ici, le doute conduit à l'éveil." (page 37).
Quelques exemples célèbres de koân :
"« Quel son produit le claquement d'une seule main ? »
« Quel était votre visage avant la naissance de vos parents ? »
« Une fille passe sur le pont.
Quelle est la soeur aînée ?»
« Un buffle passe par la fenêtre. La tête, le corps et les quatre pattes sont entrés. Pourquoi sa queue ne passe-t-elle pas ? »" (pages 37-38).
Le Mondô, qui a la même finalité, consiste en un jeu de question/réponse apparemment absurde entre le Maître et l'Elève :
"Question à un autre maître :
« Quel était le dessein du patriarche Bodhidharma lorsqu'il vint de l'Ouest ? »
Sa réponse :
« Un cyprès devant le jardin. »" (page 39).
Le « jardin sec » du temple Ryōan-ji de l'école Rinzai à Kyōto.
B/ L'école Sôtô. Elle "mise sur le dokusan (rencontre du maître et du disciple seul à seul) et sur le shikantaza (signifiant : « seulement s'asseoir » et rien de plus). Dans cette école, le coeur de la pratique est la méditation assise silencieuse, c'est-à-dire le zazen. Cette forme la plus pure du zazen demande une attention totale car il s'agit de se concentrer uniquement sur la posture. Les adeptes du Sôtô préconisent le mokushôzen, c'est-à-dire la méditation sans objet, sans but, sans motif, l'acte gratuit sans recherche de profit." (page 43). Il s'agit du « zen de l'éveil silencieux », par opposition au « zen de la complation des mots » de l'école Rinzai. De plus, l'école Sôtô suit le chemin de l'« éveil graduel » contrairement à l'école Rinzai qui vise l'« éveil soudain ».
Temple Sōji-ji, de l'école Sôtô.
C/ L'école Ôbaku. Moins importante que les deux premières, elle appartient à la même famille que le zen Rinzai, mais incorpore des éléments amidistes (notamment la renaissance dans un Paradis, qui remplace le nirvana) de l'école Jôdo, la fameuse secte de la Terre Pure, pour qui le salut découle de la foi en Amida (suprême Bouddha deu Paradis de l'Ouest) et non de soi-même. "Le particularisme des adeptes de l'école Ôbaku dans la tradition zen est de méditer en évoquant le nom du Bouddha Amida auquel ils portent une grande dévotion." (page 45). Pour les tenants de la Terre Pure, "la seule évocation d'Amida [...] sauverait le commun des mortels du monde des ténèbres" (page 33).
Le chapitre III présente les Grands Maîtres et commence par les six patriarches en Chine : Bodhidharma (470 ?-543 ?), bien sûr (patriarche fondateur du zen ; il est appelé Daruma au Japon et prête son visage à des figurines), personnage légendaire. "les innombrables récits mettent en scène cette même attitude : toute explication plongerait les pratiquants dans une nouvelle illusion" (page 48). Et puis Houei-ko, Seng-tsan, Taoi-Hsin... Ce dernier connut l'Eveil au cours d'un dialogue célèbre :
"« Je vous en prie, Maître, ayez pitié de moi. Montrez-moi la voie de la délivrance. »
Le patriarche lui demanda :
« Qui t'a enchaîné ?
- Personne !
- Alors, pourquoi me demandes-tu de te délivrer ? »
Aussitôt, le novice connut l'Eveil." (page 50).
Puis sont présentés les maîtres du Japon : Eisai ou Yôsai (1141-1215), Dôgen (1200-1253, il est le fondateur de l'école Sôtô), Ikkyû (1394-1481 ; bien connu des amateurs de mangas grâce à Sakaguchi Hisashi).
"Rouleau calligraphique japonais de Hakuin Ekaku (1685-1768) représentant Bodhidharma : « Le zen va droit au cœur. Vois ta véritable nature et deviens Bouddha. »" (Wikipedia)
Et c'est finalement seulement au chapitre IV que la question est posée : Qu'est-ce que le zen ?
"Comprendre que le zen est incompréhensible, c'est déjà faire un pas vers la vérité. De nombreux ouvrages dédiés au zen reprennent cette formule : « Lorsque vous ne pratiquez pas le zen, les rivières sont des rivières et les montagnes sont des montagnes. Lorsque vous pratiquez le zen, les rivières ne sont plus des rivières et les montagnes ne sont plus des montagnes. Lorsque vous réalisez le zen, les rivières redeviennent des rivières et les montagnes redeviennent des montagnes. Lorsque vous atteignez le zen, les rivières deviennent des montagnes et les montagnes deviennent des rivières. » Chacun doit découvrir le zen par lui-même grâce à l'expérimentation, tout en observant le spectacle du monde avec sagesse et compassion." (page 57).
"Le mental faisant obstacle à l'éveil, les pratiquants du zen s'efforcent de s'affranchir du raisonnement et de la logique.[...] Par réaction à la tendance scolastique, les réformateurs du bouddhisme zen préfèrent délaisser les études théoriques et ainsi abandonner les spéculations intellectuelles, savantes et abstraites, pour l'expérience directe par la méditation. Vouloir acquérir l'esprit du zen par une connaissance livresque ou par de savantes explications ne mène nul part." (page 59).
Le zen est incompréhensible et ne peut s'expliquer dans un livre... On comprend que l'auteur ait attendu le milieu de son ouvrage pour l'écrire !
Il reprend des éléments déjà évoqués en les développant quelque peu.
"Le zen enseigne à écouter en profondeur le silence intérieur en développant la maîtrise de soi, la conscience au coeur, une conscience claire, une conscience sans moi, c'est-à-dire sans ego, parce que le moi est changeant et n'a pas d'existence propre." (page 60).
L'auteur aborde ensuite la pratique du zen.
"La transmission directe, de maître à disciple comme l'eau transvasée d'un récipient en un autre, est primordiale. Les meilleurs conseils ne remplacent pas un maître." (page 62).
"Le méditant ne doit jamais laisser l'esprit être au repos ni s'engourdir. Il doit apprendre, en faisant appel à la bienveillance du coeur, à agir sans s'attacher, à se libérer de ses préjugés égoïste et de tout jugement moral." (page 64).
Après la méditation, l'auteur parle du zazen, "posture assise de méditation qui était celle de Siddhârta Gautama quand il parvint à l'état de Bouddha" (page 64), puis de la respiration : "Le zen enseigne la rspiration profonde afin d'appréhender pleinement le souffle porteur de vie. Maintenir sa concentration sur la respiration éclaircit le mental." (page 66).
Moine bouddhiste de l'école Zen Sōtō, à Oigawa, Japon.
Le chapitre V aborde l'expression du zen dans les arts et la civilisation japonaise.
"Bien que peu pratiqué dans le Japon contemporain, le zen marque de son empreinte la civilisation nippone et occupe dans les arts classiques, y compris les arts martiaux, une place de choix. [...]
La cérémonie du thé (chanoyu), ou « Voie du thé » (chadô), l'arrangement floral (ikebana) ou « Voie des fleurs » (kadô), les compositions minérales et végétales des jardins, la « Voie de l'encens » (kôdô), la peinture, la poésie, le théâtre et la calligraphie expriment le dépouillement esthétique du bouddhisme zen japonais." (pages 67-68).
L'auteur aborde la Voie du guerrier (bushidô) ou l'art du samouraï, et traite de l'antinomie entre le bouddhisme zen et les arts martiaux.
"À la différence de la pensée platonicienne et chrétienne, les spiritualités extrême-orientales conjuguent sans jamais les opposer les forces du sport et du psychisme." (page 71).
Puis il continue avec la Voie de l'arc (il mentionne bien sûr Eugen Herrigel), la Voie du thé (notions de wabi et de sabi), la Voie de l'encens, l'art du jardin, l'art du trait (Sesshû, Hakuin, Sengaï Gibon), l'art de la poésie (Bashô, Buson), l'art dramatique, la Voie des fleurs, l'art de cuisiner, et finit par "l'importance de ne pas être sérieux" : "de nombreuses anecdotes hilarantes témoignent de la facétie des maîtres zen. [...] Le rire élimine les pensées égocentriques et met à mal le moi arrogant et superficiel. Il manifeste, tel un don aux autres, un instant partagé de bonheur." (page 93).
Exposition d'Ikebana dans le métro de Kyoto
Dans le chapitre VI sont abordées les Traditions zen dans le monde contemporain. Au Japon pendant l'après-guerre, avec la forte croissante, le zen n'a plus fait recette. Par contre, un nouvel intérêt est né avec la crise économique. "Le zen, alors pour une partie de la population cherchant un sens à l'existence, devant une perte de repère, semble une voie de salut... Toutefois, le zen exerce une force d'attraction plus grande en Occident qu'au Japon." (page 96).
L'auteur parle de la découverte du zen par les Américains ; du mouvement beatnik (Kerouac, Ginsberg...) ; de l'inflluence du zen sur Jackson Pollock, Mark Rothko, Yves Klein ou encore; John Cage (qui s'est initié au bouddhisme zen à la fin des années 1940).
Puis il parle des liens (s'il y en a) entre le zen et la psychanalyse, avant d'aborder les rapports entre le zen et la politique, avant de parler du zen au cinéma, avec quelques films : Lumière d'Asie (Himansu Rai et Franz Osten, 1925), A Touch of Zen (King Hu, 1959), Pourquoi Bodhi-Dharma est-il parti vers l'Orient ? (Bae Yong-Kun, 1989), des oeuvres de Kim Ki-Duk, Im Kwon-Taek ; Le Bouddha de Buenos Aires (Diego Rafecas, 2005).
Quelques extraits de Pourquoi Bodhi-Dharma est-il parti vers l'Orient ? (Bae Yong-Kun, 1989). Sous-titres en anglais.
Et l'auteur conclut :
"Le zen s'avère un cheminement qui réconcilie les contraires et non une croyance. Personne, même le plus grand des maîtres, n'en franchit le seuil à la place du disciple. La voie du coeur seule arrive au coeur." (page 121)