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Son père était médecin. "Après des études de botanique et de chimie, Federico Zeri s'oriente différemment, en 1943, pour se consacrer à l'étude de l'art sous la direction de l'historien de l'art et professeur Pietro Toesca. Zeri le raconte dans "Conversations avec Federico Zeri" (chez Rivages, pages 121-122) : "Après la guerre, servant de guide pour les armées de libération, il fait découvrir les antiquités de Rome aux officiers alliés. Sa carrière se déroule ensuite en marge des milieux universitaires. En 1946, il est nommé inspecteur des Biens culturels auprès de l’administration des Beaux-Arts. Deux ans plus tard, il devient conservateur de la Galerie Spada, à Rome, dont il dirige la restauration.
Qu'est-ce qu'un faux ? Traduit de l'italien par Maël Renouard. Manuels Payot. 211 pages. Il s'agit donc du même principe que pour le fameux livre Derrière l'Image - conversations sur l'art de lire l'art (épuisé chez Rivages), mais le livre est beaucoup moins épais... et comporte hélas beaucoup moins de reproductions. Il y a un petit cahier central, mais plusieurs fois Zeri "montre" une oeuvre sans que nous puissions la voir. Ceci dit, ça n'est pas très grave. Ce qui caractérise ici la "conversation", par rapport à un exposé ou un cours, c'est que la pensée peut vagabonder d'idée en idée, sans suivre un plan très structuré.
Il passe d'un sujet à l'autre, aborde des considérations au croisement de l'art, de l'histoire, de la religion et de la politique : Puis, à propos de l'importance donnée à une oeuvre : À un moment, Zeri parle d'un vase très grand, très impressionnant (retrouvé près de Vergina), mais "si vous l'observez en ayant en tête les productions grecques de la même époque, vous vous rendez compte qu'il y a dans ce vase quelque chose de surchargé. C'est un de ces objets que les Grecs faisaient pour des peuples qui selon eux n'étaient pas très cultivés." (page 48). "Quand on juge, quand on lit une oeuvre d'art, il faut toujours avoir à l'esprit le milieu qui l'a produite et le milieu qui en a bénéficié." (page 49).
"Voici l'urne en or massif qui contenait les cendres du père d'Alexandre, un grand coffre que l'on a retrouvé intact. Comme il s'agit d'un objet royal, celui qui l'a réalisé est en quelque sorte allé à l'essentiel. Voyez comme tout est simple, il n'y a pas cette surabondance, cette extraordinaire richesse de détails que nous avons vue dans le vase. [...] Mais ce que je voudrais vous faire comprendre, c'est que sur ce coffre l'on voit déjà les caractéristiques de certains types d'orfèvrerie qui vont se perpétuer en Europe occidentale à travers tout le Moyen Age et toute la Renaissance. Un autre point sur lequel Zeri insiste est la différence entre l'Orient et l'Occident : "Tout ce qui sort de la culture byzantine est privé d'évolution. La grande différence entre l'Occident, c'est-à-dire le catholicisme, et l'Orient, c'est-à-dire l'Eglise orthodoxe, c'est qu'il y a en Occident un renouvellement perpétuel, tandis que l'Eglise reste immobile. On est toujours face à des types fixes, des typologies, des registres. [...] Dans la peinture orientale les types sont schématiques. Et l'image n'est pas une simple image, elle est la divinité même. C'est comme un écran de télévision. L'écran de télévision est en réalité ce qu'il représente : il y a quelqu'un, derrière, à distance, qui se déplace simultanément à ce que nous voyons sur l'écran, c'est une réalité, et telle est l'image sacrée pour l'Eglise orthodoxe. Elle n'est pas une représentation, elle est la divinité elle-même. Et dans tous les pays de culture orthodoxe il y a un très grand respect de l'image peinte, et aussi bien de l'image profane." (page 60) Zeri exprime sa fascination horrifiée des icônes. "Il y a des livres qu'on lit uniquement parce qu'ils sont affreux. Il y a une espèce de beauté de l'horrible. Et c'est l'effet que me font ces icônes. Ce n'est pas une production de masse. C'est une production toujours identique à elle-même." (page 63).
Deuxième conversation : De Byzance à la Russie. Zeri parle du faux volontaire (qui est un vrai faux, destiné à tromper), qu'il distingue de la mauvaise attribution. Le thème du faux amène au thème de la copie... Zeri explique comment se pratiquait la production de masse dans l'Antiquité.
Troisième conversation : Qu'est-ce qu'un faux ? "Quelquefois les faux sont incroyablement comiques - indépendamment du fait qu'ils peuvent induire en erreur d'illustres individus. Voici à présent un tableau qui a eu l'honneur de finir à la National Gallery de Londres, qui en a fait l'acquisition comme si c'était un chef-d'oeuvre. C'était évidemment à un moment où le roman historique était à la mode, car tout le charme du tableau repose sur son aspect terriblement romanesque. C'est l'image de la Renaissance italienne telle que la voyaient les romantiques anglais." (pages 126-127). J'aime bien aussi l'histoire du tableau du XV° siècle dont la radiographie a montré que dessous se trouvait un portrait vénitien du XVI° siècle. "Un portrait de Giuseppe Garibaldi sous un Filippo Lippi. C'est à ce niveau-là." (page 129). Puis, Zeri parle d'oeuvres que l'on pourrait prendre pour des faux mais qui n'en sont pas : par exemple, des oeuvres retouchées de sorte de les rendre plus conformes au goût d'une époque donnée. Un faux effectué à un moment donné ne peut donc pas échapper à l'époque à laquelle elle a été faite et nous éclaire donc sur la perception qu'on avait à ce moment-là de ce lointain passé.
Quatrième conversation : De quelques faussaires talentueux.
On en revient aux faux, et à leurs créateurs : les faussaires. Zeri parle avec admiration de faussaires de très grand talent. Il parle d'un autre faussaire qu'il a connu et a vu travailler "parce qu'il avait confiance en moi" (page 158). Ah, le vieillissement des oeuvres... Cela me rappelle avoir vu, dans un documentaire, un moyen de vieillir rapidement les faux ouchebtis : on les fait manger par des cochons, et quand ils ressortent, ils ont la bonne patine...
En tout cas, ici, le voile est encore bleu, mais peut-être a-t-il perdu son éclat ?
Il parle de la Joconde qu'il a pu voir sous la lumière d'un projecteur puissant, qui annihilait les effets de la patine : "[...] il y avait un tableau d'une beauté indicible. Un tableau très clair avec un ciel absolument limpide, d'un bleu presque transparent, et au fond les montagnes couvertes de neige. C'est une oeuvre d'une beauté prodigieuse. [...] Mais que se passerait-il si l'on restaurait - même d'une manière imparfaite - La Joconde ? On ferait disparaître l'aura de mystère qui l'a rendue célèbre." (pages 198-199) Il parle également de la perception des couleurs, qui change selon les époques et les civilisations...
Zeri avait une culture incroyable et savait être clair. Il détestait le charabia.
Federico Zeri invité à Bouillon de Culture en juin 1993 (son intervention commence à 2'44) :
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