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Henri Barbusse

(Asnières-sur-Seine, 17/05/1873 - Moscou, 30/08/1935)

henri barbusse

 

"Le milieu littéraire le reconnaît très jeune comme l'un des siens à la suite de sa participation remarquée au concours de poésie de L'Écho de Paris de Catulle Mendès. Son premier recueil de poèmes, Pleureuses, est publié en 1895 (réédité en 1920). Il s'exerce alors professionnellement dans la presse, se tourne vers la prose et publie un premier roman, empreint de décadence et de naturalisme à la fois : L'Enfer, en 1908. En 1914, âgé de 41 ans et malgré des problèmes pulmonaires, il s'engage volontairement dans l'infanterie (malgré ses positions pacifiques d'avant-guerre) et réussit à rejoindre les troupes combattantes en décembre 1914 au 231e régiment d'infanterie avec lequel il participe aux combats en premières lignes jusqu'en 1916. La postérité se souviendra surtout du roman qu'il écrivit sur cette expérience Le Feu, prix Goncourt 1916, récit sur la Première Guerre mondiale dont le réalisme souleva les protestations du public de l'arrière autant que l'enthousiasme de ses camarades de combat. En 1917, il sera cofondateur et premier président de l'Association républicaine des anciens combattants (ARAC)3. Il adhère au Parti communiste français en 1923 et se lie d'amitié avec Lénine et Gorki3. En 1928 il fonde la revue Monde (publiée jusqu'en 1935) avec des collaborations mondiales prestigieuses.

Admirateur de la Révolution russe (Le Couteau entre les dents, 1921; Voici ce qu'on a fait de la Géorgie, 1929), il anima le mouvement et la revue Clarté et chercha à définir une « littérature prolétarienne ». Il fut l'un des instigateurs du mouvement pacifiste Amsterdam-Pleyel, dont il devient le président avec Romain Rolland et auquel adhéra notamment Albert Camus, dès la prise du pouvoir d'Hitler en Allemagne.
Il fit plusieurs voyages en URSS et écrivit une biographie de Staline (1935).
C'est à l'occasion d'un de ces voyages qu'il décède à Moscou le 30 août 1935. Selon Arkadi Vaksberg, il serait mort empoisonné, sur l'ordre de Staline. Lors de ses funérailles à Paris, la population parisienne lui rendit un dernier hommage particulièrement important.
" (Wikipedia)


le feu
Couverture : Otto Dix : Flandres, détail (inspiré du livre de Barbusse). Nationalgalerie, Berlin.

- Le Feu. Journal d'une escouade (1916) Folio. 493 pages. Prix Goncourt 1916.
Tout est dans le titre. C'est la Première Guerre Mondiale, nous allons vivre le quotidien d'une escouade.
"Le grand ciel pâle se peuple de coups de tonnerre : chaque explosion montre à la fois, tombant d'un éclair roux, une colonne de feu dans le reste de nuit et une colonne de nuée dans ce qu'il y a de jour. [...]
On distingue de longs fossés en lacis où le résidu de nuit s'accumule. C'est la tranchée. Le fond en est tapissé d'une couche visqueuse d'où le pied se décolle à chaque pas avec bruit, et qui sent mauvais autour de chaque abri, à cause de l'urine de la nuit. Les trous eux-mêmes, si on s'y penche en passant, puent aussi, comme des bouches.
Je vois des ombres émerger de ces puits latéraux, et se mouvoir, masses énormes et difformes : des espèces d'ours qui pataugent et grognent. C'est nous.
Nous sommes emmitouflés à la manière des populations arctiques. Lainages, couvertures, toiles à sac, nous empaquettent, nous surmontent, nous arrondissent étrangement. Quelques-uns s'étirent, vomissent des bâillements. On perçoit des figures, rougeoyantes ou livides, avec des salissures qui les balafrent, trouées par les veilleuses d'yeux brouillés et collés au bord, embroussaillées de barbes non taillées ou encrassées de poils non rasés.
Tac ! Tac ! Pan ! Les coups de fusil, la canonnade. Au-dessus de nous, partout, ça crépite ou ça roule, par longues rafales ou par coups séparés. Le sombre et flamboyant orage ne cesse jamais, jamais. Depuis plus de quinze mois, depuis cinq cents jours, en ce lieu du monde où nous sommes, la fusillade et le bombardement ne se sont pas arrêtés du matin au soir et du soir au matin. On est enterré au fond d'un éternel champ de bataille ; mais comme le tic-tac des horloges de nos maisons, aux temps d'autrefois, dans le passé quasi légendaire, on n'entend cela que lorsqu'on écoute.
" (pages 17-18)

tranchees

On croise des poilus, on les entend parler. Voici Caron, qui s'est procuré de bien belles bottes, qu'il a prises à un mitrailleur bavarois :
"- Mon vieux, le frère Miroton, il était là, le derrière dans un trou, plié ; i’ zyeutait l’ciel, les jambes en l’air. I’ m’présentait ses pompes d’un air de dire qu’elles valaient l’coup. « Ça colloche », que j’m’ai dit. Mais tu parles d’un business pour lui reprendre ses ribouis : j’ai travaillé dessus, à tirer, à tourner, à secouer, pendant une demi-heure, j’attige pas : avec ses pattes toutes raides, il ne m’aidait pas, le client. Puis, finalement, à force d’être tirées, les jambes du macchab se sont décollées aux genoux, son froc s'est déchiré, et le tout est venu, v'lan ! J' m'ai vu, tout d'un coup, avec une botte pleine dans chaque grappin. Il a fallu vider les jambes et les pieds de d'dans." (pages 29-30).
On attend, on somnole. Il pleut, mais les parasites ne se noient pas. "Lamuse se gratte comme un gorille et Eudore comme un ouistiti." (page 30).
Et il continue à pleuvoir. Ce qui est rare, c'est le feu. Parce que pour faire du feu, il faut trouver du bois. Et tout le monde en cherche.

soldat blassé
Gravure d'Otto Dix.

Parfois on voit passer des Africains. "Dans les figures épatées ou, au contraire, anguleuses et affûtées, luisantes comme des sous, on dirait que les yeux sont des billes d'ivoire de d'onyx. De temps en temps, sur la file, se balance, plus haut que les autres, le masque de houille d'un tirailleur sénégalais. [...]
On les regarde et on se tait. On ne les interpelle pas, ceux-là. Ils imposent, et même font un peu peur.
Pourtant, ces Africains paraissent gais et en train. Ils vont, naturellement, en première ligne. C'est leur place et leur passage est l'indice d'une attaque très prochaine. Ils sont faits pour l'assaut.
- Eux et le canon 75, on peut dire qu'on leur z'y doit une chandelle ! On l'a envoyée partout en avant dans les grands moments, la Division marocaine !
" (page 71).
Une attaque très prochaine, sans doute... Mais on ne la verra pas. Pas encore. Sans doute poussé par le souci de construire son livre en crescendo, Barbusse a fait en sorte qu'on n'assistera à un combat que vers la fin du livre (cette construction est un reproche qu'on peut faire au livre, s'il fallait en chercher) : avant, on pourra voir l'escouade partir au combat, mais il y aura une ellipse.
Ceci dit, on en aura vu, des horreurs, des camarades périr... Il y a toujours des dangers, des bombardements...
Il y a notamment un chapitre intitulé "le poste de secours" : pour échapper aux bombardements, ce poste de secours est enterré. Les blessés, les mourants y sont transportés (quand c'est possible). C'est horrible, une sorte d'antichambre de l'enfer, on sent l'allégorie, Dante, la caverne de Platon...

otto dix
Gravure d'Otto Dix.

Mais, à l'occasion d'une permission, on perçoit le décalage qui existe entre les poilus et les civils. Qu'est-ce que les civils savent de la guerre, des conditions de vie ? Une communication est-elle vraiment possible ? (c'est un des grands thèmes éternels : l'horreur est-elle dicible ?)
Et puis, une femme laissée par son mari parti à la guerre a-t-elle le droit de rire ? (bien sûr, c'est humain, on ne peut pas vivre avec le malheur vingt-quatre heures sur vingt-quatre).

A un moment, il y a un chapitre assez étonnant, où le narrateur, l'auteur se met en scène. Il est en train d'écrire. Un soldat vient le voir.
"- Dis donc, toi qui écris, tu écriras plus tard sur les soldats, tu parleras de nous, pas ?
- Mais oui, fils, je parlerai de toi, des copains, et de notre existence
". (page 242). Le soldat va présenter une étrange requête...

On croirait souvent entendre les soldats parler (et on fait tout de suite la différence entre ceux qui ont de l'instruction et ceux qui n'en ont pas), avec toutes sortes de mots d'argot et d'expressions savoureuses ("il est temps de mettre la viande en torchon", page 262). En plus de tous les problèmes du quotidien qui nécessitent de la débrouillardise, on prend conscience de problèmes qui se posent à un autre niveau et auxquels on n'aurait pas pensé : par exemple la complexité de l'organisation du passage des troupes : c'est qu'il faut éviter les embouteillages, les blocages...

On est bringuebalé, on ne sait pas où l'on va. On tente de deviner, à quelques signes, si la première ligne est pour bientôt...

Un excellent livre, souvent impressionnant, qui donne une forte impression de véracité (l'auteur y était, ça peut aider), parfois contestée (voir l'article de Wikipedia sur Jean Norton Cru).
Le livre a été publié en 1916. Les soldats ne se doutent pas qu'ils en ont encore pour des années... Ils disent qu'elle a déjà suffisamment duré.
Certains se posent des questions sur l'après-guerre : comment va-t-on faire pour enlever tous les obus qui n'ont pas explosé ?
Il y a aussi une scène étonnante dans laquelle on voit des soldats se précipiter vers un obus qui n'a pas explosé... pas pour le désamorcer, non, mais pour calculer l'angle qu'il fait par rapport au sol et ainsi ajuster la réponse. Logique, mais étonnant. Et tellement incroyablement risqué...

 

triptyque
Otto Dix. La Guerre, Triptyque. 1929-1932. L'oeuvre, très grande et beaucoup plus forte lorsqu'on la voit en vrai, est exposée à Dresde (photo récupérée du net : il est interdit de photographier à la Staatliche Kunstasammlungen Dresden).



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