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Maurice BLANCHOT

(Devrouze, Saône-et-Loire, 22/09/1907 - Mesnil-Saint-Denis, 20/02/2003)

blanchot

"Maurice Blanchot est un romancier, critique littéraire et philosophe français [...]. « Sa vie fut entièrement dévouée à la littérature et au silence qui lui est propre ». Les rapports, ou les engagements politiques de Maurice Blanchot avec l'antisémitisme et l'extrême droite font l'objet de nombreux débats, qui sont balancés par la posture de l'auteur pendant la guerre et surtout à la Libération et dans ses engagements vers le communisme ou une certaine idée de l'extrême-gauche, et contre la guerre d'Algérie, durant mai 68, contre la politique du général de Gaulle ou pour différentes causes soutenues par la Deuxième gauche. Cela n'ôte pas l'influence qu'ont eue la pensée et l'écriture de Blanchot sur tout un pan de la culture française des années cinquante et soixante et au-delà, et notamment ce qu'on appelle la French Theory. [...]

La portée, l'influence, l'importance des textes de Maurice Blanchot sur la littérature et la philosophie françaises d'après-guerre est un fait incontestable. Son œuvre balance à première vue entre hermétisme (revenant à l'un des auteurs les plus lus de Blanchot, Stéphane Mallarmé) et terrorisme (imputable à une autre des figures de formation du jeune Blanchot, celle de Jean Paulhan). L'œuvre de Blanchot serait ainsi l'héritière d'une tradition littéraire française : née de l'audience d'écrivains tels Maurice Scève, cette tradition se répercuterait chez Mallarmé, Paul Valéry, Paulhan, et se poursuivrait dans une certaine mesure chez Samuel Beckett, Marguerite Duras, Edmond Jabès ou Jacques Derrida." (wikipedia).


thomas l'obscur

Thomas l'Obscur (1950). L'Imaginaire Gallimard. 137 pages.
Le livre commence par un petit texte :
"Il y a, pour tout ouvrage, une infinité de variantes possibles. Aux pages intitulées Thomas l'Obscur, écrites à partir de 1932, remises à l'éditeur en mai 1940, publiées en 1941, la présente version n'ajoute rien, mais comme elle leur ôte beaucoup, on peut la dire autre et même toute nouvelle, mais aussi toute pareille, si, entre la figure et ce qui en est ou s'en croit le centre, l'on a raison de ne pas distinguer, chaque fois que la figure complète n'exprime elle-même que la recherche d'un centre imaginaire."

Le livre n'est effectivement pas très long, et commence comme suit :

"Thomas s'assit et regarda la mer. Pendant quelque temps il resta immobile, comme s'il était venu là pour suivre les mouvements des autres nageurs et, bien que la brume l'empêchât de voir très loin, il demeura, avec obstination, les yeux fixés sur ces corps qui flottaient difficilement. Puis, une vague plus forte l'ayant touché, il descendit à son tour sur la pente de sable et glissa au milieu des remous qui le submergèrent aussitôt." (page 9).
Le début est bien écrit, on sent qu'il y a du symbole. Le style devient original, le sens nous échappe un peu, on est submergé par les mots comme Thomas est environné d'eau.
Le premier chapitre est, semble-t-il, un schéma de l'ensemble du livre, un aller et un retour, un éloignement qui aboutit à un changement.
Peut-être.

Continuons.
"Bientôt, la nuit lui parut plus sombre, plus terrible que n'importe quelle nuit, comme si elle était réellement sortie d'une blessure de la pensée qui ne se pensait plus, de la pensée prise ironiquement comme objet par autre chose que la pensée. C'était la nuit même. Des images qui faisaient son obscurité l'inondaient." (page 17).

Plus tard, à un moment Thomas lit :
"Et même plus tard, lorsque, s'étant abandonné et regardant son livre, il se reconnut avec dégoût sous la forme du texte qu'il lisait, il garda la pensée qu'en sa personne déjà privée de sens, tandis que, juchés sur ses épaules, le mot Il et le mot Je commençaient leur carnage, demeuraient des paroles obscures, âmes désincarnées et anges des mots, qui profondément l'exploraient.
Le première fois qu'il distingua cette présence, c'était la nuit. Par une lumière qui descendait le long des volets et partageait le lit en deux, il voyait la chambre tout à fait vide, si incapable de contenir un objet que la vue en souffrait. Le lire pourrissait sur la table. [...]
Il était aux prises avec quelque chose d'inaccessible, d'étranger, quelque chose dont il pouvait dire : cela n'existe pas, et qui néanmoins l'emplissait de terreur et qu'il sentait errer dans l'air de la solitude. Toute la nuit, tout le jour ayant veillé avec cet être, comme il cherchait le repos, brusquement il fut averti qu'un autre avait replacé le premier, aussi inaccessible, aussi obscur et pourtant différent. C'était une modulation dans ce qui n'existait pas, une manière différente d'être absent, un autre vide dans lequel il s'animait.
" (page 29-30)

Il rencontre une femme, Anne.
"Chaque fois, il venait droit à elle, suivant d'une marche inflexible un chemin tracé par-dessus la mer, les forêts, le ciel-même. Chaque fois, alors qu'il n'y avait plus dans le mond que le soleil et cet être immobile debout à ses côtés, enveloppée par cette profonde insensibilité qui la découvrait, sentant par lui se condener en elle tout le calme de l'univers, Anne, au moment où retentissait le fracas étincelant de l'ultime midi, confondue avec le silence, pressée par la plus grande paix, n'osant faire un geste ni avoir une pensée, se voyait brûler, mourir, les yeux, les joues en feu, la bouche entrouverte, exhalant, comme un dernier souffle, ses formes obscures en plein soleil, moerte parfaitement trnasparente à côté de ce mort opaque qui auprès d'elle s'épaississait toujours davantage et, plus silencieux que le silence, abîmait les heures et égarait le temps." (pages 44-45)

On peut trouver cela très beau, très bien écrit, se laisser griser par le flot des mots, à défaut de savoir exactement ce que cela veut dire.


Mais rapidement on perçoit un caractère mécanique qui revient très fréquemment, une recette trop souvent utilisée par Blanchot : l'opposition de la première partie d'une phrase avec la seconde.
Exemple : "La tombe était pleine d'un être dont elle absorbait l'absence. Un cadavre indélogeable s'enfonçait, trouvant dans cette absence de forme la forme parfaite de sa présence." (page 38).
Plein... d'une absence. Absence... donc présence.
Ou encore :
"Déjà, alors qu'il se penchait encore sur ce vide où il voyait son image dans l'absence totale d'images, saisi par le plus violent vertige qui fût, vertige qui ne le faisait pas tomber, mais l'empêchait de tomber et qui rendait impossible la chute qu'il rendait inévitable, déjà la terre s'amincissait autour de lui, et la nuit, une nuit qui ne répondait plus à rien, qu'il ne voyait pas et dont il ne sentait la réalité que parce qu'elle était moins réelle que lui, l'environnait." (page 40-41).
C'est un festival d'oppositions. Thomas voit une image où il n'y en a pas ; le vertige l'empêche de tomber ; et il sent la réalité de la nuit parce qu'elle est moins réelle que lui. C'est un peu poussé, quand même (un peu gratuit ?).
D'ailleurs, deux phrases plus loin, c'est reparti : "Même à la surface de cette terre où il ne pouvait pénétrer", et là le lecteur a déjà deviné la teneur de la suite : une opposition, bien sûr, "il était à l'intérieur de cette terre dont le dedans le touchait de toutes parts." (page 41). C'est un peu facile. S'il y a bien quelque chose que je n'aime pas, c'est savoir comment une phrase va finir lorsque je n'en suis qu'à la moitié.

Quand Blanchot joue avec cette petite mécanique, la lecture du texte en devient attendue et, partant, désagréable. Des paradoxes, encore et toujours... c'est lourd. Que de fois j'ai pensé : "encore !". Et quand on se met à penser ainsi, on perd le fil de la lecture. C'est très agaçant.
"L'espace qui l'entourait était le contraire de l'espace [...]" (page 46). Oui, oui. "[...] elle pénétrait dans une atmosphère rare où il lui suffisait, pour reprendre son souffle, de cesser toute respiration" (page 78). Pfff...


Bon, tout ça c'est très bien, mais de quoi parle le livre ? Il semble qu'il s'agisse d'une sorte de périple intérieur, où l'immobilité pleine d'événements non survenus permet d'aboutir en un autre lieu et pourtant encore le même, où Thomas est un autre et bien sûr lui-même, tout en étant différent, etc.
Dans le Dictionnaire des Oeuvres, chez Robert Laffont, c'est expliqué ainsi, mieux que je ne pourrais le faire :
"Le lieu sacré atteint par Thomas à la fin de son parcours dans la mer nous apparaît donc comme l'aboutissement d'un trajet ontologique complètement achevé ; or, c'est aussi un commencement, une « solitude essentielle », le point à partir duquel Thomas peut être dit indifféremment obscur ou transparent ; arrivé à ce terme extrême, qui constitue apparemment une limite indépassable, Thomas se trouve en un lieu premier, c'est-à-dire pour reprendre l'expression de Blanchot, à un endroit « où son empreinte était déjà marquée », à sa propre origine. Cependant, cette ontologie, Blanchot ne veut et ne peut la développer que sur le mode fabuleux, à travers une expression délibérément littéraire."

Le texte est donc obscur, mais réserve des pistes que l'on peut suivre ou tout du moins deviner. Il y a une vraie atmosphère, un style...
Mais j'en ai eu ras le bol des phrases construites en opposition.
En rouvrant encore le livre au hasard, pour trouver une belle phrase, je tombe, page 91, sur "[...]
le sentiment pur, jamais plus pur, de son existence dans le pressentiment torturé de son inexistence" : dès le mot "pressentiment", du fait que l'on avait lu "existence", on savait qu'on allait avoir droit à "inexistence".
Finalement, j'ai eu l'impression que le livre entier est comme une de ces si nombreuses phrases en opposition : il commence par un grand plaisir et finit par son contraire.


Est-ce que tous ces contraires, tous ces mots si nombreux liés à la négation, au néant, sont là pour aboutir à une sorte de renaissance ?
Je ne doute pas qu'en relisant minutieusement, en faisant un plan du livre, on puisse remarquer plein de choses, de l'ordre de la construction du livre.

Un texte à lire dans sa continuité, en se laissant "happer" par le flot des mots. La lecture fragmentée de type "métro/RER" lui est fatal.



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