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TUROLD (?) : La Chanson de Roland (fin du XI° siècle)



 

la chanson de roland bédier      la chanson de roland - jonin      la chanson de roland ian short  

- La Chanson de Roland.
Trois versions (parmi beaucoup d'autres) : Joseph Bédier chez 10/18 (et en téléchargement libre, voir en bas de page) ; Pierre Jonin chez Folio ; Ian Short au Livre de Poche.

La base historique de la Chanson de Roland se situe en 778, lorsque Charlemagne effectue une expédition militaire en Espagne, "pour venir en aide à un chef musulman qui s'était révolté contre l'émir de Cordoue." (Pierre Jonin, introduction, page 8). Lors du retour en France, l'arrière-garde de l'armée est attaquée "par des montagnards chrétiens, basques ou gascons." (page 8)

Il existe sept manuscrits de cette chanson de geste (dont une à la BNF, que l'on peut feuilleter sur : http://expositions.bnf.fr/livres/roland/index.htm ).
Le manuscrit le plus ancien, écrit en anglo-normand aux environs de 1080 ou 1100, est le manuscrit d'Oxford de la bibliothèque Bodléienne (entre 1140 et 1170).

L'ennemi principal de Charlemagne est Marsile, roi de Saragosse et infidèle. Mais l'arrière-garde de l'armée ne sera pas attaquée par des montagnards chrétiens, basques ou gascons, mais bien par des infidèles : la première croisade date de 1096 à 1099...
L'auteur de la Chanson de Roland est inconnu. Mais le texte finit par : "Ci falt la geste que Turold declinet" (ici finit la geste que Turold raconte)...
Qui est ce Turold ? L'auteur ou bien un copiste ? Différentes thèses s'affrontent ; Bédier croyait à la thèse "individualiste" qui "n'a plus guère de partisans de nos jours.", selon Ian Short (introduction, page 11).

la chanson de Roland - manuscrit d'Oxford
Le fameux Manuscrit d’Oxford.

"Une nouvelle version, me semble-t-il, ne saurait se justifier que si elle se veut novatrice et sensiblement différente de toutes celles qui l'ont précédée. Je dis bien « différente » et non « meilleure », car la belle traduction qu'a imprimée Bédier en regard de son texte reste sans doute le nec plus ultra dans le domaine du mot à mot. Cependant, il est peut-être permis de jouer avec les possibilités d'adapter la structure de la phrase moderne pour la rendre plus conforme au rythme original." (Ian Short, pages 21-22).

Et on commence à lire les 4002 vers décasyllabiques qui composent les 291 laisses.

Voici un extrait de la laisse LXXIX, nous sommes déjà au prélude de la bataille.

Version originale
Version Short (1990)

[...]Clers fut li jurz e bels fut li soleilz :
N'unt guarnement que tut ne reflambeit.
Sunent mil grailles por ço que plus bel seit :
Granz est la noise, si l'oïrent Franceis.
Dist Oliver: « Sire cumpainz, ce crei,
De Sarrazins purum bataille aveir.»
Respont Rollant: «E! Deus la nus otreit!
Ben devuns ci estre pur nostre rei:
Pur sun seignor deit hom susfrir destreiz
E endurer e granz chalz e granz freiz,
Sin deit hom perdre e del quir e del peil.
Or guart chascuns que granz colps i empleit,
Que malvaise cançun de nus chantet ne seit!
Paien unt tort e chrestiens unt dreit;
Malvaise essample n'en serat, ja de mei.»

[...] Clair est le jour, et beau le soleil ;
pas une armure qui toute ne resplendisse ;
mille clairons sonnent pour que soit plus beau.
Le bruit est grand, les Français l'entendirent.
Olivier dit : « Sire compagnon, je crois
que nous pourrons avoir bataille avec les Sarrasins. »
Roland répond : « Eh bien, que Dieu nous l'accorde !
Notre devoir est de nous tenir ici pour notre roi ;
pour son seigneur on doit subir des souffrances
et endurer de grandes chaleurs et de grands froids,
on doit aussi perdre du cuir et du poil.
Que chacun veille à assener de grands coups
pour que sur nous on ne chante pas de chanson déshonorante !
Les païens ont le tort, et les chrétiens le droit.
Mauvais exemple ne viendra jamais de moi. »

Version Bédier (1922)
Version Jonin (1979)
[...] Clair est le jour et beau le soleil : pas une armure qui toute ne flamboie. Mille clairons sonnent, pour que ce soit plus beau. Le bruit est grand : les Français l’entendirent. Olivier dit : « Sire compagnon, il se peut je crois, que nous ayons affaire aux Sarrasins. » Roland répond : « Ah ! que Dieu nous l'octroie ! Nous devons tenir ici, pour notre roi. Pour son seigneur on doit souffrir toute détresse, et endurer les grands chauds et les grands froids, et perdre du cuir et du poil. Que chacun veille à y employer de grands coups, afin qu'on ne chante pas de nous une mauvaise chanson ! Le tort est aux païens, aux chrétiens le droit. Jamais on ne dira rien de moi qui ne soit exemplaire. » [...] C'était par une radieuse journée éclatante de soleil. Toutes les armures lancent des reflets. Mille clairons sonnent pour que ce soit plus beau. Le tumulte est grand, les Français l'entendent. Olivier dit alors à Roland : « Seigneur mon ami, je crois bien que nous aurons à livrer bataille contre les Sarrasins.» Roland lui répond : « Eh bien, que Dieu nous l'accorde ! Nous avons le devoir de rester ici pour notre roi. Pour son seigneur le vassal doit supporter les pires souffrances : endurer chaleurs brûlantes et froids rigoureux, perdre cuir et poil. Allez, que chacun s'applique à frapper de grands coups pour qu'on ne chante pas sur nous de mauvaise chanson ! Les païens sont dans leur tort, les chrétiens dans leur droit. Jamais mauvais exemple ne viendra de moi. »

On voit tout de suite que Ian Short modernise souvent inutilement (à mon goût), là où Bédier reste certes dans le mot à mot, mais qui conserve largement plus de saveur. "E! Deus la nus otreit": "Ah ! que Dieu nous l'octroie !" (Bédier), rend tellement mieux que "Eh bien, que Dieu nous l'accorde !" (Ian Short).

Revenons au texte.
Mais c'est qu'ils sont bien nombreux, tous ces païens ! Quand on est en difficulté, la prudence incite à appeler un ami... (laisse LXXXIII) :

Version originale
Version Short (1990)

Dist Oliver: «Paien unt grant esforz,
De noz Franceis m'i semblet aveir mult poi!
Cumpaign Rollant, kar sunez vostre corn:
Si l'orrat Carles, si returnerat l'ost.»
Respunt Rollant: «Jo fereie que fols!
En dulce France en perdreie mun los.
Sempres ferrai de Durendal granz colps;
Sanglant en ert li branz entresqu'a l'or.
Felun paien mar i vindrent as porz:
Jo vos plevis, tuz sunt jugez a mort.»

Olivier dit : « Le païens sont en force,
et nos Français, ce me semble, sont bien peu.
Mon compagnon, Roland, sonnez donc votre cor,
Charles l'entendra et l'armée reviendra. »
Roland répond : « Ce serait une folie de ma part !
En France la douce j'en perdrais mon renom.
De Durendal je frapperai aussitôt à grands coups :
sa lame aura du sang jusqu'à l'or de la garde.
Ils eurent bien tort, les félons païens, de venir aux cols :
ils sont voués tous à la mort, je vous le garantis. »
Version Bédier (1922)
Version Jonin (1979)
Olivier dit : « Les païens sont très forts : et nos Français, ce me semble, sont bien peu. Roland mon compagnon, sonnez donc votre cor : Charles l’entendra, et l’armée reviendra. « Roland répond : « Ce serait faire comme un fou. En douce France j’y perdrais mon renom. Sur l’heure je frapperai de Durendal de grands coups. Sa lame saignera jusqu’à l’or de la garde. Les félons païens sont venus aux ports pour leur malheur. Je vous le jure, tous sont marqués pour la mort. » Olivier reprend : « Les païens ont des troupes considérables et les nôtres me semblent bien minces. Ami Roland, sonnez donc de votre cor. Charles l'entendra et l'armée fera demi-tour. » Mais Roland réplique : « Ce serait une folie et en douce France je perdrais ma réputation. Sans attendre je vais frapper de grands coups avec Durendal et sa lame en sera trempée de sang jusqu'à l'or de la garde. C'est pour leur malheur que ces traîtres de païens sont venus aux défilés. Je vous en donne ma parole, tous sont condamnés à mort.

Notre ami Roland brandit son courage inconscient, plutôt que de faire fonctionner sa jugeotte... Mais il est dans son bon droit, donc même en infériorité numérique, il n'y a pas de raison qu'il ne parvienne pas à occir tous les traîtres de païens !

Toutefois (et il donne quelques exemples), Pierre Jonin écrit (introduction, page 7) : "La richesse d'une oeuvre, nous le savons tous, tient surtout à la pluralité des interprétations qu'elle suggère. Ainsi la plupart des principaux personnages du Roland se prêtent-ils à des appréciations plus nuancées qu'il n'apparaît à première vue. Bien rares, je parle des protagonistes, sont ceux qu'on peut comprendre et expliquer par une seule épithète qui les définisse et les délimite parfaitement."

Ça va donc se castagner, on ne va pas être déçu (laisse XCII) :

Version originale
Version Short (1990)

Dist Oliver: «[...]
Pur deu vos pri, ben seiez purpensez
De colps ferir, de receivre e de duner!
L'enseigne Carle n'i devum ublier.»
A icest mot sunt Franceis escriet.
Ki dunc oïst «Munjoie» demander,
De vasselage li poüst remembrer.
Puis si chevalchent, Deus! par si grant fiertet!
Brochent ad ait pur le plus tost aler,
Si vunt ferir, que fereient il el?
E Sarrazins nes unt mie dutez;
Francs e paiens, as les vus ajustez.

Olivier dit : « [...]
Au nom de Dieu, je vous prie de faire attention
à bien frapper et à rendre coup pour coup !
Qu'on n'oublie pas le cri de guerre de Charles ! »
Et à ces mots, les Français ont poussé le cri.
Qui les eût alors entendus crier « Montjoie ! »
aurait souvenance de ce qu'est le courage.
Puis ils chevauchèrent, Dieu ! terribles et fiers,
piquent fort des deux pour avancer d'autant plus vite ;
ils vont frapper ; que feraient-ils d'autre ?
Les Sarrasins n'ont pas eu peur ;
Francs et païens, voici qu'ils sont aux prises !
Version Bédier
Version Jonin (1979)
Olivier dit : "« [...] Je vous en prie pour Dieu, soyez résolus à bien frapper, coup rendu pour coup reçu ! Et n'oublions pas le cri d'armes de Charles. » A ces mots les Français poussent le cri d'armes. Qui les eût ouïs crier : « Montjoie ! » aurait le souvenir d'une belle vaillance. Puis ils chevauchent Dieu ! si fièrement, et, pour aller au plus vite, enfoncent les éperons, et s'en vont frapper, qu'ont-ils à faire d'autre ? et les Sarrasins les reçoivent sans trembler. Francs et païens, voilà qu'ils se sont joints. Olivier dit à Roland : « [...] Au nom de Dieu, je vous en prie, ne pensez qu'à frapper : à coup reçu coup rendu. Le cri de guerre de Charles, nous ne devons pas l'oublier. » À ces mots les Français le clament. Celui qui les aurait alors entendus crier « Montjoie » ne pourrait oublier leur bravoure. Puis ils chevauchent, Dieu ! et avec quelle fière allure ! Ils piquent des deux pour forcer leur course. Ils vont frapper, que pourraient-ils faire de mieux ? Mais les Sarrasins n'en ont pas peur. Voici que s'affrontent Français et païens.

C'est le combat tant attendu !

bataille
Bataille de Roncevaux entre Francs et Sarrasins. Grandes Chroniques de France, Paris, XIVe s. (60 x 70 mm)

Laisse CV :

Version originale
Version Short (1990)

Li quens Rollant par mi le champ chevalchet,
Tient Durendal, ki ben trenchet e taillet,
Des Sarrazins lur fait mult grant damage.
Ki lui veïst l'un geter mort sur l'altre,
Li sanc tuz clers gesir par cele place!
Sanglant en ad e l'osberc e la brace,
Sun bon cheval le col e les espalles.
E Oliver de ferir ne se target,
Li duze per n'en deivent aveir blasme,
E li Franceis i fierent e si caplent.
Moerent paien e alquanz en i pasment.
Dist l'arcevesque: «Ben ait nostre barnage!»
– «Munjoie!» escriet, ço est l'enseigne Carle.

Le comte Roland chevauche à travers le champ,
tient Durendal, qui tranche et frappe de taille,
des Sarrasins il fait un grand massacre.
Vous l'auriez vu là jeter les morts les uns sur les autres,
et le sang clair qui jaillit sur le sol !
Ensanglantés sont ses deux bras, son haubert,
son bon cheval, au cou et aux épaules.
Et Olivier n'est pas lent pour frapper,
ni les douze Pairs, qui n'ont rien à se reprocher,
ni les Français, qui frappent et refrappent.
Les païens meurent, d'autres s'évanouissent.
L'archevêque dit : « Aux nôtres la victoire ! »
Il crie : « Monjoie ! », le cri de guerre de Charles.
Version Bédier (1922)
Version Jonin (1979)
Le comte Roland chevauche par le champ. Il tient Durendal, qui bien tranche et bien taille. Des Sarrasins il fait grand carnage. Si vous eussiez vu comme il jette le mort sur le mort, et le sang clair s'étaler par flaques ! Il en a son haubert ensanglanté, et ses deux bras et son bon cheval, de l'encolure jusqu'aux épaules. Et Olivier n'est pas en reste, ni les douze pairs, ni les Français, qui frappent et redoublent. Les païens meurent, d'autres défaillent.
L'archevêque dit : « Béni soit notre baronnage ! Montjoie ! » crie- t-il, c'est le cri d'armes de Charles.
Le comte Roland traverse le champ de bataille avec Durendal qui tranche et taille rudement. Il fait un énorme massacre de Sarrasins. On aurait pu le voir jeter les morts les uns sur les autres tandis que le sang clair s'étalait sur le sol. Le sang couvre sa cuirasse et ses bras et aussi l'encolure et les épaules de son cheval. De son côté Olivier n'est pas en retard pour frapper. Pas un reproche non plus à adresser aux douze pairs. Les Français frappent de tous côtés. Parmi les païens, les uns meurent et d'autres s'évanouissent. L'archevêque déclare : « Bénis soient nos chevaliers ! » Il lance « Montjoie » car c'est le cri de guerre de Charles.

On s'y croirait !

roncevaux
La bataille de Roncevaux. Grandes Chroniques de France, Paris, XIVe s.

Laisse CVII :

Version originale
Version Short (1990)

Danz Oliver trait ad sa bone espee,
Que ses cumpainz Rollant li ad tant demandee,
E il li ad cum chevaler mustree.
Fiert un paien, Justin de Val Ferree:
Tute la teste li ad par mi sevree,
Trenchet le cors e la bronie safree,
La bone sele, ki a ór est gemmee,
E al ceval a l'eschine trenchee;
Tut abat mort devant loi en la pree.
Ço dist Rollant: «Vos receif jo, frere!
Por itels colps nos eimet li emperere.»
De tutes parz est «Munjoie» escriee.

Sire Olivier a tiré sa bonne épée
que lui a tant réclamée son compagnon,
et il la lui fait voir en vrai chevalier :
frappe un païen, Justin de Val-Ferrée,
lui coupe le crâne en deux par le milieu,
lui fend le corps et la brogne laquée or,
et la bonne selle aux gemmes serties dans l'or,
et tranche l'échine du destrier ;
il les abat morts tous deux devant lui dans le pré.
Roland lui dit : « Là je vous reconnais, frère !
Pour de tels coups l'empereur nous aime. »
De toutes parts on crie : « Monjoie ! »
Version Bédier (1922)
Version Jonin (1979)
Mon seigneur Olivier a tiré sa bonne épée, celle qu'a tant réclamée son compagnon Roland, et il lui montre, en vrai chevalier, comme il s'en sert. Il frappe un païen, Justin de Val Ferrée. Il lui fend par le milieu toute la tête et tranche le corps et la brogne safrée, et la bonne selle, dont les gemmes sont serties d'or, et à son cheval il a fendu l'échine. Il abat le tout devant lui sur le pré. Roland dit : « Je vous reconnais, frère ! Si l'empereur nous aime, c'est pour de tels coups ! » De toutes parts « Montjoie ! » retentit. Le seigneur Olivier tire sa bonne épée que lui a tant réclamée son ami Roland. Il en montre l'usage comme un vrai chevalier. Il frappe un païen, Justin de Val Ferrée, dont il partage toute la tête en deux moitiés. Il tranche son corps, sa cuirasse couleur de safran, sa bonne selle ornée de pierres précieuses serties dans l'or et il fend aussi l'échine de son cheval. Puis il les abat tous deux raides morts devant lui dans le pré. Roland s'écrie : « Je vous reconnais bien là, mon frère ! Voilà les coups qui nous font aimer de l'empereur. » Partout retentit le cri de Montjoie.

On note l'étrange nom du païen : Justin de Val Ferrée...

combat
Combat de Roland et du géant Ferragut. Grandes Chroniques de France, Paris, XIVe s. (65 x 65 mm)

 

Il y a un méchant traître, bien sûr. Grâce à un moderne flashforward (laisse CIX), on sait qu'il ne l'emportera pas au paradis, si l'on peut dire... et sa famille non plus... Il est important de ne pas avoir de traîtres dans sa famille pour vivre plus vieux (bizarrement, on ne trouve pas, dans les questionnaires d'assurances, la question pourtant si importante : "Avez-vous un ou des traîtres dans votre famille ?").

Tout ça, c'est bien beau, mais la situation reste difficile, et Olivier n'est pas content (laisse CXXXI).

Version originale
Version Short (1990)

Ço dist Rollant: «Por quei me portez ire?»
E il respont: «Cumpainz, vos le feïstes,
Kar vasselage par sens nen est folie;
Mielz valt mesure que ne fait estultie.
Franceis sunt morz par vostre legerie.
Jamais Karlon de nus n'avrat servise.
Sem creïsez, venuz i fust mi sire;
Ceste bataille oüsum faite u prise;
U pris ú mort i fust li reis Marsilie.
Vostre proecce, Rollant, mar la veïmes!
Karles li Magnes de nos n'avrat aïe.
N'ert mais tel home des qu'a Deu juïse.
Vos i murrez e France en ert (...) huníe.
Oi nus defalt la leial cumpaignie:
Einz le vespre mult ert gref la departie.»

Roland lui dit : « Pourquoi vous emporter contre moi ? »
Et il répond : « Compagnon, vous avez commis un tort,
car la vaillance sensée n'est pas la folie ;
mieux vaut mesure que bravoure téméraire.
Les Francs sont morts à cause de votre inconscience,
et jamais plus Charles n'aura notre service.
Notre seigneur serait revenu, si vous m'aviez cru,
et cette bataille, nous l'aurions déjà terminée ;
le roi Marsile aurait été prisonnier ou mort.
Votre prouesse, Roland, nous a causé du tort !
Charles le Grand ne recevra plus d'aide de nous -
il n'y aura plus d'homme comme lui jusqu'au Jugement dernier -
Vous, vous mourrez, la France en sera déshonorée.
C'est aujourd'hui que prend fin notre loyale amitié :
Avant ce soir, la séparation sera pénible. »
Version Bédier (1922)
Version Jonin (1979)
Roland dit : « Pourquoi, contre moi, de la colère ? » Et Olivier répond: « Compagnon, c'est votre faute, car vaillance sensée et folie sont deux choses, et mesure vaut mieux qu'outrecuidance. Si les Français sont morts, c'est par votre légèreté. Jamais plus nous ne ferons le service de Charles. Si vous m'aviez cru, mon seigneur serait revenu; cette bataille nous l'aurions gagnée; le roi Marsile eût été tué ou pris. Votre prouesse, Roland, c'est à la malheure que nous l'avons vue. Charles le Grand – jamais il n'y aura un tel homme jusqu'au dernier jugement ! – ne recevra plus notre aide. Vous allez mourir et France en sera honnie. Aujourd'hui prend fin notre loyal compagnonnage : avant ce soir nous nous séparerons, et ce sera dur. » À Roland qui lui dit : « Pourquoi vous emporter contre moi ? » Olivier répond : « Mon ami, à vous la faute car la vaillance associée au bon sens n'est pas de la folie. La mesure vaut bien mieux que la témérité. Les Français sont morts à cause de votre inconscience. Pour toujours Charles sera privé de nos services. Si vous m'aviez cru, mon seigneur serait revenu et cette bataille nous l'aurions livrée ou gagnée [?]. Prisonnier ou mort, voilà ce que serait le roi Marsile. Votre vaillance, Roland, nous a été fatale ! Charlemagne ne recevra plus notre aide. Jamais plus il n'y aura un homme de sa valeur jusqu'au Jugement dernier. Vous allez mourir et la France y perdra son honneur. Aujourd'hui s'éteint notre loyale amitié. Avant la tombée du jour se fera notre douloureuse séparation. »

Roland décide, même s'il est un peu tard, de communiquer avec le gros de la troupe. Il n'y avait pas de portable à l'époque, bien sûr, et de toute manière, il y aurait eu des problèmes de transmission dans ce coin montagneux et reculé. Alors, il embouche son olifan, et il souffle de toutes ses forces !

vitrail
Détail du vitrail de Charlemagne à la Cathédrale de Chartres. Roland sonne du cor et fend le rocher d'un coup de son épée Durendal.

 

Des grand costauds qui pleurent d'émotion, des braves (beaucoup), des fourbes (très peu), quelques châtiments atroces, du suspens et de l'émotion, de l'amitié, du combat, de la castagne et de la boucherie, il y a tout ça dans cette chanson de geste !
Très bien, donc, et un classique.


On note en passant que "qui" est toujours écrit "ki" dans le texte original. Du coup, je me dis que le langage SMS (le fameux "ki") peut être considéré comme étant le résultat d'une influence anglo-normande... C'est tout de suite plus agréable.

 

On pourra trouver la version de Bédier (format pdf, Word, ePub....) sur : http://www.ebooksgratuits.com/ebooks.php (lien direct version pdf : http://www.ebooksgratuits.com/newsendbook.php?id=113&format=pdf ).
Le texte original (manuscrit d'Oxford) : http://www.hs-augsburg.de/~harsch/gallica/Chronologie/11siecle/Roland/rol_ch00.html

 

 

Plusieurs reproductions proviennent de : http://www.staff.hum.ku.dk/hp/apercu/apercu2_00.htm et de http://lachansonderoland.d-t-x.com/pages/iconographie00.html .

 

la mort de roland
Bataille de Roncevaux en 778. Mort de Roland, dans les Grandes chroniques de France, enluminées par Jean Fouquet, Tours, v. 1455–1460, BNF

 

la mort de Roland
Mort de Roland, Manuscrit italien du XIV° siècle, Bibliothèque Marciana, Venise. C'est une illustration de L'Entrée d'Espagne, chanson de geste de la première moitié du XIVe siècle

 

 

 

 



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