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Albert COHEN

(Corfou, 16/08/1895 - Genève, 17/10/1981 )

albert cohen

 

"Albert Cohen, né à Corfou, le 16 août 1895, mort à Genève le 17 octobre 1981, est un poète, écrivain et dramaturge suisse romand dont l'œuvre est fortement influencée par ses racines juives. Son nom a été évoqué pour le prix Nobel de littérature."
On pourra consulter sa biographie sur Wikipedia.

Son roman le plus connu est bien sûr Belle du Seigneur.

 

Le Livre de ma mère

- Le Livre de ma mère. 1954. Folio. 176 pages.
La notice en début de livre dit tout :
"Peu de livres ont connu un succès aussi constant que Le livre de ma mère. Ce livre bouleversant est l'évocation d'une femme à la fois « quotidienne » et sublime, une mère, aujourd'hui morte, qui n'a vécu que pour son fils et par son fils.
Ce livre d'un fils est aussi le livre de tous les fils. Chacun de nous y reconnaîtra sa propre mère, sainte sentinelle, courage et bonté, chaleur et regard d'amour. Et tout fils pleurant sa mère disparue y retrouvera les reproches qu'il s'adresse à lui-même lorsqu'il pense à telle circonstance où il s'est montré ingrat, indifférent ou incompréhensif. Regrets ou remords toujours tardifs.
"


Le livre commence :
"Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte. [...]
Somptueuse, toi, ma plume d'or, va sur la feuille, va au hasard tandis que j'ai quelque jeunesse encore, va ton lent cheminement irrégulier, hésitant comme en rêve, cheminement gauche mais commandé. Va, je t'aime, ma seule consolation, va sur les pages où tristement je me complais et dont le strabisme morosement me délecte. Oui, les mots, ma patrie, les mots, ça console et ça venge. Mais il ne me rendront pas ma mère. [...]
Soudain, devant ma table de travail, parce que tout y est en ordre et que j'ai du café chaud et une cigarette à peine commencée et que j'ai un briquet qui fonctionne et que ma plume marche bien et que je suis près du feu et de ma chatte, j'ai un moment de bonheur si grand qu'il m'émeut.
" (pages 9-11)

C'est rudement bien écrit.
Puis, Albert Cohen commence à évoquer sa mère, non plus de façon générale, mais précise : c'est une vie toute dédiée à son fils.
"L'après-midi du vendredi, qui est chez les Juifs le commencement du saint jour de sabbat, elle se faisait belle et ornéee, ma mère. Elle mettait sa solennelle robe de soie noire et ceux de ses bijoux qui lui restaient encore. [...] Tant de fois, toujours roulée par les bijoutiers, elle avait vendu pour moi de ses bijoux, en cachette de mon père dont la sévérité nous effrayait, elle et moi, et nous faisait complices." (pages 14-15).

Elle est fière de son fils :
"« Et dis-moi, mes yeux, cette situation que tu as en ce Bureau International du Travail, comment s'appelle-t-elle, cette situation ? (« Attaché à la Division diplomatique » répondis-je. Elle rayonna.) Par conséquent, les douaniers ne peuvent rien contre toi, je suppose ? Tu passes et ils s'inclinent. Quelle merveille du monde ! Dieu soit loué qui m'a donné de vivre jusqu'en ce jour !" (page 24)

La sagesse d'une mère :
"« Moi, mon fils, je n'ai pas étudié comme toi, mais l'amour qu'on raconte dans les livres, c'est des manières de païens. Moi je dis qu'ils jouent la comédie. Ils ne se voient que quand ils sont bien coiffés, bien habillés, comme au théâtre. Ils s'adorent, ils pleurent, ils se donnent de ces abominations de baisers sur la bouche, et un an après ils divorcent ! Alors, où est l'amour ? Ces mariages qui commencent par de l'amour, c'est mauvais signe. Ces grands amoureux, dans les histoires qu'on lit, je me demande s'ils continueraient à aimer leur poétesse si elle était très malade, toujours au lit, et qu'il soit obligé, l'homme, de lui donner les soins qu'on donne aux bébés, enfin tu me comprends, des soins déplaisants. Eh bien, moi je crois qu'il ne l'aimerait plus. Le vrai amour, veux-tu que je te dise, c'est l'habitude, c'est vieillir ensemble. Tu les veux avec des petits pois ou avec des tomates, les boulettes ?" (pages 27-28).

Après un peu d'humour (encore un bon passage où Albert doit se justifier que lui, un Juif, aille à la montagne pour son plaisir), l'élégie reprend.
"Toute seule là-dessous, la pauvre inutile dont on s'est débarrassé dans de la terre, toute seule, et on a eu la gentille pensée de lui mettre dessus une lourde dalle de marbre, un presse-mort, pour être bien sûr qu'elle ne s'en ira pas." (pages 31-32).
"Pleurer sa mère, c'est pleurer son enfance. L'homme veut son enfance, veut la ravoir, et s'il aime davantage sa mère à mesure qu'il avance en âge, c'est parce que sa mère, c'est son enfance. J'ai été un enfant, je ne le suis plus et je n'en reviens pas. Soudain, je me rappelle notre arrivée à Marseille. J'avais cinq ans. En descendant du bateau, accroché à la jupe de Maman, coiffée d'un canotier orné de cerises, je fus effrayé par les trams, ces voitures qui marchaient toutes eules. Je me rassurai en pensant qu'un cheval devait être caché dedans." (page 33).

Les années passent.
"A dix-huit ans, je quittai Marseille et j'allai à Genève où je m'inscrivis à l'Université et où des nymphes me furent bienveillantes. Alors, la solitude de ma mère devint totale. Elle était déracinée à Marseille." (page 57).
"A table, elle mettait tous les jours la place du fils absent. Et même, le jour anniversaire de ma naissance, elle servait l'absent. Elle mettait les morceaux les plus fins sur l'assiette de l'absent, devant laquelle il y avait ma photographie et des fleurs." (page 59).

Ah, la logique de sa mère !
"Et si je l'engageais à prendre du café sans sucre, elle m'affirmait que le sucre n'engraisse pas. « Mets-en dans l'eau et tu verras qu'il disparaît. »" (pages 62-63).

Albert Cohen regrette de ne pas avoir plus souvent envoyé de télégramme à sa mère : dix mots pour que, deux jours plus tard, elle débarque sur le quai. "Tu n'as pas voulu écrire dix mots, écris-en quarante mille maintenant." (page 79).

"Avec les plus aimés, amis, filles et femmes aimantes, il me faut un peu paraître, dissimuler un peu. Avec ma mère, je n'avais qu'à être ce que j'étais, avec mes angoisses, mes pauvres faiblesses, mes misères du corps et de l'âme. Elle ne m'aimait pas moins. Amour de mère, à nul autre pareil." (page 105)

Le livre se finit ainsi :
"Des années se sont écoulées depuis que j'ai écrit ce chant de mort. J'ai continué à vivre, à aimer. J'ai vécu, j'ai aimé, j'ai eu des heures de bonheur tandis qu'elle gisait, abandonnée, en son terrible lieu. J'ai commis le péché de vie, moi aussi, comme les autres. J'ai ri et je rirai encore. Dieu merci, les pécheurs vivants deviennent vite des morts offensés." (page 175)

Un vrai bon livre très touchant et très bien écrit.
Il vaut quand même mieux avoir le moral avant sa lecture. 



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