Littérature Francophone
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(Créteil, 1955 - ) Pierre Jourde est professeur à l'université Grenoble III. Il a publié des essais, critiques, romans (notamment Festins secrets, Prix Renaudot des lycéens 2005, Prix Valéry Larbaud...).
Extraits de l'avant-propos de Pierre Jourde, qui s'explique sur la situation de la littérature en France, et sur les intentions de son ouvrage : "Pour créer la surprise et alimenter la copie journalistique, le texte dit en outre présenter une apparence d'audace, dans le fond comme dans la forme, qui fournira le bonus symbolique, la garantie littéraire. Sur le fond, l'audace consiste à faire toujours la même chose. Du témoignage, et aussi de la violence ou du sexe. Si possible les trois. A chaque fois, on promet du scandale, de la révélation, du hard, quelque chose d'inouï. Le succès d'Angot, de Despentes, de Houellebecq, de Darrieusecq, de Catherine Millet, etc., a été fabriqué de cette manière. Au fond, on ne fait guère lire qu'avec cela (ou bien avec des ragots, ou encore avec de l'anti-sémitisme). Le scénario est tellement immuable qu'on est à chaque fois étonné du cynisme des uns et de la candeur des autres. [...] Christine Angot : "Et la ponctuation ? Voilà un terrain neuf, une friche du style. Encore une règle, un ordre, bref un fascisme. Christine Angot n'aime pas les fascistes. Donc elle goûte peu la ponctuation. Elle en use, certes, mais avec un brio qui déstabilise ce totalitarisme grammatical. [...] Dépourvu de cet ornement poussiéreux, n'importe quoi prend alors une allure haletante, fiévreuse, intense, bref prend l'air littératire, et c'est bien cet air qui nous importe : Amour avorté destin avorté peut-être est-ce cela et seulement cela mon destin Peut-être ne le dépasserai-je jamais Peut-être irai-je toujours de bras en bras à la recherche d'un geste d'un visage qui me parle vraiment d'amour qui m'adresserait une chose particulière à moi seule. "Vous n'avez rien à dire. Rien à raconter, à part une histoire banale et inepte. Vous ne savez pas écrire, sinon sous la forme d'un plat compte rendu. Vous voulez être écrivain ? Rien de plus simple, rien de moins fatigant. Apprenez à faire résonner la platitude. Mais comment ? L'alinéa ! Ecrivez, comme vous savez le faire, une phrase bête et creuse. Au lieu de poursuivre, allez à la ligne. Ecrivez une autre phrase bête et creuse. Tout à coup, ça vous prend une autre allure : ça vibre, c'est lourd de sens. Tout le blanc se charge d'intensité émotive, de non-dit furieusement significatif. Moins on en dit, plus on laisse supposer qu'on en a à dire. [...] Toutes les fins de ces romans se ressemblent : il faut en conclusion, avant le silence le plus définitif, placer le détail le plus oiseux, qui paraîtra ainsi richement symbolique tout en restant bien concret." (pages 170-171). Après Christian Bobin ("Chez Christian Bobin, les objets de comparaison ont toujours une grande qualité poétique, ce ne sont qu'étoiles, fleurs et orages.", page 173), nous avons Pascale Roze - Goncourt 1996 pour Le Chasseur Zéro - avec ses préoccupations infimes : "L'invasion de ces niaiseries étouffe la littérature française. Celle-ci se confond de plus en plus avec cette nouvelle forme de dignité bourgeoise, le roman décoratif : petit récit, histoire de famille, d'éducation, rencontre amoureuse, mettant en scène un petit personnage sans identité trop définie, protagoniste de petits événements sans trop de poids, le tout rapporté dans un langage pas trop compliqué, encombré de clichés. L'édition produit, la critique défend, sous la marque de l'exigence, de la littérature bas de gamme." (page 181). A propos d'Eric Holder et Philippe Delerme : "De même qu'il y eut une littérature cosmopolite, Larbaud et Morand, voici la littérature microcosmopolite, qui nous envoie des cartes postales touristiques du potager du coin." (page 202). Puis Pierre Jouve démonte plusieurs poètes contemporains (c'est facile, il est vrai !) dont je n'avais jamais entendu parler (Gilles Lade, Bernard Vargaftig, Patrick Tudoret...). Vers sans rimes, incompréhensibles. En deux minutes et trente secondes, Pierre Jouve a lui aussi fait un poème, qu'il nous donne. Viennent encore Michel Houellebecq, et là le sentiment est plus partagé, et finalement des écrivains qu'il défend : Gérard Guégan, Valère Novarina, Eric Chevillard et Jean-Pierre Richard. C'est dans la défense de ces écrivains que le livre est le moins intéressant... quand on ne les a pas lus, sans doute (c'est mon cas, j'avoue). La Littérature sans estomac est un essai souvent très drôle. Evidemment, parfois, ça tourne au canonnage de l'ambulance, mais on admire le spectacle pyrotechnique. Mais quand vient la rentrée littéraire et que l'on peut lire des articles d'extases sur les dernières productions de certains auteurs massacrés dans l'essai, on continue à rigoler. Le Tibet sans peine (NRF - Gallimard, 2008, 119 pages). Le récit commence ainsi : Beaucoup plus tard, enfin... Le Zanskar, donc. Petits villages aux bâtisses carrées "construites en brique de bouse de yack séchée. [...] Le yack est l'animal universel. On s'habille en yack, on se nourrit de yack, on se chauffe en yack, on se loge en tack, on se déplace en yack, on décore avec du yack, on fait de la musique dans du yack." (page 88). Et puis il y a encore tellement de choses, les lamaseries (notamment Phuktal Gumpa, avec son pont)... et tant d'autres choses... Le Jourde & Naulleau (Mango Littérature, 2008, 280 pages). Précis de littérature du XXI° siècle. Pierre Jourde, avec son compère Eric Naulleau, font ici un pastiche des Lagarde et Michard. "L'Etranger, d'Albert Camus, commence ainsi : "La douce lumière de la lune s'étendait sur les grandes lattes de bois fauves du parquet, et venait caresser les très jolis bibelots de collection qui ornaient çà et là les meubles choisis avec un goût très sûr. Par les baies vitrées, on apercevait les vagues qui s'ébattaient sur les sables de Long Island. Pelotonné sous sa couette, Edward dormait profondément. La sonnerie stridente du téléphone vint troubler la quiétude de la nuit. Edward finit par décrocher. Sir la table de chevet, la pendule indiquait 3h40. Suit Christine Angot, par Naulleau (Jourde en avait parlé dans La Littérature sans estomac). Le lecteur lit, sidéré, un extrait profondément raciste extrait de Léonore, toujours. Certains écrivains ont apparement le droit d'écrire des horreurs sans choquer les journalistes et autres associations. Curieux. A propos de Camille Laurens, on peut lire cette note : "Certains auteurs contemporains font une grosse consommation de fous (voir Dominique de Villepin et Philippe Sollers). Cela semble d'autant plus paradoxal qu'il s'agit souvent de gens respectables, de sens rassis, voire de notables. Paradoxe tout apparent : la folie est bien cotée à la bourse des valeurs
littéraires. Evoquer la folie, c'est un peu le génie du pauvre." (page 232).
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