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Octave Mirbeau

(Trévières , Calvados, 16/02/1848 - Paris, 16/02/1917)

octave mirbeau


"Octave Mirbeau, né le 16 février 1848 à Trévières (Calvados) et mort le 16 février 1917 à Paris, est un écrivain, critique d'art et journaliste français. Il connaît une célébrité européenne et de grands succès populaires, tout en étant également apprécié et reconnu par les avant-gardes littéraires et artistiques, ce qui n'est pas commun.

Journaliste influent et fort bien rémunéré, critique d’art défenseur des avant-gardes, pamphlétaire redouté, Octave Mirbeau est aussi un romancier novateur, qui a contribué à l'évolution du genre romanesque, et un dramaturge, à la fois classique et moderne, qui a triomphé sur toutes les grandes scènes du monde. Mais, après sa mort, il traverse pendant un demi-siècle une période de purgatoire : il est visiblement trop dérangeant pour la classe dirigeante, tant sur le plan littéraire et esthétique que sur le plan politique et social.

Littérairement incorrect, il est inclassable, il fait fi des étiquettes, des théories et des écoles, et il étend à tous les genres littéraires sa contestation radicale des institutions culturelles ; également politiquement incorrect, farouchement individualiste et libertaire, il incarne une figure d'intellectuel critique, potentiellement subversif et « irrécupérable », selon l'expression de Jean-Paul Sartre dans Les Mains sales", (totalité de la notice à lire sur wikipedia).

le journal d'une femme de chambre

- Le Journal d'une Femme de Chambre (1900). Folio, 507 pages. Edition de Noël Arnaud.

Nous sommes à la toute fin du XIX° siècle. Célestine, la Femme de chambre du titre, quitte Paris pour prendre une place en Normandie, au "Mesnil-Roy".
"Aujourd’hui, 14 septembre, à trois heures de l’après-midi, par un temps doux, gris et pluvieux, je suis entrée dans ma nouvelle place. C’est la douzième en deux ans. Bien entendu, je ne parle pas des places que j’ai faites durant les années précédentes. Il me serait impossible de les compter. Ah ! je puis me vanter que j’en ai vu des intérieurs et des visages, et de sales âmes... Et ça n’est pas fini..." (page 33).

Au cours de son journal, elle va parler de ses aventures dans la place qu'elle vient de prendre, mais aussi de ses souvenirs. Il faut dire qu'elle en a, des choses à raconter... Elle n'est jamais restée plus de six mois dans une place...
"D’ailleurs, j’avertis charitablement les personnes qui me liront que mon intention, en écrivant ce journal, est de n’employer aucune réticence, pas plus vis-à-vis de moi-même que vis-à-vis des autres. J’entends y mettre au contraire toute la franchise qui est en moi et, quand il le faudra, toute la brutalité qui est dans la vie. Ce n’est pas de ma faute si les âmes, dont on arrache les voiles et qu’on montre à nu, exhalent une si forte odeur de pourriture." (page 35).

Elle n'y va pas de main morte avec les petits-bourgeois, qu'ils soient parisiens ou provinciaux. Elle critique toute la société de l'époque : ainsi, le personnage de Joseph, le jardinier et homme à tout faire, est violent, ultra-nationaliste, antisémite... "Monsieur", lui, aimerait bien posséder Célestine. Il faut dire qu'il est opprimé par sa femme... cette dernière, "Madame", traite Célestine comme une esclave.
"Et dire qu’il existe une société pour la protection des animaux." (page 104).
"Un domestique, ce n’est pas un être normal, un être social... C’est quelqu’un de disparate, fabriqué de pièces et de morceaux qui ne peuvent s’ajuster l’un dans l’autre, se juxtaposer l’un à l’autre... C’est quelque chose de pire : un monstrueux hybride humain... Il n’est plus du peuple, d’où il sort ; il n’est pas, non plus, de la bourgeoisie où il vit et où il tend... Du peuple, qu’il a renié, il a perdu le sang généreux et la force naïve... De la bourgeoisie, il a gagné les vices honteux, sans avoir pu acquérir les moyens de les satisfaire... et les sentiments vils, les lâches peurs, les criminels appétits, sans le décor, et, par conséquent, sans l’excuse de la richesse..." (page 203).

Que de perversions chez tout ce petit monde ! Il y a une sacré galerie de personnages. Le fameux fétichiste des petites bottines, par exemple, immortalisé dans le film de Bunuel.

les petites bottines
Ah, les chères petites bottines de Jeanne Moreau !

Il y aussi le fils de famille dépravé, le père de famille qui a des revues pieuses et des illustrés... moins recommandables...
Et encore le voisin et sa gouvernante...
On trouve quand même un petit jeune homme bien sympathique, Monsieur Georges, mais le pauvre est tuberculeux... Ce qui donne lieu à quelques scènes horrifiques bien senties.

Célestine parle aussi du système de placement de domestiques, et comment certaines tombent dans la prostitution.

Dans le livre, il y a souvent quelque chose de l'ordre de la domination. Le mari dominé par sa femme, l'homme obsédé par les bottines (on sent le SM pas bien loin)... et même les domestiques, dominées par la force du système et de l'argent, parviennent à dominer à leur tour :
"[...] habiller, déshabiller, coiffer, il n’y a que cela qui me plaise dans le métier... J’aime à jouer avec les chemises de nuit, les chiffons et les rubans, tripoter les lingeries, les chapeaux, les dentelles, les fourrures, frotter mes maîtresses après le bain, les poudrer, poncer leurs pieds, parfumer leurs poitrines, oxygéner leurs chevelures, les connaître, enfin, du bout de leurs mules à la pointe de leur chignon, les voir toutes nues... De cette façon, elles deviennent pour vous autre chose qu’une maîtresse, presque une amie ou une complice, souvent une esclave... On est forcément la confidente d’un tas de choses, de leurs peines, de leurs vices, de leurs déceptions d’amour, des secrets les plus intimes du ménage, de leurs maladies... Sans compter que, lorsqu’on est adroite, on les tient par une foule de détails qu’elles ne soupçonnent même pas... On en tire beaucoup plus... C’est, à la fois, profitable et amusant... Voilà comment je comprends le métier de femme de chambre." (page 71-72)

Une autre forme de domination : le sentiment de supériorité par rapport à la multitude de Célestine la parisienne :
"Un paroissien sous le bras, elles vont aussi, comme moi, à la messe : cuisinières, femmes de chambre et de basse-cour, épaisses, lourdaudes et marchant avec des lenteurs, des dandinements de bêtes. Ce qu’elles sont drôlement torchées, dans leurs costumes de fêtes... des paquets!... [...] Elles détaillent, en les enviant, mon chapeau, ma robe collante, ma petite jaquette beige et mon parapluie roulé dans son fourreau de soie verte. Ma toilette de dame les étonne, et surtout, je crois, la façon coquette et pimpante que j’ai de la porter. Elles se poussent du coude, ont des yeux énormes, des bouches démesurément ouvertes, pour se montrer mon luxe et mon chic. Et je vais, me trémoussant, leste et légère, la bottine pointue, et relevant d’un geste hardi ma robe qui, sur les jupons de dessous, fait un bruit de soie froissée... Qu’est-ce que vous voulez ?... Moi je suis contente qu’on m’admire." (pages 83-84).

Célestine ressentira une certaine fascination pour Joseph, le jardinier, qui incarne la force animale.

joseph
Célestine (Jeanne Moreau) et Joseph (interprété par Georges Géret), dans le film de Bunuel.

Pour finir, la description du fonctionnement du bureau de placement montre l'humiliation des femmes qui attendent un hypothétique travail. C'est là encore une forme de domination. A noter que, dans cette scène, on voit encore un homme dominé par sa femme.

Le Journal d'une femme de chambre est un très bon livre, qui a dû faire du bruit lors de sa parution.

Il en existe plusieurs adaptations.

La version de Jean Renoir, The Diary of a Chambermaid (1946), avec Paulette Godard. On pourra voir ci-dessous le film en entier (en vo non sous-titré). On ne peut vraiment pas dire qu'il s'agisse d'une adaptation très fidèle... Il est très daté.

 


La version de Bunuel (1964), avec notamment Jeanne Moreau et Michel Piccoli : dans cette adaptation, dans laquelle on ne sent pas vraiment le "journal" du titre, on ne voit Célestine que dans un seul emploi, mais il cumule des éléments que l'on trouvait, dans le livre, chez différents employeurs (les bottines, par exemple). D'autres passages du livre ont été coupés (Monsieur Georges le tuberculeux, le fils de famille Xavier, la partie où les femmes attendent dans le bureau de placement...), ce qui était nécessaire pour resserrer l'action. A noter que la fin du film (les cinq ou dix dernières minutes) est différente, c'est perturbant.
L'esprit du livre est là, et en même temps, c'est vraiment un film de Bunuel. Très bon film.

 

La version de Benoît Jacquot, sortie avril 2015, avec Léa Seydoux dans le rôle de Célestine et Vincent Lindon dans celui du Joseph. Au vu de la bande-annonce, on peut parier que la version de Bunuel n'a pas de souci à se faire, elle restera très vraisemblablement la meilleure.

 

le jardin des supplices   couverture édition Vollard  le jardin des supplices - Rodin
A gauche, édition folio avec en couverture une photographie anonyme de 1907 ; au milieu et à droite : l'édition d'A. Vollard de 1902, avec vingt compositions originales d'Auguste Rodin (voir : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k10497541/f1.image )
"le 10 février 1899, après une première édition assez modeste, ils signent avec le marchand de tableaux Ambroise Vollard, un contrat pour l’illustration d’une édition de luxe de son roman Le Jardin des Supplices." ( http://www.musee-rodin.fr/fr/collections/archives/le-jardin-des-supplices )

- Le Jardin des supplices (1899). Edition de Michel Delon. 338 pages. Folio.
Ce roman est composé de deux parties, précédées d'un "frontispice" (une vingtaine de pages) dans lequel on voit un groupe d'amis discuter de la notion de crime. Un des hommes raconte alors sa vie, histoire qui va former les deux parties du livres : "En mission" (quatre-vingt pages), puis "Le Jardin des supplices" (cent trente pages).

Dans la première partie, En mission, on voit le narrateur, un homme corrompu et dépravé, user de ses relations pour obtenir un poste. Il discute avec un ami, un homme politique à qui il a rendu des services.
"- Prendre quelque chose à quelqu’un, et le garder pour soi, ça c’est du vol... Prendre quelque chose à quelqu’un et le repasser à un autre, en échange d’autant d’argent que l’on peut, ça, c’est du commerce... Le vol est d’autant plus bête qu’il se contente d’un seul bénéfice, souvent dangereux, alors que le commerce en comporte deux, sans aléa... " (page 74).
Mauvais esprit, cynisme... Voici comment Mirbeau décrit l'homme politique :
"Il avait aussi cette faculté merveilleuse de pouvoir, cinq heures durant, et sur n’importe quel sujet, parler sans jamais exprimer une idée. Son intarissable éloquence déversait, sans un arrêt, sans une fatigue, la lente, la monotone, la suicidante pluie du vocabulaire politique, aussi bien sur les questions de marine que sur les réformes scolaires, sur les finances que sur les beaux-arts, sur l’agriculture que sur la religion. Les journalistes parlementaires reconnaissaient en lui leur incompétence universelle et miraient leur jargon écrit dans son charabia parlé. Serviable, quand cela ne lui coûtait rien, généreux, prodigue même, quand cela devait lui rapporter beaucoup, arrogant et servile, selon les événements et les hommes, sceptique sans élégance, corrompu sans raffinement, enthousiaste sans spontanéité, spirituel sans imprévu, il était sympathique à tout le monde. Aussi son élévation rapide ne surprit, n’indigna personne." (page 81-82).

Le narrateur ne peut pas décrocher une sinécure en France. Par contre, il se voit proposer une mission scientifique à Ceylan. Il ne connaît rien à la science, mais qu'importe : il y a du budget, il saura l'employer. Sur le bateau, le cynisme continue. On voit des Blancs qui viennent pour civiliser les "Nègres", "c’est-à-dire pour leur prendre leurs stocks d’ivoires et de gommes... Et puis... que voulez-vous ?... si les gouvernements et les maisons de commerce qui nous confient des missions civilisatrices, apprenaient que nous n’avons tué personne... que diraient-ils ?..." (pages 116-117).
On fait aussi l'apologie d'armes que l'on appellerait maintenant de "destruction massive" : tuer tout le monde est très économique et est un progrès hygiénique. En effet, il n'y a pas de blessés. Or, les blessés coûtent cher en ambulance, hôpitaux, pensions aux blessés... Quel progrès !
Bref, on continue dans le cynisme. Ça reste amusant, d'une façon provocatrice.

Mais voici - et à partir de maintenant, ça n'est plus amusant du tout - que notre héros fait la rencontre déterminante d'une Anglaise, miss Clara, une femme riche et très belle, qu'il voit comme une âme pure.
Pourra-t-il lui avouer l'ampleur de son abjection ? Pourrait-elle alors toujours l'aimer ? Mais elle se révèle vite être bien plus perverse que lui. Il ne se pensait pas à sa hauteur en terme de pureté et de droiture ; voilà que, tout à coup, il n'est pas du tout à sa hauteur en terme d'abjection, de dépravation et de plaisir sadique.

rodin
Rodin. "Tu ne diras pas cela, ce soir, quand tu seras dans mes bras... et que je t'aimerai !" (page 29 de l'édition Vollard).

Ecoutons Clara :
"En Chine, la vie est libre, heureuse, totale, sans conventions, sans préjugés, sans lois... pour nous, du moins... Pas d’autres limites à la liberté que soi-même... à l’amour que la variété triomphante de son désir... L’Europe et sa civilisation hypocrite, barbare, c’est le mensonge... Qu’y faites-vous autre chose que de mentir, de mentir à vous-même et aux autres, de mentir à tout ce que, dans le fond de votre âme, vous reconnaissez être la vérité ?... Vous êtes obligé de feindre un respect extérieur pour des personnes, des institutions que vous trouvez absurdes... Vous demeurez lâchement attaché à des conventions morales ou sociales que vous méprisez, que vous condamnez, que vous savez manquer de tout fondement... C’est cette contradiction permanente entre vos idées, vos désirs et toutes les formes mortes, tous les vains simulacres de votre civilisation, qui vous rend tristes, troublés, déséquilibrés... Dans ce conflit intolérable, vous perdez toute joie de vivre, toute sensation de personnalité... parce que, à chaque minute, on comprime, on empêche, on arrête le libre jeu de vos forces... Voilà la plaie empoisonnée, mortelle, du monde civilisé... Chez nous, rien de pareil... vous verrez !... Je possède à Canton, parmi des jardins merveilleux, un palais où tout est disposé pour la vie libre et pour l’amour..." (pages 133-134)

Elle le convainc de venir avec elle en Chine, où elle a ses petites habitudes : ce sera l'objet de la deuxième et dernière partie, intitulée "Le jardin des Supplices".
Je n'aime pas résumer les romans, mais ici l'histoire n'a pas la moindre importance.

Cette deuxième partie est interminable : descriptions de tortures dans un décor fleuri. Plus que des descriptions, c'est d'un catalogue qu'il s'agit.
Clara n'aime pas l'hypocrisie. Voir les gens souffrir, c'est son plaisir. Elle ne s'en cache pas.
"- Écoute!... J’ai vu pendre des voleurs en Angleterre, j’ai vu des courses de taureaux et garrotter des anarchistes en Espagne... En Russie, j’ai vu fouetter par des soldats, jusqu’à la mort, de belles jeunes filles... En Italie, j’ai vu des fantômes vivants, des spectres de famine déterrer des cholériques et les manger avidement... J’ai vu, dans l’Inde, au bord d’un fleuve, des milliers d’êtres, tout nus, se tordre et mourir dans les épouvantes de la peste... À Berlin, un soir, j’ai vu une femme que j’avais aimée la veille, une splendide créature en maillot rose, je l’ai vue, dévorée par un lion, dans une cage... Toutes les terreurs, toutes les tortures humaines, je les ai vues... C’était très beau !... Mais je n’ai rien vu de si beau... comprends-tu ?... que ces forçats chinois... c’est plus beau que tout !... Tu ne peux pas savoir... je te dis que tu ne peux pas savoir..." (page 149).

rodin
Rodin. "Elle était suspendue, par les poignets, à un crochet de fer" (page 131 de l'Edition Vollard)

Si on aime les scènes de tortures plus ou moins originales (le supplice du rat, celui de la caresse, ou encore celui de la cloche) et complaisantes, entrecoupées de descriptions interminables de fleurs (que Mirbeau adoraient), on aimera la deuxième partie.

Le supplice du rat : "- Vous prenez un condamné, charmante milady, un condamné, ou tout autre personnage [...] Vous mettez alors, dans un grand pot percé, au fond, d’un petit trou – un pot de fleurs, milady ! – vous mettez un très gros rat, qu’il convient d’avoir privé de nourriture, pendant deux jours, afin d’exciter sa férocité... Et ce pot, habité par ce rat, vous l’appliquez hermétiquement, comme une énorme ventouse,sur les fesses du condamné, au moyen de solides courroies, attachées à une ceinture de cuir, qui lui entoure les reins... [...]Donc, vous introduisez, dans le trou du pot, une tige de fer, rougie au feu d’une forge... Le rat veut fuir la brûlure de la tige et son éclaboussante lumière... Il s’affole, cabriole, saute et bondit, tourne sur les parois du pot, rampe et galope sur les fesses de l’homme, qu’il chatouille d’abord et qu’ensuite il déchire de ses pattes, et mord de ses dents aiguës... cherchant une issue, à travers les chairs fouillées et sanglantes... Mais, il n’y a pas d’issue... ou, du moins, dans les premières minutes de l’affolement, le rat ne trouve pas d’issue...[...] Il peut même arriver que le patient en devienne fou... Il hurle et se démène... son corps, resté libre dans l’intervalle des colliers de fer, palpite, se soulève, se tord, secoué par de douloureux frissons... [...] Le rat pénètre, par où vous savez... dans le corps de l’homme... en élargissant de ses pattes et de ses dents... le terrier... Ah !... ah !... ah !... le terrier qu’il creuse frénétiquement, comme de la terre... Et il crève étouffé, en même temps que le patient, lequel, après une demi-heure d’indicibles, d’incomparables tortures, finit, lui aussi, par succomber à une hémorragie... quand ce n’est pas à l’excès de la souffrance... ou encore à la congestion d’une folie épouvantable... Dans tous les cas, milady... et quelle que soit la cause finale à cette mort, croyez que c’est extrêmement beau !..." (page 209-211).

Exemple de description botanique :
"Ici, une vigne dont j’avais remarqué, dans les montagnes de l’Annam, les larges feuilles blondes, irrégulièrement, échancrées et dentelées, aussi dentelées, aussi échancrées, aussi larges que les feuilles du ricin, enlaçait de ses ventouses un immense arbre mort, montait jusqu’au faîte du branchage et, de là, retombait en cataracte, en avalanche, protégeant toute une flore d’ombre qui s’épanouissait à la base entre les nefs, les colonnades et les niches formées par ses sarments croulants. Là, un stéphanandre exhibait son feuillage paradoxal, précieusement ouvré comme un cloisonné et dont je m’émerveillais qu’il passât par toute sorte de colorations, depuis le vert paon jusqu’au bleu d’acier, le rose tendre jusqu’au pourpre barbare, le jaune clair jusqu’à l’ocre brun. Tout près, un groupe de viburnums gigantesques, aussi hauts que des chênes, agitaient de grosses boules neigeuses à la pointe de chaque rameau." (pages 194-195). Etc. Ce n'est qu'un petit échantillon... le reste est aussi ennuyeux...

Que veut dire cette partie sadique franchement nauséeuse ? (le texte est disponible en ligne, par exemple sur : http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Jardin_des_supplices )
La préface de Michel Delon donne quelques éléments : "Mirbeau tend à ses contemporains leurs propres fantasmes sur la Chine, aggravés, exaspérés, aux limites du possible. [...] L'auteur du Jardin des supplices n'est pas un voyageur au long cours, c'est un polémiste anticolonial un lecteur et un rêveur. La Chine qu'il dépeint avec autant de soin que de rage est une utopie, héritière de tant d'autres pays occidentaux où l'Occident, au cours des siècles, a projeté ses craintes et ses désirs." (pages 17-18). De plus, on est dans le contexte historique de la révolte des Boxers.

Les condamnations et les supplices dans la Chine imaginaire de Mirbeau n'ont pas de logique, elles sont le résultat du bon plaisir de quelques puissants. Comme les condamnations et la justice chez nous (du moins à l'époque, on va dire).
On pourra penser que cela fait peu, que ça relève du concept. À quoi répond Michel Delon, à la fin de sa préface :
"Les dédaigneux verront dans le roman de Mirbeau un fantasme 1900 ou une fantaisie de l'Art nouveau. Mais l'ondulation de Clara, le long des sentes sinueuses du Jardin, appartient aux réussites de cette esthétique de l'arabesque. Dans les meilleurs moments du texte, l'intrigue disparaît sous le foisonnement végétal et verbal, à la façon dont Les Nymphéas ne gardent du jardin de Monet que des couleurs, des jeux de lumière. Mirbeau atteint alors au pur luxe des mots." (page 36).
C'est ne garder que le catalogue des plantes et des fleurs... quid du sang, des boyaux, des rats qui déchirent les chairs, du sadisme ?
Dans le Dictionnaire des Oeuvres (chez Robert Laffont), on lit : "La valeur d'un pareil ouvrage gît tout entière dans la volonté d'exprimer l'inexprimable, le rare et le monstrueux, recherche poussée jusqu'à l'exhaustion et qui est propre à l'esprit de la littérature « fin de siècle »".
Il est intéressant de noter que, dans les deux analyses, les auteurs éprouvent la nécessité de tenter de prouver la valeur de l'ouvrage. Ils sentent visiblement que la question se pose.
Ce qui est vrai. Et que je ne suis pas convaincu du tout par la réponse. Ou bien on dira que l'oeuvre est maintenant très datée. Mais, pire encore : très ennuyeuse (à moins d'aimer les catalogues de tortures, bien sûr).

rodin
Rodin. "L'ombre descend sur le jardin" (page 137 de l'édition Vollard).

 

 


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