Littérature Francophone
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(Trévières , Calvados, 16/02/1848 - Paris, 16/02/1917)
Journaliste influent et fort bien rémunéré, critique d’art défenseur des avant-gardes, pamphlétaire redouté, Octave Mirbeau est aussi un romancier novateur, qui a contribué à l'évolution du genre romanesque, et un dramaturge, à la fois classique et moderne, qui a triomphé sur toutes les grandes scènes du monde. Mais, après sa mort, il traverse pendant un demi-siècle une période de purgatoire : il est visiblement trop dérangeant pour la classe dirigeante, tant sur le plan littéraire et esthétique que sur le plan politique et social. Littérairement incorrect, il est inclassable, il fait fi des étiquettes, des théories et des écoles, et il étend à tous les genres littéraires sa contestation radicale des institutions culturelles ; également politiquement incorrect, farouchement individualiste et libertaire, il incarne une figure d'intellectuel critique, potentiellement subversif et « irrécupérable », selon l'expression de Jean-Paul Sartre dans Les Mains sales", (totalité de la notice à lire sur wikipedia). - Le Journal d'une Femme de Chambre (1900). Folio, 507 pages. Edition de Noël Arnaud. Nous sommes à la toute fin du XIX° siècle.
Célestine, la Femme de chambre du titre, quitte Paris pour prendre une place en Normandie, au "Mesnil-Roy". Elle n'y va pas de main morte avec les petits-bourgeois, qu'ils soient parisiens ou provinciaux. Elle critique toute la société de l'époque : ainsi, le personnage de Joseph, le jardinier et homme à tout faire, est violent, ultra-nationaliste, antisémite...
"Monsieur", lui, aimerait bien posséder Célestine. Il faut dire qu'il est opprimé par sa femme... cette dernière, "Madame", traite Célestine comme une esclave. Que de perversions chez tout ce petit monde ! Il y a une sacré galerie de personnages. Le fameux fétichiste des petites bottines, par exemple, immortalisé dans le film de Bunuel.
Il y aussi le fils de famille dépravé, le père de famille qui a des revues pieuses et des illustrés... moins recommandables... Célestine parle aussi du système de placement de domestiques, et comment certaines tombent dans la prostitution. Dans le livre, il y a souvent quelque chose de l'ordre de la domination. Le mari dominé par sa femme, l'homme obsédé par les bottines (on sent le SM pas bien loin)... et même les domestiques, dominées par la force du système et de l'argent, parviennent à dominer à leur tour : Une autre forme de domination : le sentiment de supériorité par rapport à la multitude de Célestine la parisienne : Célestine ressentira une certaine fascination pour Joseph, le jardinier, qui incarne la force animale.
Pour finir, la description du fonctionnement du bureau de placement montre l'humiliation des femmes qui attendent un hypothétique travail. C'est là encore une forme de domination. A noter que, dans cette scène, on voit encore un homme dominé par sa femme. Le Journal d'une femme de chambre est un très bon livre, qui a dû faire du bruit lors de sa parution. Il en existe plusieurs adaptations. La version de Jean Renoir, The Diary of a Chambermaid (1946), avec Paulette Godard. On pourra voir ci-dessous le film en entier (en vo non sous-titré). On ne peut vraiment pas dire qu'il s'agisse d'une adaptation très fidèle... Il est très daté.
La version de Benoît Jacquot, sortie avril 2015, avec Léa Seydoux dans le rôle de Célestine et Vincent Lindon dans celui du Joseph. Au vu de la bande-annonce, on peut parier que la version de Bunuel n'a pas de souci à se faire, elle restera très vraisemblablement la meilleure.
- Le Jardin des supplices (1899). Edition de Michel Delon. 338 pages. Folio.
Ecoutons Clara : Elle le convainc de venir avec elle en Chine, où elle a ses petites habitudes : ce sera l'objet de la deuxième et dernière partie, intitulée "Le jardin des Supplices".
Si on aime les scènes de tortures plus ou moins originales (le supplice du rat, celui de la caresse, ou encore celui de la cloche) et complaisantes, entrecoupées de descriptions interminables de fleurs (que Mirbeau adoraient), on aimera la deuxième partie. Le supplice du rat : "- Vous prenez un condamné, charmante milady, un condamné, ou tout autre personnage [...] Vous mettez alors, dans un grand pot percé, au fond, d’un petit trou – un pot de fleurs, milady ! – vous mettez un très gros rat, qu’il convient d’avoir privé de nourriture, pendant deux jours, afin d’exciter sa férocité... Et ce pot, habité par ce rat, vous l’appliquez hermétiquement, comme une énorme ventouse,sur les fesses du condamné, au moyen de solides courroies, attachées à une ceinture de cuir, qui lui entoure les reins... [...]Donc, vous introduisez, dans le trou du pot, une tige de fer, rougie au feu d’une forge... Le rat veut fuir la brûlure de la tige et son éclaboussante lumière... Il s’affole, cabriole, saute et bondit, tourne sur les parois du pot, rampe et galope sur les fesses de l’homme, qu’il chatouille d’abord et qu’ensuite il déchire de ses pattes, et mord de ses dents aiguës... cherchant une issue, à travers les chairs fouillées et sanglantes... Mais, il n’y a pas d’issue... ou, du moins, dans les premières minutes de l’affolement, le rat ne trouve pas d’issue...[...] Il peut même arriver que le patient en devienne fou... Il hurle et se démène... son corps, resté libre dans l’intervalle des colliers de fer, palpite, se soulève, se tord, secoué par de douloureux frissons... [...] Le rat pénètre, par où vous savez... dans le corps de l’homme... en élargissant de ses pattes et de ses dents... le terrier... Ah !... ah !... ah !... le terrier qu’il creuse frénétiquement, comme de la terre... Et il crève étouffé, en même temps que le patient, lequel, après une demi-heure d’indicibles, d’incomparables tortures, finit, lui aussi, par succomber à une hémorragie... quand ce n’est pas à l’excès de la souffrance... ou encore à la congestion d’une folie épouvantable... Dans tous les cas, milady... et quelle que soit la cause finale à cette mort, croyez que c’est extrêmement beau !..." (page 209-211). Exemple de description botanique : Que veut dire cette partie sadique franchement nauséeuse ? (le texte est disponible en ligne, par exemple sur : http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Jardin_des_supplices ) Les condamnations et les supplices dans la Chine imaginaire de Mirbeau n'ont pas de logique, elles sont le résultat du bon plaisir de quelques puissants. Comme les condamnations et la justice chez nous (du moins à l'époque, on va dire).
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