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MONTHERLANT Henry de
(Paris, 20/04/1895 - Paris, 21/09/1972)
Son nom complet est Henry Marie Joseph Frédéric Expédite Milon de Montherlant.
Ça en impose.
Montherlant est l'auteur de romans, récits, pièces de théâtre, essais, poésie...
Il aimait beaucoup parler de lui, se citer. Cela fait faire des économies dans les éditions : nul besoin de payer quelqu'un pour écrire une préface et/ou une postface, pour mettre des notes, analyser l'oeuvre et en dire beaucoup de bien. Il le fait lui-même.
Charles Dantzig, dans son excellent "Dictionnaire égoïste de la littérature française" (Grasset, 962 pages) en a parlé évidemment mieux que moi. Je me permets de le citer (extraits des pages 560 à 568). Il explique notamment pourquoi Montherlant, aujourd'hui, n'a pas bonne presse.
"Il paie les commentaires et les citations qu'il fait de sa propre oeuvre. « En 19..., je disais... » Il le fait par scrupule : pour éviter de se répéter. Et il se répète deux fois plus. Et il a l'air de s'admirer.
Il paie d'avoir menti à son public avec cynisme. Après sa mort, les dames bien n'ont pas été contentes d'apprendre qu'il couchait avec de petits Arabes et en ricanait dans des lettres à Roger Peyrefitte qui n'étaient pas son genre. [...]
La Rose des sables est aussi emmerdant que tout autre roman à thèse. C'est généralement un défaut des romans de Montherlant que le personnage principal soit lui, ou un lui tel qu'il se rêve, désinvoltement méprisant, tranchant, pas timide, enfin ! Quand il y met de l'humour (c'est la distance), il est bien meilleur, par exemple dans Les Célibataires.[...]
Il paie la vengeance d'un de ses dévots, qui après sa mort a publié une biographie disant tout. « De nos jours, tout grand homme a son disciple, et c'est généralement Judas qui écrit sa biographie » (Oscar Wilde).
Il paie ses héritiers, qui ne le défendent pas. Quand Jean Giraudoux était calomnié, son fils se précipitait sur les journaux et obtenait un droit de réponse. Avec Montherlant, faites l'essai : vous pouvez le traiter de proxénète dans Le Monde, rien ne se passera. [...]
Personne n'étant logique, Montherlant est un homme qui s'est cabré pour ne pas être caressé tout en espérant qu'on serait quand même tendre avec lui. On l'est déjà si peu quand nous sommes aimables ! [...]
Je ne nie pas qu'il ait écrit des choses déplaisantes. Des mufleries sur les femmes dans la série des Jeunes Filles, encore que le dernier volume, presque apaisé, Les Lépreuses, rachète les trois précédents. [...]
Montherlant ajoute une certaine ostentation à se teinter de gouaille, où l'on trouve le Henry de Montherlant : le comte qui trouve amusant d'employer le langage de son chauffeur. [...]
Quel artiste quand il le décide, quel manieur de la langue française, altier et moqueur."
Un peu de biographie, maintenant.
Charles Dantzig rappelle que Montherlant n'a été "ni collaborationniste, ni collaborateur, ni vichyssois."
"Il paie ce qu'il est. Comme chacun. Et ce qu'il était, c'était, souvent, un agaçant. On ne comprend généralement pas que, si les agaçants le sont, c'est qu'ils ont été agacés. La brusquerie est leur réponse à la blessure.[...] Plus qu'égoïste, il était hâbleur. La hâblerie est le torse en avant de la timidité, destiné à prévenir l'attaque, laquelle n'y pensait pas, et qu'il provoque.[..] Montherlant était un homme mené par la peur. Petit garçon élevé hors de la vie par une mère seule et le vénérant, homme de petite taille, homosexuel craignant tant l'effémination qu'il se jette dans la corrida et, un temps, dans la guerre, sociétés à règles fortes et claires, au contraire de cette effrayante vie où il se faisait mille complications de commander un taxi."
Quelques repères chronologiques, brièvement :
1895 : Henry de Montherlant est né dans une famille de petite noblesse.
À cause de problèmes financiers, la famille va habiter chez les grands-parents maternels, à Neuilly.
Il a été renvoyé de son collège de Neuilly-sur-Seine en 1912 (on retrouve ce thème dans La Ville dont le Prince est un enfant, 1951 ; et dans les Garçons, 1969). Il affichait une grande amitié pour un autre adolescent. « Cet être est le seul que j'aie aimé de ma vie entière. » (Mais aimons-nous ceux que nous aimons ?, 1973). Il prend des cours particuliers et obtient son bac.
Il torée en Espagne avant 1914, pendant des vacances.
1914 : mort du père.
1915 : mort de sa mère. Il va pouvoir s'engager dans l'armée.
1916 : il est blessé par un éclat d'obus.
Années 20 : il se tourne vers le sport, les athlètes... Il fréquente les stades.
Années 30 : il appelle à intervenir contre l'Allemagne nazie.
1942 : Il écrit La Reine Morte.
Après 1945 : il continue à écrire, notamment du théâtre (Le Maître de Santiago, 1947 ; La Ville dont le Prince est un enfant, 1951 ; la Mort qui fait le trottoir, 1956...)
1960 : Il est élu à l'Académie Française sans y avoir expressément fait la demande, mais en ayant fait savoir que... bon... (son successeur sera Claude Lévi-Strauss).
1972 : quasiment aveugle, il se suicide à son domicile, quai Voltaire. Le site de l'Académie Française (http://www.academie-francaise.fr/immortels/base/academiciens/fiche.asp?param=617 ) note : "Atteint de cécité et voyant ses facultés décliner, Henry de Montherlant choisit de se donner la mort à l’âge de soixante-seize ans. Ce qui avait souvent paru attitude théâtrale, chez ce grand admirateur des exemples antiques, reçut ainsi une tragique justification."
Il se tira une balle de revolver dans la bouche.
Extrait de ses Carnets (1963) : "On se suicide par respect pour la raison, quand l’âge ou la maladie enténèbrent la vôtre, et qu’y a-t-il de plus honorable que ce respect de la raison ? On se suicide par respect pour la vie, quand votre vie a cessé de pouvoir être digne de vous, et qu’y a-t-il de plus honorable que le respect de la vie? On se suicide sans donner ses raisons, et peut-être sans raison, et on a le droit - le droit le plus sacré - de n’en pas donner : pourquoi un homme n’aurait-il pas le droit de renoncer sans explications à une vie qu’il n’a pas demandée ? Tout ce qu’on peut dire contre le suicide sort de cette case défaillante du cerveau de l’homme, d’où il tire des interdits terribles au bonheur."
- Le Maître de Santiago. 157 pages. Folio. Note liminaire de Montherlant. Postface de Montherlant.
Espagne, 1519. Don Alvaro Dabo, 47 ans, est chevalier de l'Ordre de Santiago. C'est lui, Le Maître de Santiago. Il est veuf. Sa fille, Mariana, a 18 ans. Don Alvaro est un pur, il ne fait pas de concessions, et sa fille est un peu pareille : elle admire son père.
"" (page 18)
Cinq chevaliers sont attendus. Certains vont partir pour le Nouveau Monde.
L'hospitalité qui leur est faite est austère :
" " (page 19)
Qu'importent les apparences ! Distribuons l'argent aux pauvres ! Négligeons les choses bassement matérielles !
"" (page 22).
Mariana est amoureuse du fils de Don Bernal : Don Jacinto. Et ça tombe bien, Don Bernal arrive dans la scène 2 de l'acte I.
Don Bernal n'est pas bien riche, Don Jacinto commence à s'élever, à faire carrière, mais il ne faut pas qu'il quitte Valladolid, sous peine de voir son ascension stoppée. Mais cela ne suffit pas : il faudrait de l'argent pour bien réussir... La solution : avant le mariage, persuader Don Alvaro de partir un an ou deux dans le Nouveau Monde.
"" (page 28).
Mais comment persuader la tête de mule de Don Alvaro, qui méprise l'argent, de partir ?... D'autant qu'il a des positions pas très orthodoxes :
" " (pages 42-43)
Plus loin :
"" (page 50)
Alvaro en finit par faire douter le plus jeune (Letamendi) et le plus âgé (Olmeda) des chevaliers :
"" (pages 55-56).
"" (pages 57-58).
Alvaro est aveugle à l'amour de sa fille, mais aussi à sa fille en général.
"" (page 70).
Pourtant, elle est capable d'un grand stoïcisme :
"" (page 90)
A propos des bien matériels, Alvaro est assez intransigeant :
"" (page 78)
Plus loin :
"" (page 83).
Bref, Bernal en arrive à dire à Mariana:
"" (page 91).
Ce à quoi Mariana lui répond, un peu plus loin (page 92) :
""
Alvaro dit d'ailleurs plus tard :
"" (page 106).
"" (pages 112-113).
Face à tant de droiture marmoréenne, le Comte de Soria dit :
"" (pages 120-121).
Voilà... Comment tout ceci se finira-t-il ? Le Maître de Santiago finira-t-il par partir pour le Nouveau Monde ? Qu'adviendra-t-il de Mariana ?
Dans sa postface, Montherlant qualifie Santiago de "" (page 138).
C'est vrai que l'intrigue n'est pas tortueuse, ne se perd pas en personnages secondaires inutiles.
Une pièce courte, vraiment bien.
- La Reine Morte . 232 pages. Folio. Edition de Marie-Claude Hubert
La pièce a été créée le 9 décembre 1942, dans le contexte de l'occupation.
A ce propos, un petit texte très intéressant figure en annexe de l'édition. Il est écrit par un ancien prisonnier en Allemagne, qui explique comment son kommando a pu monter la pièce, beaucoup plus longue et complexe que ce qui se jouait habituellement (pièces de divertissement). "" (page 180).
La pièce est située "Au Portugal - autrefois."
Le personnage principal en est le roi Ferrante. Il est vieux, il sent que la mort n'est pas loin.
L'Infante de Navarre est arrivée pour se fiancer avec le prince Don Pedro, le fils du roi Ferrante, ce qui serait bon, d'un point de vue politique, pour les deux couronnes...
"
" (page 42-43).
L'Infante a une grande idée d'elle-même, ou plus exactement de sa charge : elle est l'Infante.
"" (page 117).
Les sentiments, ce n'est pas son rayon. Elle n'aime pas Don Pedro, elle veut juste se marier avec lui, car cela doit se faire.
Don Pedro, lui, n'a cure de gouverner. Il aime doña Inès de Castro. Il veut mener une vie simple avec elle.
Le roi Ferrante demande à l'Infante de rester encore quelques jours, pendant lesquels il va parler au Prince. "Sa folie peut passer.", dit-il.
"
" (page 45)
L'Infante est raide dans ses bottes ("Elle pense qu'elle est seule au monde à se faire une notion de l'honneur...", "Je sais que son Altesse souffre avec impatience tout ce qui n'est pas elle." disent les conseillers de Ferrante, page 80), et son caractère plaît beaucoup à Ferrante. Le devoir d'abord et avant tout.
L'explication entre le père et le fils va être houleuse.
"
" (pages 49-50).
Ah, voilà du style !
Plus loin, Ferrante lui parle du mariage qu'il doit conclure. Qu'il se marie avec l'Infante, et garde Ines comme concubine.
"
" (page 68).
Ferrante se sent trahi.
"" (page 72).
La pièce brasse plusieurs thèmes : oppositions des buts de la vie (bonheur personnel/devoir d'état), opposition père/fils... A ceci s'ajoutent des complots, ou plutôt des conflits d'intérêts ("Un de mes Grands, qui est venu tard à la cour, m'a dit que, le jour où il avait découvert l'hypocrisie, il avait rajeuni de dix ans, tant c'était bon", page 95) :
"" (page 95).
"" (page 99).
Marie-Claude Hubert, dans sa préface (à lire après la pièce, bien sûr... de même que ses notes, qui anticipent sur l'histoire !... et que la quatrième de couverture !) note que le drame du reniement du fils par le père traverse une grande partie de l'oeuvre de Montherlant.
Comment tout ceci se terminera-t-il ? Qu'est-ce qui motivera exactement les décisions de chacun ? Il n'y a rien de mécanique ici.
Une pièce plus qu'excellente : un chef-d'oeuvre.
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