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RODENBACH Georges

(Tournai, 16/07/1855 - Paris, 25/12/1898)



Portrait (pastel) de Georges Rodenbach, devant Bruges, par Lucien Lévy-Dhurmer (1896). Musée d'Orsay

Ami d'Emile Verhaeren, Geroges Rodenbach commence à publier des poèmes dès 1877. Il délaisse le barreau (il avait fait des études de droit) pour se consacrer à la littérature.
Il quitte Bruxelles pour s'installer à Paris. Bruges-la-Morte (1892) est publié en feuilleton dans le Figaro, avec un très grand succès.
Il écrit des pièces de théatre, des poèmes, des romans...

 



Bruges-la-morte, à Bruges bien vivante, le 31/07/2009.



- Bruges-la-Morte. 167 pages. Babel. Texte établi d'après l'édition de 1892.
Ce court roman commence ainsi :
"Le jour déclinait, assombrissant les corridors de la grande demeure silencieuse, mettant des écrans de crêpe aux vitres.
Hughes Viane se disposa à sortir, comme il en avait l'habitude quotidienne à la fin des après-midi. Inoccupé, solitaire, il passait toute la journée dans sa chambre, une vaste pièce au premier étage, dont les fenêtres donnaient sur le quai du Rosaire, au long duquel s'alignait sa maison, mirée dans l'eau.
Il lisait un peu : des revues, de vieux livres ; fumait beaucoup ; rêvassait à la croisée ouverte par les temps gris, perdu dans ses souvenirs.
Voilà cinq ans qu'il vivait ainsi, depuis qu'il était venu se fixer à Bruges, au lendemain de la mort de sa femme. Cinq ans déjà ! Et il se répétait à lui-même : « Veuf ! Etre veuf ! Je suis le veuf ! » Mot irrémédiable et bref ! d'une seule syllabe, sans écho. Mot impair et qui désigne bien l'être dépareillé." (page 19)

Après dix ans de mariage, dix ans de bonheur, Hughes Viane est donc devenu veuf. Il voue à sa femme morte un véritable culte fétichiste.
Une vieille servante, Barbe, s'occupe de tout dans la maison. Les souvenirs de la disparue doivent être manipulés avec soin. La morte semble être encore là :
"Il semblait que ses doigts dussent partout dans ce mobilier intact et toujours pareil, sofas, divans, fauteuils où elle s'était assise, et qui conservaient pour ainsi dire la forme de son corps. Les rideaux gardaient les plis éternisés qu'elle leur avait donnés. Et dans les miroirs, il semblait qu'avec prudence il fallût en frotter d'éponges et de linges la surface claire pour ne pas effacer son visage dormant au fond.. (page 21).


Barbe est la personne idéal pour son travail : "Barbe, la veille servante flamande, un peu renfrognée, mais dévouée et soigneuse, savait de quelles précautions il fallait entourer ces objets et n'en approchait qu'en tremblant. Peu communicative, elle avait les allures, avec sa robe noire et son bonnet de tulle blanc, d'une soeur tourière. D'ailleurs, elle allait souvent au Béguinage voir son unique parent, la soeur Rosalie, qui était béguine.
De ces fréquentations, de ces habitudes pieuses, elle avait gardé le silence, le glissement qu'ont les pas habitués aux dalles d'église. Et c'est pour cela, parce qu'elle ne mettait pas de bruit ou de rires autour de sa douleur, que Huges Viane s'en était si bien accommodé depuis son arrivée à Bruges. [...] Puis tranquillisé, les persiennes et les portes closes, il se décida à son ordinaire promenade du crépuscule bien qu'il ne cessât pas de pluviner, bruine fréquente des fins d'automne, petite pluie verticale qui larmoie, tisse de l'eau, faufile l'air, hérisse d'aiguilles les canaux planes, capture et transit l'âme comme un oiseau dans un filet mouillé, aux mailles interminables !" (pages 22-23).
"Et comme Bruges aussi était triste en ces fins d'après-midi ! Il l'aimait ainsi ! C'est pour sa tristesse même qu'il l'avait choisie et y était venu vivre après le grand désastre. [...] Une équation mystérieuse s'établissait. A l'épouse morte devait correspondre une ville morte. Son grand deuil exigeait un tel décor. La vie ne lui serait supportable qu'ici. Il y était venu d'instinct" (page 25).

Bruges est bien sûr au centre du roman : la ville projette son atmosphère triste, pluvieuse, quasi mortifère, sur le roman. Ainsi, les descriptions mortuaires et pluvieuses sont très nombreuses : "Et partout, sur sa tête, l'égouttement froid, les petites notes salées des cloches de paroisse, projetées comme d'un goupillon pour quelque absoute." (page 26)."Les cloches, dans le soir, sonnaient chaque fois pour quelque obit du lendemain." (page 46).

Mais un événement va faire que "Hugues n'entendait plus cette douleur des chsoes ; il ne voyait plus la ville rigide et comme emmaillotée dans les mille bandelettes de ses canaux." (pages 47). Tout est eau qui ruisselle, même la lumière, les sons...
"Les villes surtout ont une personnalité, un esprit autonome, un caractère presque extériorisé qui correspond à la joie à l'amour nouveau, au renoncement, au veuvage. Toute cité est un état d'âme, et d'y séjourner à peine, cet état d'âme se communique, se propage à nous en un fluide qui s'inocule et qu'on incorpore avec la nuance de l'air." (page 75).
La religion, rappel de la mort, est omniprésente. Par les églises, nombreuses, et par les cloches... : "Ah! ces cloches de Bruges ininterrompues, ce grand office des morts sans répit psalmodié dans l'air ! Comme il en venait un dégoût de la vie, le sens clair de la vanité de tout et l'avertissement de la mort en chemin..." (page 77), ainsi que par les processions : "Alors s'entendit le cliquetis des encensoirs. La fumée bleue roula des volutes plus proches ; toutes les clochettes s'unirent en un grésil plus sonore, qui cuivra l'air." (page 102).

Une femme, qui ressemble étrangement à la morte, va faire son apparition... Mais on n'est pas chez Hitchcock (Vertigo).

Le roman vaut par son atmosphère étouffante, son écriture très (trop ?) travaillée, très symbolique (même dans les détails : par exemple, la chevelure de la morte, que Hughes Viane conserve, est qualifiée de "toujours vivante", page 21, mais de "chose qui était morte, puisqu'elle était d'un mort.", page 104), plus que par son histoire, d'abord intriguante, mais un petit peu faible vers la fin.
Ce texte est plus, sans doute, l'oeuvre d'un poète que d'un romancier.



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