"Ismaël Saidi, né à Saint-Josse-ten-Noode, en Belgique, le 20 septembre 1976 est un réalisateur, scénariste et dramaturge belge francophone. Il est connu pour sa pièce Djihad." (Wikipedia)
Djihad. La pièce (2014). Jourdan PIXL. 208 pages.
"Djihad est une pièce phénomène, sortie en Belgique, et qui arrive en France. Avec ses 40 000 spectateurs, elle est au centre des discussions concernant les djihadistes qui rejoignent les rangs de l'EI ou d'Al Qaeda, en Syrie." (quatrième de couverture).
Le livre commence par une préface de Rachid Benzine.
"Ben, Reda, Ismaël et Michel. Des personnages qui rappellent les grandes heures de la comédie italienne. Ces bras cassés ont tout de leurs homologues du « Pigeon » de Mario Monicelli. Leur désoeuvrement aurait pu être celui des « Vitelloni » de Federico Fellini. L'innocence de Reda a quelque chose du Toto de « Miracle à Milan » de Vittorio De Sica et Cesare Zavattini.
Mais autre temps, autres moeurs et surtout autres enjeux. Ces films des années 50 traitaient des rapports de classes. La pièce d'Ismaël Saidi aborde d'autres thématiques : l'immigration, l'intégration, l'identité, la religion et bien entendu le djihad." (page 5).
"Et c'est tout l'art d'Ismaël Saidi d'avoir su créer, au travers de ses personnages djihadistes et pourtant attachants, une ouverture chez les spectateurs. Pas une porte ouverte à l'approbation de l'inacceptable. Non, juste ce décentrement du regard qu'offre la fiction." (page 8).
Plus loin, Rachid Benzine parle du jihad, issu directement de la société arabe du VII° siècle, puis de ce qu'il signifiait à l'époque de Muhammad : "Dans ce nouveau contexte, le jihad ne signifie en aucun cas la guerre sainte, mais l'appel à s'engager ou à contribuer à l'action en cours. Il faut savoir en effet que dans la société de l'époque toute opération armée était basée sur le volontariat. [...]
L'idée de se sacrifier au combat était totalement étrangère à cette société qui vivait sur un mode pragmatique et utilitariste comme c'est le cas dans les économies de survie. Mourir au combat, c'était affaiblir son groupe et manquer aux siens et c'est ce que l'on craignait par-dessus tout. Il s'agissait également de se prémunir du risque de tuer exagérément ses adversaires du moment, ce qui pouvait entraîner le déclenchement du « qisâs » (le talion). Le Coran de période médinoise est ainsi très fourni en histoires d'hommes qui refusent de s'engager. Les lecteurs d'aujourd'hui peuvent croire naïvement que la répétition de cet « engagez-vous » dénote l'enthousiasme des combattants. Anthropologiquement c'est tout le contraire qu'il faut comprendre." (pages 12-13).
Il parle aussi de la mort volontaire au combat, qui n'"est en rien coranique" (page 13)....
Après cette très intéressante préface et un prologue de l'auteur, la pièce commence.
Nous allons suivre trois jeunes, qui vont partir de Belgique pour faire le djihad.
Au début, nous sommes dans un parc. Ben s'installe sur un banc, puis arrive Ismaël.
"ISMAËL
Ça va ?
BEN
Salam Alaykoum Wa Rahmatoulah.
ISMAËL
Ouais, Salam. Alors, tu l'as vendue ta voiture ?
BEN.
Non.
ISMAËL
Ben attends, faut la vendre sinon comment tu veux qu'on parte ? Bon, faut absolument que tu la « fourgues » demain.
BEN
In cha Allah.
ISMAËL
Comment ça ? In cha Allah ? T'as changé d'avis ?
BEN
Pas du tout. Je la vendrai si Dieu le veut.
ISMAËL
Oh, pas besoin de traduire. Tu sais très bien ce que ça veut dire chez nous, In Cha Allah. Ça veut dire que tu vas pas le faire et que tu me fais espérer en remettant la faute sur Dieu.
BEN
Ta foi est faible." (pages 27-28)
Voici qu'arrive Reda, le troisième larron.
"BEN
Très bien, vous avez vu les vidéos d'entraînement ?
REDA
Elle sont bidon tes vidéos d'entraînement. Moi, j'ai Call of Duty et ça me suffit. Je suis gradé tros étoiles et je suis le meilleur sniper. D'ailleurs, je peux diriger les opéraitons.
ISMAËL
C'est la vraie vie, ici, idiot ! Tu dirigeras que dalle sinon tu vas nous faire tuer." (page 31).
Ils vont bientôt pouvoir partir, ce qu'ils attendent avec impatience :
"REDA Ah vraiment, vivement qu'on puisse tuer quelques mécréants. D'ailleurs, je me posais une question, Ben.
BEN
Dis-moi.
REDA
Ça ressemble à quoi un mécréant, parce que dans Call of Duty, l'ennemi, ben, il nous ressemble plus à nous en fait.
BEN
Le mécréant est un être fourbe, qui ressemble à tout le monde et qui se fond dans la masse pour mieux te sauter dessus quand il en a l'occasion.
ISMAËL
Bref, c'est un flic en civil !" (pages 38-39)
Puis, c'est l'aéroport, les procédures d'embarquement, l'avion...
C'est la première fois que Reda prend l'avion.
"BEN
Bah, c'est rien d'exceptionnel. On te fouille à l'entrée, on t'attache, t'es chamboulé dans tous les sens, on te détache, t'es fouillé à la sortie puis on te jette dehors.
REDA
Ah, c'est comme en prison, ça me rassure alors.
ISMAËL
Ça te rassure ?
REDA
Ben ouais, au moins, c'est quelque chose que je connais.
ISMAËL
La prison ? Toi, la crevette, t'as fait de la prison ?
REDA
Non, mais j'ai vu Prison Break, les quatre saisons, donc je suis un pro." (page 55)
Puis c'est Istanbul, Alep... Les trois amis discutent, ils parlent de leur vie d'avant, de leurs aspirations de l'époque, souvent bien éloignées de l'extrémisme qu'ils professent : musique, dessin...
"ISMAËL
[...]
D'ailleurs, je me suis toujours demandé si c'était vraiment interdit cette histoire de dessins.
REDA
Ben c'est écrit dans le Coran, non ?
ISMAËL
Tu l'as déjà lu, le Coran ?
BEN
Non, et toi ?
ISMAËL
Ben, moi non plus ! Alors comment on peut savoir ?
REDA
Ben si l'imam, il le dit, c'est que c'est vrai.
ISMAËL
L'Imam ? Tu Parles du même qui nous frappait avec un câble quand on était petit pour apprendre une sourate ? C'est lui notre référence ?" (pages 133-134).
Bien sûr, le djihad ne se fera pas dans les conditions espérées, ce sera bien plus dur...
Djihad est une pièce souvent amusante, avec un sujet casse-gueule. Evidemment, le but premier de la pièce n'est pas tant de faire rire que d'aborder des sujets sérieux par ce biais : problèmes d'intégrations, préjugés divers sur un peu tout le monde, conséquences graves de l'ignorance, raisons possibles de la radicalisation religieuse...
Et, comme l'a écrit Rachid Benzine dans son introduction, les personnages sont effectivement attachants. C'est sans doute ce qui fait que la pièce fonctionne bien. Ce n'est évidemment pas de la "grande littérature", mais c'est un texte qui aborde bien des sujets actuels importants d'une façon originale et concrète. L'humour fait toujours voir les choses autrement.
Pour finir, on trouve après la pièce un dossier pédagogique où sont abordés la guerre en Syrie, les raisons du départ de jeunes pour faire le djihad, les conditions du retour...