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TOURNIER Michel
(Paris, 19/12/1924 - )
Ecrivain, traducteur, journaliste...
Grand prix du roman de l'Académie Française pour son premier roman, Vendredi ou les Limbes du Pacifique (1967), Prix Goncourt
pour le Roi des Aulnes (1970)...
Michel Tournier est
membre de l'Académie Goncourt depuis 1972.
On trouvera plus d'informations biographiques sur wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Tournier
- Journal extime (2002, Edition revue par l'auteur, 2004). Folio, 263 pages.
"Il y a longtemps que j'ai pris l'habitude de noter non seulement les étapes et les incidents de mes voyages, mais les événements petits et grands de ma vie quotidienne, le temps qu'il fait, les métamorphoses de mon jardin, les visites que je reçois, les cours durs et les coups doux du destin. On peut parler de « journal » sans doute, mais il s'agit du contraire d'un « journal intime ». J'ai forgé pour le définir le mot « extime ». Habitant la campagne depuis près d'un un demi-siècle, je vis dans une société d'artisans et de petits paysans peu attentifs à leurs états d'âme." (page 11). Plus loin : "C'est que les choses, les animaux et les gens du dehors m'ont toujours paru plus intéressants que mon propre miroir. Le fameux « Connais-toi toi-même » de Socrate a toujours été pour moi une injonction vide de sens." (page 12).
Le livre égrène les douze mois d'une année, qui ne sont pas, en fait, une seule "vraie" année, mais une année que l'on pourrait dire exemplaire, reconstituée.
"Comme dans les scènes populaires évoquées par les dessinateurs et les graveurs du Moyen Age, le lecteur rencontrera plus d'une fois la silhouette encapuchonnée de Madame la Mort, compagne obligée de notre cheminement. Elle donnera, je pense, un écho plus profond aux occasions de rire qu'offre également ce petit livre". (page 13).
Ce petit livre, donc, est une suite d'anecdotes, de remarques, de réflexions, très diverses, et plus ou moins longues. En voici quelques unes, volontairement choisies parmi les différents genres.
"J'entre chez M.L. et son chien se précipite vers moi en aboyant. J'ai un mouvement de recul. M.L. : « De quoi as-tu peur ? Tu sais très bien qu'un chien qui aboie ne mord pas. » Moi : « Oui, mais lui le sait-il ? »" (page 32).
"G.T., professeur à Senlis, me raconte qu'en début d'année scolaire, il a fait remplir à ses élèves le questionnaire rituel. Un enfant africain, noir et silencieux comme l'ébène, a écrit : Profession du père : roi." (page 40).
"L'enfant qui « boude ». Je ne sache pas que les psychologues se soient jamais intéressés au phénomène. Et pourtant ! Il s'agit d'une sorte de refus généralisé du monde extérieur. Le boudeur ne veut plus rien voir ni entendre. Il se fige, la tête dans les mains ou contre le mur, et ne répond à aucune parole. Sorte de fausse catalepsie dont il sort subitement sur un mystéreux signal et qui paraît ensuite frappée d'amnésie. La part de comédie qu'il y a dans la bouderie loin de la dévaluer ajoute à sa complexité." (page 45).
"Un habitant de Manchester : « Dans cette ville, l'air est si mauvais qu'on se réveille le matin en entendant
tousser les oiseaux »" (page 46).
"Victor Hugo : « La musique est un bruit qui pense. » Ce mélange de génie éclatant et de totale stupidité, c'est tout Victor Hugo. Il en avait conscience et accueillit avec une certaine satisfaction (in Choses vues) ce jugement de Leconte de Lisle : quelqu'un ayant dit que V.H. était bête, Leconte de Lisle aurait corrigé : « Oui, bête, mais comme l'Himalaya »" (pages 50-51).
"La pauvreté d'un peuple se mesure à la splendeur de ses fêtes. Inversement l'élévation progressive du niveau de vie s'accompagne d'un dépérissement progressif des festivités." (page 58).
"Retour d'Afrique équatoriale, je rends visite au peintre Hélion devenu complètement aveugle. Il me demande d'un air bougon : « Alors, le Gabon, comment est-ce ? » Moi : « C'est très Douanier Rousseau. » Hélion : « C'est bien ce que je pensais. »" (page 64).
"« J'ai compris ce qu'est l'obscurité, dit l'aveugle. C'est quand tu ne me touches plus. »" (page 64).
"Mort de J.F. Atteint d'un cancer. Il m'avait parlé au téléphone : « Je me serais cru plus fort devant la mort », m'avait-il dit. Je lui avais répondu que ce n'était pas la menace de la mort qui l'affaiblissait, mais la maladie. Je me souvenais de P.D.R. : « Le cancer ne se contente pas de tuer, il déprime. Alors que la tuberculose excite l'érotisme, la sclérose en plaque euphorise, etc. »" (page 66).
"En matière littéraire, le critère de l'amateur et du professionnel pourrait être le suivant : être capable de reconnaître la valeur éminente d'un livre que personnellement on déteste, tel est le privilège du professionnel. Au contraire l'amateur reste aveugle aux qualités même éclatantes d'un livre dès lors qu'il va à l'encontre de ses goûts.
Je me pose la question en évoquant l'année 1932 de l'Académie Goncourt. C'est là qu'elle commit sa plus lourde bévue : refuser le prix au Voyage au bout de la nuit de L.F. Céline. Je n'ai aucun goût pour Céline et sa manière. Aurais-je eu la force de voter néanmoins pour lui, comme cela s'imposait absolument ? Je n'ose le croire hélas !" (page 66).
"[...] Je rappelle également ce jugement de Paul Valéry sur Hugo et Baudelaire : Hugo est certes un plus grand poète que Baudelaire, mais Baudelaire est un poète plus important que Victor Hugo." (page 71).
"Citation : « Pour bien jouer au golf, il n'est pas indispensable d'être idiot, mais ça aide. »" (page 82).
"Que ma mémoire fonctionne comme le cadran solaire qui n'indique que les heures ensoleillées." (page 135).
"La Mer de Debussy. C'était l'été 1939 à Villers. J'avais quatorze ans. Je disposais d'un petit canoë canadien, véritable coque de noix. Chaque jour je franchissais la barre et j'allais assez loin pour que la plage devienne une mince ligne jaune au pied de la côte. Si j'avais versé je n'aurais certainement pas pu revenir à la nage. J'étais toujours seul. Jamais mes parents n'ont soupçonné que je risquais ainsi ma vie. En abordant après des heures de dérive, j'avais le corps blanc de sel, les embruns qui m'avaient éclaboussé ayant séché au soleil. Ce sont ces heures marines que fait revivre à mes oreilles la musique de Debussy. L'été splendide, la mort tout autour, la guerre prochaine qui dresse un nuage noir plein d'éclairs à l'horizon. Je glisse mon corps nu tacheté de sel sur le dos vert des lames. J'ai peur et je suis heureux." (page 119).
"Au cinéma du supermarché des Ullis, péplum américain avec Marlon Brando, Charlton Heston, Kirk Douglas, etc. La lumière revient, on se lève et j'entends une petite fille s'exclamer : « Ah, en ce temps-là les hommes étaient quand même plus beaux qu'aujourd'hui ! » (page 147).
"Mort de K.F. Celui qui n'a pas perdu son meilleur ami ne sait pas ce qu'est la mort. Levée du corps à l'hôpital Cochin. Je vois son visage cireux et émacié dans son cercueil. Cimetière du Père-Lachaise. Le crématorium ressemble à une mosquée qui serait en même temps une usine à gaz. Sur les marches joue et danse une petite fille de quatre ans en robe noire et col blanc. Je suis surpris de voir dans le petit groupe que nous formons une majorité d'inconnus. K. F. pratiquait en somme des amitiés compartimentées. Il se gardait de réunir des amis également intimes, mais qui n'avaient aucune affinité entre eux et qui n'avaient aucune chance de se plaire réciproquement." (pages 148-149).
"Jorge Semprun a vu dans un jeu télévisé l'un des participants réfléchir longuement à la question : « Quel est le philosophe français qui a écrit Je pense, donc je suis ? »
Soudain, son visage s'éclaire. Il a trouvé ! « La Palice », s'écrie-t-il." (page 201)
"« Avoir le coeur gros ». J'aime cette locution qui laisse entendre que le chagrin n'est pas un manque, mais un plein au contraire, un trop-plein qui déborde de souvenirs, d'émotions et de larmes." (page 246).
"Arles. Le plombier n'en finit pas d'installer ma chaudière. Comme je fais allusion à ses retards et atermoiements, il explique à l'homme du Nord que je suis : « Chez nous en Provence, le travail, nous l'aimons, mais nous le respectons. Nous ne nous jetons pas dessus comme des sauvages. » (page 247-248).
"Cette nuit à la radio, je reconnais immédiatement l'accent bourguignon de mon vieux maître Gaston Bachelard. Il est malheureusement sans cesse interrompu par un petit crétin qui lui pose des questions insanes. Puis c'est l'annonce de fin : « Vous venez d'entendre un document de l'INA, un entretien datant de 1949 de Gaston Bachelard avec Michel Tournier. »" (pages 256-257).
Voilà... J'aurais pu en mettre le double, le triple, mais j'aurais fini par recevoir un mail de Folio !
Humour, douleur, écriture, vie, mort.
Un livre que l'on peut ouvrir à n'importe quelle page, toujours à portée de main dans sa bibliothèque...
Autres livres :
Vendredi ou les Limbes du Pacifique (1967)
Vendredi ou la Vie sauvage (1971)
Le Roi des aulnes (1970)
Les Météores (1975)
Le Coq de Bruyère (1978)
Le Vent Paraclet (1978)
Gaspard,Melchior et Balthazar (1980)
Le Vol du vampire (1981)
Gilles et Jeanne (1983)
La Goutte d'Or (1985)
Petites proses (1986)
La Fugue du Petit Poucet
Le Médianoche amoureux (1989)
Le Pied de la lettre (1994, édition revue et augmentée en 1996)
Le Miroir des idées (1994)
Eléazar ou la Source et le Buisson (1996)
Célébrations (1999)
Le Bonheur en Allemagne ? (2004)
Les Vertes lectures (2006)
Au cinéma :
- Le Coq de Bruyère (1980), réalisé par Gabriel Axel (le réalisateur du Festin de Babette)
- Vendredi ou la vie sauvage (1981), téléfilm de Gérard Vergez.
- Tupik (1987), court-métrage réalisé par Chantal Richard.
- La Goutte d'Or (1990), téléfilm réalisé par Marcel Bluwal
- Der Unhold (Le Roi des Aulnes, 1996), bon film réalisé par Volker Schlöndorff, avec John Malkovich et Marianne Sägebrecht.
- Le Nain Rouge (1998), réalisé par Yvan Le Moine.
- Vendredi ou un autre jour (2005), également réalisé par Yvan Le Moine.
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