CHAMISSO Adelbert von
(Ante, près de Châlons-en-Champagne, France, 30/01/1781 - Berlin, 21/08/1838)
Louis Charles Adélaïde de Chamissot de Boncourt est né au Château de Boncourt à Ante en 1781. Il est issu d'une vieille noblesse lorraine.
En 1790, sa famille fuit la France pour échapper à la Révolution Française - et à la Terreur - , et finit par s'installer à Berlin.
En 1796, il devient page de la reine Frédérique de Hesse-Darmstadt.
En 1798, il s'engage dans l'armée prussienne et devient lieutenant en 1801. Il prend alors le prénom d'Adelbert.
Sa famille a le droit de retourner en France, mais il préfère rester en Allemagne. Il apprend le grec et le latin à l'armée.
Son appartenance à deux patries n'est pas facile.
Il quitte l'armée en 1808 et retourne en France en 1810. Il rencontre Madame De Staël, qu'il suivra en Suisse.
Il demeurera avec elle jusqu'en 1812. Puis, de retour à Berlin, il étudie la médecine et les sciences naturelles, surtout la botanique. De 1815 à 1818, il participe à une expédition qui le fait parcourir les mers du Sud (il publiera son journal de voyage en 1821). A son retour, il devient directeur du Jardin Botanique de Berlin.
Il se marie à une jeune fille de 17 ans, a sept fils, publie une étude de botanique, une grammaire hawaïenne, des poèmes (son recueil "L'Amour et la Vie d'un femme", Frauenliebe und Leben, a été mis en musique par Robert Schumann) et surtout écrit, après une discussion avec Friedrich de La Motte-Fouqué (le fameux auteur d'Ondine), le texte qui allait le rendre célèbre : L'étrange histoire de Peter Schlemihl (1814).
Il a également traduit en allemand de nombreuses oeuvres françaises.
Sa femme décède en 1837, il est brisé. Il meurt l'année suivante.
Il a laissé son nom (chamisso) à des plantes tropicales, un crabe et une île.
Un prix qui porte son nom a été créé en 1985, récompensant les écrivains d'expression allemande dont l'allemand n'est pas la langue maternelle.
"Je suis Français en Allemagne et Allemand en France, catholique chez les protestants, protestant chez les catholiques, philosophe chez les gens religieux et cagot chez les gens sans préjugés, homme du monde chez les savants et pédant dans le monde, jacobin chez les aristocrates et, chez les démocrates, un noble, un homme de l'ancien régime ; je suis un étranger partout. Je voudrais trop étreindre, tout m'échappe, je suis malheureux." a écrit Chamisso.
Peter Schlemihl photographié dans la taverne de Faust, à Leipzig, le 10/07/2011.
L'Etrange histoire de Peter Schlemihl (Peter Schlemihls Wundersame Geschichte, 1814). Traduit en 1934 par Albert Lortholary. Traduction révisée par Bernard Lotholary. Folio, 99 pages.
"Après une traversée heureuse, mais que je trouvai très fatigante, nous atteignîmes enfin le port. Dès que le canot m'eut mis à terre, je me chargeai moi-même de mon petit bagage et, me frayant un chemin à travers la foule grouillante, j'entrai dans la première maison de modeste apparence où je vis pendre une enseigne." (page 9).
Notre héros, Peter Schlemihl, se fait indiquer où habite M. Thomas John : il loge dans une "grande maison neuve en marbre rouge et blanc, avec beaucoup de colonnes." (page 9).
Il s'y rend avec une lettre de recommandation.
"La porte s'ouvrit soudain. Dans le vestibule, j'eus à subir un interrogatoire ; après quoi le concierge me fit annoncer et j'eus l'honneur d'être appelé dans le parc où M. John se promenait en compagnie d'un petit nombre de personnes. Je reconnus aussitôt mon homme à sa corpulence épanouie et satisfaite." (page 10).
Peter se joint au petit groupe, et remarque un homme mystérieux,"silencieux, mince, maigre, assez long et d'un certain âge." (page 11).
John veut voir au loin. "« Une lunette » cria John, et avant même que les valets apparus à cet appel se fussent mis en mouvement, l'homme gris, s'inclinant avec modestie, avait mis la main dans sa poche, en avait retiré une belle lunette de Dollond et l'avait remise à M. John." (page 12).
On réclame des tapis turcs... qu'à cela ne tienne ! "Ce désir n'était pas exprimé que déjà l'homme à l'habit gris avait la main dans la poche et d'un air de modestie, d'humilité même, se mettait en devoir d'en tirer un riche tapis turc broché d'or. Les serviteurs le reçurent comme si la chose allait de soi, et le déroulèrent à l'endroit désiré." (page 13).
On est quasiment chez Tex Avery, avec ses personnages qui vont parfois jusqu'à sortir un piano à queue de leur poche... sauf qu'ici ce n'est pas exactement comique. Cela sentirait plutôt le soufre !
L'homme en gris va faire encore mieux...
Un peu plus tard, il s'adresse à notre héros.
"Après un court silence il reprit la parole : « Pendant le court moment que j'ai eu le bonheur de passer près de vous, j'ai plusieurs fois - permettez-moi de vous le dire, monsieur - réellement contemplé avec une indicible admiration l'ombre si belle, si belle que vous projetez au soleil, avec une sorte de noble dédain, sans y faire attention - oui, cette ombre superbe que voilà à vos pieds. Pardonnez-moi une proposition téméraire sans doute. Répugneriez-vous beaucoup à me céder cette ombre ? »" (page 16)
Tout se monnaye en ce bas
monde et, bien sûr, Peter Schlemihl va céder à la tentation (il n'y aurait pas d'histoire sinon).
"Il topa, s'agenouilla aussitôt devant moi, et, sous mes yeux, avec une merveilleuse adresse, détacha délicatement mon ombre du gazon, la roula, la plia et enfin la mit dans sa poche. Il se releva, s'inclina une fois de plus devant moi, puis revint vers le bouquet de roses. Je crus alors l'entendre rire doucement à part lui." (page 18).
L'histoire est racontée par Peter Schlemihl lui-même à l'auteur ("Oh ! mon bon Chamisso, [...]", page 43). Malgré cela, on sent bien sûr que Peter Schlemihl, c'est en fait l'auteur, et que l'ombre est une métaphore de ce quelque chose qui fait que Chamisso n'est à sa place nulle part.
C'est un texte de facture classique, très bien mené, avec tous les rebondissements qu'il faut. L'histoire bifurque toutefois d'une manière un peu tirée par les cheveux, vers la fin, et laisse une impression légèrement bancale et curieuse faite de nostalgie triste, en grande partie à cause de ce qui survient après la curieuse bifurcation.
Un très bon conte, un classique.
Ecoutons un lied de Schumann, Er, der Herrlichste von allen, extrait de"L'amour et la vie d'une femme", opus 42, interprété par Kathleen Ferrier :
Er, der Herrlichste von allen
Er, der Herrlichste von Allen, wie so milde, wie so gut!
Holde Lippen, klares Auge, heller Sinn und fester Muth.
So wie dort in blauer Tiefe, hell und herrlich, jener Stern,
Also Er an meinem Himmel, hell und herrlich, hehr und fern.
Wandle, wandle deine Bahnen, nur betrachen deinen Schein,
Nur in Demuth ihn betrachten, selig nur und traurig sein!
Höre nicht mein stilles Beten, deinem Glück nur geweiht;
Darfst mich, nied're Magd, nicht kennen, hoher Stern der Herrlichkeit !
Nur die Würdigste von Allen darf beglücken deine Wahl,
Und ich will die Hohe segnen viele tausend Mal.
Will mich freuen dann und weinen, selig, selig bin ich dann,
Sollte mir das Herz auch brechen, brich, o Herz, was liegt daran?
Er, der Herrlichste von Allen, wie so milde, wie so gut!
Holde Lippen, klares Auge, heller Sinn und fester Mut,
Wie so milde, wie so gut!
Noble esprit, pensée altière
Noble esprit, pensée altière, cœur vaillant loyal et pur,
Âme tendre, libre et fière, douce voix, regard d’azur ;
Il ressemble à cette étoile qui scintille au firmament,
Dans mon ciel clair et sans voile, resplendit son front charmant !
Suis ta route sans entrave ! Mais au moins ne défends pas
Aux regards de l’humble esclave d’épier de loin tes pas !
Dans ma douleur solitaire ne vois pas pleurer mes yeux !
Ne regarde pas la terre, toi qui planes dans les cieux !
Quelque jour à la plus belle tes destins seront unis !
Je m’incline devant elle, et je la bénis !
Je veux même lui sourire, lui sourire dans mes pleurs !
Que mon âme se déchire, j’ai le prix de mes douleurs !