Michael Köhlmeier est écrivain et musicien. Il a écrit des romans, des nouvelles, des livrets d'opéra, des pièces radiophoniques...
Il a fait des études de politique et d'allemand à l'Université de Marburg (Allemagne), et de Mathématiques et de philosophie à Giessen et Francfort. Il a fait des émissions de radio dans lesquelles il parle de mythes antiques et bibliques.
Avec Reinhold Bilgeri, il a monté des programmes de cabaret et écrit des chansons, qu'ils interprètent tous deux sous le nom de Duo Bilgeri & Köhlmeier.
Il a écrit des chansons en dialecte Voralberg (un dialecte alémanique) avec le groupe Schellinski.
En 1981, il a épousé l'écrivain Monika Helfer. Leur fille, Paula Köhlmeier, est décédée dans un accident en 2003, à l'âge de 21 ans. Michael lui a dédié son livre Idylle avec chien qui se noie (Idylle mit ertrinkendem Hund, 2008).
(merci Wikipedia).
Idylle avec chien qui se noie (Idylle mit ertrinkendem Hund, 2008). Traduit par Stéphanie Lux en 2011. Editions Jacqueline Chambon, 94 pages.
Le livre est dédié :
"pour Monika
pour Oliver
pour Unidne
pour Lorenz
pour notre chère Paula"
"Seuls trois de mes livres ont été relus par mon éditeur, le Dr Beer. Il a interrompu son travail sur le quatrième - il me l'annonçait dans une lettre manuscrite - pour « raison de santé ». J'ai une meilleure explication. Il s'est senti honteux vis-à-vis de moi, à cause de ce qui s'est passé la dernière fois que nous avons travaillé ensemble, à cause de l'histoire du chien. [...]
Quelques jours à peine avant les événements en question, il m'avait offert de le tutoyer. Voilà qui m'avait véritablement pris par surprise !" (page 11).
Moment de gêne, car le tutoiement n'est pas naturel entre les deux hommes.
Le Dr Beer est un grand professionnel de l'édition, très respecté pour son travail.
"Cependant, je l'avais toujours soupçonné de ne s'intéresser ni aux romans, ni aux récits, ni aux nouvelles, ni aux essais, intrigues, personnages, dialogues ; de ne tout simplement pas s'intéresser à la littérature, mais uniquement à la virtuosité dans le maniement de celle-ci ; j'avais toujours soupçonné que tout autre chose lui tenait à coeur. Je n'avais toujours pas la moindre idée de ce que cela pouvait être." (page 14).
Cet éditeur, avec qui il semble que personne n'ait jamais parlé d'autre chose que de littérature, ou de la météo et de la circulation à Francfort, va venir dans la maison du narrateur, à Hohenems, petite ville d'Autriche propice aux balades. Cela tombe bien, l'éditeur adore ça.
"Il hissa sa valise sur le traîneau - un grand machin en aluminium qui était aussi lourd que s'il avait prévu de rester trois semaines chez nous -, et nous tirâmes le traîneau ensemble pour traverser la route qui ressemblait chaque jour davantage à une piste sur laquelle il y avait plus de traces de sabots et de skis que de pneus de voitures." (page 23).
La rencontre avec Monika, la femme du narrateur, ses plantes, leurs réactions, tout cela est très amusant.
Puis arrive le chien, celui du titre si étrange... un titre qui exprime bien autre chose que ce qu'il dit factuellement.
Progressivement, le narrateur /auteur parle de Paula, sa fille morte d'un accident en montagne.
"Nous ne dormons plus très bien, depuis que Paula est morte. C'est-à-dire que nous ne dormons plus d'une traite. Monika dit que maintenant elle s'y est habituée. Pas moi. Je me réveille et je sens en moi une sorte de faiblesse, je me dis : je n'ai plus la force de dormir. Avant, cette idée m'aurait semblé paradoxale. Comment aurait-on besoin de forces pour dormir, puisque le sommeil vient précisément quand on est à bout de forces ? Je peux me forcer à écrire, je peux me forcer à sortir me promener, à lire, tous les deux mois je me force à faire la liste de mes revenus et de mes dépenses pour notre conseillère fiscale, lors de conversations avec des amis, je parviens à mobiliser des forces que je croyais épuisées depuis longtemps [...] ; mais je n'ai pas la force de dormir." (pages 60-61).
Alors, il va sur des forums, lit Wikipedia, devient un spécialiste amateur de la philosophie médiévale, "imagine même comprendre la preuve de l'existence de Dieu par Anselme de Cantorbéry [...]. Johann Sebastian Bach fournit la bande originale de ces heures d'oppression, de silence, d'obscurité et d'étude - pendant de nombreuses nuits, j'écoutai encore et encore des extraits de L'Art de la fugue, essayant de pénétrer la structure de cet immense enchevêtrement fait de doubles, de triples, de quadruples fugues, de fugues en miroir et de canons dans tous les intervalles de transposition possibles ; chaque fois, la musique me laissait un peu plus insensible. La nuit, je n'envie pas celui que je suis dans la journée ; mais la journée, j'ai un peu peur de celui qui a des besoins, des pensées, un rythme si différents la nuit, tout est un peu plus sourd, plus logique, plus mystique, plus médiéval - ce qui, le lendemain, ne transparaît que sous forme de fatigue." (pages 61-62).
Quelle est la part du vrai, quelle est la part du faux ? Le texte est évidemment très fortement autobiographique, les noms, les faits (le décès de la fille de l'auteur)... Mais les anecdotes, les détails... On n'en sait rien, et c'est sans doute un des sujets du livre : la différence entre les événements de la vie et les événements racontés dans un livre. Que faut-il changer, arranger pour faire une oeuvre ?
Vers la fin, le narrateur raconte à son éditeur une anecdote qui lui est arrivée. Et voici ce que lui dit l'éditeur, toujours très professionnel :
"Dans la seconde partie de l'histoire, au lieu de décrire vos propres sentiments, vous devriez introduire un souvenir bref et marquant d'un événement personnellement vécu, qui ne raconte rien de comparable, mais laisse de la place aux associations...
- Mais je ne veux pas écrire cette histoire ! » l'avais-je interrompu.
Il avait répondu : « Ne me racontez pas ce que vous ne voulez pas écrire ! Je suis votre éditeur ! »" (page 94).
Dans quelle mesure l'écrivain a-t-il suivi ce conseil ? Est-ce que cette anecdote, qui ne suffit pas à faire un récit, est justement un souvenir bref et marquant dont parle l'éditeur, qui sert à créer une association avec une autre partie du livre ?
A quoi sert la littérature ? Quel est son pouvoir ? Dans une discussion qu'il imagine (car la réalité, même celle du livre, ne suffit pas) avec son éditeur :
"- Je ne veux pas me limiter à ce qu'elle a vécu. Que sa vie, dans la littérature aussi, se termine à vingt et un ans. Je ne veux pas.
- Et si tu te contentais d'écrire
tes souvenirs, sans trop réfléchir à tout ça ?
- Je n'ai pas besoin de ça. J'en aurais peut-être besoin si j'étais seul. Monika et moi revenons constamment sur sa vie. Tous les souvenirs s'arrêtent dans sa vingt et unième année. Je veux écrire ce qui aurait pu se passer ensuite. Pour que ce soit extérieur à moi, tu comprends ?" (page 72).
La littérature peut-elle raconter la suite d'une vie finie trop tôt, peut-elle écrire une vie différente, changer le cours des événements ? Le titre du livre est important, aucun doute là-dessus. Le chien se noie... c'est du présent, un présent figé, qui n'en finit pas. Le fait est toujours là, le drame est du présent.
Finira-t-il noyé, le chien ? Ou pourra-t-il être sauvé ?
Et l'idylle du titre, qu'est-ce donc, exactement ? L'absence de malheur ?
A noter que, contrairement à ce que dit la quatrième de couverture ("Deux hommes se promènent le long du Rhin, plongés dans une discussion sur la littérature"), le narrateur et l'éditeur (personnage d'ailleurs trop incroyable pour être vrai, mais qui sait ?) ne se parlaient pas au moment en question. Chacun est trop conscient de ce que valent ses propres phrases, de leur construction. A part lorsqu'ils travaillent, ils ont du mal à communiquer de façon naturelle.
"Se taire ensemble, comme Joseph Conrad et Ford Madox Ford le faisaient à la perfection, nous ne l'avions tous deux jamais appris. Et en tant qu'éditeur il savait que même pour célébrer le silence, il faut une voix." (page 71).
Un excellent livre, qui n'est pas "bêtement" de l'autofiction, et qui ne verse pas dans le sentimentalisme.
Autre livre traduit en français :
- Ta chambre à moi