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Hartmut LANGE
(Berlin, 1937 - )


hartmut lange

Hartmut Lange est né à Berlin en 1937. Il est le fils d'un boucher et d'une vendeuse de magasin.
En 1939, sa famille est déplacée en Pologne.
En 1946, il est de retour à Berlin-Est avec sa mère.
Il fait des études de dramaturgie à la Deutschen Hochschule für Filmkunst de Potsdam-Babelsberg, puis est dramaturge pour le Deutsches Theater de Berlin-Est en 1964-1965.
Il passe à Berlin-Ouest en 1965.
Il est directeur de divers théâtres, et écrit des pièces de théâtre, des essais, des romans, nouvelles...

le houx
Illustration de couverture : Egon Schiele, Prunier et fuchsias, détail. Darmstadt. Hessisches Landesmuseum.


Le Houx
(die Stechpalme, 1993). Traduit par Bernard Kreiss. Fayard. 140 pages.

Il s'agit d'une longue nouvelle qui commence par la réception d'une lettre.
" « Qu'est-ce que c'est que cette lettre ! »
Manfred Eichbaum avait pâli et tendait à sa femme une enveloppe ouverte.
« Tu sais qui a écrit ça ?
- Non », répondit Carla, et elle quitta la chambre car elle était en train de ranger la vaisselle.
[...]" (page 7).
Manfred Eichbaum relit les "lignes écrites sur un papier terne, fibreux.
Cher Eichbaum,
Tu vas avoir soixante ans et le fait que ta femme n'en ait que quarante et un ne saurait te laisser indifférent
." (pages 7-8).

Eichbaum dirige une petite maison d'édition qui se porte plutôt bien. Mieux que lui qui, pour le moment, a une jambe dans le plâtre.
"Depuis combien de temps était-il diminué de la sorte après s'être cassé la jambe ? Près d'un trimestre déjà. Et si l'on ajoutait à cela le premier accident, cela faisait quatorze mois que Manfred Eichbaum n'était plus en pleine possession de ses moyens." (page 8).

Sa femme Clara a ouvert une petite galerie d'art, dans laquelle elle expose principalement les autres, mais aussi ses oeuvres à elle, parfois.

Rapidement, page 25, notre pauvre Eichbaum reçoit une nouvelle lettre. Et là, les détails personnels sont vraiment plus précis, et même impossiblement précis, si l'on peut dire. À la limite de la magie.
Il se demande qui donc lui envoie ces lettres... et dans quel but ? Enfin, le but semble évident : le faire douter de la fidélité de sa femme, et le faire douter de lui-même, de ses capacités physiques... A-t-il affaire à un jaloux ?
Et, il a beau se le nier, le but est atteint : il commence à avoir des soupçons au sujet de sa femme, à redouter l'arrivée du courrier... Est-ce que tout va vraiment bien entre Eichbaum et sa femme ?
Et que penser du comportement étrange du houx qu'il a planté, et qui semble se développer anormalement vite ? Est-il là pour montrer que le monde se dérègle ? Que symbolise-t-il ? J'avoue ne pas bien maîtriser la symbolique du houx.

A plusieurs reprises, Eichbaum pense à quelque chose qui semble important, comme le clef du problème : "[...] il lui vint alors à l'esprit... Oui, qu'est-ce qui lui vint à l'esprit, au juste ?" (page 94).
Bonne question.
Dans cette optique-là (on ne nous dit pas tout), la fin du livre est un peu frustrante, mais il était impossible qu'il en fût autrement.
Finalement, Eichbaum veut-il vraiment savoir ? Manifestement non, son comportement le démontre à plusieurs reprises.

Mais l'histoire est bien menée et les personnages, très bien dessinés, existent.

C'est un bon livre.

le voyage de formation


Le Voyage de formation (Die Bildungsreise, 2000). Traduit par Michel François Demet. Editions Jacqueline Chambon. 120 pages.

"Müller-Lengsfeldt était assis au bord du Palatin et regardait le Forum à ses pieds. C'était une place qui donnait l'impression d'être fortement en pente." (page 5).
Müller-Lengsfeldt, "éducateur artistique" de son état - il est professeur de dessin à Berlin - s'est inscrit à un voyage organisé.
"« Faites connaissance de manière directe avec Rome », disait le prospectus en caractères gras. Müller-Lengsfeldt avait saisi cette occasion sans hésiter." (page 6).

Le but de ce voyage d'études est de suivre les traces du fameux historien d'art Johann Joachim Winckelmann, décédé en 1768 (on pourra lire la très intéressante notice biographique sur Wikipedia, ici, mais bien sûr, du coup il y aura moins de découvertes à la lecture du roman).

Un certain M. Schmeer, qui aura son importance, fait aussi partie du groupe.
M. Schmeer dispose d'un livre qui reproduit les principaux lieux et monuments de Rome tout en permettant de les voir avec les couleurs d'origine.
"Il avait placé la feuille de plastique multicolore sur la photographie du Circus Maximus, mais cette fois Müller-Lengsfeldt refusa d'y jeter un regard.
« Quel manque de goût », se contenta-t-il de dire et Müller-Lengsfeldt laissa sans commentaire la remarque de M. Schmeer selon lequel ce qui importe, vulgaire ou pas, c'est de rendre la vie à l'Antiquité en regardant ses ruines.
" (page 9).
Le petit groupe est conduit par Mme Ziegler.
M. Schmeer semble poursuivre Mme Ziegler de ses assiduités. Il est aux petits soins avec elle. Son comportement agace Müller-Lengsfeldt. Car Müller-Lengsfeldt n'est lui-même pas insensible au charme et à l'intelligence de Mme Ziegler.
Il se sent supérieur à ce balourd de Schmeer. Il reste que Schmeer s'est mieux préparé à ce voyage que Müller-Lengsfeldt. Il a emporté des livres.

"Sur l'aire dégagée par les mauvaises herbes et au centre d'un petit tertre herbu, tous virent un grand oiseau s'élever, comme si on l'avait effarouché. [...]
« Un faucon pèlerin », dit quelqu'un.
Personne ne releva la remarque et Mme Ziegler continua à expliquer comment roulaient les chars dans la Rome ancienne et pourquoi c'était dangereux.
" (page 9).
Ce faucon pèlerin a un comportement étrange. Il semble indiquer un dérèglement du réel, ou plutôt du réel perçu par Müller-Lengsfeldt. Ce volatile est une menace. Peut-être. Ou un avertissement.
Mais Mme Ziegler continue.
"M. Schmeer, mais d'autres aussi, prenait des notes et, au bout d'un quart d'heure, on savait que les grandes oeuvres du Ve et du IVe siècle avant Jésus-Christ, les sculptures de Phidias, Polyclète et Praxitèle, et plus particulièrement l'Apollon du Belvédère, produisaient chez le spectateur une impression qui était autre chose qu'un agrément ne tirant pas à conséquence.
« On peut, Winckelmann en était convaincu, susciter, surtout chez les jeunes gens, l'enthousiasme pour le Beau et le Vrai. »
" (page 22).
Apollon du Belvédère
(là, je me permets une digression en copiant/collant un passage trouvé sur Wikipedia à propos de cette oeuvre :
"Claude Duneton, dans son ouvrage La Puce à l'oreille tend à établir un lien entre la statue de l'Apollon du Belvédère et l'expression « un navet » que l'on attribue aux œuvres d'art jugées médiocres, et plus particulièrement aujourd'hui aux films. Selon Duneton, à la fin du xviiie siècle, les jeunes étudiants en art de passage à Rome, agacés par les concerts de louanges entretenus autour de l'œuvre, la nommèrent « le navet épluché », eu égard « à la forme allongée et lisse de ses membres, dont la musculature n'apparaissait pas ». La plaisanterie gagna Paris lorsque l'œuvre y fut transférée en 1798 lors des campagnes napoléoniennes. Le terme de navet s'appliqua progressivement non seulement aux sculptures, mais aussi aux dessins et peintures dont on désirait contester la qualité. Il passa au xxe siècle de la toile peinte à l'écran de cinéma, désignant aujourd'hui un film sans intérêt." )

Alors que chez les autres membres du groupe il y a "cette familiarité un peu trop rapide qui s'instaure inhabituellement entre des gens qui voyagent ensemble" (page 24), Müller-Lengsfeldt reste sur son quant-à-soi.

Le voyage touche à sa fin : "Au lieu de découvrir pourquoi Winckelmann avait brusquement quitté Rome, en prenant les jambes à son cou pour ainsi dire, et avec tous les signes d'une crise nerveuse, on avait préféré prendre l'avion pour Berlin." (page 62).
C'est donc trop rapide. Il faut continuer à enquêter, à suivre la trace, froide depuis longtemps, du passage du grand historien.
C'est ce que va faire Müller-Lengsfeldt de façon obsessionnelle.

C'est très étrange : Winckelmann est un historien d'art connu, et il existe forcément des livres bien renseignés qui racontent sa vie par le détail, ainsi que les circonstances entourant sa crise nerveuse, son décès. Mais Müller-Lengsfeldt va se lancer à corps perdu - et à santé mentale perdue - dans une enquête. Tout seul. Winckelmann et sa vie occupent tout son esprit. Tout le monde doit s'intéresser à Winckelmann.

L'atmosphère objective de dérèglement mental est très bien rendue.

Le faucon pèlerin semble remplir un rôle un peu analogue au houx du roman Le Houx. On sent qu'il a une importance symbolique négative.
Les deux livres décrivent un dérèglement mental, mais Le voyage de formation va plus loin.

Curieux roman.
Très curieux, même.
Perplexité.

 

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