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Thomas MANN
(Lübeck, 6/06/1875 - Zürich, 12/08/1955)


thomas mann  

Il est l'un des plus grands écrivains allemands du XX° siècle.

Il est né à Lübeck le 6 juin 1875 dans une famille de riches négociants en grains. Il a deux frères et deux soeurs.
la maison   maison
La maison familiale "des Buddenbrook" en 1870... et en juillet 2011 (c'est la maison en blanc, qui est maintenant un musée ; il n'en restait pas grand chose après les bombardements de la Seconde Guerre Mondiale).

Son père, Thomas Johann Heinrich Mann est élu au Sénat de la ville de Lübeck en 1877 ; sa mère née Julia da Silva-Bruhns, est originaire du Brésil et issue d'une famille de commerçants germano-brésilienne.

thomas johann heinrich mann  thomas johann heinrich mann       silvia bruhns  silvia bruhns
Tous ces éléments se retrouveront notamment dans Les Buddenbrook et Tonio Kröger.
1891 : le père de notre futur écrivain décède à 51 ans. Son testament prévoit dissolution de la maison de commerce. Thomas Mann est un mauvais élève, il redouble deux fois.
1892 : sa mère sa mère s'installe à Munich, laissant Thomas Mann en pension à Lübeck. Il la rejoindra en 1894.
1893 : il publie pour la première fois dans une petite revue (qui ne comprendra que deux numéros).
1894 : il travaille quelques mois dans une société d'assurances, qu'il quitte l'année suivante. Il rédige ses premiers récits. Il s'inscrit à l'Université technique de Munich pour devenir journaliste.
1895 : son frère Heinrich prend la direction d'une revue conservatrice. Thomas y publiera des articles.
1896 : Thomas visite l'Italie (Vesnite, Rome, Naples) avec Heinrich.
1897 : un éditeur lui commande une œuvre d'ampleur en prose : ce seront les Buddenbrook, parus en 1901. En 1903, c'est Tonio Kröger.
1899 : il voyage au Danemark (influence sur Tonio Kröger).
heinrich et thomas mann
Heinrich et Thomas Mann. Vers 1902.
1905 : il se marie en février avec Katia Pringsheim, une famille importante de Münich. Katia interrompt ses études de physique et de mathématiques. Son père, Alfred Pringsheim, était un mathématicien, mécène juif converti au protestantisme, et artiste à ses heures. Il apparaîtra sous le nom de Samuel Spoelman dans la Montagne magique.
katia mann
Longtemps avant de connaître Katia, Thomas Mann avait dans sa chambre une reproduction de cette toile, sur laquelle se trouve Katia, à gauche :
kinderkarnaval
Friedrich August von Kaulbach (1850-1920): Kinderkarnaval, 1888. Cette toile représente les cinq enfants de la famille Pringsheim en costume de Pierrot.

Erika, la fille de Thomas et Katia, naît en novembre 1905; Klaus Mann en 1906 ; Golo Mann en 1909 ; Monika en 1910 ; Elisabeth en 1918 et Michael en 1919.
mann 1906
Thomas Mann avec sa fille Katia. 1906.  
1910 : suicide de Carla Mann, sa plus jeune soeur.
1911 : séjour à Venise.
1912 : parution de Mort à Venise.
"La ville de Venise et L'Hôtel des Bains sur l'île du Lido, où séjourne Mann en mai-juin 1911, sont au cœur de cette nouvelle inspirée par la mort du compositeur Gustav Mahler que Mann apprend précisément le 18 mai 1911. Mais c'est aussi à Venise qu'est mort, en 1883, Richard Wagner à qui Mann dédie un essai durant la même période. Enfin, c'est sur la plage du Lido que Mann voit se réveiller son homosexualité latente devant la beauté d'un jeune noble polonais de quatorze ans. Cette œuvre que Mann désigne comme "une tragédie" est une réflexion sur la mort, le mal et son rapport à l'art, le sens de la culture. Œuvre profondément personnelle en rupture avec le naturalisme des débuts, La Mort à Venise exprime les angoisses d'un homme aux prises avec ses propres démons, marqué par la maladie et la mort de ses proches (sa femme souffre d'une maladie pulmonaire et sa sœur Carla s'est suicidée l'année précédente) et enfin par la menace de guerre qu'il perçoit dans la crise franco-allemande de 1911." (Wikipedia).
La première guerre mondiale "marqua un point d'arrêt dans sa brillante ascension. Thomas Mann, prenant le parti de l'Allemagne impériale, se jetant dans la mêlée intellectuelle qui doublait celle des champs de bataille [...]. Les Pensées de Guerre (1914) expriment un égarement nationaliste et belliciste inexplicable." (Dictionnaire de Auteurs, Robert Laffont).
A la fin de la guerre, il reprend son activité littéraire
Sa femme Katia avait fait un séjour dans un sanatorium à Davos, où Thomas Mann lui avait rendu visite (de mai à juin 1912). Cela, et la guerre, seront à la base de son roman La Montagne Magique (1924).
1927 : suicide de sa soeur Julia, née en 1877.
mann
Thomas Mann, sa femme et ses deux plus jeunes enfants, Elisabeth et Michael, en 1927.
1929 : il obtient le prix Nobel de Littérature "Principalement pour son grand roman, Les Buddenbrook".
mann et le nobel
Thomas Mann pendant son discours lors de la réception du Prix Nobel.
1930 : Thomas Mann évoque le danger de la monté du fascisme dans la nouvelle Mario et la Magicien.
mann 1931
Thomas Mann, sa femme et ses enfants Erika et Klaus devant la maison de la famille. 1931.
En 1933, il émigre en Suisse, près de Zurich.
1936 : il est déchu, ainsi que sa femme et ses enfants, de sa nationalité allemande.
Il vit aux Etats-Unis à partir de 1938, à Princeton, puis en Californie, où il écrit Le Docteur Faustus (1947).
1944 : il devient Américain.
mann frido
Thomas Mann et deux de ses petits-fils (les enfants de Michael, 1919-1977), Frido et Toni, à Pacific Palisades, 1948. Photo de Florence Homolka.
1949 : suicide de son fils Klaus. Thomas revient pour la première fois en Allemagne.
1952 : il s'installe en Suisse.
1954 : publication de Felix Krull
Il décède le 12 août 1955 à Zurich.

"Sans qu'il y ait jamais identité complète entre l'écrivain et ses personnages, ceux-ci lui sont toujours apparentés, encore qu'il serait difficile de dire dans quelle mesure." (Dictionnaire des Auteurs, Robert Laffont)

On trouvera l'arbre généalogique des Mann sur : http://fr.wikipedia.org/wiki/Mann_(famille)

De nombreuses photos et articles sont à voir/lire notamment sur http://www.welt.de/kultur/article1193772/Die_Manns.html et sur http://burusi.wordpress.com/2010/06/02/thomas-mann/

buddenbrook
Les Buddenbrook à Bordeaux, le 5 mai 2011.

Les Buddenbrook. Déclin d'une famille. (1901), traduit de l'allemand par Geneviève Bianquis. La Pochothèque (Romans et nouvelles I). 632 pages.
"Compte tenu des traductions, Les Buddenbrook ont à l'heure actuelle largement dépassé les dix millions d'exemplaires. Sans être immédiat, le succès ne s'est pas fait attendre bien longtemps. Sortis de presse en octobre 1901, ils s'imposèrent dès 1902 après la publication de critiques enthousiastes, signées Rainer Marie Rilke et Samuel Lublinski. Depuis lors, la faveur du public est restée constante, ce qui a fait dire à l'auteur que Les Buddenbrook étaient sans doute la seule oeuvre qui lui survivrait." (introduction, page 271).
"Souvent à juste titre, beaucoup de Lubeckois se sont crus caricaturé et ont nourri envers ce fils dénaturé de la bourgeoisir locale une rancoeur tenace. Mais les Buddenbrook sont tout autre chose qu'un roma à clefs et l'ignorance des détails historiques ne nuit en rien au plaisir du lecteur. (introduction, page 276).


Au début de ce grand roman, nous sommes en 1835. Les Buddenbrook sont des commerçants de céréales. Nous allons suivre leur destin sur plusieurs générations.

"
On s'était réuni dans le « salon des paysages », au premier étage de l'antique et spacieux hôtel que la maison Johann Buddenbrook venait d'acquérir dans la Mengstrasse et que la famille occupait depuis peu. Les tapisseries solides et souples, séparées des murs par un espace vide, représentaient de vastes paysages aux couleurs tendres, comme le mince tapis qui revêtait le sol, des idylles dans le goût du XVIII° siècle : joyeux vignerons, laboureurs diligents, bergères joliment enrubannées qui, penchées sur le miroir de l'onde, tenaient sur leurs genoux des agneaux bien peignés ou échangeaient des baisers avec de galants bergers..." (page 298).
Les invités vont arriver.
"
-A quelle date remonte la construction de la maison ? demanda M.Hoffstede par-dessus la table au vieux Buddenbrook, qui s'entretenait sur un ton jovial et quelque peu narquois avec Mme Köppen.
- A l'année... Attendez donc... vers 1680, si je ne me trompe. D'ailleurs mon fils est plus au courant que moi de ces dates...
- 1682, confirma en s'inclinant le consul, qui était assis tout au bout, sans voisine de table, à côté du sénateur Langhals. C'est pendant l'hiver de 1682 qu'elle fut achevée ; sous Ratenkamp et Cie, elle connut alors une fortune des plus brillantes. Triste, la décadence de cette firme depuis ces vingt dernières années !
Un arrêt général de la conversation s'ensuivit, qui dura une demi-minute. Chacun baissait les yeux sur son assiette, pensant à cette famille jadis si brillante qui avait bâti et habité cette maison et qui, appauvrie, déchue, s'en était allée...
" (page 309).
Et on s'interroge sur le destin de certaines familles. Et on se ressaisit, on boit du vin !

"Père... nous venons de nous réunir dans la joie, nous avons fêté une belle journée, nous étions fiers et heureux dans la conscience d'avoir atteint quelque chose... d'avoir porté notre maison, notre famille à une hauteur qui lui assurera, dans la plus large mesure, l'estime et la considération de tous..." (page 332).


On a déjà vu le pater familias, Johann Buddenbrook aîné, et son fils (le "consul") Johann ; mais les personnages principaux sont de la génération suivante, Christian, et surtout Thomas et leur soeur, Tony (Antonie).

Le consul tient le journal de la famille, journal qui a son importance, car il donne une valeur historique à tous les événements de la famille.
"Le consul ne s'attarda pas à ces pages et commença à lire au hasard quelques lignes se rapportant à l'époque de son mariage et de sa première paternité. Cette union, à parler franc, n'avait pas été précisément ce qu'on appelle un mariage d'amour. Son père lui avait frappé sur l'épaule pour lui désigner la fille du riche Kröger qui apportait à la maison une dot imposante, et lui, acquiesçant de bonne grâce, avait désormais honoré en son épouse la compagne que Dieu lui confiait." (page 337).
Le consul a le sens du devoir, il honore Dieu, ne se pose pas trop de questions. "La plume courait toujours, glissait, agile, et, dessinant çà et là une fioriture toute commerciale, elle s'adressait à Dieu pendant des lignes et des lignes." (page 335). Il y a fréquemment une petite trace d'humour.

Le consul s'adresse à sa fille Tony :
"Nous ne sommes pas nés, ma chère fille, pour réaliser ce que notre courte vue considère comme notre petit bonheur personnel, car nous ne sommes pas des individus libres, indépendants, doués d'une existe propre ; nous sommes pour ainsi dire les anneaux d'une chaîne et, comme tels, nous ne saurions être imaginés sans la série de ceux qui nous ont précédés et nous ont frayé le chemin en suivant eux-mêmes avec rigueur et sans détourner leur regard du but, une tradition éprouvée et vénérable." (page 420)

Le consul est prudent. Il se souvient de "cette recommandation de mon aïeul, le fondateur de notre maison de commerce : « Mon fils, consacre avec joye le jour aux affaires, mais non point à celles qui, la nuit, troubleroient ton sommeil." (page 444). Cela veut dire : pas de spéculation.
Ah, que ce temps est révolu !

Ses deux fils sont très différents (comme il se doit dans un roman exemplaire), ou plutôt ils ont pris deux chemins différents.
C'est Thomas qui parle à sa soeur : "« Je vais te dire une chose, reprit-il après un silence, en jetant sa cigarette dans le poêle à travers la grille en fer forgé... J'ai moi-même réfléchi parfois à cette préoccupation anxieuse, vaine et curieuse de soi-même ; autrefois, j'y étais aussi enclin. Mais j'ai remarqué que cette préoccupation vous rend distrait, incapable et inquiet ; et la tenue, l'équilibre, c'est, à mon avis, la chose essentielle. Il y aura toujours des gens autorisés à s'intéresser ainsi à eux-mêmes, à observer minutieusement leur sensation ; ce sont les poètes, qui savent exprimer, de façon précise et harmonieuse, leur vie intérieure et enrichir, par là, la vie sentimentale des autres. Mais nous, nous ne sommes que de simples commerçants, mon enfant ; les observations que nous faisons sur nous-mêmes sont d'une insignifiance lamentable." (page 519).

Christian, lui, est à l'écoute de ses états d'âme, il est un artiste sans moyen d'expression, il n'excelle que dans l'imitation. Le thème de l'artiste par opposition avec le bourgeois, on le retrouvera dans Tonio Kröger.
Parfois, comme dans un bon roman-feuilleton, Thomas Mann use de certaines facilités : "[...] n'était ni le dernier, ni le plus rude coup qui devait la frapper. Comme l'année 1859 touchait à sa fin, il arriva une chose terrible..." (page 606). Et d'embrayer sur un nouveau chapitre. Tadam ! Et le lecteur tourne les pages pour savoir ce qui va arriver...

Il y a de très belles pages sur la musique dans le dernier tiers du livre (par exemple pages 718-179), mais un des thèmes les plus importants, c'est la mort. On suit plusieurs générations, les gens passent.

"Mme Buddenbrook, maintenue par de nombreux oreillers, était couchée sur le dos, et ses deux mains, ses belles mains veinées de bleu pâle, si maigres à présent, si décharnées, caressaient rapidement et sans arrêt la courtepointe avec une sorte de hâte frémissante. Sa tête couverte d'un bonnet blanc se tournait sans répit, de côté et d'autre, sur un rythme terrifiant. La bouche dont les lèvres semblaient rentrer en dedans s'ouvrait et se fermait avec un claquement à chacun de ses pénibles efforts de respiration, et le regard des yeux enfoncés errait comme s'il quémandait du secours et s'arrêtait parfois avec une émouvante expression d'envie sur l'une des personnes présentes, habillées, capables de respirer, maîtresses de leur vie et qui ne pouvaient rien de plus pour elle que lui donner ce dernier témoignage d'affection qui consistait à garder les yeux fixés sur ce spectacle." (pages 771-772). Mais il y a un peu d'humour (noir) pour faire passer tout cela, notamment avec la description des laquais qui emportent le cercueil... (page 792).

La mort, donc, mais aussi le devoir, comme on l'a vu, l'aspiration à autre chose.

"A travers les fenêtres grillagées de son individualité, l'homme fixe un regard désespéré sur les enceintes concentriques des circonstances extérieures, jusqu'au jour où la mort vient le rendre à sa patrie, la liberté.
L'individu ? Hélas ! tout ce que l'on est, tout ce que l'on sait, tout ce que l'on a semble pauvre, terne, insuffisant et ennuyeux. Mais ce qu'on n'est pas, ce qu'on ne sait pas et ne possède pas, voilà ce qui nous inspire cette aspiration jalouse qui devient de l'amour, de peur de devenir de la haine
." (page 845).

Il y a également de belles descriptions de la mer, et quelques réflexions comme celle-ci :
"Mais de quelle trempe sont les hommes qui préfèrent la mer à la montagne ? Il me semble que ce sont ceux qui ont trop longtemps observé la complication des choses intérieures pour ne pas exiger des choses extérieures une qualité à tout le moins : la simplicité. [...] On grimpe hardiment parmi la merveilleuse diversité des formes accidentées, hérissées, ravinées, pour mettre à l'épreuve sa force vitale encore intacte. Mais on aime à se reposer devant la vaste uniformité du monde extérieur quand on est las de toutes les complications extérieures." (page 857).

A un moment, un des personnages principaux lit un Schopenhauer, qui lui fait apercevoir des horizons qu'il ignorait. Mais il se fait reprendre par les futilités de la vie quotidiennes, ses devoirs, et finalement le livre regagne la bibliothèque. Une sorte d'occasion manquée, la victoire du quotidien futile sur la profondeur. Voilà pourquoi il faut lire les chefs-d'oeuvres sans trop s'éparpiller sur des ouvrages de second ordre (sauf bien sûr par récréation ou pour se persuader de temps à autre qu'il y a effectivement un gouffre entre ces livres de second ordre et les chefs-d'oeuvre).


Un chef-d'oeuvre, donc, un livre passionnant, plein de personnages vivants, profond, remarquablement écrit par un homme de vingt-six ans. Ce livre fera beaucoup pour l'attribution de son Prix Nobel en 1929.





Tonio Kröger (1903), traduit de l'allemand en 1923 par Félix Bertaux, Charles Sigwalt et Geneviève Maury. 154 pages
"Il est vrai qu'elle retrace le cheminement spirituel de sa jeunesse et justifie par là une tendresse particulière. [...]
Le sentiment d'assister en quelques dizaines de pages à un long processus de maturation aboutissant à la réconciliation de l'art et du monde bourgeois, dont le divorce avait amené la faillite finale des Buddenbrook dans le roman de 1901, ne pouvait que répondre à l'attente du public.
L'engouement des premiers lecteurs n'explique cependant pas la persistance du succès. " (extrait de la présentation d'Armand Nivelle, pages 5-6).

Une des clefs est indiquée un peu plus loin :
"Et pourtant le récit fait encore merveille auprès des jeunes et l'analyse inquiète de son identité continue de les toucher."

Tonio est bourgeois par son père et bohème par sa mère, qui est d'origine exotique, non-allemande, tendance des pays chauds. C'est cette dualité qui est au coeur du texte.
Le petit Tonio est attiré par la littérature.
Rapidement, il a un sentiment de solitude (ou plutôt de non-appartenance) par rapport aux gens de sa classe, les gens blonds aux yeux bleus, les gens nordiques, bref les bourgeois. Il envie leur simplicité, leur vivacité, le fait qu'ils savent ce qu'ils sont, qu'ils ne se posent pas trop de questions (en gros, s'ils vivaient à notre époque, ils regarderaient Mimie Mathy sur TF1 au lieu de taper ce compte-rendu). Bref, ils sont heureux mais, comme son ami, préfèrent regarder des photos de chevaux plutôt que de parler du Don Carlos de Schiller (à notre époque : lire Gala ou Musso plutôt que Thomas Mann).
Le temps passe, il a son lot de déceptions, notamment sentimentales. Mais qu'y faire ? Il est toujours entre deux chaises.
Il faut qu'il quitte Lübeck, au moins pour un temps, et qu'il vive autre chose, peut-être une vie de bohème... Mais ne sera-ce pas une impasse, également ? Est-il resté un bourgeois dans l'âme ?
Il est entre deux mondes, ce qui est suggéré par l'origine méditerranéenne de son prénom, Tonio, et son bon nom allemand, Kröger.
Saura-t-il faire un synthèse, prendre ce qu'il faut de chacun de ces deux mondes pour en faire une fusion artistique qui tienne la route ? Lier l'artiste bohémien et le terre-à-terre bourgeois ? Ne pas mépriser ce qu'il y a de banal et de simple dans l'Homme ? Saura-t-il analyser le monde qui l'entoure comme artiste sans s'en exclure (= sans mépriser les fans de Mimie Mathy ou les lecteurs de Marc Lévy) ? L'art ne se bâtit-il pas sur la vie ?

Du point de vue de la forme, chaque chapitre présente Tonio à un moment de sa vie, depuis son enfance à Lübeck.
Voici le début :
"
Le soleil d'hiver, caché derrière des couches de nuages, ne versait qu'une pauvre clarté laiteuse et blafarde sur la ville resserrée entre ses murailles. Les rues bordées de pignons étaient mouillées et pleines de courants d'air, et, par moments, tombait une espère de grêle molle qui n'était ni de la glace ni de la neige.
L'école était finie. A travers la cour pavée et hors de la grille, le flot d'enfants rendus à la liberté s'écoulait, se divisait et s'enfuyait à droite et à gauche.[...] Mais de temps à autre tous, d'un air vertueux, enlevaient leurs casquettes devant quelque professeur à chapeau de Wotan et à barbe de Jupiter qui s'éloignait d'un pas mesuré.
« Viens-tu à la fin, Hans ? » demanda Tonio Kröger qui avait attendu longtemps sur la chaussée. [...]
« Quoi donc ? demanda le jeune garçon, et il regarda Tonio. Ah ! c'est vrai, nous allons encore faire un tour tous les deux. »
Tonio ne dit rien et ses yeux se voilèrent. Hans avait-il donc oublié, se souvenait-il seulement maintenant, qu'aujourd'hui à midi, ils devaient aller se promener ensemble, alors que lui n'avait pas cessé de s'en réjouir depuis que la chose avait été convenue ?
" (pages 40-41).

C'est bien écrit, c'est vivant (beaucoup plus que Mort à Venise, mais c'est vrai que concernant ce dernier texte, le sujet ne s'y prêtait pas, et que cela aurait même été un non-sens). Il y a même de jolies descriptions, comme cette tempête en mer :
"
Des nuages couraient devant la lune. La mer dansait. Les vagues ne roulaient pas uniment rondes et égales. Jusqu'à l'horizon, sous une lumière pâle et vacillante, la mer était déchirée, fouettée, bouleversée ; elle bondissait et léchait la nue de ses langues de géant, effilées comme des flammes, projetait, à côté d'abîmes bouillonnants, des figures déchiquetées et bizarres, et semblait éparpiller en un jeu de fou, de toute la force de bras monstrueux, l'écume dans les airs." (pages 125-126).

Malgré ses défauts évidents et assez gros - les "leitmotive" ne sont pas très subtils, et il faut vraiment être bouché, le type au fond de la salle de cinéma les yeux plongés dans son sac de pop-corn au lieu de regarder l'écran, pour ne pas comprendre le problème bourgeois/artiste, sur lequel Thomas Mann enfonce parfois vraiment le clou à grands coups de masse -, et même s'il est moins vaste et moins complexe que Les Buddenbrook, c'est un très bon livre.
C'est parfois mystérieux, la littérature.

 

 



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