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Hirata Oriza

(né en 1962 à Tôkyô)

iraza hirata

Ecrivain (plus de 34 pièces au compteur), metteur en scène, essayiste.
" Oriza Hirata s’est fait connaître du grand public japonais avec un best-seller témoignant de son tour du monde à bicyclette à l’âge de 16 ans. Il est professeur à l’université d’Osaka et fut aussi l’animateur d’un talk-show culturel à la télévision japonaise." (source : Les Inrocks)
En 1983, Hirata Oriza a fondé la compagnie Seinendan qui pratique une nouvelle sorte de théâtre, basé notamment sur les idées suivantes :
"De multiples conversations se passent simultanément"
"Des phrases sont dites si doucement parfois qu'elles sont à peine entendues."
" Les acteurs tournent parfois le dos au public"
(extrait du site de Seinendan : http://www.seinendan.org/french/index.html )

Il dirige actuellement le théâtre Komaba Agora, à Tôkyô.

Le résultat est souvent décrit comme un "théâtre calme" : il n'y a pas d'effets, de tension, de chute, de révélations fracassantes, juste des gens qui parlent, vont et viennent, bref une tranche de vie.



Tokyo Notes

Tokyo Notes (Tokyo noto, 1994, 157 pages, Editions Les Solitaires Intempestifs, traduction de Rose-Marie Makino-Fayolle). 39ème prix d'art dramatique de Kishida.
L'intrigue est... intrigante : une guerre ayant lieu en Europe dans un futur proche (2004, la pièce datant de 1994 ; ou en 2014 lors d'une représentation récente à Melbourne : bref, dans dix ans), les oeuvres d'art des pays impliqués dans le conflit (il est également fait mention d'une guerre civile) sont mises à l'abri dans un pays neutre, en l'occurrence le Japon ; c'est en quelque sorte un renversement de perspective pour nous autres Européens...
La pièce se déroule entièrement dans le hall d'un musée qui accueille une exposition exceptionnelle avec nombre de Vermeer.
Deux commissaires d'exposition, une donatrice potentielle d'oeuvres d'art accompagnée d'un ami et d'une avocate, ainsi qu'une famille - frères, soeurs, et épouses qui ne se sont pas vus depuis longtemps - qui s'est donné rendez-vous au musée se croisent, s'assoient, discutent par groupes. Les discussions tournent autour de la famille, des nouvelles, ainsi que de considérations générales souvent axées "café du commerce" ("Ishida - Le bombardements aériens, c'est assez angoissant pour ceux qui les subissent", p.87) avec, parfois, de l'humour (que je suppose volontaire) de la part de l'auteur, comme page 88, à propos de Saint-Exupéry :
"Suda - Il est mort avec son avion dans la Méditerranée, n'est-ce pas, pendant la guerre.
Ishida - C'est vrai, au cours d'un vol de nuit.
"

A part cela, les personnages passent leur temps à aller chercher du café, à demander si personne ne veut de café, à s'excuser, à aller aux toilettes, à boire du café, à s'excuser de nouveau, à demander où se trouve un tel, s'il n'est pas encore arrivé ou bien s'il est parti regarder les tableaux, et à boire encore et toujours du café. Sans oublier de s'excuser de n'avoir pas bien entendu, de n'avoir pas bien compris, d'avoir bien compris ou bien de s'excuser, comme ça, dans le doute.
Il n'y a donc, au bout du compte, pas réellement d'intrigue, ni de héros. Juste des gens qui discutent, souvent en même temps, plusieurs conversations ayant très fréquemment lieu en parallèle. C'est une oeuvre chorale, qui n'est pas faite pour être lue : la lecture du texte ne rend franchement pas grand-chose : le va et vient, les silences, les entrecroisements de voix manquent, ainsi que tout le jeu scénique.
A noter que le titre s'inspire du film d'Ozu, "Le Voyage à Tokyo", mais la pièce elle-même, les personnages, n'ont pas grand rapport avec le film. Il s'agit plus d'une indication de parenté.

gens de seoul


Gens de Séoul (Soru Shimin, 1994, 124 pages, Editions Les Solitaires Intempestifs, traduction de Rose-Marie Makino-Fayolle). L'oeuvre elle-même est inspirée des Buddenbrock (cf entretien sur Théâtre-contemporain.net : http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/nouvelles_du_plateau_s/entretien.htm). Il faut noter que l'auteur a étudié en Corée pendant un an (à l'Université de Yonsei de Séoul).
La pièce se déroule en 1909 (donc, juste avant l'annexion de la Corée par le Japon) à Séoul : on y suit un moment de la vie d'une famille japonaise aisée, sur fond de colonialisme.
Les personnages sont plus "typés" et moins disparates que dans Tokyo Notes : on peut donc plus s'y intéresser en tant qu'individus. Il y a même une certaine dose de fantaisie avec l'apparition - si l'on peut dire - d'un illusionniste...

Le colonialisme est notamment abordé sous l'angle culturel, avec un certain humour :
"Aiko - Alors, si on part de ça, les Coréens devraient pouvoir faire eux aussi de la belle littérature. C'est là qu'intervient le problème de la langue. Et la langue, c'est la culture. Si on lui offre la culture, n'importe quel pays est capable d'avoir une littérature. Même la Corée." (p.70)

On pourrait peut-être rapprocher ceci de ce qu'a dit Hong Sang-soo, le réalisateur Coréen (l'auteur de Le Jour où le Porc est tombé dans le puits), dans une interview à Télérama (n°2836 du 19 mai 2004) :
"L'un des personnages de mon film dit que la culture n'existe pas en Corée. J'ai tenu à mettre un peu de distance comique dans cette scène, mais il y a du vrai là-dedans. Si la culture, c'est quelque chose qu'on apprend dès l'enfance, qu'on peut partager avec tout le monde, et qui aide à surmonter les épreuves de la vie, alors on n'a pas ça dans mon pays. En Corée, la culture, ce sont juste des pièces de musée poussiéreuses. Rien de vivant, de partagé."

Le thème de la guerre, présent dans Tokyo Notes, n'est évidemment pas non plus absent :
"Ritsuko - Je me demande comment les militaires peuvent avoir des conversations aussi ennuyeuses.
Shiniji - Je suppose que c'est par manque d'intelligence.
Ritsuko - Mais s'ils n'étaient pas intelligents, ils ne gagneraient pas de guerres.
Shinji - Mais on ne les gagne pas non plus lorsqu'on est trop intelligent.
Ritsuko - Vous croyez ?
Shinji - Il faut un minimum de bêtise pour faire la guerre.
"
(p.90)

Gens de Séoul est donc plus intéressant à lire que Tokyo Notes, mais n'ayant pas vu de représentation scénique des deux pièces, je me garderai bien d'un jugement plus approfondi : jugerait-on l'oeuvre d'Ozu à partir des scripts de ses films ?

 

Extraits de l'Interview du 12/04/2011, publiée dans Les Inrocks. Propos recueillis par Patrick Sourd (traduction: Aya Soejima)
"Où étiez-vous le 11 mars quand la terre a tremblé ?

Oriza Hirata – Dans mon théâtre. Je travaillais avec mes comédiens dans une salle de répétition au cinquième étage. Nous faisions un filage. Nous sommes habitués aux tremblements de terre et les acteurs ont continué de jouer. Mais il s’agissait de la plus longue secousse jamais ressentie, alors j’ai fini par leur demander de se mettre à l’abri sous des tables. Le bâtiment n’a pas été endommagé, aucun d’entre nous n’a été blessé et dès le lendemain, nous avons repris nos activités.

Ensuite, il y a eu le tsunami.

On ne s’attendait pas à une telle tragédie dans le Nord-Est. Cette région est protégée par des digues, elle est habituée à subir de forts tsunamis tous les cinquante ans. Nous pensions que les gens auraient le temps de se protéger. C’était inimaginable pour nous qu’il y ait eu tant de victimes et de dégâts.
[...]

Ce qui est arrivé est digne de l’Apocalypse.

Les Tokyoïtes n’ont pas réalisé tout de suite l’importance de la catastrophe. Ils se sont d’abord souciés de savoir si l’électricité et les transports seraient rapidement rétablis. Symboliquement, le nord du Japon est une sorte de pays natal pour tous les Japonais. Ma mère vient de là-bas, comme nombre de mes comédiens. Nous nous sommes très vite organisés pour héberger les familles de proches dans notre résidence d’artistes annexée au théâtre.
Notre tristesse est amplifiée par l’image que nous avons des gens du nord, des personnes très vaillantes, pas bavardes, qui mènent leur vie avec beaucoup de sincérité. Un exemple : j’essaie d’envoyer des bénévoles avec les organisations d’aide aux réfugiés. La réponse à nos propositions est souvent la même : “Apportez votre aide à des personnes qui en ont plus besoin que nous.”
[...]

Avec la catastrophe nucléaire qui a suivi, on ne peut s’empêcher de faire le lien avec Hiroshima et Nagasaki.

Très peu de Japonais ont fait le lien avec la bombe atomique. Ils ont été choqués de voir la continuité de leur projet, mis en place depuis les temps modernes, détruit en quelques heures par la nature. Ce 11 mars ressemble pour nous au 11 Septembre. Au Japon, nous appelons l’attentat de New York le 9/11 et nous disons le 3/11 quand nous parlons du séisme. Notre traumatisme s’apparente plus à celui des Américains après la destruction des Twin Towers.
[...]

Le nucléaire en plus.

Nous avons survécu à la bombe. La gravité du problème actuel n’est pas moindre ni plus importante. La menace nucléaire n’est plus immédiate. Elle nous fait prendre conscience que la mort arrive avec lenteur, mais de façon certaine, et qu’elle sera liée à cet accident nucléaire. D’un point de vue philosophique, cette situation est une forme d’emprisonnement à travers lequel on ne sait même pas où situer la peur. Pour l’instant, la menace est encore abstraite dans les esprits. Au Japon, la mortalité par le cancer est de 50 %, il faut s’attendre à voir ce taux grimper de 1 % ou 2 %. Les Japonais vont devoir apprendre à vivre avec la radioactivité.
[...]

Les comportements ont-ils changé ?

Les gens sont devenus plus doux les uns avec les autres. Et l’on constate une belle mobilisation du côté des artistes. Après des concerts et des spectacles pour recueillir des fonds, beaucoup d’artistes à Tokyo préparent des actions dans le nord. Moi-même, je me rends la semaine prochaine dans une école où je vais tous les ans, proche de la centrale nucléaire. Le fait que j’y aille est la preuve que Tokyo ne s’est pas résigné à abandonner la région. J’ai acheté plein de boîtes de chocolat pour les offrir aux lycéens que je vais rencontrer. Ce sont des élèves comédiens : c’est important que des personnes du théâtre aillent les voir sur place."

 


Autres livres :
- Gens de Séoul 1909.
- Gens de Séoul 1919.
- Les rois de l'aventure.
- Nouvelles du Plateau S (1991, 139 pages, Editions Les Solitaires Intempestifs, traduction de Rose-Marie Makino-Fayolle)
.

- Au fond de la forêt (Editions Les Solitaires Intempestifs, traduction de Rose-Marie Makino-Fayolle)

 

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