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YOSHIYUKI Junnosuke
(Okayama 1924-1994)
Né à Okayama d'un père écrivain, Yoshiyuki Junnosuke ne fit pas la guerre à cause - ou grâce - à son asthme (quelques années plus tard, il devra se faire enlever un poumon). Il commence des études de littérature anglo-saxonne à l'Université de Tôkyô, interrompues faute de ressources financières.
Il se fait connaître dès les années 50 en publiant des nouvelles et romans couronnés de nombreux prix prestigieux : Akutagawa (l'Averse, 1954), Tanizaki (La Chambre Noire, 1969), Noma (Jusqu'au soir, 1978)...
La Chambre Noire (Anshitsu, 1970, 220 pages, Editions Philippe Picquier, traduction de Yuko Brunet et Sylvie H. Brunet). Prix Tanizaki.
Nakata, le narrateur, est un écrivain assez connu d'un "public restreint", il vit de sa plume. Il est veuf et a la quarantaine passée
Il commente sa vie, sexuelle surtout (son travail d'écrivain n'est que très peu évoqué, et en termes vagues), justifie ses actes et ses paroles, parfois même avant qu'il ne les dise. Il évoque également son passé, un peu, réfléchit beaucoup sur ses motivations, ses pulsions et ses désirs.
On pourrait dire qu'il s'analyse, mais Nakata tente de désamorcer cette velléité en se demandant "" (page 112). De fait, l'explicitation de ses actes n'est souvent qu'apparent, la vraie motivation, profonde, restant plus mystérieuse.
Nakata fréquente plusieurs femmes, non pas pour leur conversation, mais pour avoir des rapports physiques. Il téléphone à l'une ou à l'autre selon ce qu'il attend d'elles. Son objectif, répété tout au long du livre, est de ne surtout pas s'attacher, de rester libre, indépendant. Une femme, Natsué, semble bien le comprendre : "" (page 168).
Outre la recherche du plaisir (mais ici le sexe n'est jamais heureux), le refus de tous liens (qu'ils soient affectifs ou biologiques puisqu'il se refuse - ainsi que plusieurs personnages du roman - à avoir des enfants), Nakata semble redouter l'ennui : ce qui lui a plu à un moment donné ne doit pas se reproduire ; il aime les "premières fois" ; la répétition transforme un acte neuf en cérémonie, ce qui lui ôte tout attrait. En admirateur d'Henry Miller, qu'il a traduit en japonais, Yoshiyuki aborde, avec un grand sens de la provocation, nombre de questions d'ordre sexuel : homosexualité masculine et féminine, sadomasochisme ("", page 182), avortement ("", page 83), fétichisme.
Au-delà de l'aspect strictement sexuel, le roman aborde le problème des rapports humains. Ainsi, Nakata est-il fasciné par un livre de photos figurant des hommes et surtout des femmes, de toutes origines et âges. Qu'est-ce qui lie ces gens, les rassemble, au-delà de toutes leurs différences ?
Concernant la forme du livre, Yoshiyuki Junnosuke cite à de nombreuses reprises des passages de brochures, introductions de livres, rapports, comptes rendus de tables rondes, etc. dont on ne sait pas toujours s'il les a inventés ou non ; toujours est-il que cela confère au livre un caractère "vrai", comme extra-romanesque.
C'est donc un excellent roman pour adultes (certaines scènes sont assez "explicites"), au style direct, efficace et néanmoins très personnel, sans fioritures stylistiques.
L'Averse (Shu-u, Prix Akutagawa 1954) suivi de La Ville aux couleurs fondamentales (Genshoku no machi,1956). Editions Philippe Picquier, 123 pages récits traduits par Pierre Devaux.
Ces deux récits ont de nombreux points communs. Le cadre en est le quartier des plaisirs de Tôkyô ; les "actrices principales" sont des prostituées, personnages particulièrement réussis.
1/ Dans L'Averse (court texte de 25 pages), Yamamura Hideo, un jeune homme (il travaille depuis trois ans seulement dans une entreprise) tente de ne pas tomber amoureux. Pour cela, fréquenter les prostituées est assez pratique, les relations, les phrases échangées relevant plus de la représentation que du sentiment. Pourtant, il va rapidement être amené à ressentir quelque chose pour une prostituée "différente" des autres.
2/ La Ville aux couleurs fondamentales est un texte beaucoup plus long (près de 90 pages), avec plus de personnages. Comme dans l'Averse, la prostituée "principale" paraît atypique, dans le sens d'une plus grande sophistication. Elle veut amasser suffisamment d'argent pour "couper les ponts" avec le milieu (devenir fleuriste ou ouvrir un bain public, en ce qui concerne la prostituée de l'Averse). Si la prostituée de La Ville est venue volontairement à la prostitution, sa grande peur est d'être marquée par ce milieu, d'en porter les stigmates. En plein jour, les gens remarqueraient-ils, à certains signes sur son visage, la nature de son métier ? Il lui faut quitter cette profession avant qu'il ne soit trop tard. D'ailleurs, elle a des propositions de certains clients. Mais franchira-t-elle le pas ? "[...] " (page 118).
Le livre est, tout comme La Chambre Noire d'ailleurs, une réflexion sur les raisons de l'attirance de deux êtres, la part du mental, de la personnalité, et celle de l'attraction purement physique, animale ; Yoshiyuki montre aussi les compromis que l'on est prêt à faire sur l'un de ces deux niveaux (peut-on aimer quelqu'un que l'on est proche de mépriser intellectuellement parlant ? mais qu'est-ce qu'aimer, alors ?) ; ses personnages, qui se refusent souvent à tout sentiment (parce que c'est plus pratique d'être dégagé de tout lien, d'être libre, ou bien parce qu'il est difficile de faire autrement, dans le cas des prostituées), ont beaucoup de mal à s'y tenir : ils observent alors les symptômes de leur attirance d'un oeil clinique, comme si cela allait leur donner la possibilité de les nier.
Comme dans La Chambre Noire, le style est direct, avec très peu de métaphores, les descriptions se contentent généralement du détail qui va immédiatement définir le caractère d'un personnage. Le résultat donne une impression d'immédiateté et de réalité, de vérité.
Très bon livre, pas franchement gai, mais Yoshiyuki n'est pas exactement un auteur comique.
Jusqu'au Soir (Yûgure made, Prix Noma 1978). Editions du Rocher, 153 pages. Roman traduit par Silvain Chupin.
Le personnage principal de
ce roman, Sassa, est un homme d'une quarantaine d'années, marié et père d'une fille. On voit très peu sa famille, l'histoire se concentre sur sa relation avec une jeune femme qui a la moitié de son âge. Il couche avec elle, mais elle veut à toute force rester vierge. Il a beau essayer, elle reste inflexible (cela donne lieu à quelques pages assez crues). Tout cela travaille beaucoup Sassa, les rêves très symbolico-signifiants sont là pour le prouver s'il en était besoin.
Que penser de ce livre ? Il n'est pas mauvais, mais ce n'est pas le meilleur de l'auteur
On y retrouve ses thèmes habituels : l'ambiguïté qui naît de contradictions, d'oppositions pas forcément franches ("", page 107) ; la fascination/répulsion pour les humeurs corporelles, les muqueuses, la peau (" ", page 26, ou encore "", page 153), le dégoût n'étant jamais loin du désir ; le thèmes des photographies, qu'on avait déjà dans La Chambre Noire (même s'il ne s'agit pas exactement du même type de photos).
Qu'en est-il de la relation entre Sassa et la jeune Sugiko ?
"" lui demande sa femme (page 63) ; et plus loin : "[...]" (pages 63-64).
A part sa virginité (supposée ou réelle), qu'est-ce qui chez Sugiko attire Sassa ? Ce n'est pas tant elle que son corps, et encore, "" (page 146). Alors, c'est le plaisir de l'instant, mais il sait pertinemment qu'il pourrait s'en sevrer assez rapidement.
Finalement, le problème du livre, c'est que les personnages ne sont pas assez dessinés. A vouloir faire ambigü, à force de trop peu en savoir sur les personnages, de se refuser à donner des détails, le livre en devient flou.
Evidemment, si l'on est vraiment bien disposé, si l'on n'aime pas dire du mal de cet auteur, on pourrait appeler cela une épure...
Les Hortensias (inclus dans l'Anthologie de Nouvelles japonaises, tome III "Les Paons, La Grenouille, Le Moine-Cigale" chez Picquier poche)
Dans un registre très différent, cette nouvelle met en scène un homme (qui n'a ni nom ni prénom), sa mère (A.), la femme avec qui il vit (B.), sa maîtresse (C.)... et des hortensias. Une anecdote liée à ces hortensias va servir de symbole des sentiments que le personnage principal porte à B. Bien ficelée, avec peut-être un soupçon de fantastique (l'hortensias a une beauté menaçante), c'est une très belle nouvelle.
Egalement disponible en français :
- Un Imprévisible événement (Fui no dekigoto, 1965). Nouvelle traduite par Cécile Sakai, dans Anthologie de nouvelles japonaises contemporaines, volume 1.
Quelques livres malheureusement non traduits en français (informations notamment tirées du Dictionnaire Universel des Littératures de Jean-Jacques Origas) :
- Relations au sein d'un paysage (Fukei no naka no kankei, 1960)
- La Chambre de la prostituée (Shôfu no heya, 1958) ;
- Roues du Rêve. Paul Klee et douze illusions (Yume no sharin-Pôru Kure to juni no genso)
- Le Contenu du sac (1973, prix Yomiuri)
Films tirés de son oeuvre :
- Suna no ue no shokubutsu-gun (Royaume végétal dans les dunes, 1964), film de Nakahira Kô.
On peut entendre la voix de Yoshiyuki Junnosuke dans le film animé Senya ichiya monogatari, de Yamamoto Eiichi (1969)
- Yûgure Kuroki (Jusqu'au soir, 1980), film de Kuroki Kazuo, avec notamment l'acteur et grand réalisateur Itami Juzo.
- Anshitsu (La chambre noire, 1983), réalisé par Urayama
Kiriro.
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