Littérature Latino-américaine
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Zoé Valdés est une poétesse, romancière et scénariste. Elle est née à Cuba mais vit en France depuis 1995. - L'éternité de l'instant. (Galimard, traduit de l'espagnol par Albert Bensoussan). 353 pages. Le roman commence en Chine. Il s'agit d'une histoire inspirée de la famille de l'auteur (les photos de ses ancêtres figurent dans le livre). Mei est la fille de son père, et son père, c'est M. Xuang. Il est veuf, et se consacre à l'éducation de sa fille. M. Xuang est lettré, du coup sa fille "lisait depuis l'âge de trois ans, et écrivit à partir de trois ans et demi. Son père le lui avait appris, en l'instruisant au moyen des commentaires aux Poèmes canoniques ou Livres des Odes, la plus ancienne anthologie de poésies chinoises, composée de trois cent cinquante pièces lyriques, réunies entre 770 et 476 avant notre ère" (page 28). Ce qui est drôlement reposant, dans ce livre, c'est que le lecteur n'a pas à lire des notes de bas de page, tout est dans le texte. Il n'y a quasiment pas un bâtiment, pas un livre dont on ne nous précise de quand il date (à force, c'est pénible ; on n'est pas dans un Guide du Routard, quand même !). Et "avant notre ère", cela s'adresse bien sûr au lecteur occidental. De toute façon, on l'avait bien compris. C'est une Chine rêvée, fantasmée par un occidental - ou, ici, une occidentale. C'est très joli, il y a des jolis flocons, des papillons, d'élégants caractères, des discussions très très profondes. Ici, personne ne dira "passe-moi le sel". On n'ouvre la bouche que pour s'interroger sur la Poésie, le Sens de la Vie, etc. Pour la Chine, la vraie, mieux vaut ouvrir un livre chinois. Revenons à l'histoire. La jolie petite Mei s'éprend d'un joli chanteur d'opéra, Li Ying, qui l'aime aussi. Ca tombe bien. Ils se rencontrent officiellement : "J'aime les enfants, mais cela me fait peur de mettre au monde des enfants sur une planète qui se détruit lentement, soupira-t-elle" (page 44). Pour rappel, nous sommes en 1902, dans la Chine profonde. On croirait la phrase écrite il y a peu... Page 45 : "Les boutons des fleurs de lin et de chanvre sur le point d'éclore évoquaient des touches pointillistes sur un paysage de Georges Seurat [....]". Hum. Il est certes mort en 1891. Et sa notoriété s'est rapidement répandue dans toute la Chine, jusqu'au village de nos héros. Certes, on me dira qu'il s'agit d'une description. Mais pourquoi mêler Seurat à tout ça ? Passage obligé : les scènes de sexe. Elles sont assez crues, et souvent marrantes. Pourquoi, à chaque fois qu'elle utilise une image, Zoé Valdés se croit-elle obligée de nous expliquer de quoi elle veut parler ? Pour ceux qui n'auraient pas compris de quoi il s'agit (voyons... la Porte sombre, qu'est-ce donc...) ? C'est un peu prendre les lecteurs pour des lents de la comprenette... Bref, la nature suit son cours, il va y avoir des enfants, dont l'un sera le vrai héros de l'histoire. Il y a d'autres scènes amusantes. Ce que c'est maladroit de la part de Zoé Valdés, l'écrivaine ! Détail, me dira-t-on. Mais très agaçant. On ne cesse de nous parler de la poésie, des mots, que tout se perd... effectivement. Ce livre en est une illustration flagrante. Ah, j'oubliais, c'était destiné au lecteur occidental qui, lui, n'est pas supposé savoir que cette phrase si profonde est repompée d'un classique chinois de Lao Tseu, un philosophe du VI° siècle avant J.-C. (je le fais presque aussi bien que Zoé Valdés). Zoé Valdés parle, à propos d'une chanteuse, de sa "voix de fausset" (page 207). Bizarre. Les femmes, généralement, n'ont pas de voix de basse. Parfois, ça paraît tellement idiot qu'on se dit que ce n'est pas possible, c'est forcément de l'humour. Mémoriser un souvenir, en voilà une nouveauté ! Remémorer, là, je comprendrais. Albert Bensoussan devait vraiment être à bout. Je parierais qu'il n'a pas apprécié le livre. D'ailleurs, il n'a sans doute pas relu la fin du bouquin. Déjà, à la page 216, on lit "[...] de la période comprise entre 699 et 759 avant JC". En général, on écrit le contraire, en mettant la date la plus ancienne en premier. Quelqu'un a-t-il relu ce livre ? En tout cas, la prochaine fois que j'irai dans les bouges de Colon, j'emmènerai les oeuvres complètes de Loti, je pourrai échanger mon point de vue avec les prostituées françaises. Il faut que quelqu'un le signale au Guide du Routard et au Lonely Planet. En conclusion : un roman trop long, linéaire dans la première partie, bizarrement construit dans la deuxième, sans vraie nécessité. Une histoire pas formidable, desservie par un style très maladroit, des références calculées, de la pseudo-sagesse éculée depuis plus de 2000 ans. J'espère vraiment qu'il ne s'agit pas du meilleur livre de l'auteur. Mais comment le savoir ? Ce n'est pas demain la veille que je retenterai.
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