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Tomas Tranströmer
(Stockholm, 15/04/1931 - )

tranströmer

 

 

" Poète contemporain suédois le plus renommé et le plus traduit1, il a reçu de nombreux prix, dont le prix Nobel de littérature en 2011.

Tomas Tranströmer nait le 15 avril 1931 à Stockolm. Il est élevé par sa mère, institutrice, après le départ précoce de son père, rédacteur. Il sera marqué toute sa vie durant par le personnage de son grand-père, pilote côtier, auprès duquel il passe ses vacances dans l'Archipel. Il parlera notamment de lui dans ses Baltiques.

Dans les années 1950, il fut un ami proche du poète Robert Bly, qui traduisit son œuvre en anglais et participa largement à sa renommée dans les pays anglo-saxons. Il partage son temps entre son appartement du quartier de Södermalm à Stockholm et sa résidence d'été sur l'île de Runmarö où il vit à l’écart du monde et des médias. À 23 ans, il publie son premier recueil intitulé 17 poèmes, qui paraît chez Bonniers, le plus grand éditeur suédois, qui qualifiera cette œuvre comme étant « une analyse permanente de l’énigme de l’identité individuelle face à la diversité labyrinthique du monde ».

Il décroche en 1956 un diplôme de psychologue, puis est embauché par l'université de Stockolm avant de s'occuper de jeunes délinquants à partir de 1960. Très engagé socialement, il s'occupera durant toute sa carrière d'handicapés, de toxicomanes ou de condamnés à des peines de prison, tout en écrivant ses poèmes en parallèle. Même lorsqu'il devient un poète reconnu, il continue de travailler, et ne publiera donc que peu de recueils (quinze en plus de cinquante ans d'écriture).

tranströmer 1965
En 1965. Photo de Lutfi Özkö

Il est psychologue de profession jusqu'en 1990, date où il a été victime d’une attaque cérébrale qui l'a laissé en partie aphasique et hémiplégique. Il ne parlera plus qu'avec difficulté, et ne jouera du piano plus que de la main gauche, car la droite ne fonctionne plus, mais toujours quotidiennement. Il a néanmoins publié encore trois recueils depuis lors dont les 45 haïkus de La Grande Énigme (Le Castor Astral, 2004), grâce à la complicité de sa femme Monica (avec qui il a eu deux filles, Emma et Paula).

Tomas Tranströmer 1973
En 1973, avec sa femme et ses deux filles.

Il continue également à participer à des rencontres littéraires, pendant lesquelles on peut l'entendre jouer du piano.

Tranströmer est ainsi un poète qui, à l'instar du symboliste français Stéphane Mallarmé, a eu une vie "normale" : c'est un homme qui a une existence ordinaire, un travail, des vacances à l'étranger, une femme, deux enfants. Ses poèmes commencent ainsi parfois par des situations ordinaires : "Je me rasai un matin /devant la fenêtre ouverte du premier étage" (La fenêtre ouverte) ; "Je passai la nuit dans un motel au bord de la E3" (La Galerie). " (merci Wikipedia)

 

 


- Les Souvenirs m'observent. (Minnena ser mig: självbiografi, 1993). Traduit du suédois par Jacques Outin en 2004. Le Castor astral. 102 pages.

La version de 2004 met en couverture Tomas Tranströmer à trois ans ; du temps a passé, le petit Tomas a maintenant onze ans sur la couverture de la réédition de 2011 :

tranströmer     tranströmer

"Le manuscrit des Souvenirs m'observent, rédigé durant les années 1980, était à l'origine dédié aux deux filles de l'auteur. Tranströmer, comme il l'avait indiqué à l'époque, désirait donner une impression toute personnelle de ce qu'avait été le quotidien d'un jeune enfant, d'un écolier, d'un adolescent et d'un collégien dans les années 1930 et 40 [...]
Ce récit (en seulement huit chapitres) n'était de toute évidence pas destiné à la publication. Tomas Tranströmer pensait en effet prolonger sa chronique et aller au-delà des années de formation. Il en fut brutalement empêché par une commotion cérébrale survenue en 1990. Celle-ci lui ôta en grande partie l'usage de la parole et le paralysa du côté droit. L'hémiplégie et l'aphasie partielle entraînèrent une forte réduction de sa capacité de création." (Jacques Outin, postface, pages 85-86).

"« Ma vie. » Quand je pense à ces mots, je vois devant moi un rayon de lumière." (page 9). Pour Tanströmer, la vie a une forme de comète, le noyau, dense, concentré, correspond "à la prime enfance, où sont définies les caractéristiques les plus marquantes de l'existence. J'essaie de me souvenir, j'essaie d'aller jusque là. Mais il est difficile de se déplacer dans cette zone compacte : cela semble même périlleux et me donne l'impression d'approcher de la mort. [...] Je suis maintenant très loin dans la queue de la comète : j'ai soixante ans au moment où j'écris ces lignes.
Nos premières expériences, pour la plupart, nous sont inaccessibles. Les chroniques, les souvenirs de souvenirs, les reconstitutions se fondent sur un choix de sentiments qui subitement s'enflamment.
" (page 9).
Tanströmer commence du plus loin qu'il se souvient.
Il est enfant unique. La famille habite à Stockholm.
"Papa fait encore partie de la famille, mais il va très bientôt nous quitter. Nos relations sont assez modernes - d'emblée, je tutoie mes parents." (page 11). Il parle de son grand père. "Chose curieuse, il y avait la même différence d'âge entre lui et son grand-père, qui était né en 1789 [...] Deux grands pas en arrière d'égale longueur, deux grands pas, néanmoins pas si grands que cela. Et on frôle l'Histoire.
Grand-père s'exprimait dans un suédois du XIX° siècle.
" (page 11).

Il raconte son attirance des musées, les Musées d'histoire naturelle, puis sa peur des squelettes, sa passion des locomotives à vapeur plutôt que des "modèles électriques, plus modernes. En d'autres termes, j'étais d'un caractère plus romantique que technique." (page 22).

Mais la part la plus importante du livre est consacrée à l'école (primaire, puis le collège), qui est finalement une part très importante de la vie d'un enfant.
"Je commençai pas aller à l'école primaire de Katarina Norra et eus pour institutrice Mademoiselle R., une dame célibataire très soignée de sa personne et qui changeait de robe tous les jours. Le samedi, durant la dernière heure,nous avions droit à un caramel, mais sinon, elle était plutôt sévère : elle nous tirait souvent par les cheveux et distribuait des gifles, mais jamais à moi qui étais fils d'enseignante." (page 29).
Plane toujours la menace de la maison de redressement. "Je ne me sentais pas personnellement menacé, mais cela me mettait mal à l'aise. [...]
Pour moi, il était évident qu'on y torturait à tout moment les pensionnaires.
" (page 30).

1940. C'est la guerre en Europe et dans le monde. "J'étais un garçon maigre et fluet de neuf ans qui se penchait souvent sur la carte des opérations militaires imprimée dans le journal, où la progression des divisions blindées allemandes était symbolisée par des flèches noires." (page 39). Les notions politiques sont floues pour lui, mais il est anti-hitlérien. "Mon instinct politique s'appliquait exclusivement au nazisme et à la guerre. Je pensais qu'on était soit pronazi, soit antinazi. [...] Et dès que je réalisais que quelqu'un qu'en fait j'aimais bien était « pro-allemand », je ressentais une terrible pression sur la poitrine." (page 40).

Il parle également des bibliothèques, comment il parvenait à emprunter des livres qui n'étaient pas de son âge et que la dame de la bibliothèque ne voulait pas qu'il emprunte, par exemple L'Histoire des migrations animales dans les pays scandinaves. Il se passionne pour la géographie, les voyages lointains, le désert, l'Afrique...

Puis, c'est le collège classique, avec sa discipline, ses psaumes, ses sermons. "L'ambiance collective du collège a d'ailleurs été immortalisée dans Tourments, un film tourné dans notre établissement." (page 56). Il s'agit du film de Alf Sjöberg, 1944, qui remporta (comme une dizaine d'autres films cette année-là) le Grand Prix du Jury à Cannes en 1946, comme nous le dit une note. "Nous, qui étions élèves, figurons dans quelques-unes des séquences du film."

On peut en voir un passage éloquent (vers la quatrième minute, notamment) sur http://www.youtube.com/watch?v=N8oSvu9KVMo.

Plus loin, à l'occasion de la mort prématurée de Palle, un camarade de classe, voici ce qu'il écrit :
"
Palle est mort voici maintenant quarante-cinq ans, sans jamais avoir pu être adulte, et j'ai l'impression que nous avons encore le même âge. Pourtant, me anciens professeurs, « les vieux » comme nous les appelions, restent vieux dans ma mémoire, bien que les plus âgés d'entre eux aient été aussi vieux que je le suis aujourd'hui, au moment où j'écris ces lignes. On a toujours l'impression d'être plus jeune qu'on est. Je porte en moi tous mes visages passés, comme un arbre ses cernes. C'est leur somme qui fait de moi ce que je suis. Le miroir ne reflète que mon dernier visage, pourtant je connais tous ceux qui l'ont précédé." (pages 58-59)

"Pendant toute ma scolarité, je m'efforçai de tenir séparés le monde de l'école et celui du foyer, car, si ces deux mondes se frôlaient, l'univers familial en serait irrémédiablement souillé. D'ailleurs, j'éprouve encore aujourd'hui un certain malaise lorsque j'entends parler de « coopération entre parents et enseignants ». Je peux aussi constater que la séparation de ces deux univers m'amena à établir une distinction fondamentale entre ma vie sociale et privée (cela n'a pourtant rien à voir avec des idées de droite ou de gauche.) Ce que l'on vit durant sa scolarité est une projection de l'image qu'on aura plus tard de la société." (page 61).

C'est un monde scolaire d'une autre époque. Les gifles pleuvent parfois (de la part des enseignants, pas des élèves). Certains enseignants sont extrêmement mal payés. Ainsi, à propos de deux jeunes professeurs, assez effacés : "De l'un, nous savions qu'il était pauvre et gagnait sa vie en jouant du piano dans un restaurant." (page 65).

Vers la fin, et c'est probablement le passage le plus personnel, le plus intime dans ce livre, et le passage qui, sans doute, doit fournir des clefs de certains de ses poèmes (notamment Durant l'hiver 1947, du recueil Barrière de Vérité, Sanningsbarriären, 1978), Tanströmer parle d'une angoisse qui s'est emparée de lui durant l'hiver de ses quinze ans, après avoir vu Le Poison, de Billy Wilder.
Le soir, il est sur le point de s'endormir. "Soudain, la terreur parut figer l'atmosphère de la chambre." (page 74). Il dissimule son état. Des mois d'angoisse plus tardcela passe. "[...] au moment de rentrer chez moi dans cette claire nuit de printemps, je compris qu'à la maison, l'horreur ne serait plus au rendez-vous.
Pourtant, c'est une chose que j'ai bel et bien vécue. Peut-être la plus grande expérience que j'aie faite. Mais elle a pris fin. Je croyais en ce temps-là que c'était l'Enfer, mais ce n'était que le Purgatoire.
" (page 74).

Il finit par le latin et l'évocation des premiers textes qu'il publie dans le journal du collège en 1948. On ne saura rien de ses études supérieures, de son entrée dans le monde littéraire.

A la toute fin de l'ouvrage, on peut lire quelques "Premiers poèmes".

Un texte très intéressant, écrit simplement, qui évoque l'enfance de l'auteur de manière très vivante.

 

baltiques

Un poème du recueil La place Sauvage (Det vilda torget, 1983) porte le titre Les Souvenirs m'obervent :
"Un matin de juin , alors qu'il est trop tôt
pour s'éveiller et trop tard pour se rendormir.

Je dois sortir dans la verdure saturée
de souvenirs, et ils me suivent des yeux.

Ils restent invisibles, ils se fondent
dans l'ensemble, parfaits caméléons.

Ils sont si près que j'entends leur haleine,
bien que le chant des oiseaux soit assourdissant.
"

(Baltiques, Oeuvres complètes 1954-2004, nrf Poésie / Gallimard, page 245).


Voici un autre poème, Voûtes romanes, extrait du recueil Pour les vivants et les morts (För levande och döda, 1989).

"Au milieu de l’immense église romane, les touristes se pressaient dans la pénombre.
Une voûte s’ouvrait sur une voûte, et aucune vue d’ensemble.
La flamme de quelques cierges tremblotait çà et là.
Un ange sans visage m’enlaça
et me murmura par tout le corps :
« N’aie pas honte d’être homme, sois-en fier !
Car en toi, une voûte s’ouvre sous une voûte, jusqu’à l’infini.
Jamais tu ne seras parfait, et c’est très bien ainsi. »
Aveuglé par mes larmes,
je fus poussé sur la piazza qui bouillait de lumière
en même temps que Mr et Mrs Jones, Monsieur Tanaka et la Signora Sabatini
et en eux, une voûte s’ouvrait sur une voûte, jusqu’à l’infini.
"

(Baltiques, Oeuvres complètes 1954-2004, nrf Poésie / Gallimard, page 288).

 


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