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BEDNARSKI Piotr

(Horeszkowce, Pologne orientale, 1934)

piotr bednarski

"Piotr Bednarski est né en 1934 à Horeszkowce, une ville de la Pologne orientale envahie par les Soviétiques en septembre 1939. Déporté en Sibérie avec les siens durant la guerre, il sera le seul rescapé de sa famille. Rentré en Pologne, il suit une formation d’instituteur, mais sa passion de la mer le détourne de l’enseignement : il passera toute sa vie professionnelle dans la marine marchande. Piotr Bednarski est l’auteur de nombreux romans, de nouvelles et de poèmes ; Les Neiges bleues est son premier roman traduit en français." (présentation de l'édition de poche des Neiges Bleues).


- Les Neiges bleues. (Blekitne Sniegi, 1996). Traduit en 2004 par un collectif d'étudiants sous la direction de Jacques Burko. 187 pages.
"Ce petit livre, aux brefs chapitres dont chacun semble une nouvelle indépendante, nous introduit dans un monde différent et fascinant : la Sibérie des années quarante. Nous sommes au coeur du système répressif soviétique, dans l'antichambre du goulag. [...] L'histoire est racontée par un petit garçon de quelque huit ans, qui a parfaitement assimilé la duplicité qui permet d'espérer une survie, et qui garde néanmoins avec sa bande de copains l'allégresse naturelle à l'enfance. [...]
L'action se déroule dans une petite ville de Sibérie, située dans la taïga sur le trajet du Transsibérien. Sa population est un étrange mélange de Sibériens autochtones, de descendants des exilés de l'époque tsariste, de Russes envoyés coloniser ces espaces vides et d'assignés à résidence : généralement des membres des familles de condamnés politiques. Ces derniers vivent et meurent dans les camps de travail forcé (parfois situés à proximité de notre bourgade) ; leurs proches, considérés comme « éléments hostiles », ont été déportés dans la taïga et placés là avec interdiction de quitter la ville, livrés à eux-mêmes pour se loger et pour survivre. On voit défiler des Estoniens, des Coréens, des Polonais, des Ukrainiens..., une mosaïque bigarrée des peuples persécutés par Staline. La vie est encore plus dure du fait de la guerre : tout manque, et surtout la nourriture. [...]"
(Jacques Burko, pages 7-8 de l'introduction que l'on évitera de lire en entier avant le livre : il en raconte largement trop).
Sans compter le NKVD, bien sûr...
"Piotr Bednarski, poète et écrivain polonais, a puisé ce récit dans ses propres souvenirs d'enfance. Cette histoire est la sienne, elle sonne vrai dans toutes ses incroyables péripéties."

Notre héros, Petia, a un père militaire de carrière interné en camp de travail. Sa mère, elle, est d'ascendance juive, et d'une beauté renversante. D'ailleurs, c'est comme cela qu'elle est appelée : Beauté.
C'est un personnage vraiment original.
"Avec ma mère le bon Dieu n'avait pas lésiné sur la beauté. Elle était belle comme Néfertiti, plus belle peut-être.
Leurs destins aussi se ressemblaient quelque peu. Ni l'une ni l'autre n'avaient eu de chance. Ma mère toutefois en était consciente ; elle recevait les coups avec une résignation bien juive. [...]
L'officier du NKVD qui décidait de la déportation s'était figé de stupeur à la vue de ma mère. Jamais il n'avait vu une femme aussi belle. Cette beauté l'avait ému un moment au point de le rendre humain. Désignant ma mère, il avait dit à son second :
- Ce serait dommage de gâcher une pareille beauté. Si on la rayait des listes ?
- L'ennemi n'est jamais beau, avait répondu l'autre, un fonctionnaire du comité de la ville qui devait penser qu'on cherchait midi à quatorze heures, et que, s'il acquiesçait, il pourrait bien être dénoncé et envoyé là où il était justement en train d'envoyer les autres. Et puis, la beauté est nécessaire partout, même là où s'ébattent les ours blancs. Nous aussi, nous sommes partout nécessaires.
" (pages 37-38).
Les hommes dévorent Beauté des yeux, cherchent à la faire céder. "Mais ni les prières ni les menaces n'y pouvaient rien - ma mère en un mot n'avait peur de rien."
Ce qui n'empêche pas les prétendants de se bousculer... ou de rédiger des dénonciations.
Les malheurs se succèdent et font partie du quotidien.
"Les femmes russes pleuraient peu de temps, les larmes leur manquaient tant étaient nombreux les malheurs qui les frappaient. Les Russes avaient appris à pleurer sans larmes." (page 45).

Nefertiti, Macbeth... les références sont assez nombreuses, qui ne semblent pas toujours cadrer avec les connaissances d'un enfant de huit ans. C'est donc un mélange de souvenirs, et une recréation littéraire sans aucun doute.

Certaines descriptions sont à la fois terribles, belles et amusantes :
"Comme toujours le malheur, le gel arriva sans prévenir. Une seule nuit lui suffit pour ouvrir son portail d'argent et semer soigneusement partout ses graines mortifères. Une oreille sensible pouvait percevoir un chuchotis comme celui du blé qui glisse dans la goulotte d'un moulin. Cela signifiait que la température était tombée en dessous de moins quarante degrés. La neige se fit bleue et la limite entre terre et ciel s'estompa. Le soleil, dépouillé de sa splendeur et privé de son éclat, végétait désormais dans une misère prolétarienne. Le froid vif buvait toute sa chaude et vivifiante liqueur - désormais seuls le feu de bois, l'amour et trois cents grammes quotidiens d'un pain mêlé de cellulose et d'arêtes de poisson devaient nous défendre contre la mort. Or n'est-ce pas justement quand la mort est sur le seuil, quand elle fait déjà son nid en nous, à l'intérieur, que le désir de vivre s'exalte et que l'on devient capable d'abattre des montagnes et de ressusciter d'entre les morts ?" (page 89).

Histoire de copains, la mort - violente - omniprésente, les disparitions vécues au quotidien par un enfant à qui Staline donne des cauchemars (nouvelle Le Clown).
Il y a, dans ce recueil de nouvelles qui forme un tout, à la fois du tragique, du comique, du beau et de l'horrible.

Vraiment un excellent livre, que ce soit dans le fond ou dans la forme.
Si on voulait lui faire un tout petit reproche, ce serait parfois un petit excès de symbolisme (la nouvelle Le Bienheureux). Mais peut-être est-ce vraiment ainsi que cela s'est passé ?

- Un Goût de sel (Rejsy po drcydzieto). Traduit en 2007 par Jacques Burko. Editions Autrement Littératures, 120 pages.
Nous retrouvons le narrateur-auteur des Neiges Bleues quelques années plus tard. Nous sommes maintenant en Pologne Soviétique.
La mer l'attire, il veut devenir marin. Il est élevé par grand-mère et grand-père.

Le grand-père Teo a parfois des accès d'une étrange maladie :
"
Une fois, après le déjeuner, il me confia que pendant ses périodes de maladie il voyait chaque homme dans toute sa beauté, en totalité, jusqu'à la moelle des os. Et il voyait aussi les pensées. « Ce n'est pas une vue réconfortante. Aucune bête n'est aussi astucieuse, cruelle et inhumaine que l'homme. A voir l'âme humaine, on est pris de peur. Dans le décompte final, l'homme ne pèsera rien. »
- Tu recevras une lettre aujourd'hui, dit la grand-mère
[...]." (page 8).

Les grands-parents parlent comme des prophètes, à coup de phrases super profondes. Le goût du symbolisme, de l'emphase et de Dieu s'est amplifié chez Piotr Bednasrki. Il en fait souvent un peu trop.

La lettre est arrivée, comme grand-mère l'avait prédit : le narrateur va pouvoir partir prendre la mer.
Grand-mère lui donne des conseils :
"
Tu es né pour mourir, mais entre les eux il te faut changer en toi des choses, t'améliorer, et en même temps un peu améliorer le monde - tu es né pour ça. Nous ne naissons pas pour la mort seulement, mais contre elle et pour la contrarier, pour s'amender, pour ne pas mourir tout entier. Traite chaque jour comme le premier jour, et essaie de ne jamais te sentir vieux." (page 10)

Au tour du grand-père :
"
Tu pars dans le vaste monde, fiston, pour aller du monde oriental vers le monde occidental, du royaume du mal vers le royaume d'un mal différent. Ne crains rien, mais fais attention à ceux qui ont des yeux de plomb. Ce sont des démons. Pars, vogue à la recherche de ta Toison d'or. Tu vas, toi aussi, lutter contre Dieu. C'est dans la nature de l'homme. Tu dois Lui reprocher tout, jusqu'au caillou qui dans ta chaussure te blesse le pied. Souviens-toi, tu es fait de la même matière que Lui. Ne te laisse jamais intimider. La Toison d'or est cachée en toi-même. Tu vas la trouver, tu vas t'étonner au point d'en faire le chef-d'oeuvre dont tu rêves. J'approuve ton voeu, j'admire ton audace et je te bénis." (page 17).

C'est curieux comme le texte oscille entre le beau et le cliché (la Toison d'or cachée en soi-même...).
Le chef-d'oeuvre dont il est question, c'est le livre que le narrateur compte écrire.

Il part.
Après quelques aventures, il rencontre les marins avec lesquels il va s'embarquer.
À propos de l'un deux :
"
Son visage était couvert d'un fin réseau de veinules qui le faisaient ressembler à un Indien ; ses yeux avaient le bleu de la mer d'Aral, une mer que j'avais eu l'occasion de voir dans mon enfance. La Baltique est plutôt gris-vert, elle a un goût et un parfum différents, elle parle autrement." (page 25).

Il prend la mer (même si c'est plutôt la mer qui prend l'homme, comme l'on sait).
"
Ma première sortie en mer. Un petit vent vif comme le toucher de velours ou de soie. Beaucoup de mouettes sur les brise-lames, posées ou tournoyant autour du phare qui à présent brillait de reflets rubis. Au-delà des têtes de jetées, un sentier vert taillé par le remorqueur, souillé par des glaçons, des tranches flamboyantes d'un vert céladon. Les growlers frottent contre la coque, murmurent, balbutient quelque chose, puis se taisent. Et voici la mer, jusqu'à l'horizon. Le chalutier aborde la houle, la proue s'élève, le point s'incline d'un bord à l'autre.
Ma première sortie en mer, le coeur dans un nuage. Ne pas mentir, entendre l'appel « Adam, où es-tu ? » Car il s'adresse à moi aussi. Où suis-je ? Où vais-je, et comment est ma conscience ?
" (page 27).

De beaux passages, et tout de suite Dieu arrive au galop. Il en sera ainsi tout au long du livre, emprunt d'un symbolisme religieux très appuyé (mais qui participe souvent du charme du livre) - et puis, comme il le dit plusieurs fois "
plus de la moitié des apôtres étaient pêcheurs" (page 72) :
"
Le soleil était déjà haut et me contemplait avec curiosité, comme jadis il contempla Jonas qui se reposait sous un térébinthe." (page 31).
"
Toute tempête est majestueuse. Et effrayante, comme le feu dans le Sinaï. J'avais eu l'occasion de voir des icônes orthodoxes et d'éprouver leur magie ; la mer me faisait un effet semblable. J'avais souvent l'impression que le chalutier, comme le char de feu du prophète Elie, nous emportait dans le ciel." (page 40).

Les histoires se succèdent, comme dans Les Neiges bleues : une succession de nouvelles, avec un laps de temps plus ou moins grand qui s'est écoulé entre chacune, sans précision.
Il rencontre des femmes, parfois, lors des escales, notamment à Belfast :
"
La jeune fille était assise à la caisse, ses cheveux légers rappelaient un feu de camp dans la steppe. Ses yeux étaient verts, avec des éclats de miel autour des prunelles. Une constellation de taches de rousseur ruisselait de son nez vers les joues." (page 56).

Un texte moins fort (à cause du sujet) que Les Neiges bleues, très bien écrit, souvent très beau mais également fréquemment vraiment très agaçant tellement il déborde de Profondeur, de Sens, de Symbolisme et de Dieu.


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