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Magdalena TULLI

(Varsovie, 20/10/1955 - )

magdalena tulli

(photo: Elżbieta Lempp)

 

Née à Varsovie en 1955, Magdalena Tulli est écrivain et traductrice (depuis le français - Albertine disparue ou la fugitive, de Proust - et l'italien - Italo Calvino, Fleur Jaeggy).
Elle a reçu de nombreux prix littéraires.

dans le rouge
En couverture : Frank Eißner, De Profundis für Arvo Pärt (détail). Droits réservés.


- Dans le rouge. (W czerwieni, 1998). Traduit du polonais en 2000 par Laurence Dyèvre. 209 pages. Editions Pauvert
Le roman commence ainsi :
"Celui qui est allé partout et a tout vu devrait, pour conclure, se rendre à Points-de-Couture. Prendre place dans un traîneau et, tant que le sommeil n'aura pas eu raison de lui, filer au milieu de la plaine, vierge comme une page blanche, infinie comme la vie. Cet homme - ce pourrait être un commis voyageur chargé d'une valise remplie d'échantillons - finira bien par apercevoir les gros tas de neige qui s'étendent le long de ses rues aux quatre vents, vers de grands espaces glacés. [...] Il aspirera dans ses poumons l'air aussi tranchant qu'une lame de rasoir, qui coupe l'homme de la perception de son souffle. Il appréciera les qualités d'un climat délivré à jamais des bouffées d'agitations printanières, de l'indolence de la canicule estivale, des tristesses brumeuses de l'automne. Il aimera les grands froids qui gèlent sentiments et capitaux en préservant les uns et les autres de la pourriture, de la décomposition." (pages 7-8).

La ville est plongée dans le froid et l'obscurité.
"À Points-de-Couture l'obscurité se dissipait un court moment, à l'heure du déjeuner. Avant la soupe, les lueurs roses de l'aurore éclairaient le ciel ; au plat de résistance, le soleil jetait quelques rayons obliques par-dessus les toits et après le dessert, le crépuscule irrévocablement retombait." (page 8).

Le roman, qui commence avant la Première Guerre Mondiale (mais les événements sont souvent codés), va nous permettre de suivre les représentants des principales sociétés de la ville : Loom & Fils (tout l'argent de Points-de-Couture transite par ses coffres-forts), les établissements Strobbel (spécialisés dans la porcelaine) et la manufacture Neumann (qui fabrique des disques) à travers leurs investissements, leurs magouilles, et les répercussions des aléas de l'Histoire.

Dans la ville, on trouve une garnison suédoise. La chose militaire a son importance.
On trouve également une gare et un port. La rue au Charbon longe le chemin de fer. La rue au Sel, elle, conduit vers la mine.
Les mineurs sont apparemment essentiels à la prospérité des manufactures, magasins et bureaux de la ville :
"Sans le sel qui, comme chacun sait, est l'essence des larmes, maintes affaires eussent tôt fait de péricliter. Car une industrie et un commerce florissants n'engendrent pas que la richesse, ils engendrent aussi des pleurs sans lesquels eux-mêmes se dessécheraient. Il faut une certaine quantité de larmes pour remplir les canaux du trafic de marchandises et permettre un flux rapide des actifs et des passifs, comme il est indispensable aux navires transportant une cargaison dans leur cale d'avoir de l'eau sous la quille." (page 14).

Les lois de la réalité ne s'appliquent pas à Points-de-Couture : les morts refusent parfois de s'allonger dans leur cercueil, comme il convient, et font du scandale ; des fils rouges attirent la mort...

La frontière entre le matériel et l'immatériel est également fluctuante.
Prenons par exemple un des personnages principaux - si l'on peut dire - du roman, Kazimierz, et observons-le en train de quitter la maison de Ludwig Neumann, le fabricant de disques.
"La chaude cascade d'un vibrato dévala les marches derrière lui comme une vague et acheva sa course au milieu de la rue, muette comme un souvenir, gelant sous l'effet du froid et traçant une patinoire entre la maison de Ludwig Neumann et la caserne. Aussi, le soir, lorsqu'il revint sous la fenêtre de Stefania, Kazimierz dut-il prendre garde à ne pas glisser et tomber." (page 33).

Des événements incroyables vont survenir, l'incroyable semblant être devenu une autre forme de normalité.

Un roman très bien écrit, très original, fascinant.




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