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Sienne, du 12 au 15 mai 2016.
Hippolyte Taine l'avait surnommée la "Pompéi du Moyen Âge", tant il est vrai que la ville semble s'être figée au temps de sa splendeur passée, et Dickens la définissait comme une "Venise sans eau". Une façon déférente d'évoquer l'extrême richesse de son patrimoine artistique, mais une manière élégante aussi de signifier sa gloire révolue.[...]
"La légende soutient que Senius et Ascius, fils de Remus, fuyant la colère et les tendances homicides de leur oncle Romulus, seraient à l'origine de la ville (d'où l'emblème de la louve allaitante qui les aurait recueillis). L'ennemi héréditaire florentin ne cessa de la convoiter et, après plusieurs siècles de luttes d'influence et de batailles, elle fut définitivement soumise par sa rivale en 1555. Sienne est ainsi le résultat d'une ambition brisée, d'un projet étouffé par les Florentins, qui réduisirent habilement pour les siècles à venir ce véritable foyer artistique du Moyen Âge à un rôle de sous-préfecture." (Géoguide Florence - Sienne)
"Si Florence connut ses heures de gloire pendant la Renaissance, la grande période artistique de Sienne fut plutôt gothique."
Côté histoire, on ira aussi voir du côté des Guelfes et des Gibelins.
Sienne vit du tourisme (quelque chose comme un million de visiteurs annuellement), du Palio, et fait en sorte de conserver son charme : il n'y a quasiment pas de voitures, et les câbles sont souterrains.
Arrivé à Sienne, on dépose nos bagages à l'hôtel Albergo Bernini... et on vérifie que la vue de la terrasse est aussi belle que ce qui était prévu : c'était bien le cas. Quel plaisir d'y prendre son petit-déjeuner le matin, ou un verre de vin le soir et de regarder les couleurs changeantes...
Zbigniew Herbert (1924-1998) a visité plusieurs pays, dont l'Italie de juin à juillet 1959 ; il a écrit son essai Un Barbare dans le Jardin (1962) qui comporte une partie consacrée à Sienne.
Voici le petit hôtel où il a résidé, Les Trois Donzelles, qui a maintenant une plaque commémorative.
Nous allons souvent suivre ses pas.
Pour l'heure, nous partons en ville.
"Les rues de Sienne sont étroites et sans trottoirs. Un chroniqueur prétendait, non sans une certaine exagération, que les éperons des cavaliers en raclaient les murs." (Zbigniew Herbert, Un Barbare dans le jardin, page 124).
"Seules les villes dans lesquelles on peut se perdre valent la peine d'être vues. Et dans Sienne on peut s'égarer comme une aiguille dans une botte de foin." (Un Barbare, page 125).
La ville est très en pente. Les restaurateurs s'adaptent...
Nous arrivons ainsi sur la fameuse place, située à la jonction des trois collines de la ville : Piazza del Campo. C'est l'une des plus belles places d'Italie. Elle n'appartient à aucune contrada (quartier de la ville : il y en a dix-sept).
"Espace public hautement symbolique dominé par le Palazzo Pubblico, la place a la forme d'un hémicycle au plan très incliné, à l'image du relief de la ville. Cette configuration particulière l'a fait comparer à une coquille Saint-Jacques, à un éventail déployé, à un bénitier, voire à un cadran solaire sur lequel l'ombre de la Torre del Mangia marquerait les heures. [...] C'est autour de ce demi-cercle, dans le couloir délimité par les colonnes au sol et par les façades curvilignes des maisons vieux rose, que se déroule chaque année la course du Palio." (Géoguide)
"Le sol, pavé de briques disposées en arêtes de poisson, est divisé par des rayons de marbre clair en neuf secteurs rappelant le gouvernement des neuf riches marchands de Sienne qui ont été à l'initiative de son aménagement (XIII° siècle)." (Guide Bleu Florence et la Toscane, page 423)
On voit bien le périmètre qu'utilisent les chevaux lors du Palio. Bien sûr, les tables de restaurants sont enlevées pour mettre des gradins.
Voici le Palio du 16 août 2015 :
La chaleur doit être insupportable, dans la foule compacte...
En haut de la place, on aperçoit une fontaine : la Fonte Gaia ("Réalisée entre 1409 et 1419 par le sculpteur Jacopo della Quercia", cf Wikipedia)
Voici le point de rencontre des secteurs, en bas de la place. J'imagine les ruissellements d'eau, quand il pleut...
La pente est très nette (ce qui incite à s'allonger confortablement : du coup, de temps à autre des policiers font une ronde pour demander aux gens de se rasseoir correctement : on n'est pas à la plage).
Du fait de la forte déclivité, parfois, une poussette joue au Cuirassé Potemkine...
Montons au sommet de la Torre del Mangia (construite entre 1325 et 1344), cette "cheminée de brique coiffée de travertin blanc qui s'élève au-dessus du Palazzo Pubblico" (Géoguide) qui culmine à 102 mètres.
"La tour a été construite pour atteindre la même hauteur que le Duomo de Sienne comme un symbole d'égalité entre l'Église et l'État." (Wikipedia)
400 marches plus haut, on y est arrivé !
On y a une vue plongeante sur la place.
"Lorsque le soleil est caché derrière le Palais public, au-dessus de la piazza del Mercato, son ombre gigantesque se déplace sur le Campo comme une aiguille sur le cadran d'une horloge. [...] Du sommet, on peut jeter sur la ville un regard d'hirondelle ou celui d'un historien." (Barbare, page 92)
On a aussi une belle vue sur les environs. La campagne est vraiment toute proche.
On aperçoit le Duomo, que nous visiterons bientôt :
Pendant la descente, on constate que les Français doivent souvent faire les nigauds, : je ne m'explique pas autrement le texte en français (et en Italien, certes) précisant qu'il est interdit de sonner les cloches...
On est redescendu dans la cour.
Dirigeons-nous maintenant, toujours dans le Palazzo Pubblico, vers le Museo civico.
Le Museo civico du Palazzo Pubblico. On commence par quelques oeuvres.
Neroccio di Bartolomeo de' Landi (1447-1500) : Lupa con gemelli. Un des bambins tête goulûment...
Artiste siennois du XV° siècle : Santo Ansano. Provient du portail du Palazzo Pubblico.
Bartolomeo Neroni, dit Il Riccio (ca 1507-1571) : Cristo portacroce
Manufacture siennoise du XVIII siècle :
Nous passons rapidement la Sala del Risorgimento, qui ne présente guère d'intérêt...
... et nous arrivons dans la Sala di Balia, ou salle des Prieurs, qui comporte des fresques (1405-1407) de Spinello Aretini. Il s'agit de "scènes de la vie du pape siennois Alexandre III, adversaire et vainqueur de l'empereur Frédéric Barberousse, dont un mémorable épisode de la bataille navale remportée par la flotte vénitienne." (Géoguide).
C'est spectaculaire.
On notera qu'il est interdit de photographier. Donc, je ne photographiais pas, jusqu'au moment où j'ai vu que tous les touristes mitraillaient, avec la bénédiction des surveillants. Alors...
La salle du Consistoire "est ornée au plafond de fresques allégoriques de Domenico Beccafumi célébrant les vertus de la Rome républicaine (vers 1530)." (Géoguide)
Puis, c'est la Cappella dei Signori. 22 stalles en bois ornées de superbes marqueteries réalisées par Domenico di Niccolo entre 1425 et 1429.
Et on arrive à la Sala del Mappamondo, qui contient deux chefs-d'oeuvre.
D'un côté, la Maestà de Simone Martini (1315).
"C'est une œuvre de grandes dimensions (763 cm × 970 cm) de la Madone, sainte patronne de Sienne. Il s'agit, comme toute Maestà, d'une représentation de la Vierge à l'Enfant « en Majesté », c'est-à-dire de face, avec une attitude hiératique, sur un trône, entourés d'anges et des saints apôtres." (Wikipedia).
Au plafond, à dix mètres du sol, se trouvent deux bras d'anges ; en voici un :
"Ce qui frappe dans l'oeuvre de Martini, c'est la liberté avec laquelle il a traité son sujet, la douceur lyrique des gestes. Marie est assise sur un trône gothique dont l'architecture ajourée ne rappelle en rien les trônes massifs de Duccion que l'on croirait faits de béton armé, ni ceux du jeune Giotto (ceux des Offices par exemple). Debout à côté de la Vierge, les deux saints ont les mains jointes sur la poitrine. Les silhouettes des anges n'évoquent en aucune manière des statues colorées : une ligne douce les anime comme le vent le feuillage des arbres ; ceux qui sont agenouillés aux pieds de Marie ne lui offrent pas de froids symboles mais des fleurs, qu'elle accepte telle une châtelaine les hommages des troubadours. [...]
Sur le mur opposé, un extraordinaire portrait équestre du condottiere Guidoriccio da Fogliano. Il est d'une facture si différente de celle de la Maesta que même les historiens de l'art l'ont remarqué. Exécuté quatorze ans plus tard, il est comme la négation du lyrisme et du surnaturel de la Maesta. " (Un Barbare, pages 102-104).
Retournons-nous donc, pour découvrir le Condottiere Guidoriccio da Fogliano (1328) attribué à Simone Martini. A droite, photo reprise de Wikipedia.
"Sur une terre nue de couleur fauve chevauche un homme dans la force de l'âge, trapu, au visage quelconque et aux mains énergiques. Il porte par-dessus son armure un manteau beige foncé à motifs de triangles marron. Son cheval massif est couvert d'un carapaçon aux mêmes motifs. Cavalier et monture ne forment qu'un seul corps et, bien qu'ils aillent au pas, il en émane une force et une énergie peu communes. Les chroniques auraient-elles passé sous silence les cruautés des condottieri, ce portrait eût été un document digne de foi.
Le paysage est sec comme une aire de battage. Pas un arbre, pas une herbe ; rien que les piquets nus des clôtures et les fleurs chétives des emblèmes guerriers. De part et d'autre de la fresque, une colline avec, au sommet, la maigre architecture d'un château fort. Celui de gauche est le château de Montemassi, dont le seigneur s'était révolté contre Sienne. Il ne fait aucun doute que Guidoriccio va en fracasser les murts et en démanteler les tours." (Un Barbare, page 104).
Effectivement, c'est la bannière de Sienne que l'on voit à droite : blanche et noire.
Voici Montemassi aujourd'hui (photo tirée de Wikipedia) :
"Juste au-dessous, sans doute la plus ancienne fresque du palais, due semble-t-il à Duccio di Buoninsegna et retrouvée très récemment sous les couches d'enduit, représente deux personnages devant un château ; peut-être celui de Giuncaro se soumettant à la puissance siennoise (1314)." (Géoguide)
Le mur de gauche de la salle, par lequel nous sommes entrés :
Nous arrivons à la Salle du Conseil des Neuf (Sala dei Nove), célèbre pour la fresque Les Effets du bon et du mauvais gouvernement (1337-1339) d'Ambrogio Lorenzetti.
"Ambrogio [...] fut le troisième grand peintre siennois du trecento, après Duccio et Martini. Il est de bon ton de s'extasier devant cette fresque, mais la lumière est mauvaise, les couleurs ternies. Le Mauvais gouvernement est presque illisible." (Un Barbare, page 105)
On pourra en trouver une analyse (et des photos meilleures que les miennes) sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Effets_du_bon_et_du_mauvais_gouvernement
L'Allégorie du bon gouvernement :
Sur le mur de gauche, les Effets du mauvais gouvernement :
Et sur celui de droite, les Effets du bon gouvernement :
"Ses valeurs esthétiques disparaissent sous le flot des études historiques, philosophiques et iconographiques. [...] D'un paysage urbain massif, presque fantasmagorique de par sa clarté, on passe à un paysage campagnard, exécuté pour la première fois avec autant d'ampleur et une telle tendresse pour le détail. Lorenzetti construit l'espace d'une manière entièrement nouvelle. Ce n'est ni l'espace doré et abstrait de Duccio, ni la perspective rationnelle de Giotto. Un esthète a remarqué avec pertinence que Lorenzetti introduit dans la peinture une perspective cartographique. L'observateur ne reste pas immobile en un même point, il voit les plans proches et lointains avec un e clarté et une précision identiques ; il embrasse d'un large regard d'aigle la matière chaude, vibrante, de la terre." (Un Barbare, page 105).
Cette fresque est le sujet du livre de Patrick Boucheron, Conjurer la peur : Sienne, 1338 : essai sur la force politique des images (2013)
"Vous ne connaissez peut-être pas son nom mais vous l’avez déjà vue. On l’appelle « fresque du Bon gouvernement ». Ambrogio Lorenzetti l’a peinte dans le palais communal de Sienne en 1338, dix ans avant que la Peste noire ne le précipite dans la mort. Elle captive aujourd’hui encore par le foisonnement de ses détails et la force de ses allégories. Mais comment rendre compte de son mouvement d’ensemble ? Sur le mur nord siègent les figures allégoriques du « Bon gouvernement ». À l’ouest, une longue paroi étale sa réplique funeste, la cour des vices, et une cité en proie aux flammes de la haine sociale. À l’est, au contraire, se déploie une peinture majestueuse de la ville en paix et de ses campagnes.
En rendant l’œuvre au climat d’urgence qui l’a suscitée et qui lui donne sens, Patrick Boucheron lui restitue sa fraîcheur et sa puissance, son sens politique et son actualité. Dans les années 1330, la commune de Sienne est menacée par la seigneurie c’est-à-dire par cette forme de gouvernement personnel qui subvertit les principes républicains de la cité. Comment résister à la tyrannie, éteindre le brasier de la guerre et réapprendre l’art de bien vivre ensemble ? Pour survivre dans son intégrité politique, la commune doit persuader de sa légitimité, et surtout de ses bienfaits. Car ce qui fait le bon gouvernement n’est pas la sagesse des principes qui l’inspirent ou la vertu des hommes qui l’exercent. Mais ses effets concrets, visibles et tangibles sur la vie de chacun. La fresque de Lorenzetti est le récit fiévreux d’un combat politique jamais gagné d’avance, toujours à recommencer." ( http://www.seuil.com/ouvrage/conjurer-la-peur-patrick-boucheron/9782021134995 )
Plus loin, la salle des pilastres contient une petite collection de peintures et de sculptures :
Niccolo di Ser Sozzo : Annonciazione con Cristo Benedicente.
Nous arrivons finalement à la loggia, dont la vue donne sur les environs de la ville :
Il est temps de redescendre dans la cour.
Là sont exposés des travaux d'écoliers consacrés au Palio :
Nous arrivons au Duomo di Santa Maria Assunta (que l'on voyait depuis la terrasse de l'hôtel).
"Elle passe pour l'un des plus splendides édifices religieux d'Italie et marque la vénération des Siennnois pour la figure de la Vierge. Sa construction débuta au XII° siècle en style roman et s'acheva vers 1250. La façade est plus tardive. Chef-d'oeuvre du gothique siennois, le Duomo est aussi éloigné de l'austérité romane que de l'abstraction Renaissance." (Géoguide).
"Les trois portails sont surmontés d'arcs en plein ceintre, et les tympans, dépourvus de sculptures, sont effectivement romans." (Un Barbare, page 116)
"En 1339, le conseil des Neuf projeta d'édifier une nouvelle cathédrale qui serait le plus vaste édifice de la chrétienté. Il s'agissait en réalité de transformer la nef du Duomo en transept d'une immense cathédrale à bâtir sur la gauche de la place, vers la via di Citta. Mais les travaux du "Duomo Nuovo" furent interrompus lors de l'épidémie de peste de 1348, et ce gigantesque projet ne fut jamais repris, l'instabilité du terrain et le déclin politique et financier de la cité en interdisant définitivement la poursuite. En témoignent le squelette de cette nef de 50m sur 30m dont on voit les colonnes à ciel ouvert et la façade inachevée, recouverte d'un parement de marbre, que l'on aperçoit à l'est du Duomo, convertie en plate-forme panoramique." (Géoguide)
"Les murs, minces comme des feuilles de platine, avaient été montés par l'orfèvre Lando di Pietro avec la légèreté propre à son métier : ils se fissurèrent, menaçant de s'écrouler. On dut faire appel, toute honte bue, à des experts de l'ennemie, de Florence !" (Un Barbare, page 124)
Effectivement, on aperçoit des gens en haut du Facciatone (on y accède par le Museo dell'Opera del Duomo) :
Il va y a de nombreuses choses à voir : baptistère, crypte, musée :
Entrons maintenant dans la cathédrale, de 90 mètres de longueur. "L'intérieur frappe par sa grandeur, son élégance, sa force et, toujours, cette obsédante alternance de bandes noires et blanches, baignée par une relative pénombre." (Guide du Routard).
"L'intérieur de la cathédrale est extrêmement expressif, et pas seulement du fait des bandes de marbre blanc et noir. Les Romantiques l'ont bien senti. Wagner, alors qu'il composait Parsifal, demanda au peintre Joukovsky de lui envoyer des esquisses de la cathédrale de Sienne. Dans l'imagination du compositeur, cette église se rapprochait du temple du Graal." (page 118).
D'une grande hauteur, des têtes nous contemplent (172 papes et 36 empereurs)...
Au sol, un ensemble de 56 panneaux de marqueterie de marbre, et près de 3000 m2. Ils ne sont entièrement découverts que de mi-août à octobre ; sinon, ils sont quasiment tous recouverts de cartons pour les préserver. On pourra voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pavement_intérieur_du_Duomo_de_Sienne
Voici l'entrée de la Libreria Piccolomini, construite en 1495 pour conserver la bibliothèque du pape Pie II.
A l'intérieur, c'est magnifique : que de couleurs vives, notamment au plafond !
La bibliothèque comporte un cycle de fresques de Pinturicchio (1454-1513) : les Scènes de la vie de Pie II (que l'on peut voir sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Scènes_de_la_vie_de_Pie_II ).
"On peut multiplier les critiques de ces fresques - qui sont, du reste, en parfait état, sans doute parce que les restaurateurs n'y ont pas touché - mais cela n'empêche pas de succomber à leur charme. Jusqu'à Berenson, qui jette le Pinturicchio dans l'enfer des narrateurs et des décorateurs, d'ailleurs en excellente compagnie : avec Duccio, Pierro della Francesca et Raphaël, mais ne résiste pas au récit enchanteur que l'artiste fait de la vie du grand humaniste Aeneas Silvius Piccolomini : « Ces fresques, presque à tous égards manquées, sont néanmoins des chefs-d'oeuvre de décoration architecturale. Le Pinturicchio a véritablement transfiguré la modeste salle de la Bibliothèque ! [...] On a l'impression de se trouver sous un portique couvert, en étant entouré de toutes les merveilles du bonheur et de l'art, et à l'air libre. Ce n'est pas pour autant un espace sans limites, c'est une immensité maîtrisée et rythmée par les arches qui la ferment...» [...]
Le Pinturicchio est comme ces compositeurs dont on dit que l'invention n'est pas leur point fort mais qui ont une oreille absolue et une parfaite connaissance des instruments." (Un Barbare, page 120)
Au centre, les Trois Grâces, sculpture romaine du III° siècle, copie d'un original grec. Les psautiers, protégés par des vitrines, sont du XV° siècle.
Herbert écrit : "Les Trois Grâces s'y trouvaient aussi autrefois, mais un ecclésiastique scandalisé par leur belle nudité les expédia au musée." (page 118). Les choses ont heureusement de nouveau changé.
Visitons maintenant le Museo dell'Opera del Duomo.
Nous entrons dans la pièce où se trouve la fameuse Maestà (1308-1311) de Duccio.
Voici tout d'abord la partie centrale du retable :
"Il s'agit d'une œuvre aux dimensions insolites, à peine moins de cinq mètres de haut sur autant de large dans son entier, peinte au recto et au verso car portée lors des processions. Destinée au maître-autel de la cathédrale de Sienne, elle peut être tenue pour le plus important des retables de l'art italien." (Wikipedia: sur cette page se trouvent aussi des photos de "reconstructions" de l'ensemble).
Herbert parle du fond doré. "Pour qu'auprès de cet or, les autres couleurs ne paraissent pas éteintes, il fallait leur donner une intensité surnaturelle. Les feuilles des arbres sont comme des pierres de saphir, la peau de l'âne de la fuite en Egypte a la couleur du granit gris, et la neige sur les sommets pointus et nus des rochers étincelle comme de la nacre. La peinture du duocento était proche de la mosaïque, des taches colorées incrustaient la surface, elles avaient la dureté de l'albâtre, des pierres précieuses de l'ivoire. [...] La gamme des couleurs est riche et fleurie : pour trouver des comparaisons dignes d'elles, Focillon va plus loin que Byzance et appelle à son secours les miniatures et les jardin persans." (page 111)
D'après Le Guide du Routard, l'état exceptionnel de l'oeuvre est dû au fait que, n'étant plus appréciée à une époque, elle a été remisée dans une cave, où elle est restée à l'abri de la lumière pendant quelques siècles.
Tous les panneaux ne sont pas présents ici : certains ont été perdus, ou se trouvent dans des collections à travers le monde.
"Après Duccio, il ne faut rien voir d'autre, afin de conserver le plus longtemps possible dans les yeux l'éclat de ce chef-d'oeuvre." (Un Barbare, page 113).
De notre côté, nous allons continuer, car on trouve bien sûr d'autres oeuvres dans ce musée... y compris un Duccio.
Duccio : Madonna col Bambino dite Madonna di Crevole (1283-1284) ; à droite : Pietro Lorenzetti (vers 1280-1348) : Nativita delle Vergine (1342)
Puis, on trouve diverses statues siennoises :
Des oeuvres de Jacopo della Quercia (1371-1438) ; des partitions...
"La ville ne connut pas de grands mécènes comme les Médicis, mais l'intérêt pour l'art, en revanche, y était général et plus démocratisé que partout ailleurs. La riche corporation des drapiers commande un polyptique à Sassetta, un peintre cher ; les boulangers et les bouchers passent commande à Matteo di Giovanni, tandis que la corporation des savetiers, plus pauvre, doit se contenter de ce que veut bien peintre pour elle Andrea Nicolo. Et c'est un mariage heureux de l'art et de la bureaucratie, bien rare dans l'Histoire, que cette habitude qui dure depuis le XIII° siècle de faire peindre les reliures des registres municipaux par des grands artistes." (Un Barbare, page 134)
Voici quelques archives :
On arrive maintenant à la Sala del Tesoro, où se trouve la rosa d'oro (1658), une oeuvre d'un orfèvre romain, d'après une conception du Bernin. 19 fleurs et 2 boutons.
Allons voir deux oeuvres indiquées comme importantes :
Maestro di Tressa : Madonna degli occhi grossi (second quart du XIII° siècle). En italien : https://it.wikipedia.org/wiki/Madonna_dagli_occhi_grossi
Gregorio di Cecco (vers 1390-après 1424) : Polittico Tolomei (1423).
Parmi les autres oeuvres : un Sassetta (1392-1450/51) : Madonna dell' umilita (vers 1435).
Sano di Pietro (1406-1481) : Prédication de saint Bernardin sur la place du Campo (1445). Intéressante notamment parce qu'elle représente le Campo, que nous avons vu précédemment.
Giovanni Pisano (vers 1248-après 1314) : Crocifisso (1270-1280).
Il fut un architecte et sculpteur très important, auteur notamment, avec son père Nicolas, de sculptures de la façade du Duomo : https://fr.wikipedia.org/wiki/Giovanni_Pisano
Autre oeuvre de cet artiste : Lupa che allatta i gemelli.
Ambrogio Lorenzetti : Santa Caterina d'Alessandra, San Benedetto, San Francesco, Santa Maria Maddelena (1320-1330)
Dans la librairie du musée, on trouve notamment le livre de Patrick Boucheron, Conjurer la peur. Sienne, 1338.
Ressortons de la cathédrale...
... pour entrer dans la crypte (les parcours sont parfois tordus).
Les murs de la crypte présentent des épisodes des dernières heures du Christ, c'est ce qui est écrit :
Les différentes scènes sont expliquées, et présentent souvent une reproduction d'une oeuvre connue sur un sujet identique.
Il nous reste une dernière visite à faire, puis nous quitterons définitivement la cathédrale.
Nous voici donc au Baptistère San Giovanni (1316-1325).
Les fonds baptismaux ont été conçus par Jacopo della Quercia avec Donatello.
Une oeuvre d'Andrea Vanni : Madonna con bambino e santi.
Petite balade...
On passe devant un tabac et un barbier...
Et on fait du lèche-vitrine avec quelques spécialités locales (ou pas) : ricciarelli, panforte, panforino, cavallucci, cantuccini.
Il y a aussi de très bonnes glaces, bien sûr. Mais parfois, ça donne moins envie que d'autres :
Visitons maintenant la Pinacotheca Nazionale qui "renferme les plus inestimables trésors de la peinture siennoise des Trecento et Quattrocento" (Géoguide).
"c'est ici qu'on trouve le panorama le plus complet de la peinture siennoise" (Un Barbare, page 126).
Maître siennois (première moitié du XIII° siècle).
"Un Christ en croix dont le temps a terni les vives couleurs pour ne laisser que des roses et des bleus délicats. Conformément à la recommandation du synode de Rome de 692, le visage du Christ n'exprime aucune souffrance. Son sourire à peine esquissé est plein de douceur et de mélancolie. Cette lueur si particulière de sensualité et de mysticisme brillera pendant des siècles dans les yeux des saints et des bourgeoises de Sienne." (page 127)
Gilio di Pietro (actif de 1247 à sa mort en 1261) : Madonna col bambino :
Dietisalvi di Speme (actif à Sienne de 1250 à 1291) : Dittico di Santa Chiara (vers 1280).
Duccio et collaborateurs : Madonna in trono col Bambino fra i Santi Pietro e Paolo e un piccolo devoto incoronato.
Duccio di Buoninsegna : Madonna col bambino e Santi Agostino, Paolo, Pietro, Domenico.
Simone Martini (1284/1290-1344) : Madonna della Misericordia. A droite : Duccio : Madonna col Bambino e i Santi Agnese, Giovanni Evangelista, Giovanni Battista e Maria Maddalena.
Simone Martini : Madonna col Bambino.
Simone Martini : Il Beato Agostino novello e quattro suoi miracoli.
Lippo Memmi : Madonna col bambino ; à droite : Ambrogio Lorenzetti : San Giovanni Battista.
Ambrogio Lorenzetti : Madonna col bambino e le Santo Maria Maddalena.
Pietro Lorenzetti : Crocifissione con la Madonna, San Giovanni e Maria Maddalena
Ambrogio Lorenzetti : I santi Paolo e Giovanni Battista ; à droite : Madonna del Bambino
Ambrogio Lorenzetti : Annunciazione (1343)
Pietro Lorenztti : La Piccola Maesta. Madonna in trono col Bambino fra un coro di sei angeli, le Sante Dorotea e Caterina d'Alessandria, due Santi Vescovi (Nicola e Martino ?), San Clemente Papa e San Gregoria papa.
Martino di Bartolomeo (1389-1435) : Gli Evengelisti Marco, Giovanni, Matteo, Luca.
Pittore senese del primo quatrocento (précédemment attribué à Ambriogio Lorenzetti) :
"Si un incendie se déclarait à la Pinacothèque, je sauverais deux petits tableaux d'Ambrogio : Ville sur la mer et Château au bord d'un lac. Aucun paysage de la peinture du trecento n'égale ces deux-là, et parmi les artistes des siècles suivants, rares sont ceux qui ont réussi à créer des oeuvres de pure peinture aussi parfaites. La chose est plus facile à dire qu'à expliquer.
Ville sur la mer - des murs gris, des maisons vertes, des toits rouges et des tours - est construit à partir de formes claires, aux contours précis, comme tracés au diamant. L'espace est à trois dimensions mais, comme l'a très justement remarqué un critique, « la construction raffinée de la perspective ne tend pas, chez Ambrogio, à rationaliser l'espace : si paradoxal que cela puisse paraître, elle a pour but de rapprocher immédiatement les profondeurs du tableau de sa surface. » Le paysage est vu d'en haut. La ville est déserte, comme si elle venait à peine d'émerger des flots du déluge. Embrasée jusqu'au dernier degré de visibilité, elle baigne dans une lumière verte et ambrée. La réalité hallucinante des objets représentés est telle que je doute qu'une analyse, quelle qu'elle soit, puisse se risquer à fouiller ce chef-d'oeuvre.
Il est aussi absurde d'avaler des tableaux que des kilomètres." (Un Barbare, pages 129-130)
Probablement, mais nous allons tout de même continuer.
Giovanni da Paolo (actif à Sienne de 1403 à 1482) : San Girolamo nello studo ; à droite : Domenico di Bartolo (ca 1400-ca 1447) : Madonna dell'Umilta e Angeli :
Neroccio di Bartolomeo de' Landi (1447-1500) : La Madonna col Bambino e i Santi Giovanni Battista e Andrea :
"Neroccio, avec ses couleurs délicates et la perfection chinoise de son trait, est l'un des peintres les plus séduisants du quattrocento siennois. Peut-être est-il le dernier artiste chez lequel se manifeste un lointain écho de la précision linéaire de Simone Martini." (Un Barbare, page 136)
Trois oeuvres de Sano di Petro (1405-1481) :
1/ Madonna col bambino, Angeli e i Santi Domenico, Girolamo, Agostino e Francesco e il Beato Giovanni Colombini :
2/ Madonna in trono col Bambino incoronata da due Angeli e le Sante Margherita e Caterina d'Alessandria ; à droite : 3/Annuncia ai pastori (j'aime bien le chien, museau en l'air)
Un coup d'oeil par la fenêtre.
Il Sodoma (1477-1549) : Adorazione di Gesu, nell'Orto
A propos de Sodoma : "Il est gras, vulgaire, et sa forme souffre d'hydropisie [...] je crains qu'il ne faille donner raison à Berenson, pour qui « l'ensemble de son oeuvre est d'une lamentable médiocrité ».
Je me console en pensant que le Sodoma n'était pas siennois : il est né en Lombardie. [...]
Dans l'un de ses tableaux,
il s'est peint à côté de Raphaël : il devait donc se faire des illusions sur son talent." (Un Barbare, pages 136-138)
C'est bientôt la fin.
Lors d'une dernière petite balade, on voit, au loin, la Basilique San Domenico :
Dans une cour, des enfants font du tambour et agitent des drapeaux, il s'entraînent pour le prochain Palio...