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DE LUCA Erri

(Naples, 20/05/1950 - )

erri de luca



Erri de Luca est un curieux bonhomme, ouvrier, poète, romancier... Son originalité d'homme débouche sur l'originalité de son écriture.

Ce qui suit est tiré de wikipedia , auquel on se référera pour plus de détails :
"Erri De Luca naît dans une famille bourgeoise napolitaine appauvrie par la guerre et passe son enfance dans le quartier populaire de Montedidio. Son père, courtier en fruits et légumes, lui transmet sa passion des livres. Son lit d'enfant était installé dans une pièce remplie de livres, de romans et d'essais sur la deuxième guerre mondiale. « Je n'avais pas de chambre d'enfant : j'étais l'hôte des livres de mon père ». Il découvre le monde des adultes par les livres qui l'entourent. Il a hérité de son père le goût des livres et de la lecture comme plus tard il héritera de sa bibliothèque. [...]
L'italien est pour lui une seconde langue et il a toujours parlé le napolitain avec sa mère jusqu'à sa mort en 2009 tandis que son père tenait à ce que sa soeur et lui parlent un italien parfait. Erri De Luca revendique ce double héritage, son appartenance d'écrivain à Naples et son amour de l'italien, la langue de son père dans laquelle il reconnaît sa patrie. Le père du jeune héros de Montedidio dit à son fils : « Nous vivons en Italie ... mais nous ne sommes pas Italiens. Pour parler la langue nous devons l'étudier, c'est comme à l'étranger, comme en Amérique, mais sans s'en aller... C'est une langue difficile... mais tu l'apprendras et tu seras Italien ». Erri De Luca voit l'italien « comme une étoffe, un vêtement sur le corps nu du dialecte, un dialecte très à l'aise dans l'insolence »"

En 1968, il quitte la maison familiale et s'engage dans l'action politique révolutionnaire. Il participe à des mouvements politiques d'extrême-gauche. Il devient ouvrier.

"Il sera manœuvre à Naples après le tremblement de terre de novembre 1980, puis fuyant les lois spéciales de son pays il trouvera refuge en France en 1982 où il travaillera sur des chantiers dans la banlieue parisienne. « On se tenait à distance pour ne pas finir dans les procès sommaires des lois d'urgence... ».
En 1983 il se prépare à s'engager comme bénévole dans une action humanitaire en Tanzanie pour y installer des éoliennes et améliorer l'approvisionnement en eau des villages dans la brousse. C'est dans un centre de formation en Italie avant son départ pour l'Afrique orientale qu'il découvre une Bible par hasard et que naîtra sa passion pour l'Ancien Testament et l'hébreu. Souffrant de la malaria et de dysentrie, il ne pourra rester que six mois en Afrique. De retour en Italie, n'appartenant à aucun « tableau de malfaiteurs » comme il l'expliquera dans son livre Sur la Trace de Nives, il continue sa vie d'ouvrier, poursuit l'étude des textes sacrés, se passionne pour l'alpinisme où il excellera et termine Acide, arc-en-ciel commencé en 1976.
Pendant la guerre en Bosnie-Herzégovine (1992-1995), dans l'ex-Yougoslavie, Erri De Luca est chauffeur de camion dans des convois humanitaires destinés à la population bosniaque. Il se sent proche aujourd'hui du mouvement altermondialiste. "

La prose d'Erri de Luca est généralement poétique, parsemée de mots napolitains.
Quand il parle des ouvriers, de travail manuel, cela sonne toujours vrai (comme chez Vassili Grossman, pour prendre l'exemple d'un écrivain très différent). Il est un intellectuel ouvrier, fasciné par la Bible mais non croyant.

Son roman le plus connu est Montedidio (Fémina Etranger 2002), qui est un bon livre.

le jour avant le bonheur   il giorno

La couverture française à gauche ; à droite, la version italienne en "poche" photographiée dans la librairie Ubik, à Naples, le 10 septembre 2011.

- Le Jour avant le bonheur. (Il giorno prima della felicità, 2009). 138 pages. NRF Gallimard. Traduit de l'italien par Danèle Valin.
Nous sommes à Naples dans l'après-guerre (la Seconde).
Le roman commence ainsi :
"
Je découvris la cachette parce que le ballon était tombé dedans. Derrière la niche de la statue, dans la cour de l'immeuble, se trouvait une trappe recouverte de deux petites planches en bois. Je vis qu'elles bougeaient en posant les pieds dessus. J'eus peur, je récupérai la balle et sortis en me faufilant entre les jambes de la statue."

Le narrateur, un jeune orphelin, récupère la balle et reprend sa place dans les buts.

"
Ils me faisaient jouer avec eux parce que je récupérais le ballon où qu'il aille. Une de ses destinations habituelles était le balcon du premier étage, une maison abandonnée. On disait qu'elle était habitée par un fantôme. Les vieux immeubles étaient pleins de trappes murées, de passages secrets, de crimes et d'amours illicites. Les vieux immeubles étaient des nids de fantômes." (pages 9-10)

"
J'allais à l'école. Ma mère adoptive m'inscrivait, mais je ne la voyais pas. C'était don Gaetano, le concierge, qui s'occupait de moi. Il m'apportait un plat chaud le soir. Le matin, avant l'école, je lui rapportais l'assiette propre et il me réchauffait une tasse de lait. J'habitais seul dans un réduit. Don Gaetano ne parlait presque pas, orphelin lui aussi, mais il avait grandi dans un orphelinat, pas comme moi qui vivais librement dans l'immeuble et sortais en ville.
J'aimais l'école. Le maître parlait aux enfants. Je venais de mon réduit où personne ne me parlait, et là il y avait quelqu'un à écouter. J'apprenais tout ce qu'il disait. C'était si beau de voir un homme expliquer aux enfants les nombres, les années de l'histoire, les lieux de la géographie. Grâce à une carte en couleurs du monde, sans jamais avoir quitté la ville on pouvait connaître l'Afrique qui était verte, le pôle Sud blanc, l'Australie jaune et les mers bleues.
A l'école, il y avait les pauvres et les autres. A onze heures, ceux de la pauvreté comme moi recevaient du pain avec de la confiture de coing que leur donnait le surveillant. Avec lui entrait une odeur de four qui fondait dans la bouche. Les autres n'avaient rien, seulement leur goûter apporté de chez eux. Il existait une autre différence, on rasait la tête à ceux de la pauvreté au printemps à cause des poux, les autres gardaient leurs cheveux.
" (pages 12-13).

On est bien chez Erri de Luca : la pauvreté ne tombe pas dans le misérabilisme. Ce qui ne veut pas dire que le monde n'est pas dur.
Le narrateur pense parfois à son père, qu'il n'a pas connu.
"
Les pères que je voyais étaient terribles. Les enfants recevaient d'eux des gifles et des coups de pied au vol. Des cris, des coups et des sanglots sortaient des maisons. Rien de tout cela ne m'était arrivé. Si j'étais pris de mélancolie le soir quand les mères appelaient leurs enfants dans la cour pour qu'ils remontent chez eux, je me souvenais des coups qui arrivaient jusqu'à mon réduit, et je me trouvais à égalité. je me bouchais les oreilles, ça ne suffisait pas. Les cris de douleur des enfants passent quand même, ils se communiquent d'une peau à l'autre." (pages 95-96).

Le narrateur aide Don Gaetano, il apprend à effectuer des petits travaux. Le temps passe. Il aime l'école, les livres.
Don Gaetano raconte la libération de Naples, l'arrivée des Américains. Cette histoire du passé entrelace les petits événements du présent.
"
Elles [Les filles] étaient devenues plus belles et plus effrontées. Faute de moyen de transport, elles demandaient à monter dans les jeeps. Elles se faisaient conduire et tombaient amoureuses. On assistait à des crimes de jalousie. [...]
« Naples s'était consumée de larmes de guerre, elle se défoulait avec les Américains, c'était carnaval tous les jours. C'est à ce moment-là que j'ai compris la ville : monarchie et anarchie. Elle voulait un roi, mais de pas gouvernement. C'est une ville espagnole. L'Espagne a toujours connu la monarchie, mais aussi le plus fort mouvement anarchiste. Naples est espagnole, elle se trouve en Italie par erreur. »
" (page 98).

C'est un bon roman (mais Montedidio m'a paru supérieur), avec ce que l'on aime (ou pas) chez Erri de Luca, la bonté presque naïve de certains, la confiance dans l'honnêteté, et puis l'histoire de coeur (comme toujours, ou du moins souvent, chez Erri de Luca)
. C'est à la fois bien, avec la petite réserve qu'on sent presque un cahier des charges, on est rarement surpris.
Et il y a le style très particulier de l'auteur. C'est très agréable d'y revenir de temps à autre.

 

pas ici pas maintenant
A Pompéi, le 4 septembre 2011.

- Pas ici, pas maintenant. (Non ora, non qui, 1989). 127 pages. Folio. Traduit de l'italien par Danèle Valin.
C
'est un texte autobiographique, le premier livre de l'auteur, qui a paru chez un grand éditeur, Feltrinelli (Docteur Jivago, Le Guépard).
Wikipedia : "Il écrit ses premiers textes sans l'intention de les publier, mais la maladie de son père le décide à envoyer son manuscrit à un éditeur. Erri De Luca souhaitait que son père pour lequel il était, à près de quarante ans, un fils égaré soit fier de lui. À ce père mourant, à ce lecteur passionné qui ne peut plus lire, il a le temps de mettre entre les mains son premier livre comme une manifestation concrète de cette voie nouvelle d'écrivain qu'il a choisie. « Quand j'écris, je chuchote parce que je pense qu'il est resté aveugle même là où il est, et qu'il n'arrive pas à lire la page derrière mon épaule. Il aimait les histoires et je suis encore là pour les lui raconter. » dira-t-il plus tard."

Voici le début du livre : "Tant que la lumière fut dans ses yeux, mon père fit des photographies. Toute une étagère se remplit de nos images prises dans des circonstances particulières ou banales. La récolte dura dix ans, pas plus : des premières années de bien-être à celles de la perte de sa vue. Ainsi reste illustrée jusqu'au détail une époque, peut-être la seule que j'ai réussi àoublier. Les albums, les archives ne soutiennent pas ma mémoire, mais au contraire s'y substituent." (page 9).

Au début, c'est la pauvreté. Les ruelles étroites, le bruit.
"Nous ne parlions pas napolitain. Nos parents se défendaient de la pauvreté et du milieu avec l'italien. Ils étaient très seuls et ne recevaient pas d'amis, ne pouvant les accueillir dans un lieu si exigu. La guerre avait détruit tous leurs biens. Ils y laissèrent l'aisance de leur première condition." (page 10).
"Le froid donnait la courante. Je ne l'ai su qu'enfant, et aujourd'hui j'ai comme l'impression d'inventer un fait plus que de l'évoquer. Je l'ai redécouvert par un matin d'hiver alors que je me trouvais, bien des années plus tard, sur la place des cars à Brunico, dans le Sud-Tyrol. Ce froid qui sentait le gel repoussé hors des maisons, les sapins gonflés de neige, le cuir enduit de graisse, les bouffées des cafetières. Je le respirai et me rappelai aussitôt la puanteur de ma rue où la voix gelait dans la gorge des passants, plus personne ne parlait normalement, ils bégayaient tous. Les mains étaient enflées, la dysenterie envahissait l'espace étroit que nous partagions ; chez moi on avait l'habitude de dire : puer de froid. A Brunico je sentis l'arôme parfumé du gel, l'allégresse qu'il peut contenir et que je ne connaissais pas. Je sus que le froid pouvait aussi embaumer. Des cheminées, la fumée s'élevait droite et fine comme l'encens allumé avec art." (page 16).
Ce sont des souvenirs d'enfance racontés par l'homme d'aujourd'hui, comme quelqu'un qui regarderait des photos de son enfance.
"Aujourd'hui mon visage fait penser à celui de mon grand-père. Avec le temps je me suis mis à ressembler à sa photo qui était sur la table de chevet de papa." (page 55).

Parfois, l'auteur s'adresse à quelqu'un :
"Je scrute des yeux le visage des passants, parmi eux je vois le tien, maman. [...]
Bien vite apparurent les cheveux blancs que tu ne voulus pas teindre, te souciant peu de corriger les détails de ton image. Tu paraissais moins jeune que les femmes de ton âge, mais tu repris l'avantage sur le tard. J'ai vu des femmes tomber dans l'âge suivant comme on rate une marche, par mauvais calcul, pour avoir voulu retenir trop longtemps le précédent.
" (pages 20-22)
Il y a aussi Filomena, la femme qui fait la cuisine et tient la maison.
"Elle avait des tics de langage religieux qui plaçaient chaque action de la journée sous la tutelle de la Madone omniprésente : où que j'aille, si je l'en informais, elle m'assurait que j'étais accompagné. « Filomé, si on me téléphone, appelle-moi, je suis aux toilettes. » Même dans ce cas, elle me répondait avec confiance : « Va, va mon fils, la Madone t'accompagne - Non, Filomé, aux toilettes, il vaut mieux que j'y aille seul. »" (page 30).


Ce n'est donc pas un roman, plutôt une méditation sur sa vie, l'incompréhension de son père, et tout ce que Erri de Luca n'a réalisé que plus tard (ne serait-ce que les sacrifices financiers de ses parents), les traces que laissent les disparus. "Telle fut leur vie irréductible que nous avons ignorée tant qu'elle fut parmi nous et dont aujourd'hui nous prenons conscience seulement parce que nous l'avons perdue. Je t'en parle, maman, car il en sera de même entre nous." (page 36).

On y trouve beaucoup de thèmes, d'idées, de lieux, qu'Erri De Luca exploitera d'une manière plus romanesque dans ses livres suivants, mais son style si particulier est déjà là.

A noter que la photo de couverture a été prise à la Chartreuse San Martino (Certosa di San Martino) de Naples :

certosa di san martino
Photographie du 9 septembre 2011


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