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KAWAKAMI Mieko (川上未映子)

(Osaka, 29/08/1976 - )

kawakami mieko

Kawakami Mieko est diplômée de philosophie.
Elle est musicienne (elle a publié plusieurs albums, mais - sauf erreur de ma part - ne semble pas poursuivre dans cette voie), actrice (dans Pandora no hako - adaptation de Dazai Osamu -, réalisé par Tominaga Masanori, en 2009, pour lequel elle a d'ailleurs reçu un prix), et romancière. Son premier roman a été nominé au prix Akutagawa, qu'elle a finalement remporté avec Seins et Oeufs a obtenu le prix Akutagawa en 2008.
Elle a également remporté un prix pour un recueil de poèmes.

Elle vit avec Abe Kazushige.



seins et oeufs

- Seins et Oeufs (乳と卵, Chichi to ran, 2008). Roman traduit par Patrick Honnoré, 108 pages. Actes Sud.
Natsu, une femme de trente ans (sans rapport avec Balzac), célibataire, habite un petit appartement à Tokyo. Elle reçoit pour trois jours sa soeur, Makiko, qui a presque quarante ans, et la fille de celle-ci, Midoriko, onze ans.
Makiko a divorcé, elle gagne sa vie en travaillant dans un bar (comme l'a fait Kawakami Mieko ?)
La voici qui parle de sa fille avec sa soeur Natsu :
"Bah, Midori, ça va...
Et tout de suite après :
- Mais tu sais quoi ? Maintenant on correspond. On s'écrit, figure-toi, on s'écrit !
- On s'écrit ? Ça veut dire quoi, ça ?
- Moi je parle, bien sûr... Moi je parle, et Midori, elle m'écrit, tu te rends compte ? Elle ne parle pas. Elle ne parle plus. Ça fait bientôt six mois. [...] Non mais attends, bien sûr moi aussi je lui ai demandé pourquoi, au début, tu penses bien. Mais rien du tout ! Tu imagines ? Je lui ai demandé si c'était à cause de moi, si je lui avais fait quelque chose. Mais elle n'a pas répondu. Elle ne parle plus, d'abord. Mais ce n'est pas qu'elle est fâchée, non non non. Je suis embêtée, tu comprends. Je suis bien embêtée, c'est vrai. Mais je me dis que c'est l'âge. Ça arrive à cet âge-là.
" (page 13).
Tant que ça finit par partir...

Le roman est écrit du point de vue de Natsu. Mais on a parfois un extrait du journal de Midoriko, qui est donc dans sa phase adolescente. Par exemple :
"Rien que de penser que moi aussi quand un jour j'aurai mes règles, pendant des dizaines d'années jusqu'à ce que ça soit fini complètement, tous les mois j'aurai du sang qui me coulera entre les jambes, j'en peux plus d'être dégoûtée. [...] Si un jour j'ai les règles, je ne le dirai pas à maman. Jamais de jamais, secret absolu. [...] J'ai des copines, leur famille a organisé une cérémonie du riz rouge pour les féliciter, comme si elles avaient droit à une prime, j'en reviens pas. Dans les livres, avoir ses règles, c'est toujours trop bien. Ça fait trop chiqué, comme si c'était pour nous montrer la façon correcte de penser. [...] Pour la simple raison qu'on est née, en fin de compte il faut vivre, manger tout le temps et gagner sa vie, rien que ça c'est l'horreur. Je le vois bien, maman, elle travaille tous les jours et sa vie est quand même dure." (pages 29-30).
Si Makiko est venue pour quelques jours à Tokyo, c'est parce qu'elle veut se faire implanter des prothèses mammaires. Elle, qui n'a apparemment pas une éducation très poussée, connaît tous les détails techniques du sujet. Elle est intarissable. Elle saoule sa soeur sur les différentes techniques d'augmentation mammaire :
"- Soit les prothèses de silicone, soit l'augmentation de volume par injections d'acide hyaluronique, soit on te prélève ton propre tissu adipeux quelque part pour rembourrer les seins. Actuellement, la technique des implants en silicone est encore la plus courante, mais c'est quand même la plus coûteuse, dit-elle en tapotant les photos de prothèses de silicone couleur chair. Tu vois ces petits pochons de silicone, regarde-moi tous ces modèles !" (pages 32-33).
Et elle parle, encore et encore...
Et Natsu pense : "Depuis un moment, je ne peux me défendre de l'impression étrange bien que brumeuse, que si Makiko semble me parler, en réalité elle ne me voit même pas. C'est une sensation de taper dans le vide, comme quand le batteur manque la balle au base-ball, qui me gagne peu à peu. " (page 37)

Le livre tourne autour de la place du corps de la femme, et plus généralement de la femme.

Midoriko trouve répugnant de sentir son corps changer ; sa mère, elle, veut se le faire changer, volontairement, pour l'améliorer. Mais pour quoi faire ? se demande Natsu (ce qui donne aussi lieu à quelques pages sur la question de savoir si ce type d'opération - tout comme le maquillage... mais est-ce comparable ? - est la conséquence d'une "imprégnation phallocratique des mentalités" (page 41) et donc destiné à plaire aux hommes, ou bien si c'est simplement pour se plaire à soi-même).
Mais peut-être que si Makiko désire tellement cette opération, qu'elle en fait une fixation, c'est plus lié symboliquement au désir de voir sa vie changer en mieux.


Un bon roman (ah, la scène des bains publics !)


On pourra lire un court texte, March Yarn, traduit en anglais par Michael Emmerich sur : http://www.bungaku.net/wasebun/info/charity_en.html

de toutes les nuits, les amants
Photographie de couverture : Ahn Sun Mi

- De toutes les nuits, les amants (Subete mayonaka no koibitotachi, 2011). Traduit en 2014 par Patrick Honnoré. Actes Sud. 279 pages.

Le personnage principal du roman se nomme Fuyuko. Elle a trente-quatre ans, est célibataire, et travaille comme correctrice free-lance.
"J'ai quitté mon emploi salarié, en fait mon premier emploi après la faculté, il y a trois ans, à la fin avril.
C'était une petite maison d'édition dont personne n'avait jamais entendu parler malgré un nom ronflant, qui sortait des livres dont on se demandait qui pouvait bien lire ça.
Le métier d'éditeur peut différer légèrement selon la taille et l'identité de la maison, mais grosso modo, il s'agit toujours de fabriquer des livres et de les vendre. Et chez un éditeur, avant que le livre n'existe en tant que tel, il y a un poste qui consiste à lire et relire le texte pour rechercher les fautes d'orthographe, les mots ou expressions utilisés de façon erronée, ou les erreurs factuelles de contenu - autrement dit, du matin au soir, chercher les "fautes". C'est ce qu'on appelle le travail de correction éditoriale. Et moi, dans cette petite maison d'édition, j'étais correctrice éditoriale.
" (page 14).

Fuyuko a du mal à s'intégrer. Les relations humaines, ça n'est pas son truc.
Elle travaille chez elle. Elle n'a pas de vie sociale.

Un jour, elle se décide à prendre des cours dans un centre culturel. Pour cela, il lui faut déjà vaincre sa timidité, ce qu'elle fera à grand renfort de bière et de saké.
Elle rencontre un professeur de physique, M. Mitsutsuka, à qui elle explique en quoi consiste son travail :
"La première chose que l'on apprend quand on devient correctrice, c'est que... c'est qu'on ne doit pas lire ce qui est écrit. Comment dire... Roman ou pas, il ne faut surtout pas lire.
- Il ne faut pas lire ?
- Non. Enfin... en tout cas, il ne faut pas entrer dans le sens des phrases, ça, pour une correctrice, c'est interdit.
M. Mitsutsuka a hoché la tête.
- ... Autrement dit, c'est notre capacité à ne pas lire l'histoire... Enfin, bien sûr nous lisons très attentivement le fil de l'histoire, il faut vérifier la logique de la succession des événements, la structure temporelle, mais en fait, il ne faut pas être influencée par tout ce qui est émotion dans un livre... il faut rester concentrée sur la recherche de toutes les fautes qui se cachent.
" (page 96).

Comme elle le dit, elle est faite pour ce travail : "... je ne suis pas très sensible aux choses comme les sentiments" (page 97).
Elle vérifie minutieusement chaque élément des livres sur lesquels elle travaille mais, au final, il ne lui en reste rien. Elle est d'autant plus attentive aux fautes qu'elle n'est pas prise dans sa lecture, elle a un regard extérieur. Elle vit de la même façon, sans être prise par quoi que ce soit.

La voici qui discute (c'est-à-dire qu'elle se contente généralement d'acquiescer) avec une certaine Hijiri, qui lui fournit les textes. C'est Hijiri qui parle :
"- Il y a les grands auteurs pas géniaux géniaux, aussi... Et puis les auteurs géniaux mais pas très très grands... Tout ça est régi par des règles très subtiles, je ne t'apprends rien. Mais bon, c'est partout pareil. C'est ce qu'on dit des femmes aussi, pas vrai ? Tu as celles qui n'ont pas de gosses pour se consacrer à leur carrière, on leur dit : "Quel courage !" et puis tu as celles qui ne travaillent pas mais qui ont pondu un gosse, celles-là, on dira qu'elle sont méritantes, tu vois ce que je veux dire... " (page 39)

Hijiri dira plus tard : " [...] quand je suis entrée dans la boîte, on m'a dit que j'étais trop coriace pour qu'on me trouve du charme, difficile à manier, que je fatiguais les gens, et j'en passe. Mais bon, dans un sens, ce genre de réactions, c'est tellement cliché que c'est presque une tradition. Se le faire dire par les hommes, c'est idiot mais disons qu'on ne peut pas trop leur en demander. Attendre quoi que ce soit d'un mec aujourd'hui, déjà... Mais même les filles, et qui bossent, tu grattes un peu et elles sont toutes formatées sur le même modèle !" (page 47).
Hijiri incarne la femme qui couche avec qui elle veut, quand elle veut, et qui jette les hommes quand ils cessent de l'intéresser. Elle est brillante, exigeante avec tout le monde, et ne veut pas rentrer dans un moule. Elle est mal vue des autres femmes, même quand elle cherche à les défendre, à affirmer leurs droits face aux hommes.

Fuyuko non plus n'entre dans aucun moule, mais c'est parce qu'elle reste en quelque sorte à l'écart de la vie.
Un jour qu'elle est dans une librairie (ce qui lui arrive très rarement, tétanisée qu'elle est de voir un livre dont elle a été la correctrice et dans lequel elle trouverait une faute...), à côté de livres comme "Faire venir la chance pour trader en bourse", elle voit aussi : "J'ai multiplié mes revenus par 17 grâce à mon maquillage, Salope polymorphe si je veux !" (page 110)
Mais aussi "Il faut l'avoir fait avant 35 ans" (avec les rubriques : carrière, mariage, enfants, et plein de sous-rubriques), "Les Amazones : fortes et libres, ne vous en déplaise !" (page 108-109). Ce sont des choix qui s'offrent aux femmes : utilisation de la féminité dans un univers masculin, ou bien affirmation de soi, quitte à déplaire.

Dans la vie, il faut faire des choix, mais Fuyuko n'en a pas fait : elle s'est laissée porter par les événements. Cela pourrait être un choix, ce n'est pas le cas : c'est simplement la faute à sa timidité. La vie décide pour elle.

Qu'est-ce qui fait le sens de la vie ? Le travail ? Les enfants ? Comme le dit une femme à un moment, qui se rend compte qu'elle ne partage rien avec son mari : "Quand ils seront grands, que ma fille sera casée, qu'est-ce qui me restera ?" (page 200).

La relation entre Fuyuko et Mitsutsuka rappelle un peu les liens entre Tsukiko et un professeur de japonais dans Les Années douces de Kawakami... Hiromi. On est dans ce qui peut sembler un cliché : l'homme parle, la femme écoute et apprend.

Un bon roman sur la société japonaise contemporaine, vue du côté des femmes.

De façon accessoire, on apprend (je ne le savais pas) que le mot quark vient de Finnegan's Wake (page 187).

 

heaven
Couverture : photographie de Patti Maher.

- Heaven (Heaven, ヘヴン ; 2012 ) roman traduit du japonais par Patrick Honnoré en 2016. Actes Sud. 234 pages.

Le livre s'ouvre par une citation de Céline, Voyage au bout de la nuit :
"Et puis d'abord tout le monde peut en faire autant. Il suffit de fermer les yeux. C'est de l'autre côté de la vie."

Puis, c'est le début :
"Un jour, vers la fin avril, j'avais trouvé un bout de papier plié tout petit en ouvrant ma boîte à stylos, debout entre deux crayons.
Je l'ai déplié. D'une écriture fine comme des arêtes de poisson, au portemine, il y avait écrit :

Toi et moi, nous sommes du même genre.

C'est tout.
J'ai vite remis le papier en place dans ma boîte à stylos, j'ai d'abord repris mon souffle, puis le plus naturellement possible, j'ai essayé de regarder autour de moi. Tout était comme d'habitude, les rigolades, les voix perçantes, les bavardages, l'agitation normale de l'interclasse.
" (page 9).

Nous sommes au collège, vers la fin des années 1990. Notre héros est un adolescent de quatorze ans "affublé d'un strabisme sévère" (page 22). Il est le souffre-douleur des garçons de sa classe. De même, une fille qui est négligée, se lave rarement, est la proie des moqueries et vexations des autres filles. Le papier plié vient justement de cette fille, Kojima.

"Dans ses lettres, Kojima était toujours gaie, vive, c'était une autre personne que celle que je voyais au collège." (page 27). Elle est créative, invente des mots (par exemple, elle dit à un moment qu'elle est "contentopamine", mot-valise de "contente" et "dopamine"). Elle est ouverte à l'art (Chagall, probablement).

"Même si j'étais au courant depuis longtemps il me devenait de plus en plus pénible de la voir ou de l'entendre se faire maltraiter par les autres filles. Comme il m'était pénible de savoir qu'elle me voyait ou m'entendait me faire maltraiter. Je ne voulais pas entendre, je ne voulais pas voir. Mais nous étions dans la même classe.
Ils m'appelaient tout le temps le bigleux, ou Paris-Londres, ils m'obligeaient à faire des choses complètement stupides, ou alors ils me faisaient tomber, et pendant les interclasses ils me faisaient piquer des sprints sur le terrain de sport. Ninomiya et les autres me regardaient du bâtiment scolaire et rigolaient, comme d'habitude.
" (page 26)
Ninomiya est le tortionnaire en chef. Il est bon en classe, et est bien vu des professeurs. Il est populaire, semble avoir tout pour lui, mais il est porté à la violence. Est-ce un exutoire à la pression de la société, par exemple l'obligation qui est faite de prendre des cours du soir et même pendant les vacances pour avoir une chance d'intégrer une bonne école ? Il n'a pas le contrôle de sa vie mais, par moment, il a le contrôle de la vie d'un autre.
Parfois, le narrateur doit manger ou boire des choses plus ou moins répugnantes ; d'autres fois, ça devient carrément violent, mais les tortionnaires, en vrais professionnels, s'arrangent pour ne pas laisser de traces visibles.

Est-ce que tout cela finira avec le collège, ou y aura-t-il encore à subir des vexations et des brutalités plus tard, peut-être même au travail ? Le narrateur se pose beaucoup de questions.

"Comment trouvais-je Kojima, en vérité ? Pourquoi ne lui adressais-je jamais la parole au collège, moi non plus ? Pourquoi évitais-je même son regard ? Eh bien... parce que j'avais peur de Ninomiya et de sa bande, bien sûr. Effectivement, mais pourquoi avais-je peur d'eux ? Peut d'être blessé ? Si c'est vraiment être blessé que je craignais, si c'était vraiment de la peur que j'éprouvais, pourquoi ne faisais-je rien pour changer la situation ? À la base, qu'est-ce que c'est, être blessé ? J'étais martyrisé, violenté, mais pourquoi étais-je incapable d'autre chose que d'obéir, toujours ? Qu'est-ce qu'obéir ? Pourquoi ai-je peur ? Pourquoi peur ? Qu'est ce que la peur ? J'avais beau me poser toutes ces questions, aucune réponse ne venait." (page 76)
Pourquoi des ados en martyrisent-ils d'autres ? pourquoi tel ado devient-il souffre-douleur et pas tel autre ?
Ceux qui ne voient pas ce qui se passe sont-ils volontairement aveugles ? Et ceux qui laissent faire, pourquoi ? Et pourquoi les souffre-douleur se laissent-ils faire ? Appartenir à une famille recomposée est-il un facteur aggravant ?

En plus de toutes ces questions liées à la violence scolaire, le livre en aborde un autre, celui des réactions possibles devant une différence (physique, bien sûr, mais pas seulement, ainsi l'attitude de la mère de Kojima par rapport à son premier mari) : pitié ou violence.

Heaven est un très bon roman, prenant.




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