Livre.gif (217 octets) Littérature Japonaise Livre.gif (217 octets)



-
dictées

- listes
- liens recommandés


Papillon.gif (252 octets)

-> retour Japon <-

retour
page d'accueil

 


NAKAGAWA Hisayasu

(15/03/1931 - )

nakagawa hisayasu


Universitaire, spécialiste de Diderot et de Rousseau. Professeur émérite à l'Université de Kyôto, vice-directeur de l'Institut international des hautes études de Kyoto, membre de l'Académie du Japon, il a également été directeur général du Musée national de Kyôto.
Il est fait chevalier de la Légion d'honneur en 2004.


introduction

Introduction à la culture japonaise (2005, 101 pages, Presses Universitaires de France).
Il s'agit d'un recueil d'articles écrits en français au Japon.
La quasi-totalité de ces articles ont d'abord "vu le jour [...], entre 1990 et 1994, sous la forme de chroniques dans le magazine L'Âne, organe de publication du Champ freudien." (page 5).
Vous êtes donc prévenus, ça ne va pas être léger-rigolo comme L'Abécédaire du Japon, de Moriyama Takashi. Mais cela promet sans doute plus de profondeur...

L'auteur, lorsqu'il s'interroge sur les différences de traduction en français et en japonais d'une annonce faite dans un avion, convoque un philosophe français du siècle des Lumières pour... éclairer son propos (dans "Le monde plein et le monde vide").


Dans "Traduire l'identité", il traite du problème de l'expression de l'identité dans la langue japonaise grâce à la traduction japonaise du Rêve de d'Alembert, de Diderot.


"Pour les Européens, le « je » est une entité a priori qui transcende toues les circonstances." (page 17). Ce n'est pas le cas pour les Japonais ; c'est l'objet de l'article "Lococentrisme", qui traite donc de la difficulté de définir un "je" absolu en Japonais.


Dans "Du Partage religieux", il parle du bouddhisme et du shintoïsme.
"Tout commence au Japon avec le culte des morts. Depuis Meiji (1868), la loi enjoint d'incinérer tous les corps dans des crématoires officiels. On recueille ensuite les restes pour les déposer dans une urne qu'on enterrera sous une pierre tombale. Mon père avait exprimé sa volonté de partager ses restes, en en faisant enterrer une moitié dans le caveau de Tôkyô qu'avait fait construire son grand-père, et l'autre à Takéta, une ville du Kyûshû, l'île la plus au sud de l'archipel [...]" (page 23).
Ainsi, il est enterré pour moitié au cours d'une cérémonie bouddhique, et pour l'autre moitié selon le service commémoratif shintoïste. Les deux religions cohabitent.


Dans "La mort en fusion", Nakagawa traite du sujet suivant : "Quand on est sûr de mourir dans l'heure qui suit, à quoi pense-t-on ?" (page 39). Et de citer Dostoïevski et Shôhei Ôoka (l'auteur de Feu dans la Plaine).


Dans "Endroit et l'envers", il montre que du moment que l'on respecte la lettre du règlement, on peut bien composer avec... c'est peut-être apparemment plus valable encore au Japon qu'en France...


"Tirer sans viser" est une réflexion sur la dichotomie "réflexion" et "activité", la notion "d'intuition-acte", et de tir à l'arc où il faut avoir pour but de tirer "sans aucune arrière-pensée de succès et le coeur pur" (page 60), et non pas de tirer pour atteindre la cible, ce qui ne donnerait qu'un tir sans intérêt.
Comme l'écrit Nakagawa : "Une question se pose : Comment le maître peut-il distinguer un tir médiocre, qui d'ailleurs atteint la cible, d'un vrai tir qui éventuellement ne l'atteint pas." (page 60).
Mmm... c'est une bonne question... Je sens qu'il y a un truc qui m'a échappé. Il faudra que j'y réfléchisse encore...


"Du principe panoptique" permet de parler de Michel Foucault et du Panopticon (ah ! ça me rappelle mes cours de socio, quel bonheur !), de son application dans les prisons japonaises, et d'aboutir, via notamment des citations de la Bible à : "Le parallélisme entre la figure de Dieu omnivoyant, le gardien panoptique et le surmoi n'est que trop évident." (page 68). Un article (deux, en fait) un peu long.
A noter (même si Nakagawa, bizarrement, n'en parle pas) que l'application du principe panoptique la plus célèbre à la télévision est le Quartier de Haute Sécurité "Emerald City" de la série Oz : un surveillant au milieu, toutes les cellules en cercle autour, sur plusieurs niveaux, toutes les portes et murs étant vitrés de sorte qu'une seule personne puisse surveiller un maximum de détenus.


"Les arts japonais : juxtaposer pour enrichir" est un des articles les plus intéressants.
Il pose la question "Existe-t-il une spécificité de l'art japonais qui le singulariserait par rapport à l'art européen ?" (page 79).
Pour simplifier, Nakawaga montre que les oeuvres graphiques européennes (il prend comme exemple un Cézanne) sont généralement structurées autour d'un centre, tandis que dans leurs équivalents japonais (exemple : un tableau de Tessaï) "on ne peut pas parler d'un centre unique. C'est au contraire la juxtaposition de plusieurs lieux, des cimes, des cours d'eau, des bois, des pavillons et des ermites, qui procure au paysage sa structure et son relief. Cette caractéristique est profondément ancrée dans l'esprit japonais." (page 79).

Il parle de la coexistence des religions au Japon, et même des sectes : "D'après Taïra, il existait au Japon, dans l'antiquité et au moyen âge, huit sectes bouddhistes, toutes reconnues par l'Etat, qui avait érigé en principe « la pluralité des valeurs.» [...] Taïra en explique la raison ainsi : « Les Japonais ont longtemps pensé qu'existaient dans le monde des personnes intelligentes et des imbéciles, des bons et des méchants - bref, des individus variés. C'est pourquoi les religions, dont le rôle est de guider les gens vers le salut, devaient être multipliées afin de se conformer à cette diversité. Considérer sa propre école comme absolue est ce qu'il y a de plus redoutable, puisque cette attitude monomaniaque ne peut envelopper la variété de la population, et que l'exclusion laisserait trop de gens en dehors de la voie du salut. »" (pages 80-81).
Fort, non ?

Même le bentô répond à ce besoin de coexistence libre : on peut commencer par manger ce que l'on veut. "Chaque compartiment coexiste paisiblement avec l'autre, comme les écoles religieuses au Japon." (page 82).
Il en va de même pour la musique : en Occident, les écoles ont lutté les unes contre les autres (lullistes contre ramistes, glückistes opposés aux piccinistes...), en visant la disparition de leur adversaire.
Au contraire, le kabuki et la musique japonaise juxtaposent des systèmes différents.

Nakagawa parle aussi de l'art de l'encens, et plus particulièrement du jeu "kumikô" dans lequel on lit un poème, duquel on extrait des images qui sont associées à des parfums. "[...] et l'on donne d'abord à écouter à chaque participant les trois encens associés à ces images, dans l'ordre du poème. On se sert du terme « écouter » le parfum au lieu de « sentir », le parfum étant ici considéré comme une musique de l'odorat. Chaque participant doit s'efforcer de mémoriser ces parfums, et leur association. Ils lui seront à nouveau présentés mais dans le désordre, il devra les reconnaître et aura des notes en fonction de sa performance." (page 85).

"Dans cette juxtaposition très harmonieuse des images de la poésie courte et de diverses senteurs de bois odorant, deux systèmes, des lettres et des parfums, coexistent, s'enrichissent de leur rencontre et s'unissent sans jamais fusionner." (page 86). Chaque art enrichit l'autre sans chercher à le supplanter.
A aucun moment l'auteur ne parle de Wagner et de son "art total". Comment voit-il la tentative wagnerienne de fusion des arts ?

Dans "Le nu tout nu et le nu caché", Nakagawa compare le statut de la nudité en Occident et au Japon, où "l'être humain n'a donc pas été créé, ni n'est tombé dans un état de chute à cause d'une quelconque transgression aux commandements d'un Etre suprême." (page 93).
Puis il commente plusieurs estampes, en mettant en lumière la "complémentarité chair-vêtement". (page 96). "L'art japonais excelle dans l'art de stimuler et d'exciter l'imagination en dissimulant l'objet du désir." (page 98), ce qu'il met en valeur en analysant également deux haïkus de Bashô.

On pourrait dire que cela est également vrai dans le film d'horreur japonais (du moins dans ceux de Nakata Hideo - Ring, Dark Water...) qui suggère tellement plus que son cousin américain... d'accord, mon analyse ne tient pas compte de Pascal ou Diderot, mais au moins, je juxtapose les arts...

Et Nakagawa conclut : "En Europe, la vérité réside en ce qui est dévoilé, c'est l'aléteia, tandis qu'au Japon ce qui est le plus important, c'est ce qui est caché. Si bien que le nu n'accédera à sa propre valeur que sous le vêtement. Qu'il est donc incommensurable l'écart qui existe entre ces deux civilisations !" (page 101).


En conclusion : il faut par moments s'accrocher, les articles sont un peu disparates - pardon : juxtaposés -, et on a parfois l'impression de s'éloigner un peu du sujet commencé.
A part cela, c'est intelligent, cultivé et original - les analyses font intervenir la Bible, Pascal, Diderot, Dostoïevski, Cézanne, Utamaro... - et les articles, particulièrement ceux sur les arts, sont vraiment très intéressants.

Autre livre :
- Des Lumières et du comparatisme - un regard japonais sur le XVIIIème siècle


- Retour à la page Littérature japonaise -

 

Toute question, remarque, suggestion est la bienvenue.MAILBOX.GIF (1062 octets)