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STIFTER Adalbert
(Oberplan, Bohême - actuellement Horní Planá, 23/10/1805 - suicidé à Linz, le 28/06/1868)


adalbert stifter

 

Ecrivain, peintre, une des figures du Biedermeier. Fils de paysans, il passe son enfance dans les bois et les montagnes de Bohême. Puis, après des études dans une abbaye bénédictine, au lieu de faire des études de droit à Vienne, il se consacra aux sciences naturelles, à la peinture...
Amoureux d'une jeune femme, Fanny Greipl, il ne peut pas l'épouser à cause de l'opposition de ses parents à elle. Il ne s'en remit jamais.

fanny greipl

Cette figure féminine est d'une grande importance dans sa production littéraire.
Il épousa finalement Amalia Mohaupt, une femme qu'il n'aima pas, ne fut pas heureux, et malgré son désir d'avoir des enfants, n'en eut point.
Il gagna sa vie comme enseignant, puis publia, et s'imposa comme un des grands stylistes de la langue allemande.
Affecté par des deuils, malade, il se suicide en se tranchant la gorge.

Son créneau, c'est la Nature - plus grande que l'homme, belle, immuable mais changeante sous la lumière -, qui l'apaise, qui est presque une divinité, une entité. Et puis, on a des gens polis, cultivés, intelligents, qui se disent des choses généralement polies, cultivées et intelligentes (sur l'Art, le Beau, le sens de la vie, les devoirs, la morale...).

koenigsee
Der Königsee mit dem Watzmann, 1837, Wien, Österreichische Galerie.

La plupart de ses textes sont courts, mais on peut citer un très beau pavé, L'Arrière-Saison (aussi appelé "L'Eté de la Saint-Martin", 1857) : c'est son chef-d'oeuvre. On espère pouvoir lire un jour un autre pavé, le roman historique Witiko (1865-1867).


Beaucoup de gens très bien ont dit des choses très gentilles sur lui : Nietzsche, Hofmanstahl, Kundera, Handke, Hermann Hesse (qui, dans "Une bibliothèque de Littérature universelle", y place "l'Arrière-Saison, Witiko, les Etudes et les Roches multicolores d'Adalbert Stifter, le dernier prosateur classique de la langue allemande.", voir Une Bibliothèque idéale, Rivages, page 42).
Je vais me joindre à ces personnes (pour ce que ça vaut).
Il reste qu'Adalbert Stifter (plus encore que Theodor Fontane) est très peu connu en France.

homme
La couverture reproduit une oeuvre de Stifter, Mondaufgang, 1855. 23,1 x 27,7 cm.

L'Homme sans postérité (Der Hagestolz, 1851 ; 146 pages). Traduit et présenté par G-A Goldschmidt. Phébus libretto.

Dans son introduction, G-A Goldschmidt cite Nietzsche qui écrit dans Le Voyageur et son Ombre : "Si l'on excepte les écrits de Goethe et en particulier les Conversations de Goethe avec Eckermann, le meilleur livre allemand qui existe : que reste-t-il de la littérature en prose allemande qui mérite d'être relu et relu encore ? Les Aphorismes de Lichtenberg, le premier tome de l'Autobiographie de Jung-Stilling, L'Eté de la Saint-Martin d'Adalbert Stifter et Les Gens de Selwyla de Gottfried Keller, c'est tout pour l'instant." (page 9).
Plus loin, Goldschmidt écrit : "Le génie intime de Stifter échappe en effet comme à plaisir aux mots qui voudraient en fixer l'image. A première vue, rien ne semble émerger de cette oeuvre volontairement banale, parfois humble jusqu'à la trivialité, mais que soulève pourtant une émotion à laquelle il n'est pas facile de résister ; cette sorte de tristesse ample et forte qui baigne ici toute réalité." (pages 9-10).
Exactement !

Notre héros, un jeune homme prénommé Victor, a perdu sa mère très jeune. Son père s'est remarié avec une femme qui avait déjà une fille, Hanna, puis décède. C'est donc sa belle-mère, une brave femme, qui l'élève. Un jour arrive où il doit partir pour occuper un poste, mais il doit d'abord passer quelques jours chez un oncle, le frère de son père, un homme étrange qui vit reclus.
Le roman commence ainsi :
"Gorgé des rumeurs et des flots de sève montante de leur jeune vie à peine commencée, les jeunes gens escaladaient la pente entre les arbres, parmi les chants des rossignols. Tout autour d'eux se déployait un paysage resplendissant où couraient les nuages. Dans la plaine, en contrebas , on pouvait apercevoir les tours et la masse des demeures d'une grande ville.
L'un des jeunes gens prononça ces mots : « Maintenant, je le sais avec certitude, je ne me marierai jamais. »
Celui qui avait parlé était un adolescent svelte, aux yeux doux et ardents. Les autres n'avaient guère prêté attention à ses paroles, certains même répondirent par des éclats de rire, tout en continuant de cheminer, de casser des branches et de s'envoyer des mottes de terre.
" (page 21).
Le lecteur voit tout de suite qu'il est différent des autres. Il est très sérieux, grave.

Victor revient chez lui.

"Les rideaux étaient tirés, et par les fenêtres ouvertes on voyait la campagne chaude. Dans la cuisine, le feu flambait sans faire de fumée, et la servante travaillait à ses fourneaux . Tout était plongé dans ce profond silence qui faisait autrefois dire aux païens : « Pan sommeille »" (page 37).

Comme le héros de L'Arrière-Saison, Victor fait méthodiquement, posément, ses paquets, emballe ses livres. Il s'apprête à partir.

C'est très beau, tout le monde pleure beaucoup.
"Devant la porte se tenaient les domestiques et le jardinier. Toujours sans un mot il serra des mains à droite et à gauche." (au passage, on sent qu'il est ému, il serre des mains comme ça, quasiment en aveugle, l'absence de précision est très significative).
Un peu plus loin, sa mère parle : "[...] c'est la joie qui me fait pleurer, rien qu'à le voir devenu ce qu'il est. N'est-ce pas étrange : il n'a pas connu son père, et il en a la démarche, le port, la tête. Il sera bon ! Oui, mon enfant, mes larmes sont des larmes de joie !" (page 57).
Et Victor quitte la maison.
"Il dépassa le grand lilas, traversa les deux passerelles près du verger qui lui était familier depuis tant d'années et monta en direction des prairies et des champs." (page 58). Il a fallu attacher le chien, qui hurle furieusement : il veut partir avec son maître. Brave toutou.

Il s'éloigne. "Le jour resplendissant illuminait toute la vallée. il fit quelques pas sur la cime, et tout disparut derrière lui. Sous ses yeux s'étendait une vallée nouvelle, flottait un air nouveau. Le soleil était déjà assez haut : il sécha et les herbes et ses larmes, réchauffant toute la campagne de ses rayons." (page 58).
"Et le monde devenait plus grand, plus lumineux : ces milliers de créatures dans l'allégresse étaient partout ; Victor cependant allait de montagne en montagne et de vallée en vallée, son grand chagrin d'enfant dans le coeur, les yeux pleins de fraîcheur et d'étonnement. Chacune de ces journées qui l'éloignaient de chez lui le rendait plus ferme et plus vaillant. Le vide formidable de l'air frôlait ses boucles châtaines, les blancs nuages, luisants comme la neige, s'élevaient dans le ciel, exactement comme au-dessus de la vallée maternelle ; ses belles joues étaient déjà hâlées, le havresac sur le dos il avançait, son bâton à la main." (page 62)

Car c'est à pied qu'il doit rendre visite à son oncle, homme riche et reclus, sans doute pas sympathique... Victor va bien sûr grandir, mûrir, et se poser les bonnes questions sur ce qu'il veut faire de sa vie.
Un très beau roman, qui en fera bâiller certain(e)s, mais que d'autres, peut-être minoritaires, trouveront très beau, délicat, pour tout dire : excellent.


Brigitta (1844 ; traduit de l'allemand par Marie-Hélène Clément et Silke Hass). Fourbis, 122 pages, 1990.
Tout comme L'Homme sans Postérité, ce récit fait partie de la série des Etudes (qui comprend également Condor, Les Grands Bois, etc.)

Notre héros, comme souvent les narrateurs chez Stifter, se promène de par le vaste monde (c'est-à-dire en Europe), cherche à multiplier ses expériences en visitant divers pays, en apprenant à connaître les gens, les langues et les coutumes. Il espérait "en laissant mes pas me conduire çà et là à travers le monde, vivre et découvrir Dieu sait quoi." (pages 10-11).

En Italie, il fait la connaissance d'un major, avec qui il sympathise.
"J'avais fait la connaissance du major au cours d'un voyage, et dès notre première rencontre, il m'avait à plusieurs reprises proposé de venir lui rendre visite dans son pays. J'avais pris cela pour une simple façon de parler, une marque de politesse et d'amabilité comme souvent les voyageurs ont l'usage d'en échanger, et je n'aurais pas accordé plus d'importance à ce fait si deux ans plus tard je n'avais reçu une lettre de lui, dans laquelle il s'inquiétait de ma santé et surtout me réitérait l'ancienne invitation à venir le voir et à passer chez lui un été, une année, ou cinq, ou dix ans, ainsi qu'il me plairait, car il avait finalement pris la décision de se fixer en un seul et minuscule point de l'univers, et de ne plus laisser ses pieds fouler d'autre terre que celle de son pays, où il disait avoir trouvé ce qu'il avait cherché en vain de par le monde." (page 11).

Un jeune qui a tout ou presque (enfin... l'essentiel, le profond, et pas le superflu) à apprendre et qui est invité par un ami, un parent plus âgé, c'est un schéma bien classique chez Stifter. Mais ici, l'action se situe en Hongrie, et non plus en Bohème.
Il y a un petit peu d'exotisme, les descriptions changent. Le soleil se couche :
"S'ensuivit alors, effectivement, un somptueux spectacle : sur le disque noir de la lande s'était posée la cloche géante du ciel jaune, brûlant et flamboyant, tellement chatoyant pour les yeux, et les subjuguant à un point tel que chaque élément de la terre devient sombre et étranger. Un brin d'herbe de la lande se dresse contre le brasier comme un fléau, un animal passant là par hasard dessine un monstre noir sur un fond d'or, et les pauvres buissons de genévriers et de prunelliers esquissent des cathédrales et des palais lointains. Très vite à l'est, commence à monter le bleu humide et froid de la nuit, et une brume terne et opaque tranche la parfaite splendeur de la coupole du ciel." (pages 42-43). Comme on le voit, c'est très beau.

Le temps passe : "[je] pris part à la progression des choses qui avançaient devant moi, le doux écoulement monotone de ces journées et de ces occupations m'enveloppa si bien que je me sentis vivre harmonieusement et oubliai nos villes, comme un petit détail qui s'y serait glissé." (page 56).
Bien sûr, comme toujours, il y a un petit quelque chose sous-terrain qui semble troubler la quiétude : "[...] cependant, je croyais deviner une chose, c'est que dans la vie très pure, très dynamique du major, s'attardait quelque résidu qui empêchait la clarté d'être totale, et il me semblait y discerner cette qualité de tristesse qui ne s'exprime naturellement entre hommes que par le calme et la gravité." (page 59).

On apprend aussi que le major, entre autres, donne le bon exemple quant à de nouveaux procédés d'agriculture. "[...] aisance et vie meilleure se développent à partir de là." (pages 62-63). C'est du classique, l'homme éduqué, éclairé, qui veut sortir les paysans de leurs méthodes ancestrales, leurs préjugés, en leur démontrant que les nouvelles méthodes sont beaucoup plus efficaces que les leurs.
Et, bien sûr encore, il y a une voisine, une dame d'un certain âge : c'est Brigitta...

Bref, ce récit a beaucoup de points communs avec L'Arrière-Saison (notamment), mais il n'en a toutefois pas l'ampleur, la profondeur de pensée.
C'est une oeuvre bien écrite, bien menée, plaisante, mais quand même un peu mineure comparée à L'Arrière-Saison ou même à L'Homme sans Postérité.


condor
Paris, sur le pont de Bir Hakeim, le 13 mars 2011. On voit un ballon, dans le fond...

Le Condor (1841 ; traduit de l'allemand par J.Chambon). Editions Jacqueline Chambon, 47 pages.
Le narrateur est un jeune peintre. Sans doute pour cela, la nouvelle est découpée en tableaux. Ce n'est sans doute pas un hasard, et c'est une idée qui vient à tout le monde (elle m'était déjà venue, il y a des années, c'est dire que ce n'est pas génial).

Le premier tableau se déroule pendant "La nuit" (c'est le sous-titre) et commence ainsi :
"À deux heures du matin, par une belle nuit de juin, un chat suivait le faîte d'un toit en regardant la lune. L'un de ses yeux obliquement frappé par le rayon de l'astre nocturne brillait comme un vert feu follet, l'autre était noir comme de la poix et il s'ouvrit tout grand quand, le bord du toit atteint, et passant devant une fenêtre, il vit l'intérieur de la pièce - et moi à l'extérieur. Fixant sur moi les grandes roues amicales de ses yeux, il semblait me demander, surpris : « Que se passe-t-il donc, mon cher compagnon de jeu et de chambre pour que, si tard dans la nuit, se montre à la fenêtre ton visage que je vois reposer rose et frais, paisiblement endormi sur le blanc oreiller, chaque fois que ma course nocturne m'amène par ici ? »" (page 5).
toile
Que fait notre narrateur ? Il attend de voir apparaître un ballon dans le ciel.
"[...] sur le blanc et tendre ciel de l'aube d'un rouge aussi ténu qu'une fleur de pêcher se dessinait une sphère sombre, d'une grosseur considérable, qui s'élevait insensiblement - et, sous elle, suspendue à des fils invisibles, tremblant et vacillant dans le verre de la lunette, petite comme un point de suspension dans le ciel : la nacelle, une carte à jouer recourbée qui portait trois vies humaines et pouvait les précipiter dans l'aurore, aussi naturellement que d'un nuage tombe une goutte matinale" (pages 10-11).

C'est la première nouvelle publiée de Stifter, et cela se sent : elle n'est pas complètement aboutie. On y trouve certes déjà les thèmes qu'il va développer plus tard, l'art, l'amour, le voyage qui est à la fois voyage physique et "moral", si je puis dire, l'occasion de mieux se connaître soi-même, mais il y a une sensation de flottement, le sens n'est pas toujours très clair. L'amertume est plus explicitement présente que dans ses oeuvres ultérieures (du moins, celles que j'ai lues) :
"Hélas ! Pauvres amants, connaissez-vous la grandeur du coeur humain et en connaissez-vous la perfidie ?" (page 42)


fleurs des champs
Photographié à Leipzig, le 10 juillet 2011. Au fond, l'église Saint Thomas où repose Jean-Sebastien Bach.

Fleurs des champs (Feldblumen, 1841 ; traduit de l'allemand par Sibylle Muller). Circé, 138 pages.
Chaque chapitre est nommé d'après une fleur ou une plante : Primevère, violette, centenille minime, campanule, julienne des dames, barbe-de-bouc, gentiane bleue, fumeterre officinal, aristoloche, ..., lierre terrestre et silène rosa coeli. Il doit y avoir un rapport, une teinte, une tonalité, une symbolique... cela m'a échappé : en bon citadin, je connais tellement mal les plantes...

L'histoire commence en 1834.
Le narrateur est peintre ; il écrit son journal en s'adressant à un ami à lui, pour une raison qui sera expliquée.
"J'ai revu mon modèle. Elle est toujours la même. Je l'ai vue par hasard entrer avec sa mère dans l'église Ste-Anne, et j'y suis entré moi aussi. Si je devais la voir plus souvent, je chercherais, dans un moment d'heureuse inspiration, à voler les traits de son visage et à les jeter sur ma toile ; alors je t'en enverrais une miniature pour ta collection de beaux visages." (page 9).

Comme dans tout Stifter qui se respecte, le narrateur aime les promenades :
"Avant de terminer, il faut encore que je te dise qu'hier je suis allé une fois de plus faire une belle promenade, infinie pourrait-on dire, par monts et par vaux, pour passer en revue toutes les beautés, vivantes ou inanimées." (page 10).

Un jour, avec son ami Lothar, il suit "la jolie route qui va de Dornbach à Haimbach". Il entrevoit de nouveau son "modèle", une jeune fille qu'il appelle également sa "statue grecque", et à qui il n'a jamais adressé la parole.
"Auprès d'elle il y avait aussi une belle dame âgée, son accompagnatrice habituelle, et puis une silhouette jeune et mince, mais dont le visage était caché par toute une cascade de voiles." (page 19).
Et avec elle se trouve une personne, un homme que le narrateur croise partout, où qu'il aille. "Si je vais au Prater, il y est, assis sur un banc, si de là je vole jusqu'au Belvédère, je le vois déjà sur le point d'y entrer par le Rennweg." (page 20).
"Qu'est-ce qu'il peut bien avoir à faire avec elle ?" (page 20).
Notre héros et son compagnon se renseignent à l'auberge, mais personne ne sait qui étaient ces personnes. Alors que le narrateur dessine le portrait de la tenancière de l'auberge, "elle sourit d'un air gauche et timide, disant que si moi et l'autre monsieur nous peignions dans nos livres des visages et des gens, nous aurions dû venir deux heures plut tôt, quand les deux jeunes dames étaient encore là, elles en valaient la peine, elles ; car de toutes les demoiselles de la ville il n'en était encore jamais venu d'aussi belles, comme des lis et des roses, et aimables comme deux anges [...] " (page 20).
"Nous nous mîmes à rire et lui répondirent que nous-mêmes, cela nous aurait fait assez plaisir de pouvoir portraiturer les deux anges. « Qui sait », répliqua l'aubergiste, « les montagnes et les vallées ne se rencontrent jamais, mais les gens, oui. »
« Oh oui ! » dit Lothar en riant, « nous sommes même fermement convaincus que ces deux anges-là, qui déjeunaient à Haimbach le premier mai de l'an de grâce 1834, seront un jour nos épouses, et qu'un beau jour elles déjeuneront à nouveau en notre compagnie, qu'en pensez-vous, cher collègue ? »
« Tope-là » m'écriai-je, » mais il faut me laisser celle qui n'est pas voilée »
« L'autre est encore plus belle », s'écria l'aubergiste.
" (page 21)

Les paris sont ouverts !

Comme toujours chez Stifter, ou du moins très souvent, tout le monde est gentil, cultivé (ou désireux de l'être). Cela ne ferait pas vraiment une histoire... du coup, les protagonistes se créent quelques problèmes (grâce au hasard, à un quiproquo) qu'ils mettent un peu de temps à résoudre... Une franche explication, cela permet pourtant de lever des doutes.
Un texte agréable à lire, assez fleur bleue (pour rester dans le domaine des plantes)... mais c'est quand même assez loin d'être du meilleur Stifter.

On notera plusieurs petites fautes dans le texte : "des rideaux fait d'une soie grise (page 13); "er puis" (page 13), "nous avons avancé des plusieurs lieues" (page 22)...


le cachet

Le Cachet (das alte Siegel, 1844 ; traduit de l'allemand en 2012 par Sibylle Muller). Circé. 118 pages.

"Veit Hugo Evariste Almot était le fils unique d'un très vieux soldat qui avait guerroyé encore au temps du maréchal de Laudon et du prince Eugène, et qui portait également le nom de Veit Hugo [...]" (page 7).

Veit Hugo père, déjà âgé, finit par prendre femme et va habiter dans son "domaine dans les montagnes".

Puis, après le décès prématuré de sa femme, élève seul son fils - "parce qu'il pensait que personne ne pourrait le faire aussi bien que lui" (page 8) - en lui enseignant tout ce qu'il sait. Ce faisant, il lui inculque plus que des mots : "[...] sans s'en rendre compte, il donna à son fils un autre trésor qu'un étranger n'aurait pas pu lui donner : son propre coeur d'homme, simple, fort comme le fer, pur comme l'or, qu'Hugo aimait au-delà de toute expression, et qu'il absorba insensiblement, de sorte que petit enfant déjà, il avait quelque chose de la fermeté et de la sagesse d'un général du siècle précédent ; en revanche l'homme de vingt ans avait gardé une sorte d'innocence solitaire que n'ont pas de nos jours, même au fond de la campagne, les garçons de quatorze ans. Chez le père, le coeur et les passions s'étaient déjà endormis, et par conséquent restèrent en sommeil et sans emploi dans la poitrine du fils ; et il n'avait rien hérité d'autre de son père, sinon une humeur égale jour après jour et le plaisir d'être au monde." (pages 8-9).

De sa mère, il a hérité la beauté.
Mais voici qu'il a vingt-et-un ans (page 9). Son père lui donne des pièces d'or, une lettre de recommandation, et lui dit d'aller à la capitale.
Il lui prodigue aussi bon nombre de conseils : "[...] prends bien soin d'apprendre encore des choses qui te seront utiles ; de nos jours il en faut beaucoup plus qu'autrefois, parce que le monde est plus éclairé ; alors, quand tu auras fini d'apprendre, il faudra aussi, comme je te l'ai toujours dit, que tu fasses quelque chose d'utile sur terre - quoi que ce soit, je ne t'impose rien, mais il faut que ce soit bon, et que tu en fasses assez pour que cela vaille la peine d'en parler, un soir au coin du feu, chez soi, avec des amis, entends-tu, Veit ! - Alors tu pourras revenir dans ta maison, elle rapportera bien assez pour qu'un homme sobre puisse en vivre, et sa femme également, avec une poignée d'enfants et aussi quelques hôtes, qui graviront la montagne pour te rendre visite." (page 10)

Hugo part donc à la ville. Comme tout héros Stifterien qui se respecte, il va mener une vie bien réglée, s'astreindre à des heures d'études, faire des promenades... Pourtant, il y a une différence majeure : il n'a pas de "mentor", d'homme d'expérience, pour le guider dans sa découverte du monde. Tout ce qu'il sait vient de son père, qui était déjà âgé à sa naissance, homme d'un autre temps, qui lui a enseigné ses valeurs trop tôt pour que le jeune Hugo puisse les comprendre pleinement, les choisir. Il y a un âge pour tout, ce qu'une éducation réussie - grand sujet stiftewrien - doit respecter.

Un jour, Hugo est dans sa chambre, il doit consacrer l'heure et demie qui suit aux mathématiques. On frappe à la porte, c'est le facteur qui lui remet une lettre étrange : "« Si vous êtes le jeune homme qui a de si merveilleux cheveux blonds, qu'il porte pendants sur la nuque, ni trop courts ni trop longs, alors exaucez la prière d'un vieil homme et trouvez-vous demain entre dix et onze heures dans l'église Saint-Pierre." (page 32).

Il ira, bien sûr.

Homme mystérieux (un peu comme dans Fleurs des Champs), belle jeune femme qui a un secret... Pendant la plus grande partie du texte, cela ronronne un peu (quand on n'en est pas à son premier Stifter, du moins), et on s'attend à ce que cela continue comme un Stifter de série.
Mais non.

Alors, quelle différence avec les Stifter lus précédemment ? Généralement, le héros découvre les valeurs qui lui sont propres, guidé par un maître. Il comprend les raisons des choses, les intègre. Ou bien, il va se confronter à la Nature, pour en percer les secrets picturaux. Le héros Stifterien cherche à se former en découvrant le monde, à multiplier les expériences.
Ici, ces valeurs lui ont été données pour ainsi dire livresquement, à l'écart du monde. Lorsqu'il va à la ville, c'est pour faire de grandes choses, certes, mais dans l'optique de ce que son père lui a inculqué. Et il se choisit un but dans l'optique de la pensée de son père.

Même si ce n'est pas un texte majeur de Stifter, cette longue nouvelle est intéressante, notamment dans sa fin.

Ne surtout pas lire la quatrième de couverture qui dit que "le secret n'y concerne pas [censuré] [...] mais [censuré] qui demeure caché jusqu'à la surprise du dénouement".
Un modèle de quatrième de couverture qui se fiche du lecteur. C'est une postface que l'éditeur a cru bon de mettre en quatrième de couverture !

A noter, pour finir, que le style ne cherche vraiment pas à faire oublier qu'on lit un texte : "Il repassa devant les maisons de la rue désertée, puis reprit la rue animée décrite ci-dessus." (page 49).

descendances
Couverture : Adalbert Stifter, Felspartie (Moldauenge), 1841 (détail).

Descendances (Nachkommenschaften, 1864). Nouvelle traduite de l'allemand par Jean-Yves Masson. Préface de Jacques Le Rider. 151 pages. Editions Jacqueline Chambon.
Le texte commence ainsi :
"Ainsi donc, me voici devenu, de manière imprévue, peintre de paysages. C'est épouvantable. Quand il arrive qu'on tombe sur une collection de tableaux récents, quelle masse de paysages n'y trouve-t-on pas ; quand on va visiter une exposition de peinture, quelle masse encore plus considérable de paysages y rencontre-t-on [...]" (page 33) .
Le narrateur est un peintre appelé Friedrich Roderer. Il a quelque bien, et vit de manière très raisonnable, de sorte qu'il n'a pas besoin de travailler pour vivre. Il peut se permettre d'être très exigeant quant à sa peinture, et détruire tout ce qui n'est pas parfait, c'est-à-dire tout.
"Me voici dans la vallée de Lüpfing, où il semble bien qu'une sorcière m'ait attiré. La vallée n'est pas belle du tout, avec un long marais qui vous donne la fièvre. [...] je cherchais à peindre le marais et la forêt de sapins attenante, tous de la même couleur, et la colline couverte de prairies qui lui fait face, et les montagnes bleues, étincelantes de reflets gris, qui s'élèvent derrière cette forêt de sapins. J'y travaille de nouveau à présent, car j'ai brûlé le tableau précédent. Mais il n'y a pas grand-chose à peindre, car un homme à la richesse suspecte a acheté le château de Firnberg, et il fait déverser dans le bourbier tant de pierres et de terre, et supprimer ainsi tant de fossés, que le marais a rétréci et la fièvre régressé." (pages 44-45)
Notre peintre doit donc se dépêcher de peindre le marais avant qu'il n'ait disparu. On ne peut pas dire qu'il choisisse les coins les plus riants. Quant à ses convictions d'un point de vue esthétique, les voici :

"Sans doute, on entend dire que c'est une grande erreur de représenter la réalité de façon trop réelle, qu'ainsi l'on devient sèchement artisanal et que l'on détruit tout le parfum poétique du travail. On dit que libre élan, libre jugement, libre essor de l'artiste sont indispensables pour que naisse une oeuvre libre, légère, poétique. Sans quoi, tout est vain et n'aboutit à rien - c'est ce que disent ceux qui ne peuvent pas représenter la réalité. Mais moi, je dis : pourquoi Dieu a-t-il fait le réel si réel, pourquoi a-t-il atteint à la plus grande réalité en faisant lui-même oeuvre d'art, et en parvenant dans celle-ci à un élan sublime que vous ne pourrez jamais égaler, malgré vos efforts ? Dans le monde et dans toutes ses parties se trouve la plus grande plénitude poétique, et la plus saisissante force. Faites donc la réalité aussi vraie qu'elle est et ne changez rien à l'impulsion qui se trouve tout simplement en elle, et vous produirez des oeuvres plus merveilleuses que vous ne le croyez et que vous ne le faites quand vous peignez des imitations, et que vous dites : voilà, l'élan y est !" (pages 100-101).
C'est sans doute aussi l'auteur qui parle. En effet : "Adalbert Stifter, alors âgé de cinquante-huit ans, écrit à sa femme : « En fin de compte, je suis moi-même un Roderer. ». C'est dire à quel point cette nouvelle condense les éléments autobiographiques." (préface de Jacques Le Rider, page 7)

im Gosa
Adalbert Stifter : Im Gosautal (1834)

Comme souvent dans l'oeuvre de Stifter, il va y avoir des discussions (qui relèvent en fait plus du long monologue) avec un homme plus âgé, une sorte de sage. Ces discussions vont avoir pour objet principal les passions, comment mener sa vie. Mais le livre aborde aussi le rôle de l'art.
"Il est vrai que toute activité artistique est critiquée dans Descendances : le chemin qui conduit au bonheur en société passe par d'autres voies. [...]
C'est que la pratique de l'art, celle de l'écrivain tout comme celle du peintre, ne vaut rien de bon à l'individu ni à la société. La meilleure formule consiste à ranger les livres dans les bibliothèques et les peintures dans les musées. [...]
Lorsque l'art renforce le lien social, on ne peut que le louer. Les classiques et les maîtres anciens sont une bonne fréquentation. C'est lorsque l'art des modernes conduit à la solitude, à je ne sais quel égarement du créateur qui se place au-dessus du commun des mortels, à une rage exclusive qui détourne l'individu de sa responsabilité sociale, c'est lorsque l'art se transforme en quête de l'absolu, de l'impossible, lorsqu'il devient une passion, voire une folie, qu'il se révèle franchement nocif.
" (préface, pages 12-13).

Le livre donne l'étrange impression d'être parfois un peu bancal, pour plusieurs raisons :
"Croit-il lui-même aux maximes d'hygiène sociale et de bonheur individuel qu'il prononce dans Descendances ? Personnellement, je n'y crois pas et je présume que personne n'y croit." (préface, pages 13-14).
"L'ironie mordante avec laquelle Friedrich Roderer, au début de la nouvelle, se moque de la culture Biedermeier est édifiante. [...] Cette analyse de la décadence du paysage dans la culture Biedermeier [...] affirme exactement le contraire de ce que suggère la « sagesse » finale du récit. [...] C'est un plaidoyer pour la rareté et l'exigence, pour un certain ésotérisme élitaire." (pages 22-23)
"Dans Descendances, ce récit étonnamment elliptique, où l'auteur dit avec luxe de détails ce que le lecteur n'a pas besoin de savoir [...], mais où l'auteur expédie en deux lignes des faits intrigants, Adalbert Stifter a condensé tous les principes de son art poétique." (pages 25-26).

Cette longue nouvelle n'est bien sûr pas le chef-d'oeuvre de l'auteur, mais ses défauts mêmes (forcément volontaires) lui ajoutent finalement de l'intérêt en le rendant moins lisse, plus mystérieux.

 

Quelques toiles de Stifter :

mond    Seestueck bei Mondbeleuchtun
Mondaufgang (um 1855) ;     Seestück bei Mondbeleuchtung, um 1840, Linz, Stadtmuseum ;

 

 fussenge     rax
Flussenge Die Teufelsmauer bei Hohenfurt-Fassung I ; Die Rax (um 1841).

 

 


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