Né de parents d'origine française (huguenote), il est d'abord aide-pharmacien à Leipzig, puis à Berlin, Magdebourg, Dresde... avant de devenir journaliste. Il se marie, passe plusieurs années en Angleterre, où il dirige un journal anglo-allemand (1855-1859). De retour en Allemagne, il fait toujours du journalisme, mais a plus de temps à consacrer à la littérature (il avait commencé à écrire très jeune), notamment des ballades. Il est en France en 1870, est arrêté comme espion, et est libéré au bout de quelques mois suite à l'intervention de Bismarck.
Lui qui, journaliste, vivait de feuilletons et de récits de voyage, il se met, à cinquante-neuf ans (tout comme Saramago, il est un des rares exemples d'écrivains tardifs), à publier son premier roman : Avant la tempête (Vor dem Sturm, 1878). Suivront d'autres romans, dont Jenny Treibel (1892) et l'ouvrage qui est généralement considéré comme son chef-d'oeuvre, Effi Briest (1894).
"De tous les romanciers de son temps il est certainement le plus vivant. Cette période de la littérature allemande a été féconde, mais les innombrables romans qui parurent entre 1870 et 1900 ne trouvent plus de lecteurs aujourd'hui. [...] On y trouve encore des épigones de Goethe, qui se bornent
à exagérer le romanesque de l'époque classique ; par ailleurs les « modernes », qui veulent peintre le monde contemporain, tombent le plus souvent dans la banalité et ils ont terriblement vieilli." (Pierre Grappin, préface à Madame Jenny Treibel, page 10).
Pierre Grappin parle du style de Fontane, de son effacement devant les personnages :
"Fontane lui-même se plaisait à reconnaître qu"il n'était pas ce qu'on appelle un génie. [...]. Si modeste qu'il fût et si volontiers prêt à reconnaître les limite de son talent, il sentait bien qu'il ne s'inspirait de personne - au moins directement - et que ses romans ne sont pas là pour illustrer une thèse, politique ou littéraire. Il écrit sans arrière-pensée ni programme, comme un homme arrivé au terme de sa carrière rédige ses mémoires. Il est frappant de constater combien peu le ton de ses récits autobiographiques diffère de celui de ses romans." (pages 9-10).
"Cette patiente maturation, ce long perfectionnement de ses moyens artistiques, cette immense méditation, cette accumulation de souvenirs et d'intentions lui donnent désormais l'assurance et la simplicité de l'originalité véritable ; il n'a plus besoin de directives ni de modèles, il n'a plus qu'à raconter. Raconter le présent, mais avec la sérénité du vieillard qui est déjà un peu en dehors de la vie." (page 12).
"Il assiste aux événements révolutionnaires de Berlin [1848], dont il donne une description circonstanciée, il a vu les barricades, les groupe d'insurgés et les charges de la troupe ; mais tout cela ne fut pour lui qu'un spectacle, une révolution au théâtre, où le malheur voulut qu'il y eût des morts en chair et en os, sur lesquels le bon coeur de Fontane sait s'apitoyer. Son récit est un reportage, une énumération de faits et d'opinions recueillies par l'auteur autour de lui. Il a déjà le point de vue impartial du journaliste
étranger qui assiste à une bataille de rues dans l'autre hémisphère." (page 13).
Concernant maintenant le type d'histoires qu'il écrit, voici ce qu'il en dit :
"Presque seul en Allemagne Fontane ignore le roman de formation, ou d'éducation, l'Erziehungs-roman. Jamais il ne montre la formation d'une personnalité par le jeu des événements auquel l'homme se trouve participer ; l'idée même de devenir semble lui avoir été étrangère. [...] Fontane n'a jamais eu le « sentiment tragique de la vie », et aucun de ses romans n'essaye de le donner au lecteur. Non pas que tout finisse toujours bien, par un mariage ou une reconnaissance ; en réalité les duels y sont souvent mortels et les adultères jamais pardonnés. Mais à la fin chacun a l'impression que tout était parfaitement inévitable, que ni l'auteur ni ses personnages n'y pouvaient changer quoi que ce fût." (page 16).
"Fontane le premier peint la classe bourgeoise, le milieu berlinois des affaires ; il met en scène une nouvelle condition et des hommes nouveaux." (page 23).
Un prix littéraire porte son nom depuis 1949.
Jenny Treibel, à Berlin (entre Spittelmarkt - où commence le roman - et l'île des Musées), le 13/07/2011.
Madame Jenny Treibel (Frau Jenny Treibel, 1892 ; 289 pages). Traduit de l'allemand et préfacé par Pierre Grappin en 1943. L'Imaginaire Gallimard.
Jenny Treibel est la femme d'un homme riche, mais elle vient d'un milieu modeste, ce qu'elle veut si possible oublier. Elle mène bon train, reçoit...
"Depuis quinze ans Krola était un ami de la maison et ceci pour trois raisons : sa belle apparence, sa belle voix et sa belle fortune. Car peu de temps avant de quitter la scène il avait épousé une fille de millionnaire. De l'avis général c'était un homme aimable, ce qui le distinguait de beaucoup de ses ex-collègues, autant que sa situation financière très bien assise.
Madame Jenny se montrait dans son plus grand éclat et de son séjour dans la petite boutique de la Adlerstrasse, on ne
voyait plus la moindre trace dans sa personne actuelle." (page 52).
Madame Treibel a deux fils. Le premier est marié avec une femme qui est un "bon parti" (c'est-à-dire d'un milieu encore plus élevé). Il faudrait maintenant marier le deuxième, Leopold, qui tient de la chiffe molle.
N'oublions pas le professeur Willibald Schmidt. C'est un amour de jeunesse de Jenny Treibel. Il ne gagne pas beaucoup, mais est cultivé, intelligent, et très sympathique.
Le voici en pleine discussion avec un de ses amis professeurs à propos des fouilles de Schliemann à Mycènes, dont il montre le livre :
"- Eh bien, Distelkamp, que dis-tu de celui-là ?
- Très contestable.
- Naturellement, parce que tu ne veux pas te défaire de tes vieilles idées. Tu ne peux pas croire que quelqu'un qui a collé des cornets à bonbons et vendu des raisins secs puisse aller sortir de terre le vieux Priam, et s'il se mêle de vouloir découvrir Agamemnon et la marque des coups portés par Egisthe sur son crâne, te voilà au comble de l'indignation." (page 105). Il est également capable, avec une égale facilité, de disserter sur le homard et l'écrevisse, sujet passionnant s'il en est.
"C'est bizarre comme on n'arrive jamais à se débarrasser de ces questions, il y en a toujours une qui est actuelle. Quand on est jeune on se dit « belle ou laide », « blonde ou brune » et quand on a résolu ce problème-là on se trouve devant
le problème également difficile : « homard ou écrevisse »" (page 116).
Deux pages plus loin, après des circonvolutions :
"Naturellement l'écrevisse n'est pas parfaite, il lui manque quelque chose
de-ci de-là, il lui manque si l'on peut dire la « dimension », ce qui, dans un Etat militaire comme la Prusse, a une importance certaine, mais, quoi qu'il en soit, l'écrevisse elle aussi peut dire : je n'ai pas vécu pour rien." (page 118).
Sacré professeur ! Il est veuf, et a une fille intelligente, Corinne, qui est cultivée, volontaire, spirituelle et jolie.
Mettra-t-elle le grappin sur Leopold (le fils cadet "chiffe molle" de Jenny Treibel) qui, pour elle, représente un parti intéressant... enfin, si elle s'intéresse à l'argent. La culture, la simplicité, tout ça c'est bien joli, mais l'argent a des attraits, tout de même !
Leopold, la chiffe molle, le gentil garçon à sa maman, parviendra-t-il à se transcender pour échapper à l'emprise maternelle, ou bien sera-t-il contraint de se marier avec le parti qui lui aura été choisi ?
Ecoutons un peu les pensées de Leopold, il fait ici allusion à sa môman : "Elle, elle serait contente si elle pouvait me dire de mettre une cravate bleue ou une cravate verte ou de me faire la raie droite ou de travers. Mais pourquoi se fâcher. Les Hollandais ont un proverbe : « Ne te fâche pas, étonne-toi seulement » ; et même cela, je finirai par en perdre l'habitude." (page 153).
Leopold saura-t-il trouver les ressources morales pour engager la lutte contre sa mère ?
A cette galerie de personnages, il faut ajouter Monsieur Treibel, le mari de madame (homme prosaïque se lance dans la politique),
le ridicule sous-lieutenant Vogelsang qui doit l'y aider, et puis encore un cacatois...
Le texte est parfois ouvertement burlesque. Par exemple, nous sommes près d'un lac, il y a une joyeuse compagnie :
"Au même instant on entendit le chanteur de tyroliennes pousser quelques ioulements, mais si authentiquement tyroliens que les collines du Pichelsberg ne se crurent pas obligées de renvoyer l'écho" (page 182).
Dans son introduction, Pierre Grappin avait écrit : "[...] beaucoup plus attentif aux paroles qu'aux gestes et plus sensible aux sons qu'aux couleurs, Fontane réussit, par les seules nuances du vocabulaire et de la langue, à créer des individus à la fois typiques et parfaitement vivants. [...] Amateur de proverbes, il donne à chacun de ses personnages préférés une devise. Il parvient ainsi, sans beaucoup sortir de Berlin, à faire vivre une abondance chatoyante de figures aussi diverses que possible." (page 19-20)
Et c'est très vrai.
Le rythme est rapide, on ne compte pas les conversations interrompues par un arrivant, ça se bouscule, les dialogues sont drôles, c'est vif... Et l'intrigue tient en deux lignes.
On a l'impression d'assister à une
pièce de théâtre, une comédie légère, spirituelle et très réussie.
Dans le Dictionnaire des Oeuvres (collection Bouquins), on peut lire : "La critique a prononcé à propos de Théodor Fontane les mots de « réalisme auditif », et cette appréciation convient particulièrement à l'oeuvre en question dans laquelle le dialogue reflète les charmes de la conversation et ses plaisirs sans fin, particularité qui semble le fond de l'art de Théodore Fontane, en dehors de sa prédilection pour les formes les plus diverses de l'humour."
Là encore, c'est très vrai : humour, dialogues vifs, ce livre est un vrai plaisir, la preuve que la littérature allemande peut être drôle. Mais peut-être est-ce le côté français de Fontane ?
Effi Briest (Effi Briest, 1894). Traduit de l'allemand par André Cœuroy. Préface de Joseph Rovan. L'Imaginaire Gallimard. 347 pages.
Dans son introduction, Joseph Rovan parle de la vie de Fontane, ses oeuvres, son temps.
Il parle de son travail comme chroniqueur théâtral dans le Vossiche Zeitung. "Fontane, déjà connu comme poète et comme « reporter », y parla pendant vingt ans, plusieurs fois par semaine, de toutes les pièces que jouaient les théâtres de la capitale, dont la plupart ne sont connues aujourd'hui que par la chronique qu'il leur consacra.[...] On imagine mal aujourd'hui l'importance qu'eurent le théâtre et la critique théatrale dans la culture citadine et bourgeoise avant le triomphe du cinéma." (page 10).
"Fontane n'est pas un philosophe mais un romancier qui réfléchit. Ses récits abondent en personnages qui formulent des idées sur les problèmes politiques, sociaux, économiques et culturels de l'époque, et les comparent à des âges antérieurs, souvent quelque peu idéalisés." (page 16).
Une introduction intéressant, même si au passage elle résume en grande partie Effi Briest. Il faut donc sauter des passages, comme quasiment toujours dans les introductions.
Avant de commencer à lire le roman, parlons des traductions.
L'avertissement du traducteur dans la version Bouquins (Pierre Villain) parle de la première traduction français, parue en 1902 à Berlin. Inutile de dire qu'elle n'a pas eu beaucoup de retentissement. La deuxième traduction, celle d'André Cœuroy reprise par L'Imaginaire Gallimard, "n'a pas eu plus de chance. Editée exactement quarante ans après la première, en 1942, en pleine guerre, à Leipzig, chez Tauchnitz, sa réception par le public français devait être problématique." (page 563).
Globalement, comme on le verra, la traduction de Pierre Villain suit de plus près le texte allemand, et signale par un " * "les mots qui sont en français dans le texte d'origine, ce qu'oublie souvent de faire AndréCœuroy. De plus, si la phrase est longue en allemand (et les Allemands aiment les phrases longues), elle le sera également en français. André Cœuroy, lui, fait un texte français pour un lecteur français : il coupe les longues phrases pour en faire plusieurs de tailles raisonnables. De plus, les notes de Villain racontent parfois ce qui va arriver après (c'est pénible !). Rien de tel dans la version Cœuroy.
Pierre Villain met en exergue une citation de Samuel Beckett, extraite de La Dernière bande :
"Me suis crevé les yeux à lire Effi, encore, une page par jour, avec des larmes encore. Effi... aurait pu être heureux avec elle, là-haut, sur la Baltique, et les pins, et les dunes.
Non ? - Et elle ? Pah !"
Puis, le roman commence (et les photos sont tirées de l'adaptation par Werner Fassbinder, 1974, avec Hanna Schygulla)
Version Cœuroy (Gallimard)
Version Villain (Bouquins)
Texte allemand
"Devant la maison bourgeoise que la famille von Briest habitait à Hohen-Cremmen dès l'époque du Prince Electeur Georges-Guillaume, le soleil répandait une brillante clarté dans la rue du village, silencieux sous la tranquillité de midi." (page 23)
"Face au manoir de Hohen-Cremmen, où demeurait, depuis l'époque déjà de l'Electeur Georg Wilhelm, la famille von Briest, le soleil inondait de sa clarté la rue du village, assoupie dans le silence ce midi, tandis que côté parc et jardin [...]" (page 565)
"In Front des schon seit Kurfürst Georg Wilhelm von der Familie von Briest bewohnten Herrenhauses zu Hohen-Cremmen fiel heller Sonnenschein auf die mittagsstille Dorfstraße, während nach der Park - und Gartenseite [...]"
Effi est une jeune fille de dix-sept ans ; elle est vive, heureuse, un peu gamine. Elle adore faire de la balançoire (très symbolique, la balançoire).
Version Cœuroy (Gallimard)
Version Villain (Bouquins)
Texte allemand
"Sur ces mots elle se précipita vers sa mère pour lui passer les bras autour du cou et l'embrasser avec fougue.
- Pas si fort, Effi, ne sois pas si passionnée. Tu m'inquiètes quand je te vois ainsi...." (page 25).
"Et elle s'élança sur sa maman, l'étreignit avec fougue et l'embrassa.
-Ne sois pas si déchaînée, Effi, pas si passionnée ! Cela m'inquiète toujours de te voir dans cet état..." (page 567)
"Und dabei lief sie auf die Mama zu und umarmte sie stürmisch und küßte sie.
» Nicht so wild, Effi, nicht so leidenschaftlich. Ich beunruhige mich immer, wenn ich dich so sehe «"
Surviennent trois jeunes filles. Elles vont papoter avec Effi.
Version Cœuroy (Gallimard)
Version Villain (Bouquins)
Texte allemand
"La troisième était Hulda Niemeyer, fille unique d'un pasteur ; elle faisait plus « dame » que les deux autres : en conséquence elle était ennuyeuse et fort satisfaite d'elle-même." (page 26).
"La troisième demoiselle était Hulda Niemeyer, fille unique du pasteur Niemeyer ; elle faisait bien plus dame que les autres, mais, en revanche, elle était ennuyeuse et prétentieuse [...]" (page 567)
"Die dritte junge Dame war Hulda Niemeyer, Pastor Niemeyers einziges Kind; sie war damenhafter als die beiden anderen, dafür aber langweilig und eingebildet, [...]"
La drôlerie de la version Cœuroy est totalement absente de la version Villain : tout dépend de la traduction de dafür aber. La conséquence (choix Cœuroy) est drôle, l'opposition ("mais", choisi par Villain) paraît logique, donc pas spécialement humoristique. Et c'est l'humour de Fontane qui disparaît...
Accessoirement, Cœuroy choisit aussi de gommer la répétition de "Niemeyer". Il chercher à alléger le texte, le français n'aimant pas les répétitions, c'est bien connu. Toutefois, Fontane ne répète pas forcément pour rien.
Mais revenons à l'histoire. La mère, de son côté, a de quoi s'occuper : elle attend la visite d'un vieil ami, un Landrat ("Fonctionnaire du rang d'un préfet", nous dit une note de Gallimard), ou bien simplement un sous-préfet (version Villain).
Version Cœuroy (Gallimard)
Version Villain (Bouquins)
Texte allemand
"- Oui, et il s'appelle Geert von Innstetten, le baron von Innstetten.
Toutes trois se mirent à rire.
- Pourquoi riez-vous ? dit Effi d'un air piqué. Qu'est-ce que cela veut dire ?
- Voyons, Effi, nous n'avons pas voulu te vexer, ni le baron non plus. Tu dis Innstetten ? et Geert ? Personne ne s'appelle comme cela ici. Ces noms de nobles ont souvent quelque chose de comique.
- Oui, ma chérie, très souvent. C'est bien pour cela qu'ils sont nobles. Ils peuvent se le permettre, et plus ils remontent haut, je veux dire dans le temps, plus ils en ont le droit. [...] Geert von Instetten, par conséquent, est baron. Il a, à un jour près, l'âge de maman.
- Et quel âge a ta maman ?
- Trente-huit ans.
- C'est un bel âge. " (pages 28-29).
"- Effectivement, sous-préfet. Et il s'appelle Geert von Innstetten, baron von Innstetten.
Toutes les trois se mirent à rire.
- Qu'avez-vous à rire ? dit Effi, vexée. Qu'est-ce qui vous prend ?
- Allons, Effi, nous ne voulons surtout pas t'offenser, ni toi, ni le baron. C'est Innstetten que tu as dit ? Et Geert ? Personne, par ici, ne porte des noms pareils. Il est vrai que les noms des nobles ont souvent comme ça une drôle d'allure.
- Eh oui, ma chère, ça c'est vrai. Ce n'est pas pour rien qu'ils sont nobles, que veux-tu ? Ceux-là peuvent se permettre ce luxe, et plus ils sont en recul, je veux dire dans le temps, et plus ils peuvent se le permettre. Geert von Innstetten, donc, et baron. Il a exactement l'âge de maman, jour pour jour.
- Au fait, et ta maman, quel âge a-t-elle ?
- Trente-huit ans.
- Le bel âge." (page 569)
"» Allerdings, Landrat. Und er heißt Geert von Innstetten, Baron von Innstetten. «
» Warum lacht ihr ? « sagte Effi pikiert. » Was soll das heißen ? «
» Ach, Effi, wir wollen dich ja nicht beleidigen und auch den Baron nicht. Innstetten, sagtest du ? Und Geert ? So heißt doch hier kein Mensch. Freilich, die adeligen Namen haben oft so was Komisches. «
» Ja, meine Liebe, das haben sie. Dafür sind es eben Adelige. Die dürfen sich das gönnen, und je weiter zurück, ich meine der Zeit nach, desto mehr dürfen sie sich's gönnen. [...] Geert von Innstetten also und Baron. Er ist geradeso alt wie Mama, auf den Tag. «
» Und wie alt ist denn eigentlich deine Mama ? «
» Achtunddreißig. « » Ein schönes Alter. « "
(Franchement, le "plus ils sont en recul", version Villain, est assez atroce).
Le baron Geert von Innstetten (ah, les noms de famille chez Fontane, c'est toujours quelque chose !) était amoureux de la mère ; il revient pour la fille.
Ecoutons la mère :
Version Cœuroy (Gallimard)
Version Villain (Bouquins)
Texte allemand
"Tu l'as vu avant-hier et je crois qu'il t'a plu également. Certes il est plus âgé que toi, ce qui à tout prendre est une bonne chose ; de plus il a du caractère, un rang, une bonne éducation. Si tu ne dis pas non - et je ne puis imaginer que mon Effi si raisonnable le dise - tu en seras, vingt ans, au point où d'autres n'en sont qu'à quarante. Tu vas dépasser de beaucoup ta maman." (page 35)
"Tu l'as vu avant-hier, et je crois qu'il t'a plu aussi. Il est assurément plus âgé que toi, ce qui, tout bien pesé, est une chance ; de plus, un homme qui a du caractère, une situation et une bonne moralité, et si tu ne dis pas « non » - un « non » que j'ai peine à croire possible, de la part de mon intelligente petite Effi - tu tiendras, à vingt ans, un rang auquel d'autres accèdent à quarante. Tu feras bien mieux que ta maman." (page 575)
"»[...] Du hast ihn vorgestern gesehen, und ich glaube, er hat dir auch gut gefallen. Er ist freilich älter als du, was alles in allem ein Glück ist, dazu ein Mann von Charakter, von Stellung und guten Sitten, und wenn du nicht nein sagst, was ich mir von meiner klugen Effi kaum denken kann, so stehst du mit zwanzig Jahren da, wo andere mit vierzig stehen. Du wirst deine Mama weit überholen.« "
Au début, c'est amusant pour Effi : elle fait du shopping avec sa mère, a plein d'idées de dépenses pour de jolies choses, paravent japonais noir, lampe avec abat-jour rouge, si beau et poétique...
Sa mère :
Version Cœuroy (Gallimard)
Version Villain (Bouquins)
Texte allemand
"Tu te fais des idées ; la réalité est tout autre et souvent, au lieu de lumière, mieux vaut l'obscurité." (page 49).
"Ce sont des idées que tu te fais. La réalité est autre et, souvent, plus que lumière et clarté, l'ombre est bonne." (page 587)
"Das sind so Vorstellungen. Die Wirklichkeit iist anders, und oft ist es gut, daß es statt Licht und Schimmer ein Dunkel gibt.«"
On sent le vécu, l'amertume. Effi ne comprend pas. Ou plutôt, peut-être, mais on ne le saura jamais : elle est interrompue, comme si souvent chez Fontane. Pendant qu'on parle, des gens entrent, on parle d'autre chose, c'est vivant.
Il faudra bientôt partir pour Kessin, un trou perdu. Mais, auparavant, la noce a lieu.
Le lendemain, Briest, le père, est en forme :
Version Cœuroy (Gallimard)
Version Villain (Bouquins)
Texte allemand
"[...] et il déclara que rien ne vous réussit comme un mariage, excepté le vôtre." (page 56).
"et déclara que « rien ne vous tonifiait comme un mariage, à l'exception du côtre, bien entendu »." (page 593)
" [...] und erklärte, nichts bekomme einem so gut wie eine Hochzeit, natürlich die eigene ausgenommen."
Après avoir ainsi taquiné gentiment sa femme, il pose une question :
Version Cœuroy (Gallimard)
Version Villain (Bouquins)
Texte allemand
"- Est-ce que tu es contente d'Effi ? Est-ce que toute cette histoire te satisfait ? Elle m'a paru si étrange, à moitié enfant, puis avec tant d'assurance, sans la timidité qu'elle devrait éprouver devant un tel homme. Cela ne peut venir que de ce qu'elle ne sait pas exactement ce qui l'attire en lui. Ou est-ce simplement parce qu'elle ne l'aime pas vraiment ? Ce serait grave. Car, avec toutes ses qualités, il n'est pas de ces hommes qui conquièrent l'amour par leurs manière aisées.
Mme von Briest restait silencieuse et comptait les points de son canevas.
" (page 57-58).
"Quelle impression Effi t'a-t-elle laissée ? Et toute cette affaire ? Elle était si étrange, presque comme une enfant et, à d'autres moments, très sûre d'elle-même et nullement aussi modeste qu'elle devrait l'être à l'égard d'un mari pareil. Cela tient sans doute seulement au fait qu'elle ignore encore trop le prix qu'elle devrait lui attacher. Ou est-ce, plus simplement, qu'elle ne l'aime pas vraiment ? Ce serait grave. Car, quelles que soient ses qualités, il n'est pas homme à conquérir cet amour avec élégance.
Madame von Briest gardait le silence et comptait les points sur son canevas * " (page 593)
"»Gefiel dir Effi? Gefiel dir die ganze Geschichte? Sie war so sonderbar, halb wie ein Kind, und dann wieder sehr selbstbewußt und durchaus nicht so bescheiden, wie sie's solchem Manne gegenüber sein müßte. Das kann doch nur so zusammenhängen, daß sie noch nicht recht weiß, was sie an ihm hat. Oder ist es einfach, daß sie ihn nicht recht liebt? Das wäre schlimm. Denn bei all seinen Vorzügen, er ist nicht der Mann, sich diese Liebe mit leichter Manier zu gewinnen.«
Frau von Briest schwieg und zählte die Stiche auf dem Kanevas. "
Au passage, on a un exemple de mot, canevas, en français (ou presque) dans le texte, ce que la version Cœuroy ne nous signale pas. On perd une information quand même une information, bien que pas très importante.
Reprenons. Comme à chaque fois que la conversation dure, M. Briest finit par un :
Version Cœuroy (Gallimard)
Version Villain (Bouquins)
Texte allemand
"[...] il y a vraiment trop de choses dans le monde." (page 63).
"C'est vraiment un trop vaste champ de problèmes à méditer." (page 598)
"Das ist wirklich ein zu weites Feld.« "
Il y a des détails qui ne trompent pas et que le lecteur remarque. On comprend bien qu'elle est trop jeune, Effi. Qu'elle n'aime pas son mari, qu'elle n'a pas encore vécu.
Le mariage sera malheureux, bien sûr. Mais mariage heureux n'a point d'histoire...
L'histoire est assez classique, surtout si, avant, on a lu Madame Bovary ou Anna Karénine (romans auxquels Effi Briest a souvent été associé). Les couples mal assortis, l'adultère, on l'a déjà lu.
Mais le contexte est différent. Dans Bovary, il y avait l'envie d'autre chose, et la médiocrité du mari (bien que brave homme). Dans Anna, le mari finissait par la révulser physiquement, ce qui n'était pas le cas au début (mais il y a la grande différence d'âge, comme chez Effi).
Fontane, lui, parle de mariage arrangé, de conventions sociales...
On retrouve les qualités de Fontane : grande qualité des dialogues, vivants ; son humour si particulier (qui transparaît plus dans la version Cœuroy que dans la version Villain, et qu'on perçoit d'autant plus si on a lu Madame Jenny Treibel auparavant) ; son empathie pour ses personnages ; les noms souvent très drôles qu'il leur donne ; les proverbes et autres sentences qu'ils leur fait prononcer (et qui ne font jamais artificiel).
Alors, bien sûr, ce n'est pas un livre amusant, et on peut éprouver plus de plaisir immédiat à lire Madame Jenny Treibel. Mais il reste plus en mémoire.
Flaubert était parti d'un fait-divers comme point de départ pour Madame Bovary. Effi a elle aussi un modèle, la baronne Else d'Ardenne. "Celle-ci vivait encore près de Berlin quand le roman fut écrit. [...] Ce n'est pas la banale histoire d'adultère qui importe; c'est la couleur qu'elle prend dans le cas singulier de cette femme-enfant, passant sans transition des jeux de l'adolescence à la vie conjugale" (Claude David, Préface, Bouquins).
Il y a un passage saisissant (mais peut-être ne devrais-je pas en parler...) : un duel. Rapide comme un coup de feu. Quasiment n'importe quel autre écrivain en aurait mis trois pages, au moins. Fontane, non.
Theodor Fontane est vraiment un grand écrivain.
Deux dernières comparaisons, plus amusantes que vraiment utiles:
Version Cœuroy (Gallimard)
Version Villain (Bouquins)
Texte allemand
"potiner un peu avec elle" (page 152)
"En se livrant avec elle à un brin de médisance *" (page 675)
"mit ihr ein wenig zu medisieren"
Version Cœuroy (Gallimard)
Version Villain (Bouquins)
Texte allemand
"Le jour de Noël se passa comme l'année précédente" (page 175)
"La veille de Noël arriva et se déroula comme l'année précédente" (page 694)
"Der Heilige Abend kam und verging ähnlich wie das Jahr vorher"
Le film de Fassbinder est fidèle, c'est vrai, mais le choix de la voix off qui lit une partie du texte donne un hiératisme est absent du livre.
Il accentue également l'impression d'enfermement, comme l'explique la petite vidéo ci-dessous.
Bref, il en a fait un film de Fassbinder, ce qu'on ne peut pas lui reprocher. Mais ça n'est pas son meilleur film.