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EURIPIDE
(ca 484-406)

 
euripide



"L'an 480 avant Jésus-Christ, année de la bataille de Salamine, a été considéré par la tradition érudite antique comme le point de rencontre des vies des trois grands tragiques athéniens ; Eschyle, âge alors de quarante-cinq ans se trouvait dans les rangs des soldats ; Sophocle, adolescent, dirigea le chœur qui après la bataille entonna le chant de victoire, et Euripide serait né le jour même et au lieu du combat." (Umberto Albini, Dictionnaire des Auteurs, chez Robert Laffont).

En fait, il est plus vraisemblable qu'il soit né en 484.
Les méchantes langues (notamment Aristophane) le disaient fils d'un boutiquier ou d'un cabaretier et d'une marchande d'herbes. Mais sa culture est le signe d'une éducation coûteuse, et d'autres indices (il est notamment échanson pendant des danses sacrées auprès du temple d'Apollon de Délos) montrent qu'il n'était pas de basse extraction.

Euripide a été l'un des tous premiers à posséder une bibliothèque.

"Lecteur acharné, Euripide fut un solitaire. On raconte qu'à Salamine il passait une grande partie du jour dans une grotte ouverte au vent de la mer, à écrire et à méditer. Il sentait la nécessité pour le sage de s'isoler mais croyant voir dans cet isolement du dédain, ses concitoyens ne cachèrent pas leur antipathie et leur mépris pour le poète […]. Contrairement à Sophocle, Euripide ne prit aucune part active à la politique, mais, contrairement à lui également, il n'évita pas dans ses œuvres les allusions politiques. Sa vie conjugale fut un sujet de divertissements et de railleries pour les auteurs comiques ; selon eux, sa seconde femme […] l'aurait trompé avec son esclave et secrétaire Céphisophon. De la vie du poète nous savons peu de choses. En dehors des dates de certaines de ses tragédies, nous ne connaissons que celles de son départ d'Athènes pour se rendre d'abord à Magnésie, puis à Pella, à la cour d'Archelaüs, roi de Macédoine (408) ; la légende veut qu'Euripide ait été dévoré par des chiens. […]
La renommée, qu'Euripide ne connut pas de son vivant, lui fut accordée mort : l'homme qui n'avait , durant toute son existence, remporté que quatre victoires depuis 455, année où il se présenta pour la première fois au concours tragique, devient le père littéraire de l'âge suivant, le grand modèle à imiter. Les tragiques latins, d'Ennius à Sénèque, suivirent ses traces."
(Dictionnaire des Auteurs)
Sur Wikipedia, on peut lire par contre : "Il devient rapidement assez populaire. Plutarque, dans sa Vie de Nicias, raconte qu'en 413, après le désastre naval de Syracuse, les prisonniers athéniens pouvant réciter des tirades d'Euripide sont relâchés."

A part de nombreux fragments des 90 pièces qu'il aurait écrites (selon la tradition), il nous est parvenu 17 tragédies, ainsi qu'un drame satyrique et une pièce apocryphe.

Wikipedia dit aussi : "Euripide est le seul des trois « grands tragiques » auxquels on puisse attribuer, avec quelque vraisemblance, une œuvre musicale. Un extrait de son Oreste (v. 338-344), inscrit sur papyrus, daterait de 200 av. J.-C. , soit « seulement » 200 ans après sa mort. Dès lors, en tenant compte de l'académisme de l’Athènes d'alors, il semble plausible qu'il en soit le compositeur."

On peut entendre ces fragments sur la piste 1 du CD "Musique de la Grèce antique chez Harmonia Mundi", par l'Atrium Musicae de Madrid. Cette reconstitution date de 1979.

Concernant la musique d'Euripide, outre le CD signalé, une reconstitution plus récente (et sans doute plus juste ?) est en écoute sur :
http://www.kerylos.fr/repertoire.php allez vers le bas... vous voyez "Euripide" ? Eh bien, c'est là (en plus, on pourra écouter d'autres fragments de musique grecque, notamment une aria de Médée, de Carcinos Le Jeune). On pourra aussi se reporter en bas de cette page (la musique étant d'une qualité technique moins bonne).

La comparaison des deux interprétations, c'est comme la comparaison de deux traductions d'une même pièce d'Euripide : on pourrait croire qu'il s'agit de deux oeuvres différentes...

 

electre

Electre. Traduit du grec par François Rosso.

Cette tragédie date de 413 avant J-C.

Tout d'abord, François Rosso écrit Quelques remarques sur la tragédie grecque.

"C'est avec raison que l'on considère le théâtre grec, et les œuvres des trois grands tragiques en particulier, comme la source de tout le théâtre occidental." (page 7).
"[…] la tragédie semble surgir quasiment ex nihilo, par un beau matin, sans qu'aucun signe avant-coureur ait laissé prévoir son apparition ; au point que les commentateurs ultérieurs ont pu lui délivrer une sorte « d'acte de naissance » : ce serait en effet entre 536 et 533 qu'un nomé Thespis produisit la première tragédie – dont le texte est malheureusement perdu – pour la grande fête des Dionysies à Athènes." (page 8).
"Et pourtant, il est impensable qu'un genre aussi raffiné et aux caractères si bien définis soit issu de rien, et que son éclosion, assurément soudaine, soit totalement spontanée et sans lien avec le contexte de l'époque.[…] nous découvrons une souche essentielle de la tragédie, et cette souche est de nature religieuse." (page 9).

Il y a plusieurs pistes. "Une chose, néanmoins, reste certaine : dans quelque voie que l'on s'engage, on tombe toujours sur le culte de Dionysos. Ainsi voyons-nous que les Grecs n'allaient en aucune façon au théâtre comme nous pouvons le faire aujourd'hui, en choisissant le spectacle, la salle, le jour parmi une longue série de représentations de la même pièce, retournant la voir si elle nous a beaucoup plu, et en payant. Il y avait deux grandes fêtes en l'honneur de Dionysos au cours desquelles on pouvait voir des tragédies – et en aucun autre moment de l'année -, et ces deux fêtes, nous apprennent les historiens, comportaient un concours." (pages 10-11).

Plus loin, il aborde les structures la tragédie. "La caractéristique principale de la tragédie attique, et qui remonte presque certainement au dithyrambe, est la dissociation des intervenants entre un choeur, d'une part, mené par un ou une coryphée soliste, et des personnes d'autre part. Ces deux éléments dialoguent, mais ne se fondent jamais. Ce partage fondamental se marque dans la structure du texte, dans la dissemblance des mètres employés, et même par une division de l'espace." (page 13).

Il aborde ensuite les origines de la légende d'Electre. Il montre l'évolution de l'attribution de la "faute originelle" des Atréides : curieusement, plus le temps passe, plus l'origine remonte plus loin, de génération en génération : pour Eschyle, c'est la faute d'Atrée, qui a offert à manger à Thyeste ses propres enfants. Pour Sophocle, postérieur à Escyhle, c'était la faute de Pélops (le père d'Atrée, donc) ; et pour Euripide, "que l'on situe comme légèrement postérieur à Sophocle", c'est la faute de Tantale (le père de Pélops, et donc grand-père d'Atrée).


Et l'on arrive ainsi à Electre.

La pièce commence avec une présentation de la situation. C'est Le laboureur qui parle. A propos d'Agamemnon :
"Mais en vain avait-il connu au loin le triomphe et la gloire : il ne rentra en son palais que pour y trouver une mort traîtresse. Clytemnestre, son épouse, avait ourdi l'odieux stratagème qui devait permettre à Egisthe, son amant, le fils de Thyeste, de lui porter de sa main le coup fatal. Ainsi périt-il, laissant à l'infâme Egisthe le sceptre vénérable de Tantale." (page 47).

Oreste, le fils, est sauvé par l'ancien précepteur du roi. Il s'est exilé.

Egisthe n'ose pas tuer la fille, Electre. Il choisit donc de lui donner pour mari un simple laboureur, de sorte que sa descendance ne puisse pas réclamer le trône. Mais il avait compté sans les qualités morales dudit laboureur :
"Mais moi, je ne suis même pas entré dans le lit d'Electre – la divine Cypris m'en est témoin - et vierge elle est demeurée : j'aurais honte d'outrager une princesse de si haut lignage, moi que me naissance rend indigne d'elle." (page 49).

Electre arrive alors :
"Electre : Nuit noire, ô nourrice des étoiles scintillantes, je marche dans ton ombre, cette cruche sur la tête, et m'en vais puiser de l'eau à la rivière. Il est vrai que ce n'est pas la misère qui me rabaisse à une tâche si ingrate. Mais je suis résolue à rendre les dieux témoins des outrages d'Egisthe. Je lance au roi mon père mes plaintes dans les vastes cieux."
Pourtant, le laboureur lui demande de ne pas s'abaisser à ces tâches…

On repense alors à ce que François Rosso écrivait dans sa préface :
"Electre est sans doute un des plus remarquables personnes de tout le genre tragique. "[…] la haine d'une fille pour sa mère est une haine absolue : elle se double de jalousie. Le personnage n'est cependant pas qu'une « force qui va », une force de haine et de sang. Sa personnalité est plus ambiguë : elle se jette à corps perdu dans son rôle de martyre avec une sorte de jouissance masochiste.Est-ce seulement pour attirer davantage sur les meurtriers d'Agamemnon qu'elle accroît ses maux comme à plaisir ? Ou ses motivations sont-elles plus troubles ?" (page 40)

Le Laboureur part travailler aux champs. Il dit : "Qui veut gagner son pain ne doit pas répugner à l'ouvrage. C'est en vain qu'on invoque les dieux si l'on vit dans l'oisiveté".

De manière similaire, Electre se complait dans l'avilissement de tâches auxquelles sa naissance ne la destinait pas, peut-être pour mieux invoquer les dieux…
Elle se plaint : "Que de misérables tâches il me faut accomplir et combien triste est ma vie ! […] Allons ! Reprends sans cesse ta plainte et goûte la volupté des larmes."

Elle pense à son frère Oreste… Où est-il ?

"Que pour mon père, mes lamentations de la nuit se poursuivent quand point l'Aurore ! C'est dans la thrène d'Hadès qui s'élève, l'hymne d'Hadès, ô mon père ! Et dans les ténèbres souterraines je t'adresse l'hommage de mes pleurs. Sans relâche, chaque jour je m'y abandonne, déchirant de mes ongles ma tête que j'ai rasée en souvenir de ta perte cruelle." (page 54).
Elle se lamente, refuse tout privilège, tout vêtement brodé, toute parure. Elle se vêt de haillons, rejetant les propositions du Chœur :
"Le Chœur : "Permet, Electre, que je te prête une de mes robes brodées et des bijoux d'or pour parer tes grâces. Tes larmes viendront-elles à bout de tes ennemis ? Le crois-tu ? Penses-tu les vaincre en n'honorant pas les dieux ?"

Oreste, bien sûr, revient. Il admire la vertu du Laboureur, et son imprévisibilité : "Que la vertu est chose imprévisible et comme le hasard semble présider, pour les mortels, à l'attribution des qualités et des travers !" (page 67).

"Oreste : mais comment ta mère put-elle permettre qu'on forçât sa fille à un tel mariage ?
Electre : Hélas ! Une femme aime son mari plus que ses enfants !
" (ce qui est l'exact contraire dece que l'on voit dans Le Nœud de Vipères, de Mauriac).

Pour fêter l'arrivée de l'étranger qui apporte des nouvelles d'Oreste (et qui est Oreste lui-même), le vieillard qui l'avait sauvé jadis apporte de quoi manger.
"Vois ! Je t'apporte un agneau de lait choisi dans mon troupeau, un tendre nourrisson que je viens d'enlever à sa mère." (page 73). On est toujours dans le thème du sacrifice, de l'assassinat…

Electre motive Oreste. Il doit assassiner Egisthe et Agamemnon. Oreste va-t-il reculer ?
"Oreste : Tu m'as ordonné le meurtre entre tous les meurtres : le matricide !
Electre : Quel mal commets-tu en vengeant ton père ?
Oreste : J'étais pur. Je vais rester marqué d'une souillure.
Electre : Si tu ne venges ton père, tu n'es qu'un impie !
Oreste : Ma mère me fera expier son trépas.
Electre : Ne seras-tu pas puni si tu ne défends pas la mémoire de ton père ?
"

Clytemnestre, elle, justifie le meurtre de son mari. "[…] il a tranché la gorge blanche de mon Iphigénie !" et ce, pour de mauvaises raisons. La faute de "cette Hélène dépravée et de son mari trop faible pour châtier sa trahison." (pages 104-105). Et puis, il revient de la guerre avec Cassandre !

Mais la question est posée : Hélène est-elle vraiment dépravée ?
En effet, la Coryphée dit, vers la fin : "C'est du palais de Protée, en Egypte, que revient Hélène : elle n'est jamais allée en Phrygie. Zeus, pour semer la discorde et le carnage parmi les mortes, avait envoyé à Ilion un fantôme à sa ressemblance." Un rebondissement sidérant, quasi Dickien (ou Dürrenmattien, voir La Mort de la Pythie)… décidément, les voies des Dieux Grecs sont impénétrables. Le sang humain est, pour eux, bien peu de choses…

Un classique parmi les classiques, excellent.

Bien sûr, le texte change énormément en fonction des traductions... Faut-il traduire en vers ou en prose ?

A propos d'Euripide, Jacqueline de Romilly, dans son Dictionnaire de littérature grecque ancienne et moderne, page 83, écrit :
"Il renouvelle aussi les mythes. Il a sans doute été le premier à faire de Médée la meurtrière de ses enfants et à mettre en scène la vengeance d'Hécube. Il a imaginé toute l'intrigue de l'Oreste en mettant à profit le silence de la tradition. Il a emprunté à Hérodote une variante égyptienne de la légende d'Hélène : Pâris n'aurait emmené à Troie qu'un fantôme et la véritable Hélène aurait attendu en Egypte la fin de la guerre et le retour de son mari".

medee


Médée, traduction de Gérard Henri Durand. Actes Sud – Papiers. 42 pages.
Tragédie écrite en -431

"Avec Médée apparaît un trait neuf et important, qui est la puissance de la passion. Médée, abandonnée par Jason, se venge de lui en faisant périr sa jeune rivale puis en égorgeant ses propres enfants. Ce crime ne va pas sans souffrances ni incertitudes : avec la passion, les revirements psychologiques font leur apparition au théâtre. Ils en resteront un des ressorts principaux, jusque dans les littératures modernes." Jacqueline de Romilly, Précis de Littérature Grecque, page 97)
Jacqueline de Romilly oppose également, dans La Tragédie Grecque, "Eschyle ou la tragédie de la justice divine", "Sophocle ou la tragédie du héros solitaire", et "Euripide ou la tragédie des passions".


Après une introduction de Dominique Quéhec qui donne à penser ("Cette validité, cet attrait persistant, je les chercherai pour ma part dans la tension et le jeu sans fin qui opposent la vie de la conscience aux formes symboliques destinées à traduire, transformés afin de nous les rendre acceptables, nos désirs archaïques dans leur universelle permanence.") et qui se finit sur une évocation d'André Breton (ben oui, on a beau parler d'universelle permanence, on ne peut s'empêcher d'ancrer l'antiquité que l'on va lire dans le cadre rudement plus flatteur du surréalisme), on arrive à la pièce, ouf.

Nous sommes à Corinthe, devant la demeure de Médée.

Médée, pour l'amour de Jason, a tué son propre frère, Apsyrtos. Elle a également fait montre de son intelligence en amenant les filles de Pélias, le roi usurpateur, à découper leur père en morceau. Elle est intelligente, a des pouvoirs, est déterminée… et amoureuse de Jason.
Les voici, Jason et elle, réfugiés à Corinthe, après la mort de Pélias (qui avait fait assassiner les parents de Jason, Aeson et Polymédée, ainsi que leur jeune fils, Promachos. Pour la petite histoire, dans sa grande mansuétude, Pélias accepta qu'ils pussent choisir leur mort. Aeson "avait bu du sang de taureau et était mort ; après quoi Polymédé se donna la mort à l'aide d'un poignard ou, selon certains, d'une corde, après avoir maudit Pélias qui, sans pitié, avait fait éclater la cervelle de Promachos sur le sol du palais" – Robert Graves, les Mythes Grecs.)

Donc, Médée.

Au début de la pièce. Une esclave resitue un peu l'action. ("dans les épisodes précédents…")
"Elle n'a pas à se plaindre de l'accueil : elle s'entend si bien avec son mari et, pour une femme, il n'y a pas de meilleur bouclier.
Mais maintenant la haine bourdonne autour d'elle. Elle souffre, elle est blessée. Jason n'est plus là. Il fuit ses enfants, il fuit sa femme. C'est un lit royal qu'il lui faut.
Il veut la fille du monarque, il veut la fille de Créon, le roi de Corinthe. Il la veut, il l'épouse.
" (page 11).
Elle a beau lui rappeler ses promesses, rien n'y fait. Il faut dire que Jason est un opportuniste de première. Il n'aime pas Médée : elle lui a été utile, simplement.
L'esclave continue :
"Mais je vois les enfants. Ils se sont entraînés à la course, comme si de rien n'était. Ils ne pensent pas aux souffrances de leur mère. C'est vrai qu'ils sont si jeunes. Ils ne savent pas ce que c'est que de souffrir." (page 12).
Un esclave pédagogue, le précepteur des enfants, arrive. Il a entendu parler des vieux, près de la fontaine sacrée de Pirène. "Ils disaient que les enfants… qu'il fallait chasser de Corinthe les enfants avec leur mère, que telle était la volonté de Créon, leur maître, leur roi. Quel crédit accorder à ces bavardages ? Comment le saurais-je ? ce ne sont peut-être que des racontars…
Esclave : Et Jason, Jason n'interviendra pas ? Ce sont ses fils, même si leur mère ne compte plus !
Précepteur : Créon n'a pas d'amitié pour notre maison… et quand une journée s'en va, un e autre prend sa place…" (pages 12-13).

On entend les cris de Médée.
"Cris de Médée (ils viennent de l'intérieur de la demeure. Cris : âaaa…).Maudite… la souffrance me ient… le fer de la douleur, le feu… mourir, je veux mourir…" (page 13).

Un peu plus loin :
"[…] oui, mes enfants, votre mère est odieuse et vous, vous n'êtes plus que des fils haïssables... Périssez donc avec votre père... il faut périr et, toute la maison, périr..."
L'Esclave se demande si les enfants doivent porter la faute du père.

"L'angoisse me serre : les emportements des puissants sont terribles ; ils ont juste appris à commander, jamais à obéir ; comment tiendraient-ils en laisse leurs passion ? Mieux vaut vivre dans l'obscurité. Moi, je veux seulement être tranquille, à l'écart des grands de ce monde. Obscure : la douceur de ce mot. Que peut demander un mortel sinon de vivre, sans être vu ? Précieuse obscurité. En pleine lumière la destinée s'attache à vos pas, elle vous renifle, votre taille l'irrite, elle va mordre..." (page 14).

Parenthèse traductive (qu'importe si ce mot n'existe pas). Voici le même passage dans la traduction de Marie Delcourt-Cuvers, chez Folio (tome 1, page 139) :
"Les exigences des tyrans font peur.
Ils n'ont guère appris à fléchir, mais seulement à commander.
Comment sauraient-ils dominer leurs colères ?
Mieux vaut s'accoutumer à vivre parmi des égaux.
Loin des grandeurs, puissé-je en paix vieillir !
Le seul nom du juste milieu porte en soi son éloge,
Et dans la vie il se révèle ce qu'il y a de mieux pour tous.
Car les dépassements n'apportent rien de bon.
Quand un dieu en colère s'en prend à un foyer,
La grandeur rend la chute plus profonde.
"


Il faut que Médée sorte. Car comme dit une Corinthienne "Resserrée sur elle-même, la douleur s'accroît sans cesse et s'envenime." (page 15).

Puis on lit un passage que l'on peut sentir (après avoir lu la petite biographie) très personnelle de la part d'Euripide. C'est Médée qui parle :
"Pour ne pas encourir tes reproches, je sors de cette maison, je me montre à tes yeux. Je ne veux pas que tu me croies orgueilleuse. Le désir de ne pas se montrer passe souvent pour du mépris. Je m'en suis aperçue, ici, comme dans d'autres pays. Mais dans ces yeux qui vous jugent sans savoir ne brille pas, me semble-t-il, l'éclat de la justice." (page 15).
Suit un passage féministe. "Quel scandale si l'on voit une femme déserter son mari ! Mais le répudier serait enfreindre la loi." (page 16).

Créon arrive. Il confirme à Médée sa volonté de la voir partir. Elle s'en étonne. "Je suis dépouillée de tout, perdu… […]Cette malheureuse peut-elle encore demander à Créon pourquoi elle est poursuivie avec tant d'âpreté ?
Créon : Parce que tu me fais peur. […] Il vaut mieux prévenir le mal. Se montrer faible aujourd'hui, c'est vouloir affronter demain un désespoir sans recours.
" (page 17)

Il a raison, Créon, rien de tel qu'une bonne petite guerre préventive. Attaquer quand on a l'avantage.

Jason arrive.
Il apparaît comme un parangon d'hypocrisie. Lui, il est gentil. Et puis, franchement, de quoi se plaint-elle, Médée ? Sans lui, elle vivrait encore en Hellade, bref, le trou-du-cul du monde (tant d'hypocrisie me rend vulgaire). Alors que, grâce à lui, "tu as découvert un pays où règne la justice, fondée sur le respect des lois édictées par les citoyens, toi qui ne connaissais que les caprices de la loi du plus fort." (page 22). Et puis tous les Grecs la connaissent pour son savoir! Et la célébrité, c'est rudement chouette. "J'aurais beau, pour ma part, accumuler l'or dans mon palais, chanter plus mélodieusement qu'Orphée, à quoi cela me servirait-il si personne ne connaissait mon nom ?" (page 22). Bref, Jason est un candidat rêvé pour les paillettes d'une émission de téléréalité. Un sombre crétin, donc, une enflure de première.

Il est à baffer. Médée dit : "Je ne trouve pas d'injure, ma langue ne trouve pas de quoi flétrir ta bassesse." (page 21). On retrouve, comme dans Electre, le désir d'injurier son ennemi, fût-il mort. J'irai invectiver ta tombe.
Plus loin, Médée dit :
"La nature m'a donné deux visages, l'un tendre pour mes amis, l'autre terrible pour mes ennemis, mais c'est la même force. Je ne suis pas de celles que l'on peut condamner à l'oubli." (page 29). Qu'on se le tienne pour dit.

Une excellente pièce, encore un classique (mais qui suis-je pour émettre un jugement sur cette pièce ? Franchement ?). Rarement on aura vu un héros aussi lamentable.

hippolyte

Hippolyte. Traduction de Marie Delcourt-Curvers. Folio. Gallimard. 63 pages.
Après la Phèdre de Sophocle (Φαίδρα ; pièce perdue), Euripide a écrit Hippolyte voilé (Ἱππόλυτος καλυπτόμενος ; pièce également perdue), puis Hippolyte porte-couronne (Ἱππόλυτος στεφανοφόρος). Cette dernière pièce, écrite en 428 avant J.-C., a heureusement été conservée.

Hippolyte ("celui qui délie ses chevaux") est le fils de Thésée et d'une Amazone. Après la mort de l'Amazone, Thésée a épousé Phèdre, la fameuse fille de Minos et de Pasiphaé.
Nous sommes dans le palais de Trézène. "A droite et à gauche de la porte les statues d'Aphrodite et Artémis, chacune surmontant un autel".

C'est le prologue :
"APHRODITE
[...] j'honore ceux qui rendent hommage à ma puissance,
mais qui me traite avec superbe, je l'abats.
Car la race des dieux, elle aussi, prend plaisir
à recevoir l'hommage des humains.
Et de cette parole, je ferai voir tantôt la vérité.
Le fils que l'Amazone a conçu de Thésée,
cet Hippolyte qu'a nourri le pieux Pitthée,
seul ici parmi tout le peuple de Trézène,
me déclare la dernière des déités.
Il méprise les couples et refuse l'amour.
A la soeur de Phoibos, Artémis fille de Zeus,
va son respect. Elle est pour lui la déesse suprême.
Dans la verte forêt, toujours aux côtés de la Vierge,
Avec ses chiens légers il détruit les bêtes sauvages.
" (page 211).

Pour se venger d'Hippolyte qui trouve son bonheur dans la chasse, la nature, et vénère Artémis, Aphrodite a donc fait en sorte que Phèdre tombe amoureuse d'Hippolyte (qui est donc son beau-fils). C'est un jeune homme pieux qui veut rester chaste (enfin, avec les femmes ; la compagnie de jeunes hommes ne nuit pas à sa pureté). Hippolyte, mal-aimé de son père, cherche à être son contraire (Thésée multiplie les conquêtes féminines).
Phèdre en tombe malade. Que peut-elle faire ? Mourir pour préserver son honneur ?
Mais voici que sa nourrice l'interroge : elle veut savoir d'où vient son mal mystérieux...

"PHEDRE
Femmes de Trézène, qui habitez ce vestibule
tout au bout du pays de Pélops,
Souvent au hasard d'une longue nuit
je me suis demandé ce qui corrompt la vie des hommes.
Et ce n'est point, je crois, par naturelle infirmité d'esprit
qu'ils font le mal, car un sens droit est en partage
à la plupart. Il faut autrement voir les choses.
Nous distinguons parfaitement où est le bien,
mais sans nous efforcer à l'accomplir, ceux-ci par paresse,
ceux-là pour avoir élu autre chose
qui est leur plaisir. Et les plaisirs sont si nombreux !
Les longs entretiens, l'inaction, dangereuses jouissances,
et l'honneur aussi. L'honneur a deux visages. L'un est louable,
l'autre perd les maisons. Si la limite entre eux était bien nette,
Ils ne seraient pas deux à porter le même nom.
" (pages 227-228).

phèdre
Phèdre et sa nourrice (probablement). Fresque de Pompéi. British Museum (voir Wiki)

"LA NOURRICE
Ce qui t'arrive, maîtresse, m'a tout à l'heure
Frappée soudain de stupeur et d'effroi,
mais j'avais tort, je le vois à présent. Presque toujours
la réflexion redresse un premier mouvement.
Qu'y a-t-il d'inouï, d'étrange en ce que tu éprouves ?
Mais rien ! La colère d'une déesse s'est abattue sur toi.
Tu aimes. Quoi d'étonnant ? C'est le lot des humains.
Et c'est pour cet amour que tu veux renoncer à la vie ?
" (page 229).

La nourrice propose à Phèdre d'aller voir Hippolyte pour lui parler.

"PHEDRE
Je tremble en t'écoutant. Que ta bouche se taise
et ne prononce plus jamais ces paroles honteuses !

LA NOURRICE
Honteuses, oui, meilleures cependant pour toi que les plus belles.
Mieux vaut un acte qui te sauve
que le titre de gloire au nom duquel tu meurs !
" (page 231)

De son côté, Hippolyte est très pieux, tendance extrémiste intransigeant, et un peu narcissique. L'intervention de la nourrice est catastrophique.

"HIPPOLYTE
O Zeus, qu'as-tu mis parmi nous ces êtres frelatés,
les femmes, mal qui offense la lumière ?
Si tu voulais perpétuer la race humaine
Il ne fallait pas la faire naître d'elles.
Nous n'avions qu'à déposer dans les temples
de l'or, de l'argent ou du bronze pesant
pour acheter des semences d'enfants, en proportion
du don offert. Ainsi dans les maisons
l'on aurait vécu libéré des femmes.
Tout au rebours nous en sommes à nous ruiner
pour faire entrer chez nous cette disgrâce.
Voici qui prouve à quel point la femme est un mal.
Le père qui l'a engendrée et nourrie lui adjoint une dot pour l'établir ailleurs et s'en débarrasser.
" (page 238).

Comme Aphrodite l'avait annoncé au début de la pièce, le pire est à venir...

C'est bien sûr une très bonne pièce, un classique.

La première version, Hippolyte voilé, "fit scandale. Phèdre s'abandonnait à sa passion et la déclarait elle-même à son beau-fils qui, d'horreur, se voilait le visage. Ces audaces sont atténuées dans la pièce que nous lisons et qui, en avril 428, quelques mois après la mort de Périclès, obtint le premier prix. Phèdre et Hippolyte se rencontrent en scène, mais sans échanger ni un mot ni même un regard." Marie Delcourt-Cuvers, notice, page 201).

 

 

Ecoutons l'ensemble Kerylos interpréter un extrait d'Oreste, d'Euripide :


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